Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-12.125, (B), FM

Cassation partielle

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Faute du salarié – Faute grave – Défaut – Applications diverses – Irrégularité de la situation d'un travailleur étranger – Caractérisation – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 novembre 2019), M. [I] a été engagé en qualité de veilleur de nuit par la société Saphif (la société) suivant un contrat à durée déterminée puis, à compter du 16 juillet 2012, suivant un contrat à durée indéterminée.

2. Mis à pied à titre conservatoire, il a été convoqué, le 23 avril 2014, à un entretien préalable en vue d'un licenciement puis licencié par lettre du 14 mai 2014 pour défaut de titre de séjour.

3. Le 6 mai 2016, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir le paiement d'indemnités.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en paiement de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire et de remise de documents sociaux, alors « que la mise à pied conservatoire prévue par l'article L. 1332-3 du code du travail est une mesure provisoire qui permet à l'employeur d'écarter le salarié de l'entreprise dans l'attente du prononcé de la sanction ; qu'elle n'emporte perte du salaire correspondant que si la sanction prononcée est un licenciement pour faute grave ou lourde ; qu'en rejetant la demande du salarié tendant au rappel de salaires pendant la période de sa mise à pied conservatoire, cependant qu'elle avait constaté que son licenciement n'était pas fondé sur une faute grave mais reposait sur une cause objective tirée de sa situation irrégulière, la cour d'appel a violé l'article susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1332-3, L. 8252-1 et L. 8252-2, 1°, du code du travail :

5. Selon le deuxième de ces textes, nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.

6. Selon le troisième, le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite, au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, conformément aux dispositions légales, conventionnelles et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée.

7. Il résulte de ces textes que si l'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l'application des dispositions relatives aux licenciements et de l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle n'est pas constitutive en soi d'une faute grave.

L'employeur qui entend invoquer une faute grave distincte de la seule irrégularité de l'emploi doit donc en faire état dans la lettre de licenciement.

8. Seule la faute grave peut justifier une mise à pied conservatoire et le non-paiement du salaire durant cette période.

9. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour la période antérieure au licenciement, l'arrêt retient qu'il ressort de la lettre de licenciement que la seule faute reprochée au salarié est de ne pas avoir produit, en dépit de mises en demeure, un titre de séjour valable l'autorisant à travailler et que cette absence d'autorisation n'est pas contestée par l'intéressé, en sorte que l'employeur n'avait d'autre choix que de procéder à son licenciement.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle retenait par ailleurs que l'article L. 8252-2 du code du travail était applicable et que l'employeur n'avait invoqué aucune faute grave à l'appui du licenciement, ce dont elle aurait dû déduire que le salarié, en situation d'emploi illicite, avait droit au paiement du salaire pour la période antérieure à la rupture du contrat de travail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

11. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef du dispositif de l'arrêt attaqué à intervenir sur la première branche, relative au rejet de la demande en paiement du rappel de salaires pour la période de mise à pied conservatoire, entraînera la cassation, par voie de conséquence, du chef du dispositif ayant débouté l'exposant de ses plus amples demandes dont celle relative à la remise de documents sociaux conformes à l'arrêt à intervenir, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

12. La cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef du dispositif déboutant le salarié de sa demande de remise de documents sociaux conformes, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [I] de ses demandes de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire et de remise de documents sociaux conformes, l'arrêt rendu le 13 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation mixte.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; Me Bouthors -

Textes visés :

Articles L. 1332-3, L. 8252-1 et L. 8252-2, 1°, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence de faute grave résultant du défaut de titre de séjour du salarié, à rapprocher : Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.840, Bull. 2012, V, n° 209 (cassation partielle).

Soc., 16 novembre 2022, n° 21-17.255, (B), FRH

Cassation partielle

Licenciement – Cause – Maladie ou accident non professionnel – Inaptitude au travail – Inaptitude physique du salarié – Avis du médecin du travail – Mention expresse d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise – Effets – Consultation des délégués du personnel – Obligation de l'employeur – Exclusion – Portée

Selon l'article L. 1226-2-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.

Licenciement – Cause – Maladie ou accident non professionnel – Inaptitude au travail – Inaptitude physique du salarié – Avis du médecin du travail – Mention expresse d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise – Effets – Obligation de reclassement – Exclusion – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 14 avril 2021), M. [R], engagé le 3 mars 2008 en qualité de référent formation par le Syndicat mixte de Baie de Somme Grand Littoral Picard, a été placé en arrêt de travail pour maladie du 17 janvier au 11 juin 2017, puis à compter du 9 octobre 2017.

