Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL

Soc., 10 novembre 2021, n° 19-20.123, (B)

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Négociation – Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes – Informations figurant dans la base de données économiques et sociales – Etendue – Détermination – Dispositions transitoires de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 – Application – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2019), la société Ericsson France (la société) emploie plus de 300 salariés sur divers sites.

2. Début mars 2018, la société a engagé la négociation obligatoire en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Un litige est survenu s'agissant de la nature et des éléments d'information devant être communiqués aux représentants syndicaux, concernant tant la société que la société Ericsson It solutions et services qu'elle a absorbée le 1er juillet 2017.

3. Le 27 juillet 2018, l'Union fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (la CGT-UFICT) d'Ericsson France et la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT ont saisi le juge des référés afin que soit suspendue la négociation sur l'égalité professionnelle et qu'il soit fait injonction à la société de leur communiquer les informations relatives à la situation comparée des femmes et des hommes, soit a minima les indicateurs listés à l'article R. 2312-9 du code du travail et diverses informations précisément indiquées, pour les années 2014 à 2017 incluse, tant pour la société que pour la société absorbée, sous astreinte.

4. L'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (l'UGICT-CGT) est intervenue volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de rejeter les moyens d'irrecevabilité qu'elle a soutenus en appel et en conséquence de dire que la communication doit porter sur les années 2016, 2017 et 2018 et le cas échéant sur le prévisionnel 2019 à 2021 inclus, tant pour la société Ericsson France que pour la société Ericsson It solutions et services, de lui enjoindre de fournir aux organisations syndicales quinze jours avant la reprise de la négociation les informations suivantes : la totalité des indicateurs listés à l'article R. 2312-9 du code du travail dans sa version actuellement applicable, les indicateurs catégoriels en référence au modèle interne de carrières et compétences CCM du groupe Ericsson (échelons et métiers, job stage et job rôle), le tout pour la totalité des effectifs présents au 31 décembre de l'année concernée, y compris les salariés en absence de longue durée, conformément aux données du bilan social, et avec les rémunérations fixes et variables effectives, cette injonction étant assortie d'une astreinte de 150 euros par jour de retard exigible à l'expiration du délai d'un mois suivant la signification de la décision, alors « qu'en vertu des dispositions transitoires de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, les entreprises disposant d'un comité d'entreprise sont soumises, jusqu'au terme du mandat de ses membres élus, aux anciennes dispositions applicables au comité d'entreprise ; qu'il en résulte qu'avant cette date, l'employeur ne doit communiquer aux organisations syndicales représentatives, dans le cadre de la négociation obligatoire sur l'égalité professionnelle entre femmes et hommes, que les seuls indicateurs énoncés à l'article R. 2323-12 du code du travail, dans sa version résultant du décret n° 2016-868 du 29 juin 2016, relatif à l'information des membres du comité d'entreprise, à l'exclusion des indicateurs imposés par l'article R. 2312-9 du code du travail, tel qu'il résulte du décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017 pris pour l'application des articles L. 2312-18 et L. 2312-36 du même code relatifs à l'information du comité social et économique ; qu'en retenant l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de la violation des dispositions de l'article R. 2312-9 du code du travail, lorsque ce texte n'était pas applicable au litige et qu'elle n'avait par ailleurs constaté aucune autre violation caractérisée des dispositions applicables, la cour d'appel a violé l'article 9 de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 décembre 2017, l'article R. 2323-12 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-868 du 29 juin 2016, l'article R. 2312-9, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017, ensemble les articles 808 et 809 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 8 et 9, V, de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, l'article L. 2247-17, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, l'article L. 2312-36, 2°, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 et l'article R. 2323-12 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-1768 du 27 décembre 2017 :

6. Selon le deuxième de ces textes, pendant la durée des mandats en cours, les dispositions du titre II du livre III de la deuxième partie du code du travail relatives au comité d'entreprise demeurent applicables dans leur rédaction antérieure à la date de publication de l'ordonnance.

7. Il en résulte que sauf accord conclu pendant la période transitoire en application de l'article 8 de l'ordonnance susvisée sur le fondement de l'article L. 2312-21 du code du travail, créé par l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, et tant que n'a pas été mis en place au sein de l'entreprise un comité social et économique, il ne peut être exigé de l'employeur de mettre à disposition la base de données économiques et sociales (BDES) telle qu'elle est réorganisée et complétée par l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 dans les dispositions reprises à l'article L. 2312-36 du code du travail, de sorte que le contenu de la BDES demeure régi par les dispositions de l'article R. 2323-12 du code du travail, pris en application de l'article L. 2323-8 du même code maintenu en vigueur au titre des dispositions transitoires.

