Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

ARBITRAGE

1re Civ., 9 novembre 2022, n° 21-17.203, (B), FS

Rejet

Arbitrage international – Clause compromissoire – Désignation des arbitres – Désaccord entre les parties – Effets – Désignation des arbitres par la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui

Aux termes de l'article 1453 du code de procédure civile qui, selon l'article 1506, 2°, est applicable à l'arbitrage international, lorsque le litige oppose plus de deux parties et que celles-ci ne s'accordent pas sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui désigne le ou les arbitres.

Dès lors qu'une clause d'arbitrage prévoit que le tribunal sera composé de quatre arbitres désignés par chacune des sociétés partie à un pacte d'actionnaires et d'un président choisi par les arbitres, caractérise un désaccord sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, lequel justifie que la Chambre de commerce internationale (CCI) désigne l'intégralité de ses membres en application de l'article 12, 8, du règlement d'arbitrage de la CCI auquel renvoie la clause compromissoire, la désignation de son arbitre par l'une de ces sociétés, sous la condition, refusée par elles, que les autres désignent conjointement un seul arbitre en raison d'une convergence d'intérêts entre elles.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2021), la société Vidatel Ltd (Vidatel), immatriculée aux Iles vierges britanniques, la société portugaise PT Ventures SGPS SA (PT Ventures) et les sociétés angolaises Mercury Serviços de Telecomunicaçaos (Mercury) et Geni SA (Geni), actionnaires à hauteur de 25 % chacune de la société angolaise Unitel, sont parties à un pacte d'actionnaires conclu le 15 décembre 2000 et comportant une clause d'arbitrage par un tribunal siégeant à Paris, sous l'égide de la Chambre de commerce internationale (CCI), et composé de quatre arbitres désignés par chacune d'elles et d'un président choisi par les arbitres et, à défaut d'accord entre eux, par l'institution d'arbitrage.

2. Le 13 octobre 2015, alléguant avoir été évincée de la gestion de la société Unitel en violation du pacte d'actionnaires, la société PT Ventures a déposé auprès du secrétariat de la CCI une requête d'arbitrage contre ses trois co-associés, par laquelle elle demandait que le tribunal soit composé de trois arbitres et non de cinq, l'un désigné par elle et l'autre conjointement par les sociétés Vidatel, Mercury et Geni, afin que soit respecté le principe de l'égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral, compte tenu des intérêts convergents des défenderesses.

3. La société PT Ventures a désigné son arbitre sous la condition précitée et chacune des trois défenderesses a désigné son arbitre.

Les quatre arbitres ont accepté leur mission.

4. Après avoir vainement invité les parties à s'accorder sur un nouveau mode de désignation, la Cour d'arbitrage de la CCI a nommé d'office quatre arbitres et un président et a procédé à la jonction de cette instance avec un second arbitrage que les sociétés Vidatel, Mercury et Geni avaient introduit en désignant les arbitres qu'elles avaient précédemment choisis dans le premier arbitrage.

5. La société Vidatel a formé un recours en annulation de la sentence arbitrale du 20 février 2019 et de l'addendum du 30 avril 2019.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Vidatel fait grief à l'arrêt de rejeter le recours en annulation et de la condamner à verser à la société PT Ventures une somme de 300 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que la sentence arbitrale peut être annulée lorsque le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ; que selon l'article 1453 du code de procédure civile, lorsque le litige oppose plus de deux parties et que celles-ci ne s'accordent pas sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui, désigne le ou les arbitres ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté que la clause d'arbitrage figurant à l'article 16 du pacte d'actionnaires précisait que « toute demande, tout différend ou toute autre question survenant entre les parties en ce qui concerne ou découlant du présent acte ou de sa violation, sera tranché par voie d'arbitrage, par un groupe de cinq [5] arbitres, chaque Partie devant en désigner un et le cinquième devant être désigné par les quatre autres arbitres, sous réserve, toutefois, que si les arbitres désignés par les parties ne trouvent pas d'accord, l'arbitre indépendant devra être désigné par le président en exercice de la Chambre de commerce internationale. Ledit arbitrage se déroulera conformément au Règlement de la Chambre de commerce internationale », que la société PT Ventures a désigné un arbitre le 27 octobre 2015, la société Vidatel le 20 novembre suivant, la société Geni le 24 novembre 2015 et la société Mercury le 16 décembre suivant, et qu'« au 28 janvier 2016, les quatre arbitres nommés par les parties avaient accepté leur désignation », ce dont il résultait que le 14 avril suivant, date à laquelle la CCI a informé les parties que la Cour internationale d'arbitrage avait nommé d'office cinq arbitres, les parties s'étant accordées sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, le centre d'arbitrage ne pouvait désigner les arbitres, la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2°, et 1520, 2°, du code de procédure civile ;

