Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

SOCIETE (règles générales)

Com., 4 novembre 2021, n° 19-12.342, (B)

Cassation

Associés – Action en justice – Action individuelle d'un associé – Action en responsabilité – Conditions – Préjudice personnel et distinct du préjudice social – Nécessité

Il résulte des articles 1382, devenu 1240, du code civil et 31 du code de procédure civile que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé contre un tiers est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, c'est-à-dire d'un préjudice qui ne puisse être effacé par la réparation du préjudice social. Le seul fait que cet associé agisse sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne suffit pas à établir le caractère personnel du préjudice allégué.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 décembre 2018), la société [X] Group, dont [O] [T] dit [X], auteur, compositeur et producteur français, était l'actionnaire de référence et le président du conseil de surveillance jusqu'en 2008, avait pour activité la production et la distribution de programmes télévisés. Ses titres étaient négociés sur le marché réglementé d'Euronext [Localité 5] avant que leur cours ne soit suspendu en mars 2008 et que les titres ne soient radiés en janvier 2011.

2. La société [X] Group a confié en 2006 à la société [E] [F], banque d'affaires et d'investissements, la mission de l'assister dans la réalisation d'une opération d'adossement à un nouvel actionnaire de référence. Ce mandat conclu entre la société [X] Group, [O] [X] et la société [E] [F] n'ayant pas été signé, les parties ont conclu le 10 mars 2008 un second contrat de mandat précisant que la mission incluait le travail réalisé depuis deux ans.

3. La société [X] Group ayant rencontré des difficultés financières, le tribunal de commerce a ouvert, le 28 janvier 2008, une procédure de conciliation d'une durée de cinq mois.

La société [X] Group a été mise en redressement judiciaire le 30 décembre 2008 puis en liquidation judiciaire le 9 juillet 2010.

4. Estimant que les offres qui lui avaient été présentées par la société [E] [F] étaient irréalistes et insuffisantes au regard de la valorisation du catalogue de la société et soutenant que la société [E] [F] avait oeuvré dans le but de faire baisser les cours de bourse afin de permettre l'acquisition à vil prix de la société [X] Group, [O] [X] l'a assignée en réparation de son préjudice financier et de son préjudice moral, qu'il imputait aux fautes commises par cette société dans l'exécution de son mandat.

5. [O] [X] étant décédé, son fils, M. [N] [T], dit [X], a repris l'instance en sa qualité d'héritier.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. La société [E] [F] fait grief à l'arrêt de déclarer l'action de M. [N] [X], pris en sa qualité d'héritier de [O] [X], recevable, alors « que l'action intentée par un associé contre un cocontractant de la société n'est recevable que si un préjudice distinct du préjudice collectif est invoqué ; qu'en l'espèce, en se bornant à relever que M. [X] était partie au contrat en qualité de dirigeant et d'actionnaire, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice financier invoqué n'était pas le simple corollaire du préjudice social, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et 31 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ces textes que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé contre un tiers est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, c'est-à-dire d'un préjudice qui ne puisse être effacé par la réparation du préjudice social.

Le seul fait que cet associé agisse sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne suffit pas à établir le caractère personnel du préjudice allégué.

8. Pour déclarer recevable la demande de M. [N] [X], pris en sa qualité d'héritier de [O] [X], en réparation de son préjudice financier, l'arrêt se borne à retenir que ce dernier était une des parties au contrat de mandat en qualité d'actionnaire et qu'il était envisagé de trouver un repreneur pour racheter son bloc de participation au sein du groupe.