2. Le 4 décembre 2017, le médecin du travail a émis l'avis suivant :

« inapte - étude de poste et étude des conditions de travail réalisées le 15/11/2017

échange avec l'employeur - l'état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

3. Le 26 décembre 2017, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois, alors « qu'il résulte de l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et de l'article L. 1226-2-1 du code du travail issu de cette même loi, que l'employeur n'est pas tenu de consulter les représentants du personnel lorsque le médecin du travail l'a dispensé de toute recherche de reclassement en mentionnant expressément, dans l'avis d'inaptitude, que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé », ou que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'avis d'inaptitude du salarié en date du 4 décembre 2017 mentionnait expressément que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » ; qu'en retenant, pour dire le licenciement du salarié sans cause réelle ni sérieuse, qu'il résultait de la combinaison des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction précitée, que « la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l'employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, peu important que le médecin du travail ait dispensé l'employeur de toute recherche de reclassement », la cour d'appel a violé l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article L. 1226-2-1 du code du travail issu de cette même loi. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

5. Il résulte du premier de ces textes que lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, et que cette proposition doit prendre en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.

6. Selon le second, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

7. Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.

8. Pour dire le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail que la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l'employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, peu important que le médecin du travail ait dispensé l'employeur de toute recherche de reclassement.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'avis du médecin du travail mentionnait que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, la cour d'appel a violé les textes sus-visés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la nullité du licenciement, l'arrêt rendu le 14 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lacquemant - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la consultation des délégués du personnel en cas d'avis du médecin du travail excluant tout reclassement dans un emploi lors d'une inaptitude d'origine professionnelle, dans le même sens que : Soc., 8 juin 2022, pourvoi n° 20-22.500, Bull., (cassation partielle).

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-16.162, (B), FS

Rejet

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Annulation de la décision de validation ou d'homologation du plan – Effets – Contrat de travail – Modification – Acceptation tacite – Demande d'annulation du contrat de travail – Possibilité (non)

Il résulte des articles L. 1222-6, L. 1233-5 et L. 1235-7-1 du code du travail, qu'une modification de contrat de travail intervenue, en application du premier de ces textes, dans le cadre d'un projet de réorganisation ayant donné lieu à l'élaboration d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, ne constitue pas un acte subséquent à cet accord, de sorte que les salariés ayant tacitement accepté cette modification ne sont pas fondés à se prévaloir du défaut de validité de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi pour obtenir la nullité de leur contrat de travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 mars 2021), Mme [S], engagée le 22 juin 1998 par la société Pages jaunes, devenue la société Solocal (la société), occupait en dernier lieu les fonctions de télévendeuse selon avenant du 31 août 2009. Elle a exercé différents mandats de représentante du personnel à compter de l'année 2005.

2. Par lettre du 7 janvier 2014, l'employeur lui a proposé une modification de son contrat de travail, dans le cadre d'un projet de réorganisation donnant lieu à élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi contenu dans un accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013 et validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France (DIRECCTE) le 2 janvier 2014.

En l'absence de réponse de la salariée, l'employeur lui a notifié, par lettre du 12 février 2014, l'entrée en vigueur de l'avenant au 1er juillet 2014.

3. Par arrêt du 22 octobre 2014, statuant sur le recours d'un autre salarié, une cour administrative d'appel a annulé cette décision de validation, au motif que l'accord du 20 novembre 2013 ne revêtait pas le caractère majoritaire requis par les dispositions de l'article L. 1233-24-1 du code du travail et le Conseil d'Etat a, le 22 juillet 2015, rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.

4. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la nullité de son dernier contrat de travail et reconnaître l'existence d'une discrimination à son égard.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à voir déclarer nul le contrat de travail conclu en application du plan de sauvegarde de l'emploi du 20 novembre 2013, applicable le contrat signé entre les parties le 31 août 2009, ordonner sous astreinte son rétablissement dans son contrat du 31 août 2009 avec effet rétroactif au 1er juillet 2014 et condamner la société Solocal à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaire sur la période du 1er juillet 2014 au 1er septembre 2019 et des congés payés afférents ou, à titre subsidiaire, à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de la mise en oeuvre d'un contrat nul, alors :

« 1° / que la nullité qui affecte un plan de sauvegarde de l'emploi s'étend à tous les actes subséquents ; qu'il en est ainsi de la modification pour motif économique du contrat de travail acceptée par un salarié dès lors que cette modification s'inscrit dans un processus de réorganisation de l'entreprise ayant donné lieu, avant toute proposition de modification des contrats de travail, à l'établissement d'un plan de sauvegarde l'emploi devant s'appliquer en cas de refus de la proposition faite ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que la modification du contrat de travail pour motif économique que Mme [S] est réputée avoir acceptée trouve son origine dans un projet de réorganisation de l'entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité prévoyant la modification du contrat de travail de certains salariés et ayant donné lieu à l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi dont il a été précisé à la salariée qu'il serait fait application en cas de refus de sa part de la modification proposée ; qu'en jugeant néanmoins que l'avenant litigieux au contrat de travail de l'exposante ne pouvait être considéré comme un acte subséquent du plan de sauvegarde de l'emploi au motif inopérant que l'article L. 1222-6 du code du travail ne conditionnait pas la modification du contrat de travail pour motif économique à la mise en oeuvre d'un PSE, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations a violé les dispositions des articles L. 1222-6, L. 1233-25 et L. 1235-10 du code du travail ;

