Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 23 novembre 2022, n° 20-23.206, (B), FS

Rejet

Employeur – Détermination – Coemployeurs – Notion – Critères – Détermination – Portée

Une cour d'appel qui constate, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, que la société employeur a perdu tout client propre et se trouve sous la totale dépendance économique de la société mère, laquelle lui sous-traite et organise elle-même les transports qui constituaient son activité, que ses dirigeants ont perdu tout pouvoir décisionnel, que la société mère s'est substituée à sa filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives et assure également sa gestion financière et comptable, caractérise ainsi une immixtion permanente dans la gestion économique et sociale, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de la société employeur, ce dont elle déduit exactement l'existence d'une situation de coemploi.

Employeur – Détermination – Coemployeurs – Caractérisation – Cas – Immixtion d'une société mère dans une filiale – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 15 septembre 2020), M. [F] a été engagé par la société Nijman Winnen à compter du 22 octobre 2001.

En dernier lieu, il occupait le poste de directeur d'exploitation.

2. Le 1er mars 2010, la société Glass Partners Transports a acquis les actions composant le capital de la société Nijman Winnen.

3. Après avoir été licencié pour motif économique, M. [F] a, par lettre du 24 mai 2011, saisi la juridiction prud'homale de demandes dirigées à la fois contre la société Nijman Winnen et contre la société Glass Partners Transports, pour obtenir leur condamnation in solidum à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4. La société Nijman Winnen a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 9 juillet 2013, M. [Y] étant désigné en qualité de liquidateur.

Recevabilité du pourvoi incident contestée par la défense

Vu l'article 609 du code de procédure civile :

5. Le pourvoi en cassation n'est recevable que si le demandeur a intérêt à agir.

6. La société [Y] et associés, en sa qualité de liquidateur de la société Nijman Winnen, s'est pourvue en cassation contre l'arrêt qui dit que le salarié a été victime de harcèlement moral et reconnaît une situation de coemploi entre les sociétés Nijman Winnen et Glass Partners Transports, qui condamne la société Glass Partners Transports à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamne la société Glass Partners Transports à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonne le remboursement par la société Glass Partners Transports à Pôle emploi des indemnités de chômage, déclare irrecevables les demandes de condamnation solidaire formées par le salarié contre la société Nijman Winnen, représentée par M. [Y] en qualité de liquidateur, et condamne la société Glass Partners Transports au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens tant de première instance que d'appel.

7. La société [Y] et associés, ès qualités, est dès lors sans intérêt à la cassation de cette décision qui n'a prononcé aucune condamnation ni fixation de créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Nijman Winnen.

8. Son pourvoi n'est donc pas recevable.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La société Glass Partners Transports fait grief à l'arrêt de reconnaître une situation de coemploi entre les sociétés Nijman Winnen et Glass Partners Transports et, en conséquence, de la condamner à payer au salarié diverses sommes, alors « que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'une situation de co-emploi entre la société Glass Partners Transports et sa filiale la société Nijman Winnen, la cour d'appel s'est bornée à relever, en premier lieu, que les deux sociétés avaient la même activité de transport du verre, que la filiale n'avait pas d'autre client que la société mère, que celle-ci détenait après le rachat du 28 février 2010 l'intégralité du capital social de la filiale, que suite à ce rachat M. [J] avait été nommé président de la filiale et membre du conseil de gestion, et qu'il existait un état de domination économique de la filiale ; qu'elle a indiqué ensuite, par motifs propres et adoptés, que les témoignages produit par M. [F] confirmaient ses déclarations selon lesquelles il devait rendre compte aux dirigeants de la société mère et prendre ses consignes auprès d'eux, que M. [R] dirigeait les réunions des délégués du personnel et avait dirigé l'entretien préalable au licenciement, que les transports étaient directement ordonnés depuis la Belgique, que le protocole de fin de conflit avait été notamment signé par M. [J], que la gestion financière et comptable était assurée par la société mère, que M. [F] était sous la dépendance des responsables du planning de la société mère, ces derniers prévoyant les tournées des chauffeurs salariés de la filiale, gérant leurs congés de maladie et prévenant les clients de leurs heures d'arrivée, que la société mère s'était ainsi substituée à la filiale dans la gestion du personnel roulant de celle-ci qui n'avait plus aucune autonomie dans l'élaboration des tournées des chauffeurs, leurs plannings, les relations avec les clients et même la gestion des congés de maladie des chauffeurs ou de leur temps de vote pour les institutions représentatives du personnel, et qu'il y avait non seulement confusion d'activités entre la filiale et la société mère mais aussi une immixtion, soit une ingérence continuelle et anormale de la société mère dans l'organisation de l'activité et la gestion économique et sociale de la filiale allant au-delà de la nécessaire collaboration entre société d'un même groupe ou de la dépendance d'une filiale à sa société mère et qui s'était traduite par l'éviction des organes de direction de la filiale au profit de salariés de la société mère ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, qui n'a pas retenu l'existence d'un lien de subordination, n'a pas davantage caractérisé une immixtion permanente de la société Glass Partners Transports dans la gestion économique et sociale de la société employeur conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière, et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article L. 1221-1 du code du travail que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