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice financier allégué par M. [X] en sa qualité d'actionnaire n'était pas, en tout ou partie, le corollaire du préjudice subi par la société [X] Group du fait de la dépréciation alléguée du catalogue d'oeuvres constituant son principal actif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. M. [N] [X], pris en sa qualité d'héritier de [O] [X], fait grief à l'arrêt de rejeter la demande formée au titre du préjudice moral, alors « que les actes de dénigrement causent nécessairement un préjudice, fût-il purement moral, aux personnes qui en sont victimes ; qu'en jugeant que M. [X] ne démontrait pas que son père avait subi un préjudice moral distinct du préjudice financier qu'elle réparait, alors qu'elle constatait que pour imposer le repreneur de son choix et faire pression sur son mandant, la société [E] [F] avait, à faute, « terni l'image de M. [O] [X] auprès de la presse et des actionnaires » et qu'il s'inférait nécessairement de telles pratiques l'existence d'un préjudice purement moral, distinct en tant que tel du préjudice financier qu'elle réparait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause (nouvel article 1240 du même code). »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

11. Selon ce texte, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

12. Pour rejeter la demande formée au titre du préjudice moral, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice distinct de celui qui est réparé au titre du préjudice financier.

13. En statuant ainsi, après avoir constaté que la société [E] [F] avait, par sa faute, terni l'image de [O] [X] auprès de la presse et des actionnaires, ce dont il résultait un préjudice moral qui n'était pas réparé par l'indemnisation du préjudice financier, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil ; article 31 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société, à rapprocher de : Com., 8 février 2011, pourvoi n° 09-17.034, Bull. 2011, IV, n° 19 (cassation partielle).

2e Civ., 25 novembre 2021, n° 20-16.979, (B) (R)

Cassation

Fusion de sociétés – Fusion-absorption – Effets – Contribution sociale de solidarité – Calcul – Abattement forfaitaire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 janvier 2020), la société Campenon Bernard construction (la société absorbante) a absorbé, le 31 octobre 2016, la société Campenon Bernard industrie (la société CBI) et la société STEL, qui ont été radiées du registre du commerce et des sociétés les 9 et 10 novembre 2016.

La Caisse nationale du régime social des indépendants, aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Provence-Alpes- Côte d'Azur (l'URSSAF) lui ayant indiqué que, pour le calcul de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) due au titre de l'année 2017, elle devait cumuler le chiffre d'affaires déclaré en 2016 par elle-même et la société CBI et n'appliquer qu'une seule fois l'abattement prévu par l'article L. 651-3 du code de la sécurité sociale, la société absorbante, après avoir réglé le montant de la contribution, a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. L'URSSAF fait grief à l'arrêt de la condamner au remboursement du montant des sommes versées par la société absorbante au titre de la C3S, alors :

« 1°/ que le fait générateur de la contribution sociale de solidarité est constitué par l'existence de l'entreprise débitrice au 1er janvier de l'année au titre de laquelle elle est due ; que la contribution sociale de solidarité est assise sur le chiffre d'affaires global déclaré à l'administration fiscale par l'entreprise assujettie et réalisé l'année précédant celle au titre de laquelle elle est due, après application d'un abattement égal à dix-neuf millions d'euros ; qu'en cas de fusion ou d'absorption de deux sociétés, la société absorbante est redevable de la contribution de solidarité assise sur le chiffre d'affaires réalisé par toute société absorbée durant l'année au cours de laquelle est intervenue cette opération ; que lorsqu'une société absorbe deux autres sociétés qui sont radiées du registre du commerce et des sociétés en 2016, la contribution sociale de solidarité due au titre de l'année 2017 par la société absorbante, seule société existante au 1er janvier 2017, est donc assise sur le cumul de son propre chiffre d'affaires et du chiffre d'affaires réalisé par les sociétés absorbées en 2016, après application d'un seul abattement de dix-neuf millions d'euros ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société CBC avait absorbé les sociétés STEL et CBI le 31 octobre 2016 et que ces dernières avaient été radiées du registre du commerce et des sociétés les 9 et 10 novembre 2016 de sorte que seule la société CBC était existante au 1er janvier 2017 et redevable de la contribution sociale de solidarité de 2017 ; qu'en jugeant pourtant que le calcul de la contribution sociale de solidarité devait s'effectuer « comme si chacune des sociétés absorbées avait survécu » et que la société CBC pouvait donc appliquer l'abattement de dix-neuf millions d'euros « sur chacun des trois chiffres d'affaires », et donc sur son propre chiffre d'affaires et sur le chiffre d'affaires de chacune des sociétés absorbées, la cour d'appel a violé les articles L. 651-3, L. 651-5, D. 651-14 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction applicable au litige, ensemble les articles L. 236-3 du code de commerce et 1844-4 du code civil ;