2°/ que selon l'article 11, § 6, du règlement d'arbitrage de la CCI, dans sa version applicable, « Sous réserve des conventions particulières des parties, le tribunal arbitral est constitué conformément aux dispositions des articles 12 et 13 » ; que l'article 12, § 8, de ce règlement dispose qu'à « défaut d'une désignation conjointe conformément à l'article 12, §§ 6 ou 7, et de tout autre accord entre les parties sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la Cour peut nommer chacun des membres du tribunal arbitral et désigne l'un d'entre eux en qualité de président. Dans ce cas, la Cour est libre de choisir toute personne qu'elle juge adéquate pour agir en qualité d'arbitre, en appliquant l'article 13 lorsqu'elle l'estime approprié » ; que l'article 41 du même règlement précise que « Dans tous les cas non visés expressément au Règlement, la Cour et le tribunal arbitral procèdent en s'inspirant du Règlement et en faisant tous les efforts pour que la sentence soit susceptible de sanction légale » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que l'article « 41 précité autorisait donc la Cour d'arbitrage de la CCI à faire application de l'article 12, § 8, pour un tribunal arbitral composé par cinq arbitres » et qu'« il ne résulte pas non plus de la mise en oeuvre de ces modalités de désignation par la CCI, une violation de la clause d'arbitrage dès lors que ces modalités ont été appliquées conformément au Règlement de la CCI, auquel les parties ont entendu expressément se soumettre », après avoir pourtant constaté que la convention d'arbitrage insérée à l'article 16 du pacte d'actionnaires prévoit que « toute demande, tout différend ou toute autre question survenant entre les parties en ce qui concerne ou découlant du présent Pacte ou de sa violation, sera tranché par voie d'arbitrage, par un groupe de cinq [5] arbitres, chaque partie devant en désigner un et le cinquième devant être désigné par les quatre autres arbitres, sous réserve, toutefois, que si les arbitres désignés par les parties ne trouvent pas d'accord, l'arbitre indépendant devra être désigné par le président en exercice de la Chambre de commerce internationale », que la société PT Ventures a désigné un arbitre le 27 octobre 2015, la société Vidatel le 20 novembre suivant, la société Geni le 24 novembre 2015 et la société Mercury le 16 décembre suivant, et qu'« au 28 janvier 2016, les quatre arbitres nommés par les parties avaient accepté leur désignation », de sorte que les parties s'étant accordées sur les modalités de constitution du tribunal arbitral dans la convention d'arbitrage et ayant par la suite chacune désigné un arbitre, le règlement d'arbitrage n'autorisait pas la Cour internationale d'arbitrage à nommer chacun des membres du tribunal arbitral et à désigner l'un d'entre eux en qualité de président à la date du 14 avril 2016, la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2°, 1520, 2° du code de procédure civile, ensemble les articles 11, § 6, 12, § 8, et 41 du règlement d'arbitrage de la CCI, dans sa version applicable ;