2°/ que la nullité qui affecte un plan de sauvegarde de l'emploi s'étend à tous les actes subséquents ; qu'il en est ainsi de la modification pour motif économique du contrat de travail acceptée par un salarié dès lors que cette modification s'inscrit dans un processus de réorganisation de l'entreprise ayant donné lieu, avant toute proposition de modification des contrats de travail, à l'établissement d'un plan de sauvegarde l'emploi devant s'appliquer en cas de refus de la proposition faite par un salarié ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que la modification du contrat de travail pour motif économique que Mme [S] est réputée avoir acceptée trouve son origine dans un projet de réorganisation de l'entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité prévoyant la modification du contrat de travail de certains salariés ainsi que diverses mesures d'accompagnement de la mise en oeuvre de ce projet adoptées dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi dont il a été précisé à la salariée qu'il serait fait application en cas de refus de sa part de la modification proposée ; qu'en jugeant néanmoins que l'avenant litigieux au contrat de travail de l'exposante ne pouvait être considéré comme un acte subséquent du plan de sauvegarde de l'emploi et que l'annulation par la juridiction administrative de la validation par la DIRECCTE de l'accord portant plan de sauvegarde de l'emploi était sans effet sur la validité de l'avenant au contrat de travail de Mme [S] aux motifs erronés que, ni la circonstance suivant laquelle l'employeur avait négocié et fait valider l'accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi avant de soumettre à la salariée la modification de son contrat de travail, ni la mention, dans le courrier de proposition de cette modification de l'accord collectif susvisé n'avaient eu pour effet de créer un lien juridique entre l'avenant proposé et le PSE, et que la modification du contrat de travail de la salariée trouvait son origine, non pas dans ce PSE, mais dans la réorganisation de l'entreprise, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1222-6, L. 1233-25 et L. 1235-10 du code du travail ;

3°/ que la nullité qui affecte un plan de sauvegarde de l'emploi s'étend à tous les actes subséquents ; qu'il en est ainsi de la modification pour motif économique du contrat de travail acceptée par un salarié dès lors que cette modification s'inscrit dans un processus de réorganisation de l'entreprise ayant donné lieu, avant toute proposition de modification des contrats de travail, à l'établissement d'un plan de sauvegarde l'emploi devant s'appliquer en cas de refus de la proposition faite par un salarié ; que pour juger en l'espèce que l'annulation par la juridiction administrative de la validation par la DIRECCTE de l'accord portant plan de sauvegarde de l'emploi était sans effet sur la validité de l'avenant au contrat de travail de Mme [S], la cour d'appel a retenu qu'aucune disposition légale ne prévoyait que l'annulation de la décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 du code du travail entraînait l'annulation d'une modification de contrat de travail intervenue par application de l'article L. 1222-6 dans le cadre du même projet de réorganisation ; qu'en statuant par de tels motifs alors qu'il ressortait de ses propres constatations que l'avenant à son contrat de travail régularisé par Mme [S] constituait un acte subséquent du PSE adopté par voie d'accord collectif le 20 novembre 2013 si bien que la nullité affectant ce plan s'étendait à l'avenant litigieux, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1235-10 du code du travail ;

4°/ qu'il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ; que le consentement du salarié à une modification de son contrat de travail n'est pas valable lorsqu'il a été donné sous la menace d'un licenciement qui ne pouvait être valablement prononcé ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence d'un vice du consentement donné par Mme [S], la cour d'appel a retenu que l'employeur avait légitimement et de manière licite informé la salariée des conséquences légales d'un éventuel refus de la modification du contrat de travail qui lui était proposé ; qu'en statuant ainsi alors que, compte tenu de la nullité dont se trouvait entaché le plan de sauvegarde de l'emploi adopté par accord collectif le 20 novembre 2013, en cas de refus de la modification de son contrat de travail, la société employeur ne pouvait valablement procéder à son licenciement en vertu de ce plan, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1109 et 1112 du code civil dans leur version applicable au litige, ensemble celles des articles L. 1233-25 et L. 1235-10 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. D'une part, aux termes de l'article L. 1222-6 du code du travail, lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception.

La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. A défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.

8. L'article L. 1233-25 du code du travail dispose que lorsqu'au moins dix salariés ont refusé la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail, proposée par leur employeur pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique.