11. La cour d'appel a d'abord constaté, par motifs propres, qu'à la suite du rachat par la société Glass Partners Transports de la société Nijman Winnen en février 2010, celle-ci, qui n'avait plus de client propre, s'était retrouvée sous la totale dépendance économique de la société belge qui lui sous-traitait des transports et les organisait au travers des ordres de transport, le salarié, qui était directeur d'exploitation, étant ainsi sous la dépendance des deux responsables du planning de la société Glass Partners Transports, lesquels prévoyaient les tournées des chauffeurs salariés de la filiale, allant jusqu'à gérer leurs congés de maladie et prévenant les clients de leurs heures d'arrivées, de sorte que le directeur d'exploitation n'avait plus de pouvoir décisionnel.

12. Elle a également relevé que la société Glass Partners Transports s'était substituée à sa filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives, celle-ci n'ayant plus aucune autonomie dans l'élaboration des tournées des chauffeurs, leurs plannings, les relations avec les clients et même la gestion des congés de maladie des chauffeurs ou de leur temps de vote pour les institutions représentatives du personnel.

13. Elle a enfin retenu, par motifs adoptés, que la gestion financière et comptable de la filiale était assurée par la société Glass Partners Transports.

14. Elle en a conclu qu'était ainsi démontrée une ingérence continuelle et anormale de la société mère dans la gestion économique et sociale de la filiale, allant au-delà de la nécessaire collaboration entre sociétés d'un même groupe, qui s'était traduite par l'éviction des organes de direction de la société Nijman Winnen dont faisait partie l'intéressé au profit de salariés de la société Glass Partners Transports.

15. En l'état de ces constatations, la cour d'appel a ainsi caractérisé une immixtion permanente de la société mère dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière, ce dont elle a exactement déduit l'existence d'une situation de coemploi.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

17. La société Glass Partners Transports fait grief à l'arrêt de dire que le salarié avait été victime de harcèlement moral et de la condamner à lui payer des dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors :

« 1°/ qu'il incombe au salarié d'établir, et au juge de constater, la matérialité d'éléments de fait précis, répétés et concordants pouvant laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, à charge ensuite seulement pour l'employeur de prouver que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé que M. [F] établissait l'existence matérielle de faits précis et concordants, et notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directeur d'exploitation pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, faits qui pris dans leur ensemble permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ; qu'en statuant de la sorte, sans identifier quels étaient, en dehors du retrait injustifié de ses fonctions, les faits précis établis concernant le salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1152-1 du code du travail ;

