Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

DENONCIATION CALOMNIEUSE

2e Civ., 24 novembre 2022, n° 21-17.167, (B), FRH

Cassation

Eléments constitutifs – Elément intentionnel – Mauvaise foi – Connaissance de la fausseté du fait dénoncé

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Amiens, 12 novembre 2020), du mariage de M. [F] et de Mme [E] est née [W] en 2007.

Le couple a divorcé en 2009.

2. Par jugement du 11 février 2015, un tribunal correctionnel a condamné Mme [E] pour des faits de non-représentation d'enfant du 4 octobre 2013 au 25 juillet 2014, et de dénonciation calomnieuse commis de courant janvier 2012 au 31 décembre 2012.

Le tribunal a omis de statuer sur la constitution de partie civile de M. [F].

Par arrêt du 2 mars 2016, la cour d'appel a relaxé Mme [E].

3. Par jugement du 23 mars 2017, ce tribunal a condamné Mme [E] pour des faits de non-représentation d'enfant commis du 30 juin 2014 au 6 janvier 2016 et de dénonciation calomnieuse commis du 19 décembre 2014 au 6 janvier 2016, et a alloué à M. [F] une certaine somme à titre de dommages-intérêts.

Par arrêt du 3 décembre 2018, la cour d'appel a relaxé Mme [E] et a rejeté la constitution de partie civile de M. [F].

4. M. [F] a saisi un tribunal d'instance afin d'obtenir réparation du préjudice moral, psychologique et affectif qu'il prétendait avoir subi du fait de la non remise de l'enfant par Mme [E] et des plaintes qu'elle avait déposées.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1351, devenu 1355, et 1382, devenu 1240, du code civil :

6. Selon le premier de ces textes, l'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef du dispositif prononçant la relaxe.

7. La liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi. Il s'ensuit que, hors restriction légalement prévue, l'exercice du droit à la liberté d'expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou de services, être sanctionné sur le fondement du second de ces textes.

8. La dénonciation téméraire constitutive d'un abus de la liberté d'expression est régie par les articles 91, 472 et 516 du code de procédure pénale qui, en cas de décision définitive de non-lieu ou de relaxe, et sans préjudice d'une poursuite pour dénonciation calomnieuse, ouvrent à la personne mise en examen ou au prévenu la possibilité de former une demande de dommages-intérêts, à l'encontre de la partie civile, à la condition que cette dernière ait elle-même mis en mouvement l'action publique.

9. En dehors des cas visés par ces textes spéciaux, la dénonciation, auprès de l'autorité judiciaire, de faits de nature à être sanctionnés pénalement, seraient-ils inexacts, ne peut être considérée comme fautive.

10. Il n'en va autrement que s'il est établi que son auteur avait connaissance de l'inexactitude des faits dénoncés, le délit de dénonciation calomnieuse, prévu et réprimé par l'article 226-10 du code pénal, étant alors caractérisé.

11. Pour condamner Mme [E] à payer à M. [F] une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour une période courant de janvier 2012 à décembre 2014, l'arrêt après avoir rejeté la demande de M. [F] fondée sur une dénonciation téméraire, retient que même si les agissements de Mme [E] n'ont pas été considérés par le juge pénal à deux reprises comme constituant les délits de non-représentation d'enfant et de dénonciation calomnieuse, la multiplication par une mère de plaintes pour viols pour s'opposer à l'exercice du droit de visite et d'hébergement d'un père et obtenir leur suppression constitue une faute grave dont le père est en droit de réclamer réparation.

12. En statuant ainsi, alors que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions de relaxe de Mme [E] du chef de dénonciation calomnieuse, reposant sur l'absence de preuve de sa connaissance de la fausseté des déclarations de l'enfant qu'elle avait rapportées, ne permettait pas de retenir l'existence d'une dénonciation calomnieuse pour les périodes de janvier 2012 au 31 décembre 2012 et à compter du 19 décembre 2014, et qu'il résultait de ses propres énonciations que M. [F] ne pouvait agir sur le fondement de la dénonciation téméraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Brouzes - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 1355 du code civil ; articles 91, 472, 516 du code de procédure pénale ; article 226-10 du code pénal.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 25 mars 2020, pourvoi n° 19-11.554, Bull., (cassation partielle sans renvoi).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.