9. D'autre part, il résulte de l'article L. 1235-7-1 du code du travail que le juge judiciaire, compétent pour statuer sur les litiges relatifs à l'application des mesures comprises dans un plan de sauvegarde de l'emploi, est fondé, lorsque le défaut de validité de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi résulte des motifs de la décision du juge administratif annulant la décision de validation de cet accord, à écarter l'application des clauses de cet accord.

10. Il en résulte qu'une modification de contrat de travail intervenue, en application de l'article L. 1222-6 précité, dans le cadre d'un projet de réorganisation ayant donné lieu à l'élaboration d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, ne constitue pas un acte subséquent à cet accord, de sorte que les salariés ayant tacitement accepté cette modification ne sont pas fondés à se prévaloir du défaut de validité de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi pour obtenir la nullité de leur contrat de travail.

11. Le moyen, qui soutient le contraire, n'est donc pas fondé en ses trois premières branches.

12. La cour d'appel ayant ensuite relevé que l'employeur avait informé la salariée légitimement et de manière licite, des conséquences légales d'un éventuel refus de la proposition de modification de son contrat de travail et que la négociation et la validation préalables de l'accord majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi lui avaient permis d'être parfaitement éclairée sur les implications de son choix, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, décidé que le vice du consentement invoqué ne pouvait être retenu.

13. Le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Le Corre - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 1222-6, L. 1233-5 et L. 1235-7-1 du code du travail.

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-11.776, n° 21-11.777, n° 21-11.781, (B), FS

Rejet

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Contestation – Action en contestation – Compétence du juge administratif – Etendue – Limites – Compétence du juge judiciaire – Cas – Transfert du contrat de travail en fraude des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail – Action ultérieure en contestation du transfert – Action exercée par les salariés licenciés – Preuve d'un transfert frauduleux – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-11.776, 21-11.777 et 21-11.781 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 9 décembre 2020), M. [L], Mme [H] et M. [G] ont été employés par la société de droit étranger Associated Press Limited (la société AP), au sein de son service français, en qualité respectivement de chef du service politique du service français, chef de service sténo rédacteur et journaliste.

Les salariés étaient investis d'un mandat représentatif du personnel.

3. Le 12 juillet 2012, un accord de cession de fonds de commerce a été signé entre la société AP et la société de droit étranger French Language Service Limited (la société FLS).

4. Le 11 juillet 2012, la société AP avait sollicité l'autorisation de procéder au transfert des contrats de travail des salariés, lequel a été autorisé par l'inspecteur du travail le 12 septembre 2012.

5. La société FLS a déposé une déclaration de cessation des paiements le 22 novembre 2012 aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 6 décembre 2012, la liquidation judiciaire de la société FLS a été prononcée, la société BTSG, prise en la personne de M. [S], étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

6. Le 25 janvier 2013, le liquidateur judiciaire a procédé au licenciement pour motif économique des salariés, après autorisation de l'inspecteur du travail.

7. Le 19 septembre 2013, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à dire que le transfert de leur contrat de travail a été frauduleusement mis en oeuvre, dire les licenciements sans cause réelle et sérieuse et condamner la société AP au paiement de dommages-intérêts à ce titre.

La société AP a soulevé une exception d'incompétence de la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. La société AP fait grief aux arrêts de déclarer la cour d'appel incompétente sur l'existence d'une unité économique autonome tout en retenant l'existence d'une fraude à l'article L. 1224-1 du code du travail en l'absence de transfert de cette unité, alors :

« 1°/ que le juge judiciaire ne peut, sous le prétexte que serait invoquée devant lui la règle suivant laquelle la fraude corrompt tout, violer le principe constitutionnel de la séparation des ordres administratif et judiciaire, et remettre ainsi en cause l'appréciation définitivement portée par l'autorité administrative des conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ; qu'en affirmant qu'en présence d'une suspicion de fraude, le juge judiciaire retrouverait sa compétence pour statuer sur la question de l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail quand l'autorité administrative, qui avait donné son autorisation au licenciement du salarié par une décision définitive du 12 septembre 2012, avait à cette occasion déjà constaté que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail étaient réunies, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des ordres administratif et judiciaire ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que l'autorisation de transfert d'un salarié protégé lie le juge judiciaire, non seulement sur la question de l'existence d'une unité économique autonome mais également sur celle de la réunion des conditions d'application de l'article L.1224-1 du code du travail ; qu'en se déclarant incompétente sur l'existence d'une unité économique autonome mais compétente pour apprécier la réalité d'un transfert des moyens propres à l'entité transférée, la cour d'appel a violé de plus fort le principe à valeur constitutionnelle de la séparation des ordres administratif et judiciaire ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

10. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

11. En vertu des articles L. 2414-1 et L. 2421-9 du même code, lorsqu'un salarié investi d'un mandat représentatif du personnel est compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1, le transfert de ce salarié ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail qui s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire.