8. Il s'en déduit que le contenu de la BDES demeure régi par les dispositions de l'article R. 2323-12 du code du travail, pris en application de l'article de l'article L. 2323-8 du même code maintenu en vigueur au titre des dispositions transitoires.

9. Pour enjoindre à la société de fournir aux organisations syndicales la totalité des indicateurs listés à l'article R. 2312-9 du code du travail, l'arrêt retient que l'article L. 2242-17 du code du travail, applicable depuis le 1er janvier 2018, fait référence à la BDES qui contient les éléments devant être mis à disposition des organisations syndicales, que le contenu de cette base de données pour les entreprises d'au moins trois cents salariés était défini par l'article R. 2323-12 du code du travail, remplacé par l'article R. 2312-9 depuis le 1er janvier 2018 en application du décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017, et que la négociation ayant été engagée le 6 mars 2018, l'analyse des indicateurs devant être communiqués doit se faire au regard de l'article R. 2312-9 du code du travail.

10. En statuant ainsi, alors qu'il ne ressortait de ses constatations ni la mise en place du comité social et économique au sein de la société ni la conclusion d'un accord au sens de l'article 8 de l'ordonnance précitée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables en référé les demandes du syndicat CGT-UFICT d'Ericsson France, de l'UGICT-CGT et de la fédération FTM-CGT Ericsson France, l'arrêt rendu le 23 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles 8 et 9, V, de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ; article L. 2247-17 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 ; article L. 2312-36, 2°, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 ; article R. 2323-12 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-1768 du 27 décembre 2017.

Soc., 10 novembre 2021, n° 21-17.717, (B)

Cassation partielle sans renvoi

Négociation collective – Négociation en cours – Décision unilatérale de l'employeur – Validité – Conditions – Respect du principe de loyauté – Appréciation – Détermination – Cas – Portée

Ne constitue pas un manquement au principe de loyauté le fait pour une fédération patronale, dans le domaine de l'action médico-sociale, d'adopter une recommandation patronale le 4 septembre 2012 alors que la période de survie de la convention collective dénoncée s'achevait le 2 décembre 2012, dès lors d'une part qu'après plusieurs réunions de négociation, les partenaires sociaux n'étaient pas parvenus à un accord à la fin du mois d'août 2012, d'autre part que la recommandation patronale mentionnait une entrée en vigueur différée au 2 décembre 2012 compte tenu des délais nécessaires à l'agrément de la recommandation patronale et que l'avenant à la convention collective dénoncée n'a été adopté que le 4 février 2014 et agréé le 22 mai 2014, de sorte qu'en adoptant la recommandation patronale le 4 septembre 2012 tout en poursuivant la négociation, la fédération avait fait en sorte qu'à l'expiration de la période de survie de la convention collective dénoncée, les salariés employés par les entreprises adhérentes puissent continuer à bénéficier de dispositions conventionnelles plus avantageuses que les dispositions légales, indépendamment du droit au maintien des avantages individuels acquis que seuls les salariés engagés antérieurement à l'expiration de la période de survie de la convention collective pouvaient revendiquer.

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Négociation – Négociation en cours – Adoption d'une recommandation patronale – Validité – Conditions – Respect du principe de loyauté – Appréciation – Détermination – Cas – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 4 mai 2021), la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés à but non lucratif (la FEHAP) a, par lettre du 31 août 2011, dénoncé partiellement la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951. A la suite de cette dénonciation, des négociations ont été engagées avec les organisations syndicales représentatives dans le secteur.

Le 4 septembre 2012, la FEHAP, invoquant le risque de « vide conventionnel », a adopté une recommandation patronale qu'elle a soumise à l'agrément du ministre des affaires sociales et de la santé en application des dispositions de l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles.

Le 12 novembre 2012, un accord de substitution a été signé par certaines organisations syndicales, mais a fait l'objet d'une opposition majoritaire.

La recommandation patronale du 4 septembre 2012 a reçu l'agrément ministériel le 21 décembre 2012.

2. La décision d'agrément a été contestée par la Fédération CGT santé et action sociale devant la juridiction administrative.