2°/ que les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, la société Glass Partners Transports n'invoquait pas une incompétence de M. [F] ni ne tentait de justifier une mise à l'écart de ce dernier par ses erreurs ou défauts mais contestait toute mise à l'écart décidée par elle au profit de ses salariés, soutenant que la situation dénoncée par M. [F] avait pour origine le désinvestissement volontaire des collaborateurs de la filiale, dont le sien et celui de Mme [E] ; qu'en affirmant à l'appui de sa décision que les reproches d'incompétence n'étaient pas fondés et que les erreurs ou défauts à les supposer telles que décrites dans les attestations produites par la société Glass Partners Transports ne pouvaient justifier une mise à l'écart de M. [F] de son poste de directeur d'exploitation et la dévolution de ses fonctions à deux salariés de la société Glass Partners Transports, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la société Glass Partners Transports avait produit des attestations de plusieurs de ses salariés mentionnant le manque de volonté de M. [F] de collaborer avec eux, son désinvestissement et une sollicitation continuelle par M. [F] des salariés de la société mère pour effectuer son travail ; qu'en énonçant cependant que les reproches d'incompétence n'étaient pas fondés dès lors que M. [F] était directeur d'exploitation au sein de la société Nijman Winnen depuis 2005 au même niveau de hiérarchie que la directrice de site et sous la seule autorité du président de la société Nijman Winnen ou son délégué et qu'il était titulaire du certificat de capacité professionnelle au transport national et international par route en date du 27 janvier 2005 et d'une attestation de capacité à l'exercice de la profession de commissionnaire de transport du 27 janvier 2005, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure la réalité du désinvestissement volontaire, du refus de collaborer et du manque total d'initiative de M. [F], tels qu'ils résultaient des attestations produites par la société Glass Partners Transports, et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ en outre, que la preuve est libre en matière prud'homale ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que les attestations produites par la société Glass Partners Transports émanaient toutes de ses salariés et que si ceux-ci parlaient tous d'erreurs commises par M. [F], il n'était rapporté aucune preuve matérielle de ces erreurs, la cour d'appel, qui a exigé une preuve matérielle en plus des attestations, a violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

18. Pour condamner l'employeur à payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral, la cour d'appel a d'abord retenu que le salarié, par la production de l'organigramme, de plusieurs attestations, d'un compte-rendu de réunion du CHSCT, d'un procès-verbal de réunion de décembre 2010 faisant état d'incidents relatifs au positionnement des caméras de surveillance du site et du remboursement de frais de déplacement ayant précédé son arrêt maladie, établissait l'existence de faits, notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directeur d'exploitation pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

19. Elle a ensuite déduit de ces éléments l'existence matérielle de faits précis et concordants et notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directeur d'exploitation pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

20. Elle a encore constaté que les erreurs ou défauts reprochés au salarié, à les supposer établis, ne pouvaient justifier sa mise à l'écart de son poste de directeur d'exploitation et la dévolution de ses fonctions aux salariés de la société Glass Partners Transports.

21. Il apparaît ainsi que sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve ni les termes du litige et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit tant l'existence de faits précis permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral que l'absence de justification par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

22. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

23. La société Glass Partners Transports fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de la condamner à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'ordonner le remboursement par elle des indemnités de chômage payées au salarié à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois, alors :

« 1°/ que le juge ne peut modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, le mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen soulignait que les sociétés du groupe, autre que la société Glass Partners Transports, avaient répondu négativement à la recherche de reclassement, produisant à cet égard notamment les lettres des trois autres sociétés du groupe (TNJ, GPTS et Glass Partners Transports Luxembourg) indiquant ne pas disposer de poste disponible ; qu'en appréciant le respect de l'obligation de reclassement de la société Nijman Winnen au regard de la seule réponse de la société Glass Partners Transports, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ en tout état de cause, que l'employeur est libéré de l'obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique lorsque l'entreprise et, le cas échéant, le groupe de reclassement ne comporte pas d'emploi disponible en rapport avec ses compétences ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la société Nijman Winnen avait consulté le gérant de la société Glass Partners Transports sur les possibilités de reclassement existant « au sein du groupe » et que seuls avaient été identifiés par ce dernier deux postes au sein de la société Glass Partners Transports, ces postes ayant été proposés au salarié qui les avait refusés ; qu'en énonçant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que les deux offres de reclassement proposées, qui émanaient et étaient adressées à la même personne, [P] [R], agissant à la fois pour la société Nijman Winnen et pour la société Glass Partners Transports, n'avaient ni un caractère loyal ni un caractère sérieux s'agissant d'une recherche de reclassement qui aurait dû se faire au sein du groupe Glass Partners employant 210 collaborateurs sur quatre sites, un au grand-duché de Luxembourg, un à [Localité 5], deux en Belgique (un à [Localité 8] et un à [Localité 7] pour 170 véhicules et 7000 m² d'entrepôt), quand il ressortait de ses constatations que le reclassement avait bien été recherché dans le groupe et que seuls les deux postes refusés par le salarié y étaient disponibles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;