12. L'inspecteur du travail, qui contrôle la matérialité du transfert partiel, l'applicabilité des dispositions légales ou conventionnelles invoquées dans la demande d'autorisation de transfert et si le salarié concerné exécute effectivement son contrat de travail dans l'entité transférée, ainsi que l'absence de lien avec le mandat ou l'appartenance syndicale, ne porte pas d'appréciation sur l'origine de l'opération de transfert.

13. Il en résulte que le salarié protégé, dont le transfert du contrat de travail au profit du cessionnaire a été autorisé par l'inspecteur du travail et qui, à la suite de ce transfert, a été licencié après autorisation de l'autorité administrative, peut invoquer devant le juge judiciaire, eu égard aux circonstances dans lesquelles est intervenu le transfert, l'existence d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail et solliciter sur ce fondement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative qui a autorisé le transfert, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

14. La cour d'appel, qui a constaté qu'elle était saisie de demandes des salariés tendant à la condamnation de la société cédante au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, en a exactement déduit que le juge judiciaire était compétent.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

16. La société AP fait grief aux arrêts de retenir l'existence d'une fraude à l'article L. 1224-1 du code du travail en l'absence de transfert d'une unité économique autonome et de la condamner en conséquence à payer à chacun des salariés une certaine somme à titre de licenciement abusif et à rembourser à l'AGS CGEA IDFO certaines sommes, alors :

« 2°/ qu'en retenant, pour conclure à l'existence d'une fraude dont se serait rendue coupable la société Associated Press, qu'elle ne produisait pas d'éléments relatifs à la société French Language Services portant sur son capital, ses fonds propres ou l'activité qu'elle entendait développer, quand ces informations incombaient au cessionnaire ou à son mandataire liquidateur partie à l'instance, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

3°/ qu'en tenant la société Associated Press pour seule responsable de la mise en liquidation judiciaire de la société cessionnaire French Language Services, quand elle avait elle-même constaté que cette liquidation résultait de l'absence d'aide de son actionnaire principal, le groupe DAPD qui l'avait créée dans le seul but de la cession mais ne lui avait fourni aucun soutien financier lui permettant de développer sa clientèle et d'assurer sa viabilité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a de plus fort violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

4°/ que la société Associated Press avait rappelé dans ses conclusions que la clientèle propre au service français était constituée en majorité des journaux et publications parisiennes et d'autres régions, ainsi que des institutions gouvernementales ; qu'il résultait par ailleurs de l'accord de cession que si les clientèles suisse, belge, luxembourgeoise et marocaine n'étaient pas, dans un premier temps, directement transférées, seuls les revenus liés à ces contrats commerciaux étant visés par le transfert, ils pouvaient l'être à terme à la date de leur renouvellement ; qu'en se fondant sur l'absence de transfert direct de la clientèle suisse, belge, marocaine et luxembourgeoise pour conclure à l'existence d'une fraude imputable à la société Associated Press résultant de l'absence de transfert des éléments incorporels générant des profits, sans s'expliquer ni sur le fait que le transfert de cette clientèle était simplement différé dans le temps, ni sur la réalité du transfert de la clientèle française, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

17. La cour d'appel, après avoir relevé que les clients basés en Suisse, Belgique, Luxembourg et Maroc étaient exclus de la cession et que les clauses du contrat de cession mentionnaient que les contrats conclus avec les clients basés en Suisse devaient être transférés dans le cadre d'un contrat distinct, a constaté qu'il n'était pas établi que ce contrat avait été effectivement signé, que les pièces produites par la société AP ne permettaient pas de démontrer que la clientèle française avait été transférée, que le prix d'acquisition fixé à 10 euros, dont un euro pour les actifs immatériels, confirmait l'absence de transfert effectif de toute la clientèle et qu'ainsi le transfert s'était fait sans la reprise des éléments incorporels nécessaires à l'exploitation de la nouvelle entité. Elle a également estimé que la cession n'offrait pas de perspectives réalistes faute, d'une part, de la transmission de tous les éléments incorporels nécessaires à la poursuite de son activité, d'autre part, de soutien du groupe allemand DAPD, ce qui était à l'origine de la mise en liquidation de la société FLS prononcée deux mois après l'immatriculation de celle-ci. Elle en a déduit, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que pour la société AP, dont le souhait était de se séparer du service français depuis 2007, le seul but de cette cession sans avenir était d'éluder les règles relatives au licenciement économique, en sorte que la cession et les transferts des contrats de travail avaient été effectués en fraude aux droits des salariés, lesquels étaient dès lors bien fondés en leur demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formée à l'encontre de la société cédante.

