Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

SEPARATION DES POUVOIRS

1re Civ., 10 novembre 2021, n° 19-14.438, (B)

Rejet

Acte administratif – Contradiction au droit de l'Union européenne – Nullité différée – Litige entre particuliers – Pouvoirs du juge judiciaire – Refus d'application de la norme nationale (non)

Lorsque le juge administratif a annulé un acte administratif en différant les effets de cette annulation, le juge judiciaire n'a pas le pouvoir, dans un litige entre particuliers, d'écarter l'application de cet acte au motif qu'il serait contraire à une directive européenne.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 octobre 2018), la société Imation France, qui a commercialisé des CD et DVD en France, a payé à la Société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (la société Copie France) les redevances fixées par les décisions de la commission instituée à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle (la commission copie privée).

2. La directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, dont le délai de transposition est venu à expiration le 22 décembre 2002, énonce en son article 5, (paragraphe 2, sous b), que les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l'article 2 « lorsqu'il s'agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable. »

3. Par arrêt du 11 juillet 2008 (Simavelec, n° 298779), le Conseil d'Etat a annulé la décision n° 7 du 20 juillet 2006 de la commission copie privée au motif que la rémunération qui y était prévue compensait des copies de sources illicites. Il a différé les effets de cette nullité jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois passé la notification de la décision au ministre de la culture, soit, en pratique, jusqu'au 11 janvier 2009.

4. A la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 21 octobre 2010 (Padawan, C-467/08), il a, par arrêt du 17 juin 2011 (Canal + Terminaux e.a., n° 324816, 325439, 325468, 325469), annulé la décision n° 11 de cette commission au motif que les barèmes arrêtés par cette décision soumettaient à la rémunération pour copie privée l'ensemble des supports concernés sans possibilité d'exclure ceux à usage professionnel. Il a prévu que l'annulation ne serait effective qu'à compter de l'expiration d'un délai de six mois à compter de sa notification.

5. La société de droit néerlandais Imation Europe BV, venant aux droits de sa filiale française, la société Imation France (la société Imation), et estimant que le régime français de la rémunération pour copie privée n'était pas conforme à la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, a assigné la société Copie France en remboursement des sommes indûment versées, selon elle, depuis le 22 décembre 2002 et en dommages-intérêts.

6. La société Copie France a présenté une demande reconventionnelle en paiement des sommes dues depuis le mois de février 2011.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, qui est préalable

Enoncé du moyen

8. La société Imation fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en remboursement des sommes qu'elle a acquittées sur le fondement des décisions n° 1, 2, 5 et 15 de la commission copie privée et d'accueillir les demandes reconventionnelles de la société Copie France en application de ces décisions pour la période d'activité s'étendant du mois de février 2011 au mois de novembre 2017, alors :

« 1°/ que constitue une émanation de l'Etat aux fins de l'effet direct vertical d'une directive tout organisme ou entité, quelle que soit sa forme juridique, qui est soumis à l'autorité ou au contrôle d'une autorité publique ou qui a été chargé, par une autorité publique, d'une mission d'intérêt public et dispose, pour son accomplissement, de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers ; qu'en retenant, pour affirmer que la société Copie France n'était pas un organisme auquel un particulier peut opposer directement une directive, qu'elle était une société civile de droit commun, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 5 de la directive 2001/29/CE ;

