Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, DUREE DETERMINEE

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-13.310, (B), FS

Cassation

Cas de recours autorisés – Contrat assurant un complément de formation professionnelle – Obligations de l'employeur – Obligation de formation – Exécution – Acquisition de compétences complémentaires – Acquisition par une pluralité d'actions de formation – Constat – Office du juge – Portée

Selon l'article L.1242-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020, outre les cas prévus à l'article L.1242-2, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu lorsque l'employeur s'engage, pour une durée et dans des conditions déterminées par décret, à assurer un complément de formation professionnelle au salarié.

Aux termes de l'article D. 1242-3 du même code, en application de l'article L.1242-3, 2, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu lorsque l'employeur s'engage à assurer un complément de formation professionnelle aux élèves ou anciens élèves d'un établissement d'enseignement effectuant un stage d'application.

Il en résulte que l'obligation pour l'employeur d'assurer un complément de formation professionnelle constitue une des conditions d'existence d'un tel contrat à durée déterminée à défaut de laquelle le contrat doit être requalifié en contrat à durée indéterminée.

Doit être censurée la cour d'appel, qui pour requalifier en contrat à durée indéterminée le contrat de travail d'un salarié, engagé en application des dispositions de l'article L.1242-3, 2, a retenu que l'employeur avait manqué à son obligation de lui assurer un complément de formation professionnelle, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait suivi cinq actions de formation et avait acquis, dans le domaine de la recherche, des compétences complémentaires à ses qualifications universitaires.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 21 janvier 2021), M. [H] a été engagé le 15 décembre 2014 par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives de Grenoble (CEA), suivant contrat de travail à durée déterminée de formation post-doctorale en qualité d'ingénieur-chercheur, pour la période du 12 janvier 2015 au 11 janvier 2016. Un autre contrat à durée déterminée a été signé pour le même motif pour la période du 12 janvier 2016 au 11 janvier 2017.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 6 mai 2017, afin de solliciter la requalification de son contrat de travail en contrat à durée indéterminée et d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat de travail en contrat à durée indéterminée et de le condamner à verser au salarié certaines sommes à titre d'indemnités de requalification, de licenciement sans cause réelle et sérieuse, des congés payés afférents, d'indemnités compensatrice de préavis et conventionnelle de licenciement, alors « que constitue un complément de formation professionnelle au sens des articles L. 1242-3, 2, et D. 1242-3, 2, toutes formations qui excédent la simple obligation d'adaptation de l'employeur et qui permet aux travailleurs d'acquérir de nouvelles compétences qui s'ajoutent à celles acquises au titre de sa formation initiale ; qu'au cas présent, le CEA faisait valoir que la recherche post-doctorale accomplie par M. [H] lui avait permis d'acquérir des nouvelles compétences dans le domaine de la physique s'ajoutant à – et complétant – celles que son doctorat lui avait offertes en chimie, ce que la cour d'appel a expressément relevé ; qu'en jugeant cependant que M. [H] n'avait pas bénéficié d'un complément de formation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations en violation des articles D. 1242-3, 2, et L. 1242-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1242-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020, et l'article D. 1242-3, 2, du même code :

4. Selon le premier de ces textes, outre les cas prévus à l'article L. 1242-2, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu lorsque l'employeur s'engage, pour une durée et dans des conditions déterminées par décret, à assurer un complément de formation professionnelle au salarié.

5. Aux termes du second, en application du 2° de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu lorsque l'employeur s'engage à assurer un complément de formation professionnelle aux élèves ou anciens élèves d'un établissement d'enseignement effectuant un stage d'application.

6. Il en résulte que l'obligation pour l'employeur d'assurer un complément de formation professionnelle constitue une des conditions d'existence d'un tel contrat à durée déterminée à défaut de laquelle le contrat doit être requalifié en contrat à durée indéterminée.