3°/ que le principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres, lequel ne se confond pas avec l'exigence d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre, postule uniquement que les parties disposent des mêmes droits dans le processus de désignation des arbitres ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que « si au jour de la conclusion de la clause compromissoire, il était conforme audit principe de prévoir que chacune des parties au pacte d'actionnaires puisse effectivement être en mesure de désigner un arbitre, au jour où le litige est né, ce principe de l'égalité doit s'apprécier non plus seulement au regard de la qualité des parties au contrat, mais aussi au regard des prétentions et des intérêts de chacune des parties au litige », que « ce faisant, si plusieurs d'entre elles sont susceptibles de défendre des intérêts communs et partagés contre une seule autre, il convient de veiller à constituer un tribunal arbitral permettant d'en garantir le respect » et que « ainsi, dans la configuration telle que celle de la présente cause, au terme de laquelle le litige oppose l'un des actionnaires au trois autres, le premier mettant en cause l'action conjointe de ces derniers dans son éviction et le non-respect dudit pacte, le respect du principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres justifiait, en l'absence de meilleur accord des parties, de s'assurer d'une modalité de désignation compatible avec le respect dudit principe, qui s'impose aux parties nonobstant les dispositions de la convention d'arbitrage », la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2°, et 1520, 2°, du code de procédure civile, ensemble le principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 1453 du code de procédure civile qui, selon l'article 1506, 2°, est applicable à l'arbitrage international, lorsque le litige oppose plus de deux parties et que celles-ci ne s'accordent pas sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui, désigne le ou les arbitres.

8. Selon l'article 12, § 8, du règlement d'arbitrage de la CCI auquel renvoyait la clause compromissoire, à défaut de tout autre accord entre les parties sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la Cour d'arbitrage de la CCI peut nommer chacun des membres du tribunal arbitral et désigne l'un d'entre eux en qualité de président.

9. Ayant relevé que la société PT Ventures avait désigné son arbitre sous la condition que les sociétés Vidatel, Mercury et Geni désignassent conjointement un seul arbitre, en raison d'une convergence d'intérêts entre elles, et que celles-ci avaient manifesté leur refus d'un tribunal arbitral de trois membres en désignant chacune un arbitre, a pu retenir, en dehors de tout débat sur l'indépendance et l'impartialité des arbitres, qu'il existait un désaccord sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, lequel justifiait que le centre d'arbitrage désignât lui-même l'intégralité des membres du tribunal arbitral, de sorte que, toutes les parties se trouvant privées du droit de choisir leur arbitre, l'égalité entre elles se trouvait préservée.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. La société Vidatel fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que « pour être caractérisé ce doute raisonnable doit résulter d'un potentiel conflit d'intérêts dans la personne de l'arbitre, qui peut être soit direct parce qu'il concerne un lien avec une partie, soit indirect parce qu'il vise un lien d'un arbitre avec un tiers intéressé à l'arbitrage » (arrêt, n° 119) et que « lorsque le potentiel conflit d'intérêts est seulement indirect, l'appréciation du doute raisonnable dépendra notamment de l'intensité et de la proximité du lien entre l'arbitre, le tiers intéressé est l'une des parties à l'arbitrage » (arrêt, n° 119), la cour d'appel a violé les articles 1456 alinéa 2, 1506, 2°, et 1520, 2°, du code de procédure civile ;

2°/ qu'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris « qu'en application de l'alinéa 3 de l'article 1464 du code de procédure civile, les parties sont tenues de satisfaire au principe de célérité et de loyauté dans la conduite de la procédure, en vertu duquel notamment en cas de doute sur l'incidence d'une circonstance dont elles ont pu avoir connaissance sur l'indépendance d'un arbitre, elles doivent l'en aviser ou aviser l'institution chargée de l'arbitrage pour recueillir des observations complémentaires, sans attendre l'issue de l'arbitrage pour s'en prévaloir, selon que cette issue lui est favorable ou non » et que « à défaut, ces parties sont présumées avoir considéré que cette circonstance n'est pas de nature à créer dans leur esprit un doute raisonnable quant à l'indépendance de l'arbitre » (arrêt, n° 128), pour en déduire, les liens entre le cabinet de M. [X] et certaines sociétés dans lesquelles M. [G] avait des participations étant notoires, puisque publiées notamment dans la Global Arbitration Review (arrêt, n° 126 et 127), que « la société Vidatel ne pouvait pas ne pas avoir eu connaissance » et qu'il ressort « du principe de loyauté procédurale, que si celle-ci n'a pas souhaité en faire état ou solliciter des explications complémentaires auprès de l'arbitre ou du centre chargé de l'organiser, c'est que ces circonstances n'étaient pas non plus de nature à créer, dans son esprit, comme dans celui d'une personne placée dans une même situation ayant eu accès aux mêmes éléments d'information raisonnablement accessibles, un doute raisonnable sur l'indépendance de l'arbitre » (arrêt, n° 129), la cour d'appel a violé les articles 1456, alinéa 2, 1464, alinéa 3, 1506, 2, 1506, 3°, et 1520, 2°, du code de procédure civile ;