18. Il s'ensuit que le moyen, inopérant en sa deuxième branche en ce qu'elle critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 1224-1, L. 2414-1 et L. 2421-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence d'atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, en cas de violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail antérieurement au plan de sauvegarde de l'emploi, à rapprocher : Soc., 10 juin 2020, pourvoi n° 18-26.229, Bull., (rejet).

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-12.873, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Indemnités – Indemnité conventionnelle de licenciement – Distinction avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – Portée

Il résulte des articles L. 1234-9 du code du travail et 12 du statut des personnels des organismes de développement économique du 9 mars 1999, révisé le 12 décembre 2007, que l'indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul sont forfaitaires, est la contrepartie du droit de l'employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail.

Il résulte de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi.

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui, après avoir retenu que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, condamne l'employeur à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article 12 du statut des personnels des organismes de développement économique, alors que ce texte n'est pas relatif aux dommages-intérêts dus en cas de licenciement injustifié mais prévoit, en ce cas, le doublement de l'indemnité forfaitaire de licenciement.

Licenciement – Indemnités – Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – Objet – Réparation du préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 5 janvier 2021), M. [P] a été engagé, le 6 mars 2006, par l'agence régionale de développement de Franche-Comté en qualité de chargé de mission puis, par avenant du 26 juin 2009, nommé en qualité de directeur général.

2. En février 2017, la fusion des deux agences régionales de développement de Bourgogne et de Franche-Comté a conduit à la création de l'agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté.

3. Le 16 octobre 2017, dans le cadre de cette réorganisation, l'employeur a proposé au salarié de devenir directeur du service à l'appui des territoires.

4. Le salarié, ayant refusé cette modification de son contrat de travail, a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour motif économique au cours duquel un contrat de sécurisation professionnelle lui a été proposé.

Le 5 décembre 2017, le salarié a accepté cette proposition et son contrat de travail s'est trouvé rompu le 20 décembre 2017.

5. Contestant le motif économique de son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

7. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner en conséquence à lui payer diverses sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'aux termes de la délégation de pouvoirs et de responsabilités au directeur général du 23 août 2017, « Mme A. (directrice générale) est directement responsable du recrutement du personnel de la SPL ARD FC, dénommée AER BFC au 28/09/2017. Elle assurera le suivi de la gestion du personnel, tant sur le plan administratif que disciplinaire.

Les licenciements qui pourraient intervenir seront de sa compétence et elle en assurera l'entière responsabilité. Toutefois le conseil d'administration se réserve les pouvoirs suivants : nommer et révoquer les directeurs de la société, fixer leurs traitements, salaires et gratifications : la direction générale adressera à un comité de recrutement composé de membres du conseil d'administration le dossier des candidat(e)s.

Le conseil d'administration décidera du et/ou de la candidat(e) retenu(e) et de sa rémunération » ; que la cour d'appel a déduit de ces dispositions que faute de limiter le pouvoir de licencier le pouvoir du conseil d'administration de nommer et de révoquer les « directeurs » aux seuls directeurs ayant le statut de mandataires sociaux, tout en renvoyant aux notions de « traitements » et de « salaires », cette délégation devait s'analyser comme englobant tout à la fois, dans le terme les « directeurs », aussi bien ceux exerçant ces fonctions en qualité de mandataires sociaux que ceux les assumant en qualité de salariés tel que l'intéressé ; qu'en statut ainsi, cependant qu'il résultait des termes clairs et précis de la délégation litigieuse que tous les « licenciements » relevaient de la compétence de la directrice générale, la cour d'appel a dénaturé celle-ci et violé, ce faisant, les articles 1103, 1104 et 1193 du code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe susvisé ».

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

8. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer au salarié diverses sommes à ce titre, l'arrêt retient que le conseil d'administration, aux termes d'une délégation de pouvoir consentie à la directrice générale le 23 août 2017, s'était réservé le pouvoir de licencier les directeurs de la société.

9. En statuant ainsi, alors que l'acte litigieux indiquait que les licenciements étaient de la compétence de la directrice générale et que le conseil d'administration se réservait le pouvoir de révoquer les directeurs de la société, ce dont il résultait que cette réserve était limitée, conformément aux dispositions de l'article L. 225-55 du code de commerce, aux seuls directeurs ayant le statut de mandataires sociaux, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 45 982 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés afférents, soit la somme de 4 598,20 euros, alors « que le salarié ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis que sous déduction des sommes qu'il a déjà perçue à ce titre ; qu'en l'espèce, la société faisait valoir et offrait de prouver que si, du fait de l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur avait versé à Pôle emploi une somme représentant l'indemnité compensatrice de préavis équivalente à trois mois de salaire, le surplus de cette indemnité, soit trois mois, avait été effectivement payé au salarié à hauteur d'une somme de 22 991 euros bruts ; qu'en allouant au salarié une somme de 45 982 euros correspondant à l'intégralité de l'indemnité conventionnelle de préavis, sans déduire de celle-ci les sommes déjà versées à ce titre au salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1233-67 et L. 1233-69, dans leur version modifiée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, du code du travail et l'article L. 1234-9, dans sa version modifiée par l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, dudit code, ensemble l'article 9 du statut des personnels des organismes de développement économique. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1233-67 et L. 1233-69 du code du travail, dans leur version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, l'article L. 1234-9 du même code, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l'article 9 du statut des personnels des organismes de développement économique :

11. Il résulte de ces textes qu'en l'absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n'a pas de cause et l'employeur est alors tenu à l'obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées.