Par décision du 28 décembre 2018, le Conseil d'Etat a, statuant au fond, posé à la juridiction judiciaire une question préjudicielle portant sur la validité de la recommandation patronale au regard des moyens suivants : « si cette recommandation patronale pouvait valablement suppléer à l'absence d'un accord collectif, alors même que sa négociation était en cours, et si l'opposition syndicale majoritaire à l'accord de substitution du 12 novembre 2012 a eu un effet sur la validité de la recommandation patronale, de contenu similaire, à cet accord, du 4 septembre 2012. »

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La FEHAP fait grief au jugement de dire que la recommandation du 4 septembre 2012 agréée par la ministre le 21 décembre 2012 ne pouvait valablement suppléer à l'absence d'un accord collectif, alors même que sa négociation était en cours, alors :

« 1°/ que selon les articles L. 2261-10 et L. 2261-13, dans leur version antérieure à la loi du 8 août 2016 applicable au litige, lorsque la dénonciation émane de la totalité des signataires employeurs ou des signataires salariés, la convention ou l'accord continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis ; en l'absence d'accord de substitution, seuls les avantages individuels acquis par les salariés présents au moment de la dénonciation sont maintenus ; qu'il résulte de l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles que, d'une part, un accord collectif à caractère salarial ne peut légalement prendre effet qu'après accord ministériel, dans les établissements privés gérant un service social ou sanitaire à but non lucratif et dont les dépenses de fonctionnement sont supportées directement ou indirectement par une personne morale de droit public ou un organisme de sécurité sociale et, d'autre part, que dans un tel système, l'engagement unilatéral de l'employeur à caractère collectif doit être soumis aux mêmes conditions ; qu'il résulte de ces textes que ne constitue pas une méconnaissance par une organisation patronale de son obligation de négocier loyalement la prise d'une recommandation patronale, au cours de la période de survie des dispositions conventionnelles dénoncées, destinée à imposer l'application d'avantages minimaux à ses adhérents lorsque, d'une part, cette recommandation intervient après plusieurs réunions de négociation ayant fait apparaître un désaccord entre les parties employeurs et salariés et le risque d'absence d'accord de substitution, d'autre part, que cette recommandation n'est destinée à prendre effet qu'au terme de la période de survie des dispositions conventionnelles dans la seule hypothèse d'une absence de substitution, de troisième part, que la prise de la recommandation antérieurement à l'expiration de la période de survie a pour seul objet de mettre en oeuvre la procédure d'agrément et d'éviter ainsi que les salariés de la branche se trouvent brutalement privés d'un certains nombres d'avantages dès l'expiration de cette période et, enfin, qu'il n'est pas fait obstacle à la poursuite des négociations et à la possibilité de conclure un éventuel accord jusqu'au terme de la période de survie ; qu'au cas présent, il est constant que la convention collective nationale du 31 octobre 1951 avait été dénoncée partiellement le 1er septembre 2011, ce qui pouvait avoir pour effet, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution dans la période de survie légale de quinze mois, de mettre un terme à son application dès le 2 décembre 2012 et de faire disparaître à cette date l'ensemble des dispositions de la convention collective couvertes par la dénonciation ; que la FEHAP faisait valoir, d'une part, que la recommandation du 4 septembre 2012 était intervenue à l'issue d'un calendrier de négociation de plus de 30 réunions qui s'était achevé par un désaccord avec les organisations syndicales le 28 août 2012 et, d'autre part, que la prise d'une recommandation patronale le 4 septembre 2012, qui ne devait s'appliquer que dans l'hypothèse d'une absence de conclusion d'un accord de substitution au terme de la période de survie, avait pour seul objet de permettre la mise en oeuvre de la procédure d'agrément et de prémunir les salariés de la branche contre tout risque de perte brutale de nombreux avantages à compter du 2 décembre 2012 ; qu'en estimant néanmoins que la FEHAP aurait manqué à son obligation de loyauté en prenant une recommandation patronale antérieurement à l'expiration de la période de survie dès lors que la négociation n'avait pas pris fin, sans rechercher si la recommandation avait été précédée d'un préalable sérieux de négociation, si elle n'était destinée à prendre effet qu'à compter de l'expiration de la période de survie des dispositions conventionnelles dénoncées pour prévenir la perte par les salariés de nombreux avantages conventionnels à cette date et si l'anticipation d'une éventuelle absence d'accord était justifiée par la nécessité de mettre en oeuvre la procédure permettant d'obtenir d'un agrément ministériel indispensable à la prise d'effet de la recommandation à compter du 2 décembre 2012, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2261-10 et L. 2261-13 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, et L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles ;