3°/ qu'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'après avoir constaté que la société Vidatel s'était opposée pendant l'arbitrage à ce que le cabinet de M. [X] conseille l'administrateur judiciaire désigné par les juridictions brésiliennes dans la restructuration de la société Oi et de sa filiale PTIF en « faisant notamment valoir que si la société Oi n'était pas une partie à l'arbitrage, elle détenait « indirectement » à travers la société PTV une participation dans la société Unitel », ce qui avait conduit l'arbitre à refuser cette mission (arrêt, n° 147-148), en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la conjugaison de toutes les circonstances non révélées invoquées, soit que M. [X] et/ou son cabinet avaient, pendant l'arbitrage, représenté les intérêts de sociétés détenues par M. [G], M. [G] lui-même, entré au capital de la société Oi après le début de l'instance arbitrale (arrêt, n° 138) et la société BNY Mellon, prestataire de la société Oi, pour la conversion de 20 milliards de dette (arrêt, n° 149), n'était pas de nature à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'indépendance et à l'impartialité de cet arbitre, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1456, alinéa 2, 1506, 2°, et 1520, 2°, du code de procédure civile ;

4°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; que dans ses dernières conclusions, la société Vidatel faisait valoir que la restructuration de la société Oi, débutée en juin 2016, en parallèle avec l'arbitrage s'était déroulé du 20 octobre 2015 à la sentence du 20 février 2019, et que M. [G] avait acquis sa participation dans cette société en juin 2016 avec l'objectif de la revendre ultérieurement avec une plus-value importante ; qu'elle ajoutait qu'il avait oeuvré pour influencer la gestion de cette société dès son entrée au capital, qu'il avait été décrit à l'époque des faits, par plusieurs sources, comme l'actionnaire contrôlant la société Oi en dépit d'une participation minoritaire et que l'existence d'un arbitrage d'une valeur de plus de trois milliards de dollars américains, impliquant une filiale détenue majoritairement par la société Oi, la société PT Ventures, constituait un élément essentiel pour la situation financière de cette société Oi à laquelle M. [G] était directement intéressé, ce d'autant que la société Oi s'était engagée, d'après un communiqué du 8 janvier 2019, en cas de vente de sa participation à la société Unitel, à verser une partie des sommes reçues de la transaction à la société Pharol, dont M. [G] détenait des parts et dans laquelle il siégeait au conseil d'administration jusqu'au mois de décembre 2019 ; qu'elle avait en outre souligné que le produit de la vente éventuelle de la participation de la société PT Ventures dans la société Unitel dépendait directement du succès de la première dans l'arbitrage ; qu'elle en déduisait que les liens entre M. [X] et/ou son cabinet d'avocats avec M. [G] et les autres sociétés liées à la société Oi et à M. [G] étaient susceptibles de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de cet arbitre (concl., n° 236 à 248 et n° 304) ; qu'en relevant que « les circonstances particulières de l'espèce » n'imposaient pas à l'arbitre de révéler les liens entretenus par lui et/ou son cabinet avec M. [G] dès lors que sa « participation notoire (...) dans la société Oi, au surplus minoritaire et indirecte, cette société étant séparée de sa filiale par quatre degrés de sociétés interposées, ne crée pas davantage un lien suffisamment proche et intense entre la société PT Ventures, d'une part, et M. [X] et son cabinet, d'autre part, de nature à provoquer dans l'esprit des parties, ou une personne placée dans la même situation, un doute raisonnable quant à son indépendance », sans répondre à ces conclusions opérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. Aux termes de l'article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international par renvoi de l'article 1506, 2°, il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission.

