Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

PROCEDURE CIVILE

Tribunal des conflits, 8 novembre 2021, n° 21-04.194, (B)

Procédure devant le Tribunal des conflits – Recevabilité des demandes – Condition – Parties au litige devant le juge du fond – Nécessité

Vu, enregistrée à son secrétariat le 15 juin 2020, la requête présentée pour Mme [C] [D] (Mme [D]), ainsi que pour Mme [M] [V] [D], Mme [M] [Z] [D], M. [P] [D], Mme [B] [D] épouse [K], M. [X] [D], Mme [F] [D] et Mme [A] [D], en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de [N] [D], époux de Mme [C] [D] (les consorts [D]) et l'UDAF du Loiret en qualité de mandataire judiciaire à la protection de celle-ci, tendant à ce que le Tribunal, saisi par application de l'article 15 de la loi du 24 mai 1872 :

- condamne in solidum le centre hospitalier régional (le CHR) d'[Localité 1], d'une part, et M. [O] et la société La Médicale de France, son assureur, d'autre part, à les indemniser de leurs préjudices consécutifs à la mucormycose sinusienne invasive présentée par Mme [D] ;

- dise que le taux de perte de chance est égal au 2/3 du préjudice subi et les condamne à payer à Mme [D] la somme de 1 891 153,30 euros et aux consorts [D] une somme de 90 000 euros au titre du préjudice subi par M. [N] [D] et de leurs propres préjudices ;

- subsidiairement, ordonne une nouvelle expertise judiciaire au contradictoire des consorts [D], de M. [O] et de son assureur et du CHR d'[Localité 1] ;

- mette à la charge du CHR d'[Localité 1] les frais irrépétibles et les dépens mis à leur charge par la cour administrative d'appel de Nantes, de M. [O] et de son assureur une somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles et des dépens devant le tribunal judiciaire d'[Localité 1], du CHR d'[Localité 1] ainsi que de M. [O] et de son assureur une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et des dépens devant le Tribunal des conflits par les motifs que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 12 mai 2011 et le jugement du tribunal judiciaire d'[Localité 1] du 22 janvier 2020, qui portent sur le même objet, conduisent, en raison de leur contrariété, à un déni de justice et que la différence d'appréciation sur les responsabilités encourues les empêche d'être indemnisés de leur entier préjudice, pour l'évaluation duquel ils renvoient à leurs écritures devant le tribunal judiciaire d'Orléans ;

Vu les décisions attaquées ;

Vu, enregistré le 17 août 2020, le mémoire présenté pour M. [O] et la société La Médicale de France tendant à ce que la requête soit déclarée irrecevable, comme ne remplissant pas la condition tenant à l'existence d'une contrariété de décisions conduisant à un déni de justice, en l'absence de faute de M. [O], à ce qu'elle soit, en tout état de cause, rejetée pour cette raison et en l'absence de lien de causalité direct entre la faute invoquée et la perte de chance subie par Mme [D], à titre subsidiaire, à ce qu'un partage de responsabilités soit retenu et à ce que, compte tenu des fautes commises par Mme [D] et le CHR d'[Localité 1], 50 % de la réparation soit mise à la charge de ce dernier, 25 % à la charge de Mme [D] et 25 % à la charge de M. [O], enfin à ce que soit mise à la charge des consorts [D] et du CHR d'[Localité 1], in solidum, la somme de 4 000 euros au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 2011 ;

Vu, enregistré le 18 août 2020, le mémoire présenté pour le CHR d'[Localité 1] tendant à ce qu'il soit jugé que M. [O] a également commis une faute à l'origine de la moitié des séquelles présentées par Mme [D] ;

Vu, enregistrée le 3 août 2020, la lettre du président du conseil départemental du Loiret tendant à la mise hors de cause du département ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à la Mutuelle nationale des hospitaliers et des personnels de santé et à la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu la décision avant dire-droit du Tribunal des conflits du 2 novembre 2020 ;

Vu le rapport d'expertise déposé le 25 avril 2021 par les docteurs [E] et [W] ;