2°/ que la FEHAP faisait valoir que la négociation à la suite de la dénonciation des dispositions de la convention collective de 1951 portait sur une quinzaine de points et que la recommandation patronale avait pour objet, dans l'hypothèse où aucun accord de substitution n'était conclu au terme de la période de survie consécutive à la négociation, de combler le vide conventionnel sur 15 points : la prime d'ancienneté, la majoration spécifique, la reprise d'ancienneté, les règles relatives aux promotions, les règles relatives aux remplacements, les jours fériés, l'indemnité de licenciement, l'allocation de départ à la retraite, les attributions des délégués du personnel, la procédure disciplinaire, le licenciement pour motif économique, les heures supplémentaires, les collèges électoraux, la prime décentralisée et l'intégration de nouveaux métiers ; que la FEHAP soutenait également que le maintien des avantages individuels acquis n'était pas susceptible d'intéresser l'ensemble des salariés de la branche, et qu'en outre celui-ci ne pourrait concerner que deux avantages sur la quinzaine de points négociés ; qu'en se bornant, pour estimer que l'anticipation d'une éventuelle absence d'accord de substitution au terme de la période de survie des dispositions conventionnelles n'était pas nécessaire, à relever que « les dispositions de l'article L. 2261-13 prévoyant le maintien des avantages individuels acquis pour les salariés en poste avant le 1er décembre 2011 permettaient la survivance de certaines dispositions de la CCN 51 partiellement dénoncées », sans examiner la portée d'un tel maintien au regard du nombre et de la nature des dispositions conventionnelles dénoncées et dont l'application était susceptible de prendre fin en l'absence d'accord de substitution au terme de la période de survie, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2261-10 et L. 2261-13 du code du travail, dans leur version antérieure à la loi du 8 août 2016 ;

3°/ que l'engagement unilatéral présente un caractère supplétif et prend fin en cas d'entrée en vigueur d'un accord collectif ayant le même objet ; qu'au cas présent, la recommandation patronale prise par la FEHAP le 4 septembre 2012 avait pour objet « d'éviter tout vide conventionnel » préjudiciable à l'ensemble des professionnels intervenant dans les établissements et services » lié à l'absence d'accord de substitution au terme de la période de survie consécutive à la dénonciation des dispositions de la convention collective de 1951 et précisait expressément qu'elle n'était susceptible de s'appliquer qu'à compter du 2 décembre 2012, au terme de cette période de survie ; que cette recommandation avait donc pour seul objet de préciser la position de la partie patronale dans l'hypothèse d'une absence d'accord de substitution au terme de la période de survie et que, compte tenu du caractère supplétif de la recommandation, l'entrée en vigueur d'un accord de substitution aurait rendu sans objet ses dispositions ; que la recommandation ne faisait donc nullement obstacle à la poursuite de la négociation et à la conclusion d'un éventuel accord de substitution ni ne faisait subir aucune contrainte aux organisations syndicales quant à la négociation et à l'opportunité de conclure un tel accord ; qu'en se bornant dès lors à énoncer, par voie de pure affirmation, que « le procédé utilisé par la FEHAP et consistant à évoquer le recours à une recommandation patronale pendant le délai de négociation et dans les matières traitées par celles-ci, faute de signature de l'avenant, apparaît empreint de déloyauté dès lors qu'il fait pression sur ces dernières afin de permettre l'adoption du texte dans l'état souhaité par la fédération patronale, et alors que les négociations sont toujours en cours », sans exposer en quoi la volonté des organisations syndicales de négocier et de conclure un éventuel accord de substitution avant l'expiration de la période de survie des dispositions conventionnelles dénoncées aurait été contrainte par la recommandation, le tribunal n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2261-10 et L. 2261-13 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, et l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles. »

Réponse de la Cour

4. Vu les articles L. 2261-10 et L. 2261-13 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles :

5. Aux termes du premier de ces textes, en cas de dénonciation d'un accord ou d'une convention collective, la convention ou l'accord continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis, sauf clause prévoyant une durée déterminée supérieure.

6. Aux termes du deuxième texte susvisé, lorsque la convention ou l'accord qui a été dénoncé n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans un délai d'un an à compter de l'expiration du préavis, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis, en application de la convention ou de l'accord, à l'expiration de ce délai.

7. En application du troisième texte suvisé, lorsque la négociation concerne les établissements privés gérant un service social ou médico-social à but non lucratif et dont les dépenses de fonctionnement sont supportées directement ou indirectement par une personne morale de droit public ou un organisme de sécurité sociale, un accord collectif à caractère salarial ne peut légalement prendre effet qu'après agrément ministériel. Dans un tel système, la recommandation patronale doit être soumise aux mêmes conditions.