2°/ que le fait générateur de la contribution sociale de solidarité est constitué, non par le chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise, mais par l'existence de l'entreprise débitrice au 1er janvier de l'année au titre de laquelle elle est due ; que lorsqu'une société absorbe deux autres sociétés qui sont radiées du registre du commerce et des sociétés en novembre 2016, elle ne peut se voir transmettre la dette de contribution sociale 2017 des sociétés absorbées dès lors que cette dette trouve son origine dans l'existence des sociétés débitrices au 1er janvier 2017 et qu'à cette date, les sociétés absorbées n'existent plus comme ayant été radiées de sorte qu'aucune dette de C3S n'a pu naître dans le patrimoine qu'elles transmettent à la société absorbante ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société CBC avait absorbé les sociétés STEL et CBI le 31 octobre 2016 et que ces dernières avaient été radiées du registre du commerce et des sociétés les 9 et 10 novembre 2016 de sorte que la société CBC était seule existante au 1er janvier 2017 ; qu'en jugeant pourtant que du fait de la transmission universelle des patrimoines des sociétés absorbées à la société CBC absorbante, la dette de contribution sociale de solidarité inscrite au passif de chacune des sociétés absorbées avait ainsi été transmise à la société CBS qui était donc redevable de la contribution sociale de solidarité 2017 pour le compte des deux société absorbées, et donc le calcul devait s'effectuer comme si chacune des sociétés avait « survécu », la cour d'appel a derechef violé les articles L. 651-3, L. 651-5, D. 651-14 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction applicable au litige, ensemble les articles L. 236-3 du code de commerce et 1844-4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 651-3, alinéa 1er, L. 651-5, alinéa 1er, et D. 651-14, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction alors en vigueur :

3. Selon le premier de ces textes, la contribution sociale de solidarité, qui est annuelle et dont le fait générateur est constitué par l'existence de l'entreprise débitrice au 1er janvier de l'année au titre de laquelle elle est due, est assise sur le chiffre d'affaires défini au deuxième réalisé l'année précédant celle au titre de laquelle elle est due, après application d'un abattement égal à dix-neuf millions d'euros.

4. Selon le deuxième, les sociétés et entreprises assujetties à la contribution sociale de solidarité sont tenues d'indiquer annuellement à l'organisme chargé du recouvrement de cette contribution le montant de leur chiffre d'affaires global déclaré à l'administration fiscale, calculé hors taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées.

5. Selon le troisième, en cas de fusion ou d'absorption de deux ou plusieurs sociétés ou entreprises, la société absorbante ou la nouvelle société résultant de la fusion est redevable, à la date mentionnée à l'article D. 651-9, de la contribution sociale de solidarité assise sur le chiffre d'affaires réalisé par toute société ou entreprise fusionnée ou absorbée durant l'année au cours de laquelle est intervenue cette opération.

6. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de fusion ou d'absorption, la société absorbante ou la nouvelle société résultant de la fusion est redevable de la contribution sociale de solidarité assise sur le cumul des chiffres d'affaires réalisés par elle-même et les sociétés ou entreprises absorbées ou fusionnées durant l'année au cours de laquelle est intervenue cette opération, déduction faite, de ce chiffre d'affaires global, de l'abattement prévu par l'article L. 651-3 susvisé.