Vu, enregistrés les 10 juin, 24 juin, 2 juillet, 13 et 23 septembre et 7 octobre 2021, les mémoires présentés pour Mme [C] [D] (Mme [D]), ainsi que pour Mme [M] [V] [D], Mme [M] [Z] [D], M. [P] [D], Mme [B] [D] épouse [K], M. [X] [D], Mme [F] [D] et Mme [A] [D], en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de [N] [D], époux de Mme [C] [D], et l'Union départementale des associations familiales du Loiret en qualité de mandataire judiciaire à la protection de celle-ci et Mme [Y] [D] [D], tendant à ce que le Tribunal, saisi par application de l'article 15 de la loi du 24 mai 1872 :

- condamne le CHR d'[Localité 1] à verser à Mme [C] [D] la somme de 1 706 527,01 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2004 ;

- condamne le CHR d'[Localité 1] à verser à Mme [M] [V] [D], Mme [M] [Z] [D], M. [P] [D], Mme [B] [D] épouse [K], M. [X] [D], Mme [F] [D] et Mme [A] [D], et l'UDAF du Loiret, prise en qualité de mandataire judiciaire à la protection de Mme [C] [D], Mme [Y] [D] [D], en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de [N] [D], une indemnité de 96 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2004 ;

- ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 12 novembre 2008 ;

- mette à la charge du CHR d'[Localité 1], sur le fondement de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 les frais irrépétibles qui avaient été mis à sa charge par le tribunal administratif de Nantes et la cour administrative d'appel de Nantes ainsi qu'une somme de 15 000 euros au titre des frais devant le Tribunal des conflits ;

Vu, enregistrés les 18 juin, 13 septembre et 1er octobre 2021, les mémoires présentés pour le CHR d'[Localité 1] tendant à ce que les conclusions des consorts [D] et celles de la CPAM du Loir-et-Cher soient rejetées ;

Vu, enregistrés les 6 et 22 septembre 2021, les mémoires présentés pour la CPAM du Loir-et-Cher qui produit une notification définitive des débours et qui demande :

- que le CHR d'[Localité 1] soit condamné à lui payer, à titre principal, les sommes de 245 900 euros au titre des dépenses de santé d'ores et déjà exposées et de 133 417,21 euros au titre des dépenses de santé à venir et, à titre subsidiaire, les sommes de 244 939, 99 euros au titre des dépenses de santé d'ores et déjà exposées et de 129 663 euros au titre des dépenses de santé à venir ;

- que le CHR d'[Localité 1] soit condamné avec sa compagnie d'assurance à verser la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- que la capitalisation des intérêts soit ordonnée sur sommes à compter du 20 septembre 2005 ;

- que les dépens des instances suivies devant le tribunal administratif de Nantes, la cour administrative d'appel de Nantes et le Tribunal des conflits soient mis à la charge du CHR d'[Localité 1] ;

- que le CHR d'[Localité 1] soit condamné à verser une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles devant le tribunal administratif de Nantes, une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles devant la cour administrative d'appel de Nantes et une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles devant le Tribunal des conflits ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, notamment son article 75 ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Considérant ce qui suit :

1. Saisi par Mme [C] [D], par ses enfants M. [P] [D], Mme [B] [D], M. [X] [D], Mme [F] [D], Mme [A] [D], en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de leur père [N] [D], par Mmes [M] [V] [D] et [M] [Z] [D], filles d'un premier mariage de [N] [D], en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de leur père et par l'Union départementale des associations familiales, en qualité de mandataire judiciaire à la protection de Mme [C] [D], le Tribunal des conflits a, par décision du 2 novembre 2020, en premier lieu, déclaré nuls et non avenus pour contrariété conduisant à un déni de justice l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 12 mai 2011 et le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 26 février 2009, en deuxième lieu, statuant sur le fond, retenu une faute du CHR d'[Localité 1] dans le retard à procéder à la recherche des causes des troubles que présentait Mme [D] lors de son hospitalisation et à établir un diagnostic pertinent, en troisième lieu, jugé que la perte de chance d'éviter les dommages consécutifs à la survenue de la mucormycose sinusienne invasive devait être estimée aux deux tiers et enfin, sursis à statuer pour l'évaluation du préjudice de Mme [D] après expertise.