3°/ que ne constitue pas une violation de l'obligation de reclassement le fait de proposer au salarié un poste de reclassement situé à l'étranger sans lui avoir au préalable demandé s'il accepte de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national ; qu'en retenant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que la société Nijman Winnen n'avait pas demandé à M. [F] préalablement au licenciement s'il acceptait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national et lui avait proposé d'emblée un poste situé en Belgique sans avoir recueilli son accord exprès préalable, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;

4°/ que l'employeur est tenu, dans le cadre de son obligation de reclassement, de proposer au salarié les postes de catégorie inférieure, ce dernier pouvant ensuite, au vu de la proposition, donner ou non son accord exprès à une telle proposition ; qu'en retenant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que le reclassement du salarié doit s'effectuer sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente et que les deux postes proposés au salarié ne correspondaient pas à sa qualification et étaient en deçà de sa formation de commissionnaire de transport sans qu'il ait donné son accord exprès pour un reclassement sur un emploi de catégorie inférieure, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010. »

Réponse de la Cour

24. D'une part, une partie ne pouvant se prévaloir des conclusions d'une autre partie au soutien de son grief, la société Glass Partners Transports n'est pas recevable à reprocher à la cour d'appel d'avoir modifié l'objet du litige tel qu'il aurait été déterminé par les conclusions du liquidateur de la société Nijman Winnen.

25. D'autre part, la cour d'appel ayant relevé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que les offres proposées émanaient et étaient adressées à la même personne, soit M. [R], qui agissait à la fois pour la société Nijman Winnen et pour la société Glass Partners Transports, et que la recherche de reclassement aurait dû se faire au sein du groupe Glass Partners Transports qui emploie 210 personnes sur plusieurs sites, caractérisant ainsi l'absence de recherche effective et sérieuse de reclassement, a pu déduire, de ce seul motif, abstraction faite des motifs critiqués par les troisième et quatrième branches, qui sont surabondants, que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement.

26. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DECLARE irrecevable le pourvoi incident formé par la société [Y] et associés, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Nijman Winnen ;

REJETTE le pourvoi principal.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Carillon - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Didier et Pinet ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article L. 1221-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la définition de la notion de coemploi, à rapprocher : Soc., 6 juillet 2016, pourvoi n° 15-15.481, Bull. 2016, V, n° 147 (rejet), et les arrêts cités ; Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-13.769, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 14 avril 2021, pourvoi n° 19-18.751 (rejet) ; Soc., 14 avril 2021, pourvoi n° 19-10.150 (cassation partielle) ; Soc., 14 avril 2021, pourvoi n° 19-16.918 (cassation partielle).

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-14.060, (B) (R), FP

Cassation partielle

Employeur – Pouvoir de direction – Etendue – Différence de traitement en raison du sexe – Conditions – Exigence professionnelle véritable et déterminante – Caractérisation – Défaut – Cas – Différence de traitement relative à la coiffure entre hommes et femmes – Portée

En application des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les articles 2, § 1, et 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail, les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 14 mars 2017, Bougnaoui et Association de défense des droits de l'homme (ADDH)/Micropole, C-188/15) que, par analogie avec la notion d'« exigence professionnelle essentielle et déterminante » prévue à l'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, la notion d'« exigence professionnelle véritable et déterminante », au sens de l'article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Il résulte en effet de la version en langue anglaise des deux directives précitées que les dispositions en cause sont rédigées de façon identique : « such a characteristic constitutes a genuine and determining occupational requirement ».