7. Pour faire droit à la demande de la société absorbante, l'arrêt relève que la fusion absorption des deux sociétés a opéré transmission universelle de leur patrimoine respectif à la société absorbante et que la dette de C3S pour la durée d'exercice 2016 était inscrite au passif de chacune des sociétés absorbées et a ainsi été transmise à la société absorbante. Il ajoute que, du fait de la radiation du registre du commerce et des sociétés, des sociétés absorbées, seule la société absorbante était existante au 1er janvier 2017 de sorte qu'elle était seule redevable de la C3S au titre de l'année 2017 pour son propre compte et pour celui des deux sociétés absorbées. Il en déduit que le calcul doit s'effectuer comme si chacune des sociétés avait « survécu », quand bien même le paiement n'est dû que par la société absorbante et que, en application des dispositions de l'article D. 651-14 du code de la sécurité sociale, cette dernière pouvait appliquer l'abattement de dix-neuf millions d'euros sur chacun des trois chiffres d'affaires.

8. En statuant ainsi, alors que la société absorbante ne devait appliquer qu'un seul abattement sur le chiffre d'affaires cumulé réalisé par elle-même et les sociétés absorbées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vigneras - Avocat général : M. Gaillardot (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 651-3, alinéa 1, L. 651-5, alinéa 1, et D. 651-14, alinéa 1, du code de la sécurité sociale.

Com., 10 novembre 2021, n° 21-11.975, (B)

Cassation partielle

Parts sociales – Cession – Garantie légale – Eviction – Obligation de non-concurrence – Principe de la liberté du commerce et de l'industrie – Principe de la liberté d'entreprendre – Interdiction proportionnée aux intérêts légitimes à protéger

Si la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté d'entreprendre peuvent être restreintes par l'effet de la garantie d'éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l'acquéreur, c'est à la condition que l'interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er décembre 2020), M. [N] et M. [W] ont créé en 1997 la société Aliasource, spécialisée dans l'édition de solutions « Open source », qui a, en particulier, développé le logiciel « Open Business Management » (OBM), solution de messagerie et de travail collaboratif.

2. Par acte du 14 mai 2007, ils ont cédé leurs actions dans la société Aliasource à la société Linagora, intervenant sur le marché des prestations de services informatiques. Ils sont, à cette occasion, devenus actionnaires de la société Linagora. Ils ont, parallèlement, conclu un contrat de travail avec la société Aliasource, qui est devenue la société Linagora Grand Sud-Ouest (la société Linagora GSO).

3. M. [W] et M. [N] ont démissionné de leurs fonctions salariées, respectivement le 22 avril 2010 et le 10 mai 2010, et ont cédé leurs actions de la société Linagora à cette dernière le 17 mai 2011.

4. Le 12 octobre 2010, M. [N] a créé la société Blue Mind et, en octobre 2011, M. [W] a rejoint cette société.

5. Invoquant notamment la garantie légale d'éviction, la société Linagora a assigné M. [N] et M. [W] en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et en réparation de son préjudice.

La société Linagora GSO est intervenue volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa huitième branche

Enoncé du moyen

6. MM. [N] et [W] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, de dire qu'ils doivent indemniser la société Linagora au titre de la valeur perdue des actions, de leur interdire d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Linagora GSO, au profit de la société Linagora, de dire qu'ils ont engagé leur responsabilité à l'égard de la société Linagora GSO et de dire qu'ils doivent indemniser cette dernière au titre d'une perte de chiffre d'affaires et d'une perte de chance, alors « que l'atteinte à la liberté d'entreprendre du cédant de parts sociales n'est admissible que si elle est limitée dans le temps et proportionnée à l'objectif visé de protection du droit de propriété du cessionnaire sur les droits sociaux cédés ; qu'en l'espèce, ayant constaté que M. [N] n'a créé la société Blue Mind que le 12 octobre 2010 et que M. [W] n'a rejoint cette société qu'en octobre 2011, soit respectivement plus de trois et quatre ans après la cession de leurs parts sociales de la société Linagora GSO à la société Linagora, qu'ils n'avaient commis aucun acte de concurrence déloyale, ni aucun manquement à leurs obligations contractuelles de non-concurrence et à leur obligation de loyauté en tant qu'actionnaires de la société Linagora, la cour d'appel, qui a aussi constaté la durée déterminée des contrats en cours lors de la cession, a relevé que de nouveaux contrats avaient ensuite été obtenus par MM. [N] et [W] après qu'ils ont régulièrement gagné les appels d'offres de leurs anciens clients, d'une part, qui, d'autre part, n'a pas contredit l'assertion des exposants selon laquelle le départ de sept clients (sur quatre-vingt neuf) et de six salariés (sur plus d'une trentaine) de la société Linagora GSO pour la société Blue Mind ne leur était pas imputable mais était le propre fait de la société Linagora GSO et de la société Linagora et qui, enfin, s'est bornée à énoncer que la société Linagora avait été empêchée de poursuivre pleinement l'activité de la société Linagora GSO, mais sans constater un empêchement total ou dans une proportion importante, a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre de MM. [N] et [W] par rapport au but visé, en les condamnant à restituer à la société Linagora une partie du prix de cession des parts cédées et à indemniser la société Linagora GSO au titre d'une perte de chiffre d'affaires et d'une éventuelle perte de chance ; qu'ainsi elle a violé, ensemble, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et l'article 1626 du code civil ».