I° Sur les questions de recevabilité :

Sur la recevabilité des conclusions de Mme [Y] [D] et des demandes des consorts [D] en leur nom personnel :

2. En vertu de l'article 15 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits, en cas de décisions présentant une contrariété conduisant à un déni de justice, le Tribunal des conflits juge au fond à l'égard de toutes les parties en cause.

Aux termes de l'article 39 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles et portant sur le recours en cas de contrariété de décisions au fond ? (?) la partie qui y a intérêt saisit le Tribunal des conflits ?.

Aux termes de l'article 40 du même texte, ce recours ?est introduit dans les deux mois à compter du jour où la dernière des décisions en date statuant au fond est devenue irrévocable ?. Il résulte de ces dispositions que le Tribunal des conflits statue au fond sur les demandes des parties devant les juridictions ayant rendu des décisions au fond présentant une contrariété conduisant à un déni de justice, dès lors qu'il est saisi dans les deux mois à compter du jour où la dernière de ces décisions est devenue irrévocable.

3. D'une part, les demandes introduites devant le Tribunal des conflits en leur nom personnel par Mme [M] [V] [D], Mme [M] [Z] [D], M. [P] [D], Mme [B] [D] épouse [K], M. [X] [D], Mme [F] [D], et Mme [A] [D] et tendant à ce que le CHR d'[Localité 1] soit condamné à leur verser une indemnité réparant leurs préjudices propres n'ont pas été présentées devant le juge administratif.

Par suite les intéressés ne sont pas parties au litige dont est saisi le Tribunal des conflits et leurs demandes sont à ce titre irrecevables.

4. D'autre part, Mme [Y] [D], agissant en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [N] [D], n'a pas saisi le Tribunal des conflits dans le délai de deux mois à compter du jour où la dernière des décisions présentant une contrariété est devenue irrévocable. Ses conclusions sont par suite irrecevables.

Sur la recevabilité des demandes de Mme [D] et des consorts [D] en qualité d'ayants droit de [N] [D] :

5. Un requérant peut se borner à demander à l'administration la réparation d'un préjudice qu'il estime avoir subi pour ne chiffrer ses prétentions que devant le juge administratif.

Par suite, le CHR d'[Localité 1] n'est pas fondé à soutenir que les demandes complémentaires de Mme [D] et des consorts [D], en qualité d'ayants droit de [N] [D], sont irrecevables en ce qu'elles dépassent la demande indemnitaire préalable adressée au CHR.

II° Sur les préjudices indemnisables de la victime :

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport des experts désignés par le Tribunal des conflits et dont le manque d'impartialité allégué n'est pas établi, que l'état de santé de Mme [D], revenue à son domicile à l'été 2004 et n'ayant plus subi par la suite de nouvelles interventions chirurgicales pour traiter les conséquences de sa mucormycose sinusienne invasive, doit être regardé comme consolidé à la date du 28 octobre 2005.

A° En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

1° S'agissant des préjudices patrimoniaux antérieurs à la consolidation de l'état de santé de Mme [D] :

7. D'une part, Mme [D] justifie, par la production de factures, de 2 881,20 euros de frais restant à sa charge et exposés avant la date de la consolidation de son état de santé, se décomposant en 1 275,22 euros de frais d'appareillage et 1 605,98 euros de frais médicaux, sans avoir bénéficié de leur prise en charge par le département du Loiret dans le cadre de la prestation de compensation du handicap.

8. D'autre part, devant le Tribunal des conflits, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Loir-et-Cher, agissant au nom et pour le compte de la CPAM du Loiret, a justifié de 294 609 euros de prestations versées au titre de la prise en charge de Mme [D] avant la consolidation de son état de santé à raison des conséquences de la mucormycose sinusienne invasive pour lesquelles la responsabilité du CHR d'[Localité 1] est engagée.

9. Il résulte de ce qui précède que le montant des dépenses de santé exposées avant la date de la consolidation de l'état de santé de Mme [D] s'élève à 297 491,03 euros.

La responsabilité du CHR d'[Localité 1] étant engagée à hauteur des deux tiers, le montant à sa charge s'élève en conséquence à la somme de 198 327,35 euros. Compte tenu du droit de préférence de la victime, le CHR versera à Mme [D] la somme de 2 881,20 euros et, par suite, la somme de 195 446,15 euros à la CPAM du Loiret.