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui, pour débouter un salarié engagé en qualité de steward de ses demandes fondées notamment sur la discrimination, après avoir constaté que l'employeur lui avait interdit de se présenter à l'embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l'intéressé avait dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n'était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il résultait que l'interdiction faite à l'intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l'apparence physique en lien avec le sexe, d'une part se prononce par des motifs, relatifs au port de l'uniforme, inopérants pour justifier que les restrictions imposées au personnel masculin relatives à la coiffure étaient nécessaires pour permettre l'identification du personnel de la compagnie aérienne et préserver l'image de celle-ci, d'autre part se fonde sur la perception sociale de l'apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l'article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006.

Employeur – Discrimination entre salariés – Discrimination fondée sur l'apparence physique rapportée au sexe – Caractérisation – Cas – Différence de traitement relative à la coiffure entre hommes et femmes – Portée

Intervention

1. Il est donné acte à l'association SOS Racisme - touche pas à mon pote de son intervention.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2019) et les productions, M. [T] a été engagé le 7 mai 1998 par la société Air France, en qualité de steward.

3. A compter de 2005, le salarié s'est présenté coiffé de tresses africaines nouées en chignon à l'embarquement, lequel lui a été refusé par l'employeur au motif qu'une telle coiffure n'était pas autorisée par le manuel des règles de port de l'uniforme pour le personnel navigant commercial masculin.

Par la suite et jusqu'en 2007, le salarié a porté une perruque pour exercer ses fonctions.

4. Soutenant être victime de discrimination, il a saisi, le 20 janvier 2012, la juridiction prud'homale de diverses demandes.

5. Le 13 avril 2012, l'employeur a notifié au salarié une mise à pied sans solde de cinq jours pour présentation non conforme aux règles de port de l'uniforme.

6. Le 17 février 2016, le salarié a été déclaré définitivement inapte à exercer la fonction de personnel navigant commercial, en raison d'un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie.

7. Après avoir bénéficié d'un congé de reconversion professionnelle et confirmé qu'il ne souhaitait pas de reclassement au sol, il a été licencié le 5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.

8. En cause d'appel, le salarié a demandé la condamnation de l'employeur au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour discrimination, harcèlement moral et déloyauté, d'un rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2012 au 28 février 2014 et les congés payés afférents, la nullité de son licenciement et en conséquence la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts à ce titre, d'un solde de préavis avec les congés payés afférents et d'une indemnité de licenciement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses huitième et neuvième branches

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté, de sa demande de rappels de salaire du 1er janvier 2012 au 28 février 2014, ainsi que de ses demandes tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de sommes subséquentes à titre de dommages-intérêts, de solde sur préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement, alors :

« 8°/ que s'il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d'établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination ; qu'en écartant la discrimination sans préciser en quoi les tresses africaines nuiraient à l'image de la compagnie Air France, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 1132-1 du code du travail ;

9°/ que s'il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d'établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le salarié n'avait pu exercer ses fonctions et avait dû porter une perruque pour pouvoir embarquer sur les vols qu'il devait assurer, ce à raison de sa coiffure faite de tresses africaines pourtant autorisée pour les femmes, et que « les éléments de fait apportés par M. [T] laissent supposer un harcèlement fondé sur une discrimination » ; que pour écarter la discrimination à raison du sexe, la cour d'appel s'est bornée à faire état d'une « différence d'apparence admise à une période donnée entre hommes et femmes en terme d'habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage » et à affirmer que « ce type de différence qui reprend les codes en usage ne peut être qualifiée de discrimination » ; qu'en justifiant ainsi la différence de traitement constatée par une discrimination communément admise, la cour d'appel a violé les articles L.1132-1 et L.1134-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les articles 2, § 1, et 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail :

10. Il résulte de ces textes que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.

11. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Bougnaoui et Association de défense des droits de l’homme (ADDH)/Micropole, C-188/15), que par analogie avec la notion d'« exigence professionnelle essentielle et déterminante » prévue à l'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, la notion d'« exigence professionnelle véritable et déterminante », au sens de l'article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Il résulte en effet de la version en langue anglaise des deux directives précitées que les dispositions en cause sont rédigées de façon identique : « such a characteristic constitutes a genuine and determining occupational requirement ».

12. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté, de ses demandes de rappels de salaire et tendant à la nullité du licenciement et au paiement de sommes subséquentes, l'arrêt, après avoir constaté que le manuel de port de l'uniforme des personnels navigants commerciaux masculins mentionne que « les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène.

La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et ou coloration apparente non autorisée.

La longueur des pattes ne dépassant pas la partie médiane de l'oreille. Accessoires divers : non autorisés », retient que ce manuel n'instaure aucune différence entre cheveux lisses, bouclés ou crépus et donc aucune différence entre l'origine des salariés et qu'il est reproché au salarié sa coiffure, ce qui est sans rapport avec la nature de ses cheveux.

13. Il ajoute que si le port de tresses africaines nouées en chignon est autorisé pour le personnel navigant féminin, l'existence de cette différence d'apparence, admise à une période donnée entre hommes et femmes en termes d'habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut être qualifiée de discrimination.

14. L'arrêt énonce encore que la présentation du personnel navigant commercial fait partie intégrante de l'image de marque de la compagnie, que le salarié est en contact avec la clientèle d'une grande compagnie de transport aérien qui comme toutes les autres compagnies aériennes impose le port de l'uniforme et une certaine image de marque immédiatement reconnaissable, qu'en sa qualité de steward, il joue un rôle commercial dans son contact avec la clientèle et représente la compagnie et que la volonté de la compagnie de sauvegarder son image est une cause valable de limitation de la libre apparence des salariés.

15. L'arrêt en déduit que les agissements de la société Air France ne sont pas motivés par une discrimination directe ou indirecte et sont justifiés par des raisons totalement étrangères à tout harcèlement.

16. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société Air France avait interdit au salarié de se présenter à l'embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l'intéressé avait dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n'était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il résultait que l'interdiction faite à l'intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l'apparence physique en lien avec le sexe, la cour d'appel, qui, d'une part, s'est prononcée par des motifs, relatifs au port de l'uniforme, inopérants pour justifier que les restrictions imposées au personnel masculin relatives à la coiffure étaient nécessaires pour permettre l'identification du personnel de la société Air France et préserver l'image de celle-ci, et qui, d'autre part, s'est fondée sur la perception sociale de l'apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l'article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [T] de ses demandes de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté, de rappels de salaire du 1er janvier 2012 au 28 février 2014, ainsi que de sa demande tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de dommages-intérêts à ce titre, de solde sur préavis et congés payés afférents et d'indemnité de licenciement, et en ce qu'il condamne M. [T] à payer à la société Air France la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 6 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Barincou et Mme Sommé - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, et L. 1133-1 du code du travail ; articles 2, § 1, et 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

Rapprochement(s) :

Sur la notion d'exigence professionnelle véritable et déterminante, à rapprocher : Soc., 14 avril 2021, pourvoi n° 19-24.079, Bull., (rejet), et les arrêts cités. Sur la notion d'exigence professionnelle véritable et déterminante, cf. : CJUE, arrêt du 14 mars 2017, Bougnaoui et Association de défense des droits de l'homme (ADDH) /Micropole, C-188/15.

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-16.162, (B), FS

Rejet

Modification – Modification imposée par l'employeur – Modification du contrat de travail – Modification pour un motif économique – Acceptation tacite du salarié – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 mars 2021), Mme [S], engagée le 22 juin 1998 par la société Pages jaunes, devenue la société Solocal (la société), occupait en dernier lieu les fonctions de télévendeuse selon avenant du 31 août 2009. Elle a exercé différents mandats de représentante du personnel à compter de l'année 2005.

2. Par lettre du 7 janvier 2014, l'employeur lui a proposé une modification de son contrat de travail, dans le cadre d'un projet de réorganisation donnant lieu à élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi contenu dans un accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013 et validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France (DIRECCTE) le 2 janvier 2014.