Réponse de la Cour

Vu les principes de la liberté du commerce et de l'industrie et de la liberté d'entreprendre et l'article 1626 du code civil :

7. Il se déduit de l'application combinée de ces principes et de ce texte que si la liberté du commerce et la liberté d'entreprendre peuvent être restreintes par l'effet de la garantie d'éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l'acquéreur, c'est à la condition que l'interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

8. Pour dire que M. [N] et M. [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, leur interdire d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Linagora GSO et dire que du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, ils ont engagé leur responsabilité à l'égard de la société Linagora GSO, l'arrêt constate que M. [N] et M. [W] se sont rétablis, par l'intermédiaire de la société Blue Mind, dans le même secteur d'activité que la société cédée, pour proposer au marché un produit concurrent. Il relève également qu'ils se sont réapproprié une partie du code source du logiciel OBM, qu'ils ont débauché en 2012 le personnel qui avait été essentiel à l'activité de la société Linagora GSO et que les clients se sont détournés de cette dernière après le départ de M. [N] et M. [W] pour contracter avec la société Blue Mind à la suite d'une procédure d'appel d'offres à laquelle celle-ci avait répondu. Il retient enfin que leurs agissements ont abouti à un détournement de la clientèle attachée aux produits et services vendus par la société Linagora GSO, empêchant cette dernière de poursuivre pleinement son activité.

9. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que M. [N] avait créé la société Blue Mind plus de trois ans après la cession des actions, que M. [W] n'avait rejoint cette société que quatre ans après la cession et que les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée, sans rechercher concrètement si, au regard de l'activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l'interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. [N] et M. [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, ordonne la réouverture des débats sur l'évaluation de l'indemnité due par M. [N] et M. [W] à la société Linagora au titre de l'éviction partielle et invite les parties à faire part de leurs observations sur le calcul du montant du chiffre d'affaires généré par la clientèle détournée, interdit à M. [N] et M. [W] d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Aliasource, devenue Linagora Grand Sud-Ouest, au profit de la société Linagora, et en ce qu'il dit que, du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, M. [N] et M. [W] ont engagé leur responsabilité à l'égard de la société Linagora Grand Sud-Ouest et ordonne la réouverture des débats sur l'évaluation du préjudice subi par la société Linagora Grand Sud-Ouest résultant d'une perte de chiffre d'affaires, invite les parties à faire part de leurs observations sur l'évaluation de ce préjudice, sur la perte de chance invoquée par la société Linagora Grand Sud-Ouest et sur l'estimation faite par la société Linagora Grand Sud-Ouest de son préjudice à hauteur de 405 740 euros, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 1er décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bellino - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Article 1626 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la garantie légale d'éviction du fait personnel du vendeur en matière de cession de parts sociales, à rapprocher : Com., 21 janvier 1997, pourvoi n° 94-15.207, Bull. 1997, IV, n° 25 (rejet).

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