7. Pour requalifier les contrats de travail en contrat de travail à durée indéterminée, l'arrêt retient que l'employeur verse aux débats l'historique des formations réalisées par le salarié, les fiches descriptives et fiches de présence, dont il ressort que ce dernier a pu suivre cinq formations, soit 55 heures de formation sur une période de deux ans. Il énonce, que toutefois, eu égard à leurs contenus, il apparaît que trois de ces formations ont été proposées au salarié pour répondre aux besoins de l'exercice de son activité au sein du laboratoire, aucune d'elles n'ayant été ni qualifiante, ni suffisante pour répondre aux exigences des textes. Il retient qu'ainsi l'employeur ne justifie pas qu'il aurait mis en oeuvre au profit du salarié, au cours de la relation de travail, des actions de complément de formation professionnelle, donnant accès au salarié à une spécialisation, qui lui aurait permis de faire valoir ses acquis auprès d'autres employeurs.

8. Il ajoute qu'il résulte des modalités d'exécution du contrat de travail que l'employeur a effectivement permis au salarié d'acquérir dans le domaine de la recherche, de nouvelles compétences, complémentaires à ses qualifications universitaires, sans que son activité puisse être assimilée à une activité professionnelle à part entière accomplie en toute autonomie, mais également sans qu'elle puisse être assimilée, à un complément de formation professionnelle.

9. Il en déduit qu'à l'occasion des deux contrats de formation post-doctorale, successivement conclus, l'employeur a manqué à son obligation d'assurer le complément de formation professionnelle au salarié.

10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait suivi cinq actions de formation et avait acquis, dans le domaine de la recherche, des compétences complémentaires à ses qualifications universitaires, de sorte que l'employeur lui avait assuré un complément de formation professionnelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Articles L. 1242-3, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020, et D. 1242-3, 2, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les particularités des contrats à durée déterminée conclus en application de l'article L. 1242-3, 2, du code du travail, à rapprocher : Soc., 17 décembre 1996, pourvoi n° 93-46.695, Bull. 1996, V, n° 443 (rejet).

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-13.059, (B), FS

Cassation partielle

Formalités légales – Mentions obligatoires – Défaut – Effets – Requalification en contrat à durée indéterminée – Demande – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Cas – Contrat à durée déterminée conclu pour remplacement d'un salarié – Absence de mention du nom et de la qualification professionnelle du salarié remplacé – Portée

Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Il en résulte que le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée conclu afin d'assurer le remplacement d'un salarié absent en contrat à durée indéterminée, fondée sur l'absence de mention du nom et de la qualification professionnelle du salarié remplacé, court à compter de la conclusion du contrat.

Doit être cassé l'arrêt qui retient que le point de départ de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée de remplacement en contrat à durée indéterminée fondée sur le défaut de mention du nom et de la qualification professionnelle du salarié remplacé doit être fixé au terme du contrat alors qu'il résultait de ses constatations qu'un délai de plus de deux ans s'était écoulé entre la signature du contrat et de son avenant et la saisine de la juridiction prud'homale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 janvier 2021), M. [C] a été engagé le 16 décembre 2013 par la société Difral par contrat de travail à durée déterminée d'une durée de trois mois pour assurer le remplacement d'un salarié absent en arrêt-maladie.

Le contrat a été prolongé par avenant du 14 mars 2014, pour la durée de la maladie du salarié remplacé.

2. Le 22 décembre 2015, l'employeur a informé le salarié de la fin du contrat de travail au motif que le salarié remplacé avait fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude.

3. Le 2 juin 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale afin de demander la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, que la rupture du contrat de travail soit considérée comme un licenciement irrégulier et que lui soient allouées des sommes en conséquence.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de dire que le licenciement devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de le condamner au paiement de sommes en suite d'une requalification et d'une rupture illicite ainsi qu'à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, alors :