En l'absence de réponse de la salariée, l'employeur lui a notifié, par lettre du 12 février 2014, l'entrée en vigueur de l'avenant au 1er juillet 2014.

3. Par arrêt du 22 octobre 2014, statuant sur le recours d'un autre salarié, une cour administrative d'appel a annulé cette décision de validation, au motif que l'accord du 20 novembre 2013 ne revêtait pas le caractère majoritaire requis par les dispositions de l'article L. 1233-24-1 du code du travail et le Conseil d'Etat a, le 22 juillet 2015, rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.

4. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la nullité de son dernier contrat de travail et reconnaître l'existence d'une discrimination à son égard.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à voir déclarer nul le contrat de travail conclu en application du plan de sauvegarde de l'emploi du 20 novembre 2013, applicable le contrat signé entre les parties le 31 août 2009, ordonner sous astreinte son rétablissement dans son contrat du 31 août 2009 avec effet rétroactif au 1er juillet 2014 et condamner la société Solocal à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaire sur la période du 1er juillet 2014 au 1er septembre 2019 et des congés payés afférents ou, à titre subsidiaire, à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de la mise en oeuvre d'un contrat nul, alors :

« 1° / que la nullité qui affecte un plan de sauvegarde de l'emploi s'étend à tous les actes subséquents ; qu'il en est ainsi de la modification pour motif économique du contrat de travail acceptée par un salarié dès lors que cette modification s'inscrit dans un processus de réorganisation de l'entreprise ayant donné lieu, avant toute proposition de modification des contrats de travail, à l'établissement d'un plan de sauvegarde l'emploi devant s'appliquer en cas de refus de la proposition faite ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que la modification du contrat de travail pour motif économique que Mme [S] est réputée avoir acceptée trouve son origine dans un projet de réorganisation de l'entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité prévoyant la modification du contrat de travail de certains salariés et ayant donné lieu à l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi dont il a été précisé à la salariée qu'il serait fait application en cas de refus de sa part de la modification proposée ; qu'en jugeant néanmoins que l'avenant litigieux au contrat de travail de l'exposante ne pouvait être considéré comme un acte subséquent du plan de sauvegarde de l'emploi au motif inopérant que l'article L. 1222-6 du code du travail ne conditionnait pas la modification du contrat de travail pour motif économique à la mise en oeuvre d'un PSE, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations a violé les dispositions des articles L. 1222-6, L. 1233-25 et L. 1235-10 du code du travail ;

2°/ que la nullité qui affecte un plan de sauvegarde de l'emploi s'étend à tous les actes subséquents ; qu'il en est ainsi de la modification pour motif économique du contrat de travail acceptée par un salarié dès lors que cette modification s'inscrit dans un processus de réorganisation de l'entreprise ayant donné lieu, avant toute proposition de modification des contrats de travail, à l'établissement d'un plan de sauvegarde l'emploi devant s'appliquer en cas de refus de la proposition faite par un salarié ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que la modification du contrat de travail pour motif économique que Mme [S] est réputée avoir acceptée trouve son origine dans un projet de réorganisation de l'entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité prévoyant la modification du contrat de travail de certains salariés ainsi que diverses mesures d'accompagnement de la mise en oeuvre de ce projet adoptées dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi dont il a été précisé à la salariée qu'il serait fait application en cas de refus de sa part de la modification proposée ; qu'en jugeant néanmoins que l'avenant litigieux au contrat de travail de l'exposante ne pouvait être considéré comme un acte subséquent du plan de sauvegarde de l'emploi et que l'annulation par la juridiction administrative de la validation par la DIRECCTE de l'accord portant plan de sauvegarde de l'emploi était sans effet sur la validité de l'avenant au contrat de travail de Mme [S] aux motifs erronés que, ni la circonstance suivant laquelle l'employeur avait négocié et fait valider l'accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi avant de soumettre à la salariée la modification de son contrat de travail, ni la mention, dans le courrier de proposition de cette modification de l'accord collectif susvisé n'avaient eu pour effet de créer un lien juridique entre l'avenant proposé et le PSE, et que la modification du contrat de travail de la salariée trouvait son origine, non pas dans ce PSE, mais dans la réorganisation de l'entreprise, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1222-6, L. 1233-25 et L. 1235-10 du code du travail ;