12. Pour condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 45 982 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, l'arrêt retient qu'en application de la convention collective relative au statut des personnels des organismes de développement économique du 9 mars 1999, l'intéressé bénéficie d'une indemnité compensatrice de six mois en sa qualité de directeur.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de l'employeur, si celui-ci n'avait pas déjà versé au salarié, dans le cadre de l'exécution du contrat de sécurisation professionnelle, une somme équivalente à trois mois de salaire à titre d'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à la fraction excédant le montant de la contribution due à Pôle emploi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen relevé d'office

14. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 1234-9 du code du travail, 12 du statut des personnels des organismes de développement économique et L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

15. Il résulte des deux premiers textes que l'indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul sont forfaitaires, est la contrepartie du droit de l'employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail.

16. Il résulte du dernier de ces textes que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi.

17. Pour condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 122 618,56 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'en application de l'article 12 du statut des personnels des organismes de développement économique du 9 mars 1999, révisé le 12 décembre 2007, l'intéressé bénéfice d'une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse doublée, étant ajouté qu'il avait, lors de la rupture de son contrat de travail, une ancienneté de 11 ans 9 mois et 14 jours pour avoir été embauché à compter du 6 mars 2006.

18. En statuant ainsi, alors que l'article 12 des statuts n'est pas relatif aux dommages-intérêts dus en cas de licenciement injustifié mais prévoit, en ce cas, le doublement de l'indemnité forfaitaire de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

19. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage, alors « qu'en l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail ; qu'en l'espèce, il était constant que la rupture du contrat de travail du salarié était intervenue par suite de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle en date du 5 décembre 2017 ; qu'en ordonnant néanmoins à l'agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à l'intéressé dans la limite de trois mois d'indemnités, sans tenir compte de la contribution équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis versée au titre de la participation de l'employeur au financement du contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-69 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur version antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-69 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et l'article L. 1235-4 du même code, dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

20. En l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail.

21. Après avoir jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a ordonné le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute l'agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté de sa demande formée au titre de la violation du secret des correspondances et M. [P] de sa prétention émise au titre d'un préjudice moral, l'arrêt rendu le 5 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1234-9 et L.1235-3, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, du code du travail ; article 12 du statut des personnels des organismes de développement économique du 9 mars 1999, révisé le 12 décembre 2007.

Rapprochement(s) :

Sur la distinction d'objet entre l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité de licenciement conventionnelle, à rapprocher : Soc., 5 juin 1986, pourvoi n° 84-40.951, Bull. 1986, V, n° 288 (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 3 juillet 2008, pourvoi n° 06-45.756, (cassation partielle) ; Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 18-23.535, Bull., (rejet).

Soc., 23 novembre 2022, n° 20-19.961, n° 21-10.543, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Rétractation par l'employeur – Validité – Conditions – Accord du salarié – Appréciation – Compétence du juge judiciaire – Etendue – Cas – Salarié protégé – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-19.961 et n° 21-10.543 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 7 juillet 2020), M. [S] a été engagé en qualité d'employé commercial par la société Karist le 8 octobre 2001.

Le 10 mai 2007, il a été élu délégué du personnel et membre titulaire du comité d'entreprise.

3. Le 8 février 2010, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour motif personnel.

Par lettre du 22 février suivant, il a annulé cette mesure et informé le salarié de sa réintégration au terme de son arrêt maladie, le 9 mars 2010. Cet arrêt maladie a été prolongé jusqu'au 9 juillet 2010.

4. Le 2 avril 2010, l'employeur a sollicité de l'inspecteur du travail une autorisation de licenciement qui lui a été accordée le 21 mai suivant.

Le 4 juin 2010, il a notifié au salarié une nouvelle mesure de licenciement.

5. Le 16 janvier 2012, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral et exécution fautive du contrat de travail. Après retrait de l'affaire du rôle le 16 juin 2014, le salarié en a sollicité la réinscription par conclusions du 17 juin 2014, dans lesquelles il a sollicité l'annulation du licenciement intervenu le 8 février 2010 sans autorisation préalable de l'inspecteur du travail et sans accord formel sur la rétractation notifiée postérieurement par l'employeur.