8. Pour dire que la recommandation patronale du 4 décembre 2012 agréée par la ministre le 21 décembre 2012 ne pouvait valablement suppléer à l'absence d'un accord collectif alors même que sa négociation était en cours, le jugement retient que le procédé utilisé par la FEHAP et consistant à évoquer le recours à une recommandation patronale pendant le délai de négociation et dans les matières traitées par celle-ci, faute de signature de l'avenant par les organisations syndicales, apparaît empreint de déloyauté dès lors qu'il fait pression sur ces dernières afin de permettre l'adoption du texte dans l'état souhaité par la fédération patronale, et alors que les négociations sont toujours en cours.

Le jugement ajoute que cette recommandation patronale signée le 4 septembre 2012 semble d'autant plus sujette à caution qu'elle est intervenue alors que les organisations syndicales avaient exprimé d'emblée à la FEHAP leur volonté de poursuivre la négociation collective et que celle-ci a précisément pu reprendre dès octobre 2012.

Le jugement conclut qu'il ressort en définitive des dispositions de l'article L. 2261-10 du code du travail une prévalence accordée par le législateur à la négociation collective d'un accord de substitution conforté par un dispositif protecteur des droits des salariés prévu par l'article L. 2261-13 dans le cadre des avantages individuels acquis et en déduit qu'un préalable de négociation s'impose à l'employeur avant que ce dernier ne puisse en tirer les conséquences et décider par engagement unilatéral, en l'espèce par recommandation patronale.

9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations d'une part que la période de survie de la convention collective s'achevait le 2 décembre 2012 et qu'après plusieurs réunions de négociation, les partenaires sociaux n'étaient pas parvenus à un accord à la fin du mois d'août 2012, d'autre part que la recommandation patronale mentionnait une entrée en vigueur différée au 2 décembre 2012 compte tenu des délais nécessaires à l'agrément de la recommandation patronale et que l'avenant à la convention collective dénoncée n'a été adopté que le 4 février 2014 et agréé le 22 mai 2014, de sorte qu'en adoptant la recommandation patronale le 4 septembre 2012 tout en poursuivant la négociation, la FEHAP n'avait pas agi de manière déloyale mais fait en sorte qu'à l'expiration de la période de survie de la convention collective dénoncée, les salariés employés par les entreprises adhérentes puissent continuer à bénéficier de dispositions conventionnelles plus avantageuses que les dispositions légales, indépendamment du droit au maintien des avantages individuels acquis que seuls les salariés engagés antérieurement à l'expiration de la période de survie de la convention collective pouvaient revendiquer, le tribunal a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

12. Il y a lieu de répondre à la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat en ces termes : en ce qu'elle était destinée à prévoir au profit de tous les salariés, quelle que soit leur date d'engagement, des entreprises adhérentes de la FEHAP le maintien des avantages conventionnels suite à la dénonciation partielle de la convention collective de 1951, et qu'elle n'avait vocation à entrer en vigueur qu'après son agrément par la ministre des affaires sociales, et postérieurement à l'expiration du délai pendant lequel la fédération patronale devait tenter loyalement la négociation d'un accord de substitution, l'adoption de la recommandation patronale de la FEHAP du 4 septembre 2012 ne constitue pas un manquement au principe de loyauté, peu important que son contenu soit similaire à celui d'un accord de substitution négocié le 12 novembre 2012 et ayant fait l'objet ultérieurement d'une opposition syndicale majoritaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la recommandation patronale du 4 septembre 2012 ne pouvait valablement suppléer à l'absence d'un accord collectif, alors même que sa négociation était en cours, le jugement rendu le 4 mai 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT qu'il y a lieu de répondre à la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat en ces termes : en ce qu'elle était destinée à prévoir au profit de tous les salariés, quelle que soit leur date d'engagement, des entreprises adhérentes de la FEHAP le maintien des avantages conventionnels suite à la dénonciation partielle de la convention collective de 1951, et qu'elle n'avait vocation à entrer en vigueur qu'après son agrément par la ministre des affaires sociales, et postérieurement à l'expiration du délai pendant lequel la fédération patronale devait tenter loyalement la négociation d'un accord de substitution, l'adoption de la recommandation patronale de la FEHAP du 4 septembre 2012 ne constitue pas un manquement au principe de loyauté, peu important que son contenu soit similaire à celui d'un accord de substitution négocié le 12 novembre 2012 et ayant fait l'objet ultérieurement d'une opposition syndicale majoritaire.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 2261-10 et L. 2261-13 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ; article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles.

Rapprochement(s) :

Sur le respect du principe de loyauté dans la négociation collective, à rapprocher : Soc., 17 avril 2019, pourvoi n° 18-22.948, Bull. 2019, (2) (rejet) ; Soc., 13 janvier 2021, pourvoi n° 19-23.533, Bull. 2021, (2) (rejet).

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