3°/ que la nullité qui affecte un plan de sauvegarde de l'emploi s'étend à tous les actes subséquents ; qu'il en est ainsi de la modification pour motif économique du contrat de travail acceptée par un salarié dès lors que cette modification s'inscrit dans un processus de réorganisation de l'entreprise ayant donné lieu, avant toute proposition de modification des contrats de travail, à l'établissement d'un plan de sauvegarde l'emploi devant s'appliquer en cas de refus de la proposition faite par un salarié ; que pour juger en l'espèce que l'annulation par la juridiction administrative de la validation par la DIRECCTE de l'accord portant plan de sauvegarde de l'emploi était sans effet sur la validité de l'avenant au contrat de travail de Mme [S], la cour d'appel a retenu qu'aucune disposition légale ne prévoyait que l'annulation de la décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 du code du travail entraînait l'annulation d'une modification de contrat de travail intervenue par application de l'article L. 1222-6 dans le cadre du même projet de réorganisation ; qu'en statuant par de tels motifs alors qu'il ressortait de ses propres constatations que l'avenant à son contrat de travail régularisé par Mme [S] constituait un acte subséquent du PSE adopté par voie d'accord collectif le 20 novembre 2013 si bien que la nullité affectant ce plan s'étendait à l'avenant litigieux, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1235-10 du code du travail ;

4°/ qu'il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ; que le consentement du salarié à une modification de son contrat de travail n'est pas valable lorsqu'il a été donné sous la menace d'un licenciement qui ne pouvait être valablement prononcé ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence d'un vice du consentement donné par Mme [S], la cour d'appel a retenu que l'employeur avait légitimement et de manière licite informé la salariée des conséquences légales d'un éventuel refus de la modification du contrat de travail qui lui était proposé ; qu'en statuant ainsi alors que, compte tenu de la nullité dont se trouvait entaché le plan de sauvegarde de l'emploi adopté par accord collectif le 20 novembre 2013, en cas de refus de la modification de son contrat de travail, la société employeur ne pouvait valablement procéder à son licenciement en vertu de ce plan, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1109 et 1112 du code civil dans leur version applicable au litige, ensemble celles des articles L. 1233-25 et L. 1235-10 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. D'une part, aux termes de l'article L. 1222-6 du code du travail, lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception.

La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. A défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.

8. L'article L. 1233-25 du code du travail dispose que lorsqu'au moins dix salariés ont refusé la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail, proposée par leur employeur pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique.

9. D'autre part, il résulte de l'article L. 1235-7-1 du code du travail que le juge judiciaire, compétent pour statuer sur les litiges relatifs à l'application des mesures comprises dans un plan de sauvegarde de l'emploi, est fondé, lorsque le défaut de validité de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi résulte des motifs de la décision du juge administratif annulant la décision de validation de cet accord, à écarter l'application des clauses de cet accord.

10. Il en résulte qu'une modification de contrat de travail intervenue, en application de l'article L. 1222-6 précité, dans le cadre d'un projet de réorganisation ayant donné lieu à l'élaboration d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, ne constitue pas un acte subséquent à cet accord, de sorte que les salariés ayant tacitement accepté cette modification ne sont pas fondés à se prévaloir du défaut de validité de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi pour obtenir la nullité de leur contrat de travail.

11. Le moyen, qui soutient le contraire, n'est donc pas fondé en ses trois premières branches.

12. La cour d'appel ayant ensuite relevé que l'employeur avait informé la salariée légitimement et de manière licite, des conséquences légales d'un éventuel refus de la proposition de modification de son contrat de travail et que la négociation et la validation préalables de l'accord majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi lui avaient permis d'être parfaitement éclairée sur les implications de son choix, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, décidé que le vice du consentement invoqué ne pouvait être retenu.

13. Le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Le Corre - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 1222-6, L. 1233-5 et L. 1235-7-1 du code du travail.

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