6. La société Karist a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Nîmes en date du 18 octobre 2017.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi de la société

Enoncé du moyen

7. La société fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du 8 février 2010 est nul et de fixer au passif de la société certaines sommes à titre d'indemnité en réparation intégrale du préjudice résultant du licenciement nul et pour violation du statut de salarié protégé, alors :

« 1°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Karist soulignait que par courrier du 11 février 2010, l'inspectrice du travail lui avait fait injonction d'annuler le licenciement prononcé sans autorisation et que la même inspectrice du travail lui avait ensuite, en toute connaissance de cause, délivré le 21 mai 2010 une autorisation de licencier M. [S], considérant donc que l'annulation de la première procédure de licenciement était régulière et que M. [S] faisait toujours partie de l'effectif de l'entreprise, de sorte que la société Karist n'avait fait que se conformer aux injonctions et autorisations de l'inspection du travail ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que si une mesure de licenciement ne peut être valablement rétractée par l'employeur qu'avec l'accord du salarié, la preuve d'un tel accord peut être rapportée par tous moyens ; qu'en l'espèce, en reprochant, par motifs adoptés, à la société Karist de ne pas produire aux débats de courrier, document ou un témoignage démontrant que M. [S] avait accepté la rétractation de son licenciement notifié le 8 février 2010, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de la liberté de la preuve ;

3°/ que l'acceptation non équivoque par le salarié de la rétractation de son licenciement est établie lorsqu'il a continué à envoyer à son employeur des prolongations d'arrêts de travail postérieurement à ce licenciement et à l'expiration du préavis né du premier licenciement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que par courrier du 22 février 2010, la société Karist avait informé le salarié qu'elle se rétractait de sa mesure de licenciement prononcée le 8 février 2010 et qu'elle le réintégrait au sein de l'entreprise ; qu'il était constant que le salarié, qui n'avait jamais refusé cette rétractation, avait continué, au-delà du 8 février 2010 et y compris après l'expiration du préavis né du premier licenciement, à adresser ses arrêts maladie à la société Karist, comportement impliquant nécessairement un accord exprès et non équivoque à la rétractation du licenciement ; qu'en concluant néanmoins à l'absence d'accord exprès, clair et non équivoque du salarié à la rétractation de son licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. Le licenciement ne peut être rétracté par l'employeur qu'avec l'accord du salarié, peu important que la rétractation ait été faite à la demande de l'inspecteur du travail d'annuler la procédure de licenciement engagée et de respecter le statut protecteur. Il en résulte que le juge judiciaire, quand bien même le licenciement ultérieur du salarié a fait l'objet d'une autorisation administrative, demeure compétent, sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, pour apprécier la validité de la rétractation de la mesure de licenciement notifiée antérieurement.

9. Ayant estimé, au terme de son interprétation souveraine de la volonté des parties, que la preuve de l'accord clair et non équivoque du salarié n'était pas rapportée par l'employeur, la cour d'appel, sans être tenue de répondre au moyen inopérant invoqué par la première branche, a légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi de l'AGS

Enoncé du moyen

10. L'AGS et l'Unedic - CGEA de [Localité 8] font grief à l'arrêt de déclarer opposable à l'AGS CGEA de [Localité 8] sa décision ayant fixé au passif de la société certaines sommes à titre d'indemnité en réparation intégrale du préjudice résultant du licenciement nul, et à titre d'indemnité pour violation du statut de salarié protégé, alors « que l'AGS avait à titre principal réclamé sa mise hors de cause, en faisant valoir qu'elle ne garantissait pas les créances du salarié dont l'employeur fait l'objet d'une simple procédure de sauvegarde ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

12. En réponse aux conclusions de l'AGS qui sollicitait sa mise hors de cause en faisant valoir qu'elle ne garantissait pas les créances du salarié dont l'employeur fait l'objet d'une simple procédure de sauvegarde, l'arrêt se borne à lui déclarer le jugement opposable.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare « le jugement » opposable à l'AGS CGEA de [Localité 8], l'arrêt rendu le 07 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Rapprochement(s) :

Sur le principe que le licenciement ne peut être rétracté par l'employeur qu'avec l'accord du salarié, à rapprocher : Soc., 12 juin 1985, pourvoi n° 83-42.755, Bull. 1985, V, n° 333 (rejet) ; Soc., 17 janvier 1990, pourvoi n° 87-40.666, Bull. 1990, V, n° 14 (rejet) ; Soc., 11 décembre 1991, pourvoi n° 90-42.270, Bull. 1991, V, n° 573 (cassation partielle) ; Soc., 12 mai 1998, pourvoi n° 95-44.353, Bull. 1998, V, n° 244 (cassation partielle).

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