« 1° / qu'aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; qu'il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, court à compter de la conclusion de ce contrat ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a préalablement constaté que, soutenant que le contrat à durée déterminée ne comportait aucune mention du nom et de la qualification de la personne remplacée, M. [C] avait saisi la juridiction prud'homale le 2 juin 2016 ; que, pour accueillir la demande du salarié en requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a, par suite, relevé que le contrat à durée déterminée du 16 décembre 2013 stipule que M. [C] est engagé en qualité de chauffeur, pour une durée de trois mois en raison d'un arrêt de maladie du chauffeur de la société, tandis que l'avenant du 14 mars 2014 mentionne la prolongation du contrat pour remplacement d'un chauffeur en arrêt de maladie pour la durée de la maladie du chauffeur et que ni le contrat du 16 décembre 2013 ni l'avenant du 14 mars 2014 ne comportent le nom et la qualification professionnelle de la personne remplacée ; qu'après avoir énoncé qu'à défaut de comporter le nom et la qualification professionnelle de la personne remplacée lorsqu'il est conclu en remplacement d'un autre salarié, le contrat de travail à durée déterminée est réputé conclu pour une durée indéterminée et que l'exigence de la mention du nom et de la qualification du salarié remplacé dans le contrat est liée à l'exigence de précision quant à la définition du motif de recours au contrat à durée déterminée, la cour d'appel a considéré que le défaut de mention de l'identité et de la qualification du salarié absent empêche de vérifier que l'embauche du salarié par le biais d'un contrat à durée déterminée n'a pas d'autre motif que le remplacement du salarié absent ; qu'elle en a conclu que l'action de M. [C] conteste la validité du motif de recours, que le salarié n'était pas nécessairement en mesure d'apprécier ses droits à la date de conclusion du contrat de sorte que le délai de prescription n'a couru qu'à compter du terme du dernier contrat, c'est-à-dire à compter du 22 décembre 2015, et que, le salarié ayant saisi la juridiction prud'homale le 2 juin 2016, son action n'était pas prescrite ; qu'en statuant ainsi, alors que, dès lors que l'action en requalification se fonde sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner la requalification, telle l'absence de mention du nom et de la qualification professionnelle du salarié remplacé lorsque le contrat à durée déterminée est conclu en raison de ce remplacement, le délai de prescription de cette action court à compter de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé les articles L. 1242-12, L. 1245-1 et L. 1471-1 du code du travail, ces deux derniers textes dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;

2°/ que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce ; que la cassation s'étend également à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et à celle de la rupture de ce contrat entraînera la cassation du chef de dispositif relatif à la condamnation de la société au paiement de diverses indemnités. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, l'article L. 1242-12, 1°, du code du travail et l'article L. 1245-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

5. Selon le premier de ces textes, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, court à compter de la conclusion de ce contrat.

6. Pour requalifier le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, dire que le licenciement devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner l'employeur au paiement de sommes en suite d'une requalification et d'une rupture illicite, l'arrêt, après avoir constaté que le salarié avait été engagé par contrat à durée déterminée, prolongé par un avenant, afin de remplacer un salarié absent sans que ne soient mentionnés le nom et la qualification professionnelle du salarié remplacé, retient que cette absence de mention ne permet pas au salarié de vérifier que le contrat ne repose pas sur un autre motif, qu'en définitive, le salarié conteste la validité du motif du recours au contrat.

L'arrêt ajoute que le salarié n'étant pas en mesure d'apprécier ses droits à la date de la conclusion du contrat, le délai de prescription ne peut courir qu'à compter du terme du dernier contrat. Constatant qu'il s'est écoulé moins de deux ans entre le terme du contrat et la saisine de la juridiction, il en déduit que l'action en requalification n'est pas prescrite.

7. En statuant ainsi, alors que le salarié demandait la requalification du contrat à durée déterminée en invoquant une absence de mentions du contrat à durée déterminée, ce dont il résultait que son action, introduite plus de deux ans à compter de la date de conclusion du contrat, comme de l'avenant, était prescrite, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [C] de sa demande en paiement de sommes en raison du non respect de la procédure, l'arrêt rendu le 7 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Articles L. 1471-1, L. 1245-1, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et L. 1242-12, 1°, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ du délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à rapprocher : Soc., 3 mai 2018, pourvoi n° 16-26.437, Bull. 2018, V, n° 68 (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.