2° S'agissant des préjudices patrimoniaux postérieurs à la consolidation de l'état de santé de Mme [D] :

S'agissant des dépenses de santé postérieures à la date de la consolidation de l'état de santé de Mme [D] :

Quant aux dépenses exposées par Mme [D] à compter de la consolidation de son état de santé :

10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport des experts désignés par le Tribunal des conflits, que les déplacements de Mme [D] nécessitent le recours à un fauteuil électrique qui doit être renouvelé tous les cinq ans.

Les frais restant à la charge de l'intéressée pour l'acquisition d'un tel fauteuil sont, au vu des pièces produites, de 3 277,13 euros, pour un prix d'achat de 6 765,08 euros.

La dépense annuelle au titre du besoin d'un fauteuil électrique, dont la prise en charge par le département au titre de la prestation de compensation du handicap n'est pas établie, doit ainsi être évaluée à 655,426 euros. Mme [D] étant aujourd'hui âgée de 63 ans, le préjudice doit être évalué à la somme capitalisée de 15 327,13 euros à la date de la présente décision.

11. Dans ses conclusions devant le tribunal de grande instance reprises devant la présente juridiction, Mme [D] sollicite la prise en charge des dépenses qu'elle exposerait pour l'achat d'un vélo d'appartement à hauteur de 11 259,87 euros. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction, notamment du rapport des experts désignés par le Tribunal des conflits, que Mme [D] dont les déplacements nécessitent, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le recours à un fauteuil électrique, pourrait avoir l'usage d'un tel vélo. Il y a lieu, par conséquent, de rejeter cette demande.

Quant aux dépenses exposées par la CPAM à compter de la consolidation de l'état de santé de Mme [D] :

12. Il résulte des pièces adressées par la CPAM du Loir-et-Cher au Tribunal des conflits que le montant des prestations prises en charge au titre des dépenses de santé de Mme [D] à compter de la consolidation doit être évalué à la somme de 74 240,60 euros.

13. S'agissant des dépenses de santé futures, le renouvellement périodique des dispositifs médicaux nécessaires à Mme [D] et la nécessité de poursuivre les séances de kinésithérapie entraîneront des dépenses de santé à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie. Eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. A défaut, le responsable peut être condamné à rembourser les dépenses au fur et à mesure de leur engagement.

14. Il résulte de ce qui précède aux points 10 à 13 que, pour ce poste de préjudice relatif aux dépenses exposées après la date de consolidation, compte tenu de la responsabilité du centre hospitalier engagée à hauteur des deux tiers et du droit de préférence de la victime, il y a lieu de condamner le CHR d'[Localité 1] à verser à Mme [D] la somme de 15 327,13 euros et à la CPAM du Loiret la somme de 44 384,69 euros.

Le CHR d'[Localité 1] remboursera également à la CPAM du Loir-et-Cher les frais de santé futurs, sur présentation de justificatifs et au fur et à mesure de leur exposition, dans la limite des deux tiers, à compter de la date de la présente décision.

3° S'agissant des frais relatifs à la réduction d'autonomie :

15. Il résulte de l'instruction que Mme [D] justifie avoir exposé des frais d'adaptation de son logement à hauteur de 8 934,13 euros et des frais d'adaptation de son véhicule à hauteur de 9 603,88 euros.

Par suite, la victime a droit, compte tenu de l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier à hauteur des deux tiers, à une somme de 12 358,67 euros au titre de ces frais effectivement exposés pour l'adaptation du logement et du véhicule, aucune des pièces versées au dossier n'établissant que ces aménagements auraient fait l'objet d'une prise en charge par la CPAM. De même, Mme [D] justifiant, par des titres exécutoires de novembre 2010 à mai 2012, avoir versé un reste à charge de 21 124,48 euros pour son hébergement en établissement d'accueil, le centre hospitalier doit être condamné à lui verser les deux tiers de cette somme soit 14 082,99 euros. Il s'ensuit que le CHR d'[Localité 1] devra verser à Mme [D] la somme globale de 26 441,66 euros au titre des frais exposés par elle à raison de sa perte d'autonomie.