13. La cour d'appel a relevé que les circonstances dont la société Vidatel soutenaient qu'elles auraient dû être révélées par M. [X] ne concernaient pas d'éventuels liens avec l'une des parties à l'arbitrage, notamment la société PT Ventures, ni même avec l'ancienne société mère de celle-ci, la société Oi, mais, d'une part, avec l'un des actionnaires de celle-ci, M. [G], qui disposait de participations dans diverses sociétés représentées au capital de la société Oi dans des pourcentages variables, sans être majoritaire, et dans des durées elles-mêmes variables, d'autre part, avec la société BNY Mellon, prestataire de services financiers pour la société Oi dont il n'apparaissait pas qu'elle ait eu avec celle-ci des intérêts convergents ou liés à l'issue de l'arbitrage.

14. Elle en a souverainement déduit, sans avoir à procéder à une recherche ou à répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que, de l'ensemble de ces circonstances, il ne résultait pas un lien suffisamment proche et intense entre la société PT Ventures et le cabinet de M. [X] pour provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'indépendance de celui-ci.

15. Abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, elle a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) et Mme Marilly - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 1453 et 1506, 2°, du code de procédure civile ; article 12, § 8, du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI).

Com., 23 novembre 2022, n° 21-10.614, (B), FS

Rejet

Clause compromissoire – Insertion dans un contrat – Continuation – Société en sauvegarde – Effets – Détermination

Clause compromissoire – Mise en oeuvre – Sauvegarde judiciaire – Opposabilité à l'administrateur – Applications diverses – Continuation du contrat

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 27 octobre 2020), le 6 juillet 2012, la société Vacama, exploitant un restaurant, a conclu un contrat de franchise avec la société de droit espagnol Pastificio Service SL, contenant une clause compromissoire.

La société Pastificio Service SL a cédé le contrat de franchise à la société La Tagliatella, en demeurant néanmoins le fournisseur exclusif de toutes les denrées alimentaires utilisées par les restaurants du réseau.

2. Estimant avoir été abusée du fait d'un concept déficitaire en France comme en Allemagne, la société Vacama a engagé une procédure d'arbitrage en saisissant, en 2016, la Chambre de commerce internationale (la CCI), désignée par les parties dans le contrat de franchise pour régler leurs différends, aux fins d'annulation de ce contrat.

Le 22 mars 2018, la CCI s'est dessaisie, faute d'avoir reçu des parties l'intégralité de la provision à valoir sur les frais d'arbitrage.

3. Un jugement du 9 avril 2018 a mis la société Vacama en procédure de sauvegarde, M. [L] étant désigné administrateur et la société Etude Balincourt étant désignée mandataire judiciaire.

4. Le 5 juin 2018, M. [L], ès qualités, a été mis en demeure par la société La Tagliatella de prendre parti sur la continuation du contrat de franchise.

Le 26 juin suivant, estimant que le contrat comprenait deux conventions autonomes, le contrat de franchise stricto sensu et la clause compromissoire, l'administrateur a répondu qu'il résiliait avec effet immédiat la clause compromissoire, ce qui avait pour conséquence, selon lui, de permettre la saisine du tribunal de commerce du litige initié devant le tribunal arbitral, et qu'il demandait au juge-commissaire une prolongation du délai de réponse pour le contrat de franchise stricto sensu, laquelle a été accordée, pour une durée de deux mois, par une ordonnance du 6 juillet 2018. Aucune réponse n'a été apportée par l'administrateur dans le délai ainsi prorogé.

5. La société La Tagliatella a formé un recours contre l'ordonnance.

Par un jugement du 19 octobre 2018, le tribunal, retenant que le débat sur la dissociation ou non du contrat de franchise et de la clause compromissoire relevait du juge du fond, s'est déclaré incompétent au titre de la demande de clause compromissoire, a invité les parties à saisir la juridiction compétente, a rejeté toutes les demandes de la société La Tagliatella, confirmé l'ordonnance du juge-commissaire et constaté la résiliation du contrat de franchise.