2°/ que constitue une émanation de l'Etat aux fins de l'effet direct vertical d'une directive tout organisme ou entité, quelle que soit sa forme juridique, qui a été chargé, par une autorité publique, d'une mission d'intérêt public et dispose, pour son accomplissement, de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers ; que l'article 5 de la directive 2001/29/CE fait obligation aux Etats membres qui adoptent l'exception de copie privée de prévoir au profit des titulaires de droit une compensation équitable ; qu'en France, la collecte et la répartition de la rémunération équitable sont confiées à des sociétés de gestion collective ; que cette mission a notamment pour objectif, par la rémunération des titulaires de droits, d'assurer le maintien et le développement de la création ; qu'il s'en déduit que la société Copie France accomplit une mission d'intérêt public ; qu'en affirmant au contraire, pour affirmer que la société Copie France n'était pas un organisme auquel un particulier peut opposer directement une directive, que la mission consistant à percevoir et répartir la rémunération pour copie privée au profit des auteurs, artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et de leurs ayants droit viserait des intérêts certes collectifs, mais particuliers, et ne serait ni d'intérêt général, ni de service public, la cour d'appel a violé les articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 5 de la directive 2001/29/CE, ensemble l'article L. 311-6 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ que les organismes de gestion collective doivent utiliser 25 % des sommes provenant de la rémunération pour copie privée à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant, au développement de l'éducation artistique et culturelle et à des actions de formation des artistes ; que le dispositif a pour but le financement de la création et la promotion de la diversité culturelle ; qu'en retenant, pour affirmer que la société Copie France n'était pas un organisme auquel un particulier peut opposer directement une directive, que la contribution de la société Copie France à la création, à la diffusion du spectacle vivant, au développement de l'éducation artistique et culturelle et à la formation des artistes cette action ne serait qu'une modalité de rémunération des titulaires de droits et ne poursuivrait aucun objectif d'intérêt public, « même si elle peut rejoindre dans ces buts des actions d'intérêt général menées par l'Etat », la cour d'appel a de nouveau violé les articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 5 de la directive 2001/29/CE, ensemble les articles L. 311-6 et L. 324-17 du code de la propriété intellectuelle ;

4°/ que constitue une émanation de l'Etat aux fins de l'effet direct vertical d'une directive tout organisme ou entité, quelle que soit sa forme juridique, qui a été chargé, par une autorité publique, d'une mission d'intérêt public et dispose, pour son accomplissement, de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers ; que la faculté de désigner des agents assermentés habilités à dresser procès-verbal des infractions de non paiement de la rémunération équitable constitue une prérogative exorbitante par rapport à celles qui résultent des règles applicables entre particuliers ; qu'en énonçant, pour affirmer que la société Copie France n'était pas un organisme auquel un particulier peut opposer directement une directive, que les agents assermentés prévus par l'article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle établissent certes des constats pouvant prouver la matérialité de l'infraction de non-paiement de la rémunération pour copie privée, mais ne disposent d'aucun pouvoir exorbitant du droit commun pour les établir, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses énonciations, a violé les articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 5 de la directive 2001/29/CE, ensemble l'article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle ;

5°/ qu'en statuant ainsi, bien que les procès-verbaux des agents désignés en application de l'article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle pour constater la matérialité des infractions de non-paiement de la rémunération équitable de la copie privée aient la même valeur probante que les procès-verbaux dressés par des officiers de police judicaire, la cour d'appel a violé les articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 5 de la directive 2001/29/CE, ensemble l'article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle ;

6°/ que constitue une émanation de l'Etat aux fins de l'effet direct vertical d'une directive tout organisme ou entité, quelle que soit sa forme juridique, qui a été chargé, par une autorité publique, d'une mission d'intérêt public et dispose, pour son accomplissement, de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers ; que le caractère obligatoire de l'affiliation à un organisme constitue un pouvoir exorbitant par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers ; qu'en énonçant, pour affirmer que la société Copie France n'était pas un organisme auquel un particulier peut opposer directement une directive, qu'elle n'est investie d'aucun pouvoir exorbitant du droit commun pour les établir, bien que les sociétés de gestion collective soient tenues de s'affilier à une société de perception et de répartition de la rémunération équitable, la cour d'appel a violé les articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 5 de la directive 2001/29/CE, ensemble l'article L. 311-6 du code de la propriété intellectuelle ;

7°/ que constitue une émanation de l'Etat aux fins de l'effet direct vertical d'une directive tout organisme ou entité qui est soumis à l'autorité ou au contrôle d'une autorité publique ; qu'il n'est pas nécessaire que l'autorité publique exerce sur l'organisme ou entité une tutelle journalière ; qu'en énonçant, pour affirmer que la société Copie France n'était pas un organisme auquel un particulier peut opposer directement une directive, que l'Etat ne fait pas partie des associés et n'est pas représenté dans la société, et par conséquent ne participe pas aux décisions, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard des articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 5 de la directive 2001/29/CE ;

8°/ que, d'une part, les modalités de calcul et de répartition de la rémunération équitable dont la société Copie France est en charge sont fixées par les articles L. 311-1 à L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle ; que, d'autre part, en tant qu'organisme de gestion collective, la société Copie France, outre qu'elle doit adresser au ministre chargé de la culture et à la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d'auteur et des droits voisins un rapport sur les sommes déduites aux fins de fourniture de services sociaux, culturels ou éducatifs en vertu de l'article L. 326-1 du code de la propriété intellectuelle, fait l'objet d'un « contrôle par le ministre chargé de la culture » organisé par les articles L. 326-9 à L. 326-13 du même code, en vertu duquel elle lui soumet ses projets de statuts et règlements généraux, lui communique ses comptes annuels et porte à sa connaissance tout projet de modification de ses statuts, de son règlement général ou de sa politique générale de répartition des sommes dues aux titulaires de droits, lui communique, à sa demande, tout document relatif à la perception et à la répartition des revenus provenant de l'exploitation des droits, le ministre pouvant, de son côté recueillir, sur pièces et sur place, les renseignements en question, saisir la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d'auteur et des droits voisins lorsque ses observations tendant à la mise en conformité à la réglementation en vigueur des dispositions des statuts, du règlement général ou d'une décision des organes sociaux n'ont pas été suivies d'effet et saisir le juge judiciaire pour demander si nécessaire la dissolution ; qu'en affirmant que l'existence d'un cadre légal de la rémunération pour copie privée et d'un contrôle de l'Etat par la voie d'informations obligatoires ou la capacité du ministre de la culture d'engager des actions judiciaires à son encontre pour faire respecter la légalité des statuts et des décisions ne suffisaient pas à caractériser une emprise de l'Etat telle qu'elle justifierait que la société Copie France soit considérée au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne comme un organisme auquel un particulier peut opposer directement une directive, la cour d'appel a violé les articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de la directive 2001/29/CE ;

9°/ qu'en toute hypothèse, la société Copie France est encore soumise, en tant qu'organisme de gestion collective, au contrôle de la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d'auteur et des droits voisins, dont les membres sont désignés par l'autorité publique ; que la commission est composée d'un collège de contrôle et d'un collège des sanctions ; que le collège de contrôle assure une mission permanente de contrôle des comptes et de la gestion des organismes de gestion collective et une mission de contrôle des obligations légales des organismes de gestion collective ; que le collège des sanctions, saisie par le ministre chargé de la culture ou toute personne intéressée, sanctionne les manquements des organismes de gestion collective à leurs obligations légales ; qu'en se bornant, pour affirmer que la société Copie France n'était pas un organisme auquel un particulier peut opposer directement une directive, à examiner le cadre légal de la rémunération équitable et le contrôle exercé par le ministre chargé de la culture, sans s'interroger sur le contrôlé exercé par la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d'auteur et des droits voisins, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, 5 de la directive 2001/29/CE et L. 327-1 à L. 327-15 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une directive lie les Etats membres destinataires quant au résultat à atteindre et, dans un litige opposant un particulier à un Etat membre, les dispositions claires et précises d'une directive peuvent être appliquées directement et imposer au juge national d'écarter une disposition nationale contraire (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn, 41/74).

10. Conformément à la jurisprudence de la CJUE, doivent être assimilées à l'État, aux fins de l'application directe d'une directive, les personnes morales de droit public faisant partie de l'État au sens large, ou les entités soumises à l'autorité ou au contrôle d'une autorité publique, ou encore celles qui ont été chargées, par une telle autorité, d'exercer une mission d'intérêt public et dotées, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (arrêt du 10 octobre 2017, Farrell, C-413/15, points 34 et 35).

11. En revanche, selon une jurisprudence constante de la CJUE, si une juridiction nationale, saisie d'un litige opposant exclusivement des particuliers et relevant du champ d'application d'une directive, est tenue, lorsqu'elle applique les dispositions du droit interne, de prendre en considération l'ensemble des règles du droit national et de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière de cette directive, ainsi que de sa finalité, pour aboutir à une solution conforme à l'objectif qu'elle poursuit, ce principe d'interprétation conforme ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national et ne lui permet pas d'écarter une norme nationale contraire (arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152/84, du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01 et du 24 juin 2019, Poplawski, C-573/17).

12. Après avoir constaté que la société Copie France était une société civile soumise au régime de droit commun, la cour d'appel a retenu, d'une part, que celle-ci avait pour objet principal de percevoir et répartir la rémunération pour copie privée au profit des auteurs, des artistes interprètes ainsi que des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et de leurs ayants droit, de sorte qu'elle était en charge d'intérêts certes collectifs, mais qui demeuraient particuliers, d'autre part, que l'affectation de 25 % de cette rémunération à « des actions d'aide à la création à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes » s'analysait comme une modalité de compensation de l'exception de copie privée.

13. Elle a retenu également que les obligations particulières auxquelles étaient soumises les sociétés comme la société Copie France étaient destinées à garantir la transparence et la légalité de leur fonctionnement sans les placer pour autant sous la tutelle de l'Etat, celui-ci ne faisant pas partie des associés, n'y étant pas représenté et ne pouvant agir, s'il estimait que des illégalités avaient été commises, que par des actions en justice.

14. Elle a retenu encore que la société Copie France n'exerçait pas de mission ou de service d'intérêt général, mais agissait pour le compte d'intérêts privés regroupés collectivement, que, dans sa composition comme dans son fonctionnement, elle était autonome de l'Etat et ne disposait pas de pouvoir significatif exorbitant du droit commun, et que le contrôle auquel cette société était soumise, pas plus que l'existence d'un cadre légal de la rémunération pour copie privée, ne suffisait à la considérer comme un organisme placé sous le contrôle ou l'autorité de l'Etat.

15. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la neuvième branche que ses constatations rendaient inopérante, a déduit, à bon droit, que la société Copie France n'était pas assimilable à un organisme étatique ou para-étatique auquel un particulier pouvait opposer directement une directive européenne.

16. Le moyen, qui critique des motifs surabondants en ses quatrième à sixième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

17. La société Imation fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; que le juge judiciaire, lorsqu'il s'estime en état de le faire, peut appliquer le droit de l'Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d'une question préjudicielle, quand est en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union ; qu'en refusant d'apprécier la légalité des décisions n° 1, 2, 5 et 15 de la commission « copie privée » au regard de l'article 5 de la directive 2001/29/CE, au prétexte de son absence d'effet direct horizontal, la cour d'appel a méconnu le principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union, l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'article 88-1 de la Constitution ;

2°/ que le juge judiciaire peut se prononcer sur la légalité d'un acte administratif lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et du Conseil d'Etat que l'article L. 311-1 du code de propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 5 de la directive 2001/29/CE, prohibe l'application indifférenciée de la rémunération pour copie privée à l'ensemble des supports ; qu'en se retranchant derrière l'absence d'effet horizontal de l'article 5 de la directive 2001/29/CE, sans examiner la légalité des décisions n° 1, 2, 5 et 15 de la commission « copie privée » au regard de l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 5 de la directive 2001/29/CE, la cour d'appel a encore méconnu le principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union, l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'article 88-1 de la Constitution ;

3°/ que, en toute hypothèse, il incombe au juge de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en refusant d'apprécier la légalité des décisions n° 1, 2, 5 et 15 de la commission « copie privée » au regard de l'article 5 de la directive 2001/29/CE et de l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

18. La cour d'appel a retenu à bon droit et sans méconnaître son office que, dès lors qu'une directive ne crée pas directement d'obligations à l'égard de particuliers, qu'ils soient personnes physiques ou morales, le principe de primauté du droit de l'Union ne permet pas au juge national d'écarter, dans un litige entre ces particuliers, une norme nationale au motif qu'elle serait contraire à celle-ci.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

20. La société Imation fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en remboursement des sommes qu'elle a acquittées sur le fondement des décisions n° 7 et 11 de la Commission copie privée et d'accueillir les demandes reconventionnelles de la société Copie France en application de ces décisions, alors :

« 1°/ que l'autorité absolue de la chose jugée en cas d'annulation d'un acte administratif par le juge administratif ne s'attache qu'au principe de l'annulation et ne saurait s'étendre à la limitation de ses effets dans le temps ; qu'en décidant au contraire que les décisions du Conseil d'Etat étaient revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée, y compris en ce qui concerne l'effet différé des annulations, et s'imposaient à la société Imation Europe BV, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée par le juge administratif et le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;

2°/ qu'en toute hypothèse, la primauté du droit de l'Union commande à la juridiction nationale de laisser inappliquée la règle de procédure nationale en vertu de laquelle une décision de justice s'impose à elle, lorsque cette décision n'est pas conforme au droit de l'Union, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ; que les arrêts du Conseil d'Etat qui ont annulé les décisions n° 7 et 15 de la Commission « copie privée » contraires au droit de l'Union ont différé les effets de l'annulation dans le temps, imposant le maintien dans l'ordonnancement juridique d'actes administratifs contraires au droit de l'Union ; qu'en affirmant que le principe de primauté du droit de l'Union ne prévalait pas sur le principe de l'autorité de la chose jugée, indispensable à la sécurité juridique, la cour d'appel a violé les principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union et l'article 88-1 de la Constitution, ensemble l'article 5 de la directive 2001/29/CE ;

3°/ qu'en toute hypothèse, le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; que le juge judiciaire, lorsqu'il s'estime en état de le faire, peut appliquer le droit de l'Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d'une question préjudicielle, quand est en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union ; qu'en se retranchant derrière l'autorité absolue des décisions du Conseil d'Etat annulant avec effet différé les décisions n° 7 et 11 de la Commission « copie privée », quand il lui appartenait de se prononcer sur la légalité, au regard de la directive 2001/29/CE, de ces décisions, en tant qu'elles subsistaient temporairement dans l'ordonnancement juridique, la cour d'appel a violé, par fausse application, le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union et l'article 88-1 de la Constitution. »

Réponse de la Cour

21. Conformément à la jurisprudence précitée, les dispositions d'une directive, même claires et précises, ne permettent pas, dans un litige entre particuliers, d'écarter une norme nationale contraire.

22. Il en résulte que, lorsque le juge administratif a annulé un acte administratif en différant les effets de cette annulation, le juge judiciaire n'a pas le pouvoir, dans un litige entre particuliers, d'écarter l'application de cet acte au motif qu'il serait contraire à une directive.

23. La cour d'appel a relevé que les décisions n° 7 et 11 de la commission copie privée étaient contraires à la directive 2001/29/CE et retenu que la société Copie France n'était pas assimilable à un organisme étatique ou para-étatique auquel un particulier pouvait opposer directement une directive européenne.

24. Il en résulte qu'elle n'avait pas le pouvoir d'écarter les décisions précitées pendant la période au cours de laquelle elles demeuraient applicables.

25. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

Sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

26. La société Imation fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en refusant d'écarter les dispositions de l'article 6-I de la loi n° 2001-1898 du 20 décembre 2011, au prétexte de l'absence d'effet direct horizontal de la directive 2001/29/CE, la cour d'appel a violé le principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union, l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'article 88-1 de la Constitution et l'article 5 de la directive précitée. »

Réponse de la Cour

27. Dès lors que les dispositions d'une directive, même claires et précises, ne permettent pas, dans un litige entre particuliers, d'écarter une norme nationale contraire, il ne saurait être fait grief à la cour d'appel d'avoir fait application des dispositions de l'article 6-I de la loi n° 2001-1898 du 20 décembre 2011.

28. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

29. La société Imation fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne donne d'une règle de droit de l'Union, dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur ; qu'il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge national même aux rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation ; qu'en exonérant la société Copie France de toute faute pour son comportement antérieur à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 juin 2011, la cour d'appel a violé l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle interprété à la lumière de l'article 5 de la directive 2001/29/CE ;

2°/ qu'en cause d'appel, la société Imation Europe BV reprochait à la société Copie France son inaction à l'égard d'autres acteurs du marché redevables de la compensation pour copie privée et le traitement discriminatoire dont elle avait fait l'objet ; qu'en exonérant la société Copie France de toute faute, sans répondre à ces chefs de conclusions pertinents, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

30. La cour d'appel a relevé que, elle-même, par un arrêt du 22 mars 2007, puis la Cour de cassation, par un arrêt du 22 novembre 2008, avaient considéré que, dans l'hypothèse de l'acquisition d'un support assujetti à la rémunération pour copie privée par un consommateur français auprès d'un cybercommerçant établi légitimement à l'étranger, seul le premier pouvait être considéré comme importateur au sens de l'article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle, de sorte qu'aucune action ne pouvait être légalement et utilement introduite contre le second, que, néanmoins, la société Copie France justifiait avoir engagé neuf procédures contre des sites localisés artificiellement à l'étranger afin d'échapper au paiement de la rémunération pour copie privée, ayant abouti notamment à la condamnation d'un cybercommerçant au paiement d'une somme de 1 538 026,50 euros, et que, sur son site internet, cette société, à compter du 20 septembre 2007 avait informé les particuliers qui achetaient des supports sur un site internet étranger qu'ils étaient redevables de la rémunération et devaient établir un bulletin de déclaration afin de permettre l'établissement d'une facture.

31. Elle a ajouté que, à compter de l'arrêt de la CJUE du 16 juin 2011, Stichting de Thuiskopie (C-462/09), qui a dit pour droit que la seule circonstance que le vendeur professionnel d'équipements, d'appareils ou de supports de reproduction est établi dans un Etat membre autre que celui dans lequel résident les acheteurs demeurait sans incidence sur l'obligation de résultat incombant à l'Etat membre de garantir aux auteurs de recevoir effectivement la compensation équitable destinée à les indemniser, la société Copie France justifiait avoir engagé de nombreuses actions auprès de cybercommerçants installés à l'étranger pour obtenir le versement par ceux-ci de la rémunération pour copie privée due à raison de ventes effectuées auprès de consommateurs situés en France, consistant en des lettres de mise en demeure dès le mois d'août 2011, puis en 2013, 2014 et 2016, ainsi qu'en des actions en référé, notamment à l'égard de la société Amazon, dont la société Imation contestait inutilement l'efficacité.

32. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la société Imation dans le détail de son argumentation, a pu écarter l'existence d'une faute de la société Copie France.

33. Le moyen n'est donc pas fondé.

34. Il s'ensuit que le pourvoi doit être rejeté, sans qu'il soit besoin de poser à la CJUE les questions préjudicielles proposées par la société Imation, celles-ci n'étant pas pertinentes pour la solution du litige et la CJUE ayant déjà répondu aux troisième et quatrième questions (CJUE 11 juillet 2013, Amazon.com International Sales Inc. e.a., C-521/11 ; CJUE 22 septembre 2016, Microsoft Mobile Sales International Oy e.a, C-110/15).

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer -

Textes visés :

Article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Rapprochement(s) :

Crim. 3 février 2016, pourvoi n° 14-85.198, Bull. crim. 2016, n° 28 (cassation partielle sans renvoi) ; 2e Civ., 26 septembre 2013, pourvoi n° 12-24.940, Bull. 2013, II, n° 186 (rejet).

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