Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

PROCEDURE CIVILE

2e Civ., 4 novembre 2021, n° 20-16.393, (B)

Cassation partielle

Acte de procédure – Nullité – Vice de forme – Conditions – Existence d'un grief – Preuve – Nécessité – Cas – Article R. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 16 mars 2020), sur des poursuites à fin de saisie immobilière exercées par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France (la banque) à l'encontre de M. [T] et de Mme [I], l'adjudication du bien immobilier de ces derniers a été fixée à une audience.

2. Par jugement du 15 mars 2019, dont M. [T] et Mme [I] ont interjeté appel, un juge de l'exécution a reporté la date de vente forcée à la demande de la banque.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l‘arrêt infirmant le jugement qui avait reporté, à sa demande, la date de l'adjudication de l'immeuble que celle-ci a saisi, de dire que la demande de report de l'adjudication est une demande incidente, de constater que ses conclusions déposées en première instance ne sont pas signées, de dire que le premier juge, statuant en matière de saisie immobilière, n'était saisi d'aucune demande, de constater la caducité du commandement de payer valant saisie, alors « que les demandes incidentes sont la demande reconventionnelle, la demande additionnelle et l'intervention ; que le créancier poursuivant, en demandant comme le prévoit l'article R. 322-19 du code des procédures civiles d'exécution, le report de l'audience d'adjudication, ne formule pas une demande distincte de sa demande initiale, savoir : la vente aux enchères publiques de l'immeuble qu'il a saisi, mais, au contraire, persiste dans cette demande initiale et la réitère formellement, pour éviter la caducité que prévoit l'article 322-27 du même code et l'éventuelle extinction de la créance dont il est porteur ; qu'en décidant le contraire pour juger que les conclusions dont la CRCAM de Paris et d'Île-de-France a saisi le premier juge sont nulles et que, mécaniquement, la caducité du commandement valant saisie doit être constatée, la cour d'appel a violé l'article 63 du code de procédure civile, ensemble les articles R. 322-19 et 322-27 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

4. La demande de report de l'audience d'adjudication, qui constitue une demande incidente, soumise aux formes prescrites à l'article R. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution, doit être formée par voie de conclusions.

5. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 114 et 766 du code de procédure civile :

7. L'absence de signature des conclusions, déposées au greffe conformément à l'article R. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution, constitue une irrégularité de forme, qui ne peut entraîner la nullité de l'acte que s'il est justifié d'un grief.

8. Pour dire que le premier juge, statuant en matière de saisie immobilière, n'était saisi d'aucune demande, et constater la caducité du commandement de payer valant saisie, l'arrêt retient que le dépôt d'écritures qui ne comportent pas la signature de l'avocat sont affectées d'une nullité de fond, et qu'il convient de dire nulles les conclusions déposées au greffe le 12 février 2019 en vue de l'audience du 15 février 2019, de sorte que le juge de l'exécution qui n'était saisi d'aucun moyen n'a pu valablement reporter la date d'audience.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que la demande de report de l'audience d'adjudication est une demande incidente, l'arrêt rendu le 16 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 114 et 766 du code de procédure civile ; article R. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution.

2e Civ., 4 novembre 2021, n° 20-11.875, (B)

Cassation

Actes de procédure – Nullité – Vice de forme – Applications diverses – Irrégularité des mentions de la déclaration de saisine de la juridiction

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 novembre 2019), à la suite d'un commandement valant saisie immobilière, la SCP [Y] [L], devenue la Selarl MJ & associés, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Aciéries du Val de Saône, a poursuivi la vente d'un bien immobilier appartenant à Mme [F] et a assigné cette dernière devant un juge de l'exécution aux fins d'ordonner la vente forcée du bien et fixer sa créance.

2. Un jugement d'orientation d'un juge de l'exécution a notamment débouté Mme [F], ordonné la vente forcée de l'immeuble et retenu la créance du liquidateur à la somme de 200 000 euros en principal.

3. Mme [F] a relevé appel de ce jugement.

4. Une ordonnance d'un premier président d'une cour d'appel a autorisé l'appelante à faire délivrer l'assignation pour l'audience du 6 novembre 2019.

Sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Mme [F] fait grief à l'arrêt de déclarer caduque la déclaration d'appel en date du 3 mai 2019, alors « que, dans une procédure à jour fixe, seule l'absence de remise d'une copie de l'assignation au greffe de la cour d'appel par voie électronique avant la date fixée pour l'audience est sanctionnée par la caducité de la déclaration d'appel, l'irrégularité affectant le contenu de cette formalité ne constituant pas une cause de caducité ; qu'en jugeant pourtant caduque la déclaration d'appel de Mme [F] du 3 mai 2019 au seul motif que la copie de l'assignation qui lui avait été remise par Mme [F] par voie électronique avant la date de l'audience était incomplète, la cour d'appel a violé l'article 922 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 922 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, dans la procédure d'appel à jour fixe, la cour d'appel est saisie par la remise d'une copie de l'assignation au greffe, cette remise devant être faite avant la date fixée pour l'audience, faute de quoi la déclaration d'appel est caduque.

8. Pour constater la caducité de l'appel, l'arrêt retient que Mme [F] a remis au greffe avant la date de l'audience une copie incomplète de l'assignation à jour fixe délivrée le 29 mai 2019 en ce qu'elle ne comprend, outre la page mentionnant les modalités de sa signification à l'intimée, que les trois premières pages sur les sept que compte cet acte. Il ajoute que cette copie ne comprend notamment pas le dispositif de l'assignation. Il relève, en outre, que la copie remise au greffe de la cour d'appel étant incomplète, celle-ci n'est pas valablement saisie.

9. En statuant ainsi, alors que l'assignation remise au greffe était affectée d'un vice de forme susceptible d'entraîner sa nullité sur la démonstration d'un grief par l'intimée, la cour d'appel, qui ne pouvait ainsi prononcer la caducité de la déclaration d'appel sans constater, le cas échéant, au préalable, la nullité de cet acte, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gaschignard -

Textes visés :

Article 922 du code de procédure civile.

2e Civ., 4 novembre 2021, n° 20-15.757, n° 20-15.758, n° 20-15.759, n° 20-15.760, n° 20-15.761, n° 20-15.762, n° 20-15.763, n° 20-15.764, n° 20-15.765, n° 20-15.766 et suivants, (B)

Annulation

Conclusions – Conclusions d'appel – Appelant n'ayant conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-15.757, 20-15.758, 20-15.759, 20-15.760, 20-15.761, 20-15.762, 20-15.763, 20-15.764, 20-15.765, 20-15.766, 20-15.767, 20-15.768, 20-15.769, 20-15.770, 20-15.771, 20-15.772, 20-15.773, 20-15.774, 20-15.775, 20-15.776, 20-15.778, 20-15.779, 20-15.780, 20-15.781, 20-15.782, 20-15.783, 20-15.784, 20-15.785, 20-15.786, 20-15.787 ont été joints par ordonnance du président de la chambre sociale du 9 septembre 2020.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 20 décembre 2019), MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] ont, chacun, en leur qualité d'anciens salariés de la société Prevent Glass, par déclaration commune transmise sur le Réseau privé virtuel avocats (RPVA), interjeté appel de jugements du conseil des prud'hommes de Fontainebleau du 18 juillet 2018 dans une affaire les opposant à M. [O], liquidateur de la société International Corporate Investors GmbH (ICI GmbH), à la SCP Christophe Ancel prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Prevent Glass, à la société Prevent Dev GmbH et à la société Volkswagen Aktiengesellschaft et en présence de l'association AGS CGEA IDF Est UNEDIC (AGS).

3. Par ordonnance du 2 juillet 2019 rendue dans chacun des dossiers d'appel, le conseiller de la mise en état a dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer et a rejeté la demande de caducité de la déclaration d'appel présentée par les sociétés intimées.

4. Ces ordonnances ont été déférées à la cour d'appel.

Enoncé du moyen

5. MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] font grief aux arrêts d'infirmer l'ordonnance déférée du conseiller de la mise en état rejetant l'incident tendant au constat de la caducité de la déclaration d'appel et, statuant à nouveau, de prononcer cette caducité et constater l'extinction de l'appel et le dessaisissement de la cour, alors « que les conclusions d'appelant exigées par l'article 908 du code de procédure civile sont celles remises au greffe et notifiées dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel, qui déterminent l'objet du litige porté devant la cour d'appel ; que l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du même code, le respect de la diligence impartie par l'article 908 est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de l'article 954 ; que les conclusions qui présentent, au sein de leur dispositif, les prétentions de première instance qui ont été rejetée par les chefs du jugement critiqués au sein de la déclaration d'appel, déterminent l'objet du litige, peu important que ce dispositif ne comporte pas la mention spécifique d'une demande d'infirmation ou de réformation, que la discussion sur les prétentions et moyens ne développe aucune critique spécifiquement dirigée contre le jugement et que n'ait pas été respectée l'obligation d'énoncer, en amont de la discussion sur les prétentions et moyens, les chefs du jugement critiqués ;

qu'en retenant que les conclusions déposés par l'appelant ne déterminaient pas l'objet du litige aux motifs inopérants qu'elles ne critiquaient pas la décision du premier juge, qu'elles ne faisaient référence à cette dernière et qu'elles comportaient un dispositif qui ne concluait pas à l'annulation ou à l'infirmation du jugement, la cour d'appel a violé les articles 901, 908 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

6. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement.

7. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue, à l'article 914 du code de procédure civile, de relever d'office lacaducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d‘appel si les conditions en sont réunies.

8. Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour infirmer les ordonnances du conseiller de la mise en état et déclarer caduques les déclarations d'appel, les arrêts retiennent d'une part que la régularité de la déclaration d'appel ne dispense pas l'appelant d'adresser dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile des conclusions répondant aux exigences fondamentales en ce qu'elles doivent nécessairement tendre, par la critique du jugement, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel et déterminer l'objet du litige, d'autre part, que les conclusions déposées dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile ne critiquent pas la décision des premiers juges constatant la prescription de l'action et comportent un dispositif qui ne conclut pas à l'annulation ou à l'infirmation totale ou partielle du jugement.

10. En statuant ainsi, la cour d' appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 4 septembre 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure, énoncée au § 6, instaurant une charge procédurale nouvelle, dans l'instance en cours et aboutissant à priver MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts n° RG 19/07541, 19/07571, 19/07572, 19/07574, 19/07576, 19/07577, 19/07579, 19/07580, 19/07582, 19/07542, 19/07543, 19/07544, 19/07545, 19/07547, 19/07563, 19/07566, 19/07568, 19/07548, 19/07593, 19/07549, 19/07550, 19/07553, 19/07554, 19/07552, 19/07556, 19/07560, 19/07557, 19/07131, 19/07125, 19/07561, rendus le 20 décembre 2019, entre les parties, par le pôle 6 chambre 1 de la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Maunand - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Bénabent ; SAS Cabinet Colin - Stoclet ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 542, 954 et 914 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020, (rejet).

1re Civ., 17 novembre 2021, n° 19-23.298, (B)

Sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Demande – Objet – Détermination – Prétentions respectives des parties – Moyens fondant les prétentions – Enonciation – Obligations des parties – Etendue

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 juin 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 4 juillet 2018, pourvoi n° 17-20.610), la société luxembourgeoise Récamier a assigné M. [X] devant les juridictions luxembourgeoises en paiement de sommes en invoquant des détournements d'actifs commis par celui-ci dans l'exercice de ses fonctions d'administrateur.

Par un arrêt du 11 janvier 2012, la cour d'appel de Luxembourg a déclaré cette demande mal fondée. Elle a considéré que, les fautes alléguées étant celles d'un administrateur dans l'exercice de son mandat, la responsabilité de M. [X] était de nature contractuelle et que, dès lors, la demande qui était expressément fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle devait être déclarée irrecevable par application du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

2. Le 24 février 2012, la société Récamier a assigné M. [X] devant le tribunal de commerce de Nanterre en paiement des mêmes sommes, en raison des mêmes faits, sur le fondement des dispositions du droit luxembourgeois relatives à la responsabilité contractuelle.

3. Par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a déclaré irrecevable l'action de la société Récamier, aux motifs que l'autorité de chose jugée par les juridictions luxembourgeoises devait s'apprécier au regard de la loi française de procédure, selon laquelle il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci (règle dite de concentration des moyens). Elle en a déduit que les parties, leurs qualités et la chose demandée étant identiques dans l'instance ayant abouti à l'arrêt de la cour de Luxembourg et dans la présente instance et la demande indemnitaire étant fondée sur la même cause, à savoir les détournements d'actifs reprochés à M. [X], la société Récamier ne pouvait être admise à invoquer un fondement juridique différent de celui qu'elle s'était abstenue de soulever en temps utile.

Textes applicables

Le droit de l'Union

4. L'article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I », dispose : « Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. »

Le droit national

5. L'article 480 du code de procédure civile dispose : « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4. »

L'article 4, alinéa 1er, du même code dispose : « L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »

6. L'article 1351, devenu 1355 du code civil, dispose : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, qu'elle soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

7. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation depuis un arrêt d'assemblée plénière du 7 juillet 2006 (pourvoi n° 04-10.672, Bull. civ. n° 8), il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci. Un demandeur ne peut être admis à contester l'identité de cause de deux demandes en invoquant un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile. Se heurte ainsi à l'autorité de chose jugée une partie qui agit sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice, alors que sa demande de réparation du même préjudice sur un fondement délictuel a été rejetée par une décision définitive d'une juridiction devant laquelle la responsabilité contractuelle n'avait pas été invoquée (2e Civ., 25 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.524, Bull. 2007, II, n° 241).

Position des parties

8. La société Récamier soutient que l'autorité de chose jugée de la décision luxembourgeoise ne doit pas être appréciée au regard du droit français mais qu'elle doit l'être, soit au regard d'une interprétation autonome de cette notion en droit de l'Union, soit au regard du droit luxembourgeois, dès lors que la reconnaissance d'une décision étrangère dans l'État requis ne saurait lui permettre de produire plus d'effets qu'elle n'en a dans son État d'origine et que le droit luxembourgeois ne connaît pas le principe de concentration des moyens.

9. M. [X] soutient qu'en vertu d'une règle de droit international public, chaque État a une compétence exclusive dans l'établissement de sa propre organisation interne, c'est-à-dire dans la mise en place des divers organes, la répartition des compétences entre eux, et l'élaboration de leurs règles de fonctionnement, de sorte que le droit processuel est nécessairement celui de la loi du for, et que les règles de conflit de lois ne s'appliquent pas en cette matière.

10. L'avocat général conclut principalement à l'application du droit luxembourgeois et subsidiairement à un renvoi préjudiciel.

Motifs justifiant le renvoi préjudiciel

11. D'une part, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit « qu'une décision étrangère reconnue en vertu de l'article 26 de la convention [de Bruxelles] doit déployer en principe, dans l'État requis, les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'État d'origine. » (CJCE, arrêt du 4 février 1988, Horst Ludwig Martin Hoffmann contre Adelheid Krieg, aff. 145/86).

12. D'autre part, la Cour de justice de l'Union européenne a posé le principe d'une définition autonome de la notion d'autorité de chose jugée en droit de l'Union (CJUE, arrêt du 15 novembre 2012, Gothaer Allgemeine Versicherung AG, C-456/11 points 39 et 40) comme suit : « L'exigence d'uniformité dans l'application du droit de l'Union requiert que l'étendue précise de cette restriction soit définie au niveau de l'Union plutôt que de dépendre des différentes règles nationales relatives à l'autorité de la chose jugée.

Or, la notion d'autorité de la chose jugée dans le droit de l'Union ne s'attache pas qu'au dispositif de la décision juridictionnelle en cause, mais s'étend aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et sont, de ce fait, indissociables de ce dernier (voir, notamment, arrêts du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C-442/03 P et C-471/03 P, Rec. p. I-4845, point 44, ainsi que du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C-221/10 P, point 87). »

13. La Cour se demande si la définition autonome de l'autorité de la chose jugée concerne l'ensemble des conditions et des effets de celle-ci ou si une part doit être réservée à la loi de la juridiction saisie et/ou à la loi de la juridiction qui a rendu la décision.

14. Dans la première hypothèse, elle s'interroge sur le point de savoir si deux demandes portées devant les juridictions de deux Etats membres doivent être considérées, au regard de la définition autonome de l'autorité de chose jugée, comme ayant la même cause lorsque le demandeur allègue des faits identiques mais invoque des moyens de droit différents.

15. Elle se demande plus spécialement si deux demandes fondées l'une sur la responsabilité contractuelle et l'autre sur la responsabilité délictuelle mais basées sur le même rapport de droit, tel que l'exécution d'un mandat d'administrateur, doivent être considérées comme ayant « la même cause » au sens de la jurisprudence Gubisch Maschinenfabrik (CJCE, 8 décembre 1987, aff. 144/86).

16. Dans la seconde hypothèse, la Cour se demande si l'article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 en application duquel il a été jugé qu'une décision de justice doit circuler dans les Etats membres avec la même portée et les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'Etat membre où elle a été rendue impose de se référer à la loi de la juridiction d'origine ou s'il autorise, s'agissant des conséquences procédurales qui y sont attachées, l'application de la loi du juge requis.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

« 1°/ L'article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I », doit-il être interprété en ce sens que la définition autonome de l'autorité de la chose jugée concerne l'ensemble des conditions et des effets de celle-ci ou qu'une part peut être réservée à la loi de la juridiction saisie et/ou à la loi de la juridiction qui a rendu la décision ?

2°/ Dans la première hypothèse, les demandes portées devant les juridictions de deux Etats membres doivent-elles être considérées, au regard de la définition autonome de l'autorité de chose jugée, comme ayant la même cause lorsque le demandeur allègue des faits identiques mais invoque des moyens de droit différents ?

3°/ Deux demandes fondées l'une sur la responsabilité contractuelle et l'autre sur la responsabilité délictuelle mais basées sur le même rapport de droit, tel que l'exécution d'un mandat d'administrateur, doivent-elles être considérées comme ayant la même cause ?

4°/ Dans la seconde hypothèse, l'article33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 en application duquel il a été jugé qu'une décision de justice doit circuler dans les Etats membres avec la même portée et les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'Etat membre où elle a été rendue impose-t-il de se référer à la loi de la juridiction d'origine ou autorise-t-il, s'agissant des conséquences procédurales qui y sont attachées, l'application de la loi du juge requis ?

SURSOIT à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 33, § 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I ».

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 7 juillet 2006, pourvoi n° 04-10.672, Bull. 2006, Ass. plén., n° 8 (rejet) ; 2e Civ., 25 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.524, Bull. 2007, II, n° 241 (cassation sans renvoi) ; Soc., 8 septembre 2021, pourvoi n° 19-20.538, Bull. 2021, (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne).

Com., 17 novembre 2021, n° 19-50.067, (B) (R)

Cassation partielle sans renvoi

Fin de non-recevoir – Définition – Exclusion – Cas – Répartition de compétence – Tribunal de commerce spécialement désigné

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 novembre 2019), par un jugement du 2 octobre 2019, le tribunal de commerce de Saint-Etienne, après s'être déclaré compétent, a ouvert le redressement judiciaire de la société Laurent père et fils (la société Laurent).

Les sociétés MJ Alpes et Berthelot ont été désignées mandataires judiciaires.

Les sociétés AJ UP et FHB ont été nommées administrateurs judiciaires.

Le ministère public a fait appel du jugement.

2. Par un jugement du 4 décembre 2019, la société Laurent a été mise en liquidation judiciaire, les sociétés MJ Alpes et Berthelot étant désignées liquidateurs.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

4. Les sociétés MJ Alpes, AJ UP et FHB, ès qualités, font grief à l'arrêt de dire recevables les demandes du ministère public tendant à ce que soit relevée d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne et à ce que ce tribunal soit déclaré incompétent pour connaître de la situation de la société Laurent, relevant de la compétence d'un tribunal de commerce spécialisé, alors « que les exceptions de procédure, telles qu'une exception d'incompétence, doivent à peine d'irrecevabilité être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, même lorsque les règles invoquées sont d'ordre public ; que le tribunal de commerce compétent pour connaître de l'ouverture d'une procédure collective est en principe celui du ressort dans lequel le débiteur exploite son activité artisanale ou commerciale ; que, par exception, notamment lorsque l'entreprise réalise un chiffre d'affaires supérieur à 40 millions d'euros, le tribunal compétent est le tribunal de commerce spécialisé dans le ressort duquel se situe l'activité du débiteur ; qu'en l'espèce, les sociétés AJ Up et MJ Alpes, ès qualités respectivement d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Laurent père et fils, soutenaient que l'exception d'incompétence selon laquelle seul le tribunal de commerce spécialisé de Lyon pouvait connaître de l'ouverture de la procédure collective de la société Laurent père et fils, plutôt que le tribunal de commerce de Saint-Étienne, était irrecevable dès lors qu'elle n'avait pas été soulevée dès la première instance et in limine litis ; que la cour d'appel a néanmoins considéré que le ministère public invoquait le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Étienne, ce qui constituait une fin de non-recevoir et non une exception de procédure, pouvant dès lors être invoquée en tout état de cause ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que l'incompétence du tribunal de commerce de Saint-Étienne pour connaître de l'ouverture de la procédure collective de la société Laurent père et fils, en raison du montant de son chiffre d'affaires, constituait une exception de procédure et non une fin de non-recevoir, la cour d'appel a violé les articles 74, 75 et 122 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 721-8 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 721-8 du code de commerce et l'article 74 du code de procédure civile :

5. Selon le premier de ces textes, des tribunaux de commerce spécialement désignés connaissent des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire lorsque le débiteur répond à certains critères relatifs au nombre de salariés ou au montant net du chiffre d'affaires. Ce texte ne prive pas le tribunal de commerce non spécialement désigné du pouvoir juridictionnel de connaître de ces procédures lorsque les seuils qu'il prévoit ne sont pas atteints mais détermine une règle de répartition de compétence entre les juridictions appelées à connaître des procédures, dont l'inobservation est sanctionnée par une décision d'incompétence et non par une décision d'irrecevabilité.

6. Pour déclarer recevables les demandes du ministère public tendant à obtenir de la cour d'appel qu'elle relève d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne, et qu'elle déclare ce tribunal incompétent pour connaître de la situation de la société Laurent, au motif qu'elle serait de la compétence d'un tribunal de commerce spécialisé, l'arrêt, après avoir relevé que le ministère public avait requis, devant le tribunal, l'ouverture de la procédure collective sans solliciter le dessaisissement au profit d'un tribunal spécialisé, retient que le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne sur le fondement de l'article L. 721-8 du code de commerce constitue non une exception d'incompétence, mais une fin de non-recevoir relevant de l'article 125 du code de procédure civile, au demeurant d'ordre public, pouvant être soulevée en tout état de cause.

7. En statuant ainsi, alors que la contestation par le ministère public de la compétence du tribunal de commerce de Saint Etienne pour connaître de la procédure collective de la société Laurent devait s'analyser, non en une fin de non-recevoir, mais en une exception d'incompétence, et que le ministère public, qui avait conclu au fond en première instance, n'était pas recevable à la soulever pour la première fois devant elle, la cour d'appel, qui, en application de l'article 76, alinéa 2, du code de procédure civile, n'aurait pu relever d'office l'incompétence du tribunal de commerce de Saint-Etienne, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce qu'il déclare recevables les contestations par le ministère public de la compétence et du pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne, entraîne par voie de conséquence la cassation du chef de dispositif par lequel la cour d'appel se prononce sur le chiffre d'affaires de la société Laurent pour retenir la compétence du tribunal de commerce de Saint-Etienne, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

9. Ainsi que le proposent les demandeurs au pourvoi incident, il est aussi fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. Il résulte de ce qui précède que la contestation du ministère public s'analysait en une exception d'incompétence qui était irrecevable à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevables les demandes du ministère public tendant à obtenir de la cour d'appel qu'elle déclare le tribunal de commerce de Saint-Etienne incompétent pour connaître de la situation de la société Laurent père et fils et qu'elle relève d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne, en ce que, retenant un chiffre d'affaires inférieur à 40 000 000 euros, il dit que le tribunal de commerce de Saint-Etienne, pourvu du pouvoir juridictionnel de statuer, est compétent pour suivre la procédure collective de la société Laurent père et fils, et en ce qu'il déboute le ministère public de son appel visant au renvoi de la procédure devant le tribunal de commerce spécialisé de Lyon, l'arrêt rendu le 14 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevable le ministère public en ses demandes tendant au renvoi de la procédure devant le tribunal de commerce de Lyon.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article L. 721-8 du code de commerce.

1re Civ., 24 novembre 2021, n° 20-15.789, (B)

Rejet

Procédure de médiation obligatoire et préalable de l'article L. 631-28 du code rural et de la pêche maritime – Fin de non-recevoir – Exclusion – Trouble manifestement illicite ou dommage imminent

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 février 2020), la société Cooperl arc Atlantique, coopérative agricole spécialisée dans l'achat, l'abattage et la découpe de porc, et sa filiale, la société Brocéliande-ALH, qui fabrique de la charcuterie, sont en relations d'affaires depuis 2011 avec la société Mix'buffet, qui prépare et vend des produits alimentaires.

2. Invoquant l'augmentation du cours du porc, la société Cooperl arc Atlantique a, courant juin 2019, proposé une hausse du prix de ses produits à la société Mix'buffet.

Les négociations n'ayant pas abouti, la société Cooperl arc Atlantique a, le 4 juillet 2019, notifié à la société Mix'buffet la cessation de leurs relations commerciales à compter du 3 juillet 2019 concernant deux produits.

3. Le 8 juillet 2019, la société Mix'buffet a assigné les sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH devant le juge des référés d'un tribunal de commerce aux fins de voir constater la rupture brutale des relations commerciales et ordonner leur poursuite pour une durée de douze mois avec obligation de renégocier de bonne foi les prix.

Les sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH ont opposé l'incompétence du juge des référés du tribunal de commerce au profit du juge des référés du tribunal de grande instance et, en l'absence de médiation préalable, l'irrecevabilité des demandes de la société Mix'buffet.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH font grief à l'arrêt de rejeter leur exception d'incompétence, alors « que selon l'article L. 521-1 du code rural, les sociétés coopératives agricoles ont pour objet l'utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité et que selon l'article L. 521-5 du même code, ces sociétés et leurs unions relèvent de la compétence des juridictions civiles, ce dont il ressort que les sociétés coopératives ont un objet non commercial les faisant échapper à la compétence des tribunaux de commerce, même si elles accomplissent des actes tels que des achats pour revendre, réputés actes de commerce, dès lors que ceux-ci sont effectués au profit des agriculteurs coopérateurs ; qu'en décidant néanmoins, pour retenir la compétence du juge des référés du tribunal de commerce de Rennes, que les tribunaux de commerce étaient compétent pour trancher les contestations relatives aux actes de commerce, tels que définis à l'article 632 ancien du code de commerce, que les sociétés coopératives ou leurs unions peuvent accomplir avec des tiers, bien qu'il ait été constant que la coopérative, en sa qualité de société coopérative agricole, achetait, au profit de ses agriculteurs coopérateurs, leurs produits pour les revendre à la société Mix'buffet, par l'intermédiaire de la société Brocéliande-ALH, ce dont il résultait que le tribunal de commerce de Rennes n'était pas compétent pour statuer sur le litige qui l'opposait à la société Mix'buffet, la cour d'appel a violé les articles L. 521-1 et L. 521-5 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

5. Dès lors que la cour d'appel, saisie par l'effet dévolutif, était juridiction d'appel tant du tribunal de grande instance que du tribunal de commerce, les sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH sont sans intérêt à reprocher à l'arrêt de confirmer la compétence du juge des référés de ce tribunal.

6. Le moyen est donc irrecevable.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Les sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir déclarer irrecevables les demandes formées à leur encontre par la société Mix'buffet, alors « que tout litige entre professionnels relatif à l'exécution d'un contrat ayant pour objet la vente de produits agricoles ou alimentaires doit, préalablement à toute saisine du juge et à peine d'irrecevabilité, faire l'objet d'une procédure de médiation par le médiateur des relations commerciales agricoles, sauf si le contrat prévoit un autre dispositif de médiation ou en cas de recours à l'arbitrage ; qu'en cas d'échec de la médiation menée par le médiateur des relations commerciales, toute partie au litige peut saisir le président du tribunal compétent pour qu'il statue sur le litige en la forme des référés sur la base des recommandations du médiateur des relations commerciales agricoles ; que cette exigence s'impose également dans le cadre d'une procédure de référé engagée en raison de l'urgence ; qu'en décidant néanmoins que la disposition prescrivant le recours à une médiation préalable ne prive pas le juge des référés du pouvoir de prendre toute mesure propre à faire cesser un trouble manifestement illicite si l'urgence justifie de passer outre le processus de procédure amiable, bien que l'urgence n'ait pas autorisé la société Mix'buffet à s'affranchir de l'obligation légale de soumettre le litige à la médiation du médiateur des relations commerciales agricoles, dès lors qu'il portait sur la vente de produits alimentaires, la cour d'appel a violé l'article L. 631-28 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, ensemble l'article 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. En cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, les dispositions de l'article L. 631-28 du code rural et de la pêche maritime instituant une procédure de médiation obligatoire et préalable ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés.

9. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que ces dispositions ne privaient pas la société Mix'buffet de la faculté de saisir le juge des référés sur le fondement de l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. La société Brocéliande-ALH fait grief à l'arrêt de lui ordonner sous astreinte de continuer à livrer à la société Mix'buffet, de juillet à octobre 2019, au prix accepté par celle-ci s'agissant de deux catégories de jambon, l'ensemble