16. En revanche, il résulte de l'instruction, notamment du rapport des experts désignés par le Tribunal des conflits, que Mme [D] est retournée vivre à son domicile de 2004 à 2009, puis a rejoint un foyer d'accueil médicalisé. Elle serait retournée à son domicile en 2012 mais vit désormais dans un pavillon de plain-pied dans une structure dédiée aux personnes handicapées. Elle se déplace en véhicule sanitaire léger (VSL) pour ses rendez-vous médicaux et elle ne justifie pas être propriétaire d'un véhicule, ni du montant du préjudice lié au recours à des taxis. Sa demande de prise en charge de frais d'aménagement futurs ne peut qu'être rejetée.

4° S'agissant des frais d'assistance par tierce personne :

Quant à la période antérieure à la présente décision

17. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport des experts désignés par le Tribunal des conflits, que Mme [D] n'était pas complètement autonome au moment des faits dommageables et souffrait déjà de diverses pathologies liées à un diabète préexistant mais que, consécutivement à ces faits et jusqu'à la consolidation de son état de santé, elle avait besoin de l'assistance d'une tierce personne. Il en résulte également que, depuis la consolidation de son état de santé, Mme [D], qui vit dans un pavillon de plain-pied au sein d'un centre spécialisé et bénéficie du portage de ses repas, a toujours besoin de l'assistance d'une tierce personne. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la victime au titre de l'assistance par une tierce personne en fixant le besoin d'aide à 3 heures par jour.

18. Sur la période 2004 à 2009 pour laquelle Mme [D] réclame une indemnisation, elle justifie de frais d'assistance par tierce personne pour un montant de 54 947,59 euros, soit une assistance qui n'est pas supérieure à trois heures par jour en l'évaluant sur la base de 412 jours par an pour un coût horaire de 21 euros. Compte tenu de la responsabilité du centre hospitalier engagée à hauteur des deux tiers, la somme qu'il devrait verser à ce titre peut être évaluée à 36 631,72 euros.

19. Toutefois, en vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage.

La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

Mais ces règles ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime.

Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne. Il résulte de l'instruction que Mme [D] perçoit depuis le 1er mars 2006 une majoration pour tierce personne, qui peut être évaluée sur la période en cause à la somme de 47 983,85 euros. Il résulte également de l'instruction que Mme [D] a perçu une prestation de compensation du handicap à hauteur de 70 670,32 euros pour les années 2005 à 2009. Il s'ensuit que le montant des prestations dont a bénéficié Mme [D] jusqu'en 2009, ayant pour objet la prise en charge des frais d'assistance par une tierce personne, indemnise en totalité le préjudice qu'elle a subi au titre des frais d'assistance par tierce personne.

Quant à la période postérieure à la présente décision

20. Pour la période postérieure à la présente décision, Mme [D] étant âgée de 63 ans à ce jour, et compte tenu du besoin d'assistance par une tierce personne fixé à 3 heures par jour, son préjudice, sur la base de 412 jours par an pour un coût estimé à 21 euros de l'heure, peut être évalué à la somme capitalisée de 606 981,06 euros.

La responsabilité du centre hospitalier est engagée à hauteur des deux tiers, soit à hauteur de 404 654,04 euros.

21. Cependant, il résulte de l'instruction que Mme [D] perçoit au titre de l'aide humaine de la prestation de compensation du handicap la somme de 1 061,08 euros par mois ainsi que, au titre de la majoration pour tierce personne, la somme de 1 192,50 euros par mois. Eu égard à l'âge de Mme [D], le montant capitalisé de ces prestations est évalué respectivement aux sommes de 297 760,26 euros et 334 639,35 euros. Compte tenu des principes rappelés au point 19, il convient de déduire ces sommes du montant de l'indemnisation que devrait lui verser le centre hospitalier au titre de la prise en charge des frais d'assistance par une tierce personne, soit la somme évaluée au point 20 à 404 654,04 euros. Il s'ensuit que ce préjudice des frais d'assistance par tierce personne à venir est entièrement couvert par les prestations que percevra Mme [D] au titre de son handicap.

Par conséquent, il y a lieu de rejeter sa demande d'indemnisation de ce chef de préjudice.

B° En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

1° S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire

22. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport des experts désignés par le Tribunal des conflits que le déficit fonctionnel temporaire a été total du 30 octobre 2002 au 30 juillet 2004 puis doit être évalué à 75 % du 31 juillet 2004 au 28 octobre 2005, période au cours de laquelle Mme [D] avait pu rejoindre son domicile. Eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie et compte tenu de la période d'incapacité partielle, le préjudice résultant du déficit fonctionnel temporaire sera indemnisé par une somme de 26 000 euros.

Quant aux souffrances endurées

23. Sur la période antérieure à la consolidation, les souffrances endurées par l'intéressée en lien avec la faute commise doivent être évaluées à 6 sur une échelle de 7, ainsi que le mentionne le rapport des experts désignés par le Tribunal des conflits. Ce chef de préjudice sera évalué à 35 000 euros.

Quant au préjudice esthétique temporaire

24. Le préjudice esthétique temporaire peut être évalué à 5 sur une échelle de 7, au regard du rapport d'expertise précité, et sera indemnisé par une somme de 22 000 euros.

2° S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent

25. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport des experts désignés par le Tribunal des conflits, que le déficit fonctionnel permanent lié aux manquements imputables à l'établissement de santé s'établit à 66 %, le taux de 83 % sollicité par la victime apparaissant excessif au regard de son état de santé consolidé.

Au regard de l'âge de la victime, des troubles dans ses conditions d'existence et des douleurs permanentes, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice indemnisable en l'évaluant à la somme de 240 000 euros.

Quant aux autres préjudices permanents

26. Le préjudice esthétique lié à l'accident médical litigieux doit être évalué à 5,5 sur une échelle de 7, au regard du rapport précité. Ce préjudice peut en conséquence être évalué à la somme de 30 000 euros. Il sera fait une juste appréciation du préjudice sexuel indemnisable en l'évaluant à la somme de 7 000 euros.

27. Il résulte de ce qui précède aux points 22 à 26, la responsabilité du CHR d'[Localité 1] étant engagée à hauteur des deux tiers, qu'une somme de 240 000 euros doit être mise à sa charge au titre des préjudices extrapatrimoniaux de Mme [D].

28. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le CHR d'[Localité 1] doit être condamné à verser une somme de 284 649,99 euros à Mme [D] au titre des préjudices subis, les sommes qu'il a déjà versées en exécution du jugement du 26 février 2009 du tribunal administratif d'Orléans et de l'arrêt du 12 mai 2011 de la cour administrative d'appel de Nantes devant être déduites.

29. Il résulte également de ce qui précède que le CHR d'[Localité 1] doit être condamné à verser une somme de 239 830,84 euros à la CPAM du Loir-et-Cher et à lui rembourser les frais de santé futurs, exposés au titre des conséquences de la mucormycose sinusienne invasive dont Mme [D] a été victime, au fur et à mesure de leur engagement dans la limite des deux tiers.

III° Sur les préjudices indemnisables des ayants droit de [N] [D] :

30. Il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par [N] [D], compte tenu du taux de perte de chance de 2/3, en condamnant le CHR d'[Localité 1] au versement à ses ayants droit d'une indemnité de 6 500 euros.

31. Par ailleurs, les ayants droit de l'époux de [N] [D] sollicitent une indemnisation au titre des troubles dans les conditions d'existence de ce dernier entre 2002 et 2009, date de son décès.

Les manquements commis par le CHR d'[Localité 1] ayant eu des conséquences propres au regard de l'impact de la perte de chance d'éviter une période d'hospitalisation de la victime durant près de 21 mois, ainsi que les incapacités occasionnées par les suites de la mucormycose sinusienne invasive, il sera fait une juste appréciation du préjudice de [N] [D], en tenant compte du taux de perte de chance, en condamnant le CHR d'[Localité 1] à verser à ses ayants droit une somme de 6 500 euros.

32. Il résulte que ce qui précède aux points 30 et 31 que le CHR d'[Localité 1] devra verser aux ayants droit de [N] [D] une somme de 13 000 euros, les sommes déjà versées en exécution du jugement du 26 février 2009 du tribunal administratif d'[Localité 1] et de l'arrêt du 12 mai 2011 de la cour administrative d'appel de Nantes devant être déduites.

IV° Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

33. Mme [D] et les ayants droit de [N] [D] au titre des préjudices subis par ce dernier ont droit aux intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2004, date d'enregistrement de leur demande préalable au CHR d'[Localité 1], pour les créances nées antérieurement à cette date et à compter de leur naissance pour les autres s'agissant des frais exposés postérieurement à cette date.

34. Mme [D] et les ayants droit de [N] [D] ont également droit, en application de l'article 1154 du code civil, dont les dispositions ont été reprises à l'article 1343-2 du même code, à la capitalisation de ces intérêts au 12 novembre 2008, date à laquelle une demande à cette fin a été enregistrée devant le tribunal administratif d'Orléans et alors qu'il était dû au moins une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

35. Il sera fait droit à la demande de la CPAM du Loir-et-Cher tendant à ce que la somme qui lui est allouée en remboursement des débours qu'elle a exposés soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 septembre 2005, date de la demande en paiement présentée devant le tribunal administratif d'Orléans, pour les créances nées antérieurement à cette date et à compter de leur naissance pour les autres.

Par ailleurs, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année mais, en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. Dès lors que la première demande de capitalisation des intérêts a été présentée par mémoire du 6 septembre 2021 devant le Tribunal des conflits, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts échus à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

V° Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

36. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : « (?) / En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie.

Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. (?) ».

Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2020 visé ci-dessus : « Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 109 euros et 1 098 euros au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2021. »

37. En application de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge du CHR d'[Localité 1] le versement à la CPAM du Loir-et-Cher de la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion à raison des frais engagés pour obtenir le remboursement des prestations servies à son assurée.

VI° Sur les dépens :

38. Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 3 300 euros par l'ordonnance en date 17 mai 2021 du président du Tribunal des conflits, sont mis à la charge définitive du CHR d'[Localité 1], de même que les frais et honoraires de l'expertise confiée au professeur [I], liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Nantes du 29 juillet 2004.

VII° Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 :

39. Le CHR d'[Localité 1] versera aux consorts [D] la somme de 6 000 euros en application de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu faire droit aux conclusions présentées par la CPAM du Loir-et-Cher sur le fondement de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1 :

Le centre hospitalier régional d'[Localité 1] versera à Mme [C] [D] la somme de 284 649,99 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2004 pour les créances nées antérieurement à cette date et à compter de leur naissance pour les autres.

Les intérêts échus à la date du 12 novembre 2008 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 :

Le centre hospitalier régional d'[Localité 1] versera aux ayants droit de [N] [D] la somme de 13 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2004.

Les intérêts échus à la date du 12 novembre 2008 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 :

Les demandes présentées par Mme [M] [V] [D], Mme [M] [Z] [D], M. [P] [D], Mme [B] [D] épouse [K], M. [X] [D], Mme [F] [D], Mme [A] [D], en leur nom personnel, et Mme [Y] [D], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [N] [D] sont rejetées.

Article 4 :

Le centre hospitalier régional d'[Localité 1] versera à la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher une somme de 239 830,84 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 20 septembre 2005, pour les créances nées antérieurement à cette date et à compter de leur naissance pour les autres.

Les intérêts échus à la date du 6 septembre 2021 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes des intérêts.

Le centre hospitalier régional d'[Localité 1] remboursera à la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher, dans la limite des deux tiers, les frais de santé futurs échus à compter de la présente décision au fur et à mesure de leur engagement, avec intérêts au taux légal à compter de l'engagement de ces frais.

Article 5 :

Le centre hospitalier régional d'[Localité 1] versera la somme de 1 098 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 6 :

Le centre hospitalier d'[Localité 1] versera la somme de 6 000 euros aux consorts [D] en application de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 7 :

Les conclusions présentées par la CPAM du Loir-et-Cher au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : M. Polge (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; Me Le Prado ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Loi des 16 et 24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872, article 15 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, notamment son article 75 ; code de la santé publique ; code de la sécurité sociale.

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