6. Le 18 septembre 2018, la société Vacama et son mandataire judiciaire ont assigné les sociétés La Tagliatella et Pastificio Service SL devant le tribunal aux fins d'annulation du contrat de franchise, pour dol et pour absence de transmission par le franchiseur d'un savoir-faire économiquement exploitable, et d'indemnisation du préjudice subi.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. La société Vacama fait grief à l'arrêt de dire le tribunal incompétent pour connaître du litige en vertu de la clause compromissoire attachée au contrat de franchise du 6 juillet 2012 et de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que le contrat en cours est résilié de plein droit après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l'administrateur et restée plus d'un mois sans réponse, ou lorsque l'administrateur répond à la mise en demeure, dans le délai d'un mois, en décidant expressément de résilier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'administrateur avait été mis en demeure par la société La Tagliatella de se prononcer sur la poursuite du contrat de franchise, sur le fondement de l'article L. 622-13 du code de commerce, ledit contrat comportant une clause compromissoire ; qu'elle a également constaté que l'administrateur avait répondu au franchiseur dans le délai d'un mois, en opérant à juste titre une distinction entre le contrat de franchise stricto sensu et la convention d'arbitrage autonome stipulée dans le même instrumentum, la cour d'appel constatant enfin la décision expresse de l'administrateur consistant à résilier la clause compromissoire avec effet immédiat ; qu'en refusant néanmoins de constater la résiliation de la convention d'arbitrage, et dire la juridiction étatique incompétente au profit de la juridiction arbitrale, à défaut de mise en demeure adressée par la société La Tagliatella à M. [L] lui demandant de prendre parti sur la continuation de la convention d'arbitrage, et faute de saisine par l'administrateur du juge-commissaire pour ordonner une telle résiliation sur le fondement de l'article L. 622-13, IV, du code de commerce, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé, par refus d'application, l'article L. 622-13, III, du code de commerce et, par fausse application, l'article L. 622-13, IV, du même code ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Vacama faisait valoir que la décision de l'administrateur concernant la résiliation de la convention d'arbitrage était devenue définitive, faute de recours formé par le franchiseur contre cette décision devant le juge-commissaire sur le fondement de l'article R. 621-21 du code de commerce ; qu'en omettant de répondre à ce moyen déterminant de nature à établir le caractère définitif de la résiliation décidée par l'administrateur, pour se borner à énoncer, de manière générale, abstraite et inopérante, qu'en présence d'une clause d'arbitrage le juge-commissaire doit se déclarer incompétent au profit de l'arbitre en vertu du principe dit de « compétence-compétence », à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement inapplicable ou nulle, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article 1447 du code de procédure civile que la convention d'arbitrage, qui est indépendante du contrat auquel elle se rapporte, a pour objet le droit d'action attaché aux obligations découlant du contrat et non la création, la modification, la transmission ou l'extinction de ces obligations. Il se déduit de cet objet qu'elle n'est pas un contrat en cours, au sens de l'article L. 622-13 du code de commerce, dont l'exécution pourrait être ou non exigée par l'administrateur.

9. La réponse de l'administrateur de la société Vacama à la mise en demeure délivrée, le 5 juin 2018, par la société La Tagliatella, selon laquelle il résiliait avec effet immédiat la seule clause compromissoire, ne pouvait donc produire aucun effet.

10. L'arrêt constate qu'il n'est pas allégué en l'espèce que la clause compromissoire était manifestement nulle et retient, sans être critiqué, qu'elle n'était pas manifestement inapplicable.

11. Il en résulte que le litige, qui opposait la société Vacama aux franchiseurs, relevait de la convention d'arbitrage et que les juridictions étatiques étaient incompétentes pour en connaître.

12. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 1447 du code de procédure civile ; article L. 622-13 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la portée d'une clause compromissoire en présence d'une procédure collective, à rapprocher : 1re Civ., 1er avril 2015, pourvoi n° 14-14.552, Bull. 2015, I, n° 76 (rejet).

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