Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION

Soc., 17 novembre 2021, n° 19-16.756, (B)

Rejet

Salaire – Heures supplémentaires – Paiement – Calcul – Assiette – Détermination – Clause de forfait en jours – Nullité – Portée

La rémunération des heures accomplies au-delà de la durée légale du travail à laquelle peut prétendre le salarié dont la clause de forfait en jours a été déclarée nulle se calcule sur le salaire de base réel de celui-ci et non nécessairement sur le salaire minimum conventionnel.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mars 2019), Mme [D] a été engagée le 5 septembre 2012 en qualité d'expert-comptable par la société BCRH & associés.

Le contrat de travail contenait une clause soumettant la salariée au régime du forfait en jours.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre 1974.

2. Après avoir démissionné le 2 juillet 2014, la salariée a saisi la juridiction prud'homale aux fins notamment de faire prononcer la nullité de la clause de forfait en jours et d'obtenir un rappel d'heures supplémentaires.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer nulle la clause de forfait en jours, de le condamner à payer à la salariée un rappel d'heures supplémentaires, une somme au titre de l'indemnité compensatrice de la contrepartie obligatoire en repos non prise et de rejeter sa demande tendant à la condamnation de la salariée à lui payer la différence entre le trop-perçu sur sa rémunération de base et la rémunération de ses heures supplémentaires, alors :

« 1°/ que les principes de proportionnalité et de sécurité juridique s'opposent à ce qu'un employeur subisse l'annulation d'une clause de forfait annuel en jours par application d'une règle jurisprudentielle qui n'était pas encore édictée au jour où elle a été souscrite ; qu'à la date de conclusion de la convention de forfait - 24 septembre 2012 -, la Cour de cassation considérait comme valable une telle clause consentie en vertu de l'article 8.1.2.5 de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et des commissaires aux comptes (Soc., 12 janvier 2011, n° 09-69.679) ; que ce n'est que par deux arrêts rendus le 14 mai 2014 (Soc., n° 12-35.033, Bull. 2011, V, n° 121, et n° 13-10.637) que la chambre sociale de la Cour de cassation a déclaré nulles les clauses de forfait annuel en jours consenties sur la base de l'article 8.1.2.5 de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et des commissaires aux comptes ; qu'en annulant néanmoins la convention de forfait litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 1134 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'il incombe au salarié de démontrer que son employeur n'a pas organisé un entretien annuel individuel portant sur sa charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération, s'il entend se prévaloir de cette circonstance à l'appui de son action en nullité de la convention de forfait annuel en jours ; que pour déclarer nulle la convention de forfait souscrite par la salariée, la cour d'appel a reproché à l'employeur de ne pas démontrer que des entretiens spécifiques avaient été organisés de nature à permettre le contrôle et le suivi de l'application des dispositions conventionnelles ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé ce faisant l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 3121-46 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige ;

3°/ que le juge qui procède à l'annulation d'une clause de forfait annuel en jours doit évaluer le montant de la créance relative aux heures supplémentaires accomplies par le salarié, sans pouvoir s'en tenir à la rémunération initialement fixée qui, par hypothèse, constituait la contrepartie du forfait annulé ; qu'en condamnant la société BCRH & associés à payer à la salariée une somme de 21 137,68 euros au titre des heures supplémentaires 2012-2014 sans s'expliquer ni sur le taux horaire qu'elle a retenu pour fixer la créance de la salariée au titre des heures supplémentaires, ni en quoi le montant réclamé par la salariée représentait la valeur exacte de la créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-39 et L. 3121-40 du code du travail en leur rédaction applicable au cas présent. »

Réponse de la Cour

4. D'abord, par son arrêt du 12 janvier 2011 (Soc., 12 janvier 2011, pourvoi n° 09-69.679), la Cour de cassation a statué non pas sur les garanties présentées par cette convention collective pour les salariés ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours mais sur la possibilité de soumettre la salariée partie au litige au régime du forfait en jours, au regard de l'autonomie dont elle disposait.

5. Par les arrêts du 14 mai 2014 (Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 12-35.033, Bull. 2014, V, n° 121 et Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 13-10.637), la Cour de cassation s'est prononcée pour la première fois sur les dispositions relatives au forfait en jours de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre 1974. Elle a censuré un arrêt ayant fait application d'une convention individuelle de forfait en jours pour débouter un salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, en affirmant que les stipulations conventionnelles n'étaient pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés concernés et que la cour d'appel aurait dû en déduire que la convention de forfait était nulle.

6. Les arrêts précités du 14 mai 2014 ne constituent donc pas un revirement de jurisprudence. Ils s'inscrivent dans le cadre d'une jurisprudence établie affirmant que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 09-71.107, Bull. 2011, V, n° 181).

7. Ensuite, l'article L. 3121-43 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, tel qu'interprété par la Cour de cassation à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, met en oeuvre, d'une part, les dispositions de cette directive qui ne permettent de déroger aux règles relatives à la durée du travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur, d'autre part, l'exigence constitutionnelle du droit à la santé et au repos qui découle du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

8. En retenant que les dispositions relatives au forfait en jours de la convention collective applicable n'étaient pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié concerné restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé, la cour d'appel a fait ressortir que la clause de forfait en jours avait été conclue sur le fondement d'un accord collectif ne satisfaisant pas aux exigences légales.

9. Il en résulte qu'en disant nulle la clause du contrat de travail relative au forfait en jours, la cour d'appel n'a pas porté atteinte à une situation juridiquement acquise et n'a violé ni l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

10. Enfin, la cour d'appel a retenu à bon droit que, la clause de forfait en jours étant nulle, la salariée pouvait prétendre à ce que les heures accomplies au-delà de la durée légale du travail soient considérées comme des heures supplémentaires et rémunérées comme telles, avec une majoration portant sur le salaire de base réel de la salariée, et que l'employeur n'était pas fondé à demander que la rémunération soit fixée sur la base du salaire minimum conventionnel.

11. Elle, a, après analyse des pièces produites par chacune des parties, évalué souverainement l'importance des heures supplémentaires et fixé les créances salariales s'y rapportant.

12. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche comme critiquant un motif surabondant, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre 1974 ; articles L. 3121-39 et L. 3121-40 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité d'une convention de forfait en jours, à rapprocher : Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 12-35.033, Bull. 2014, V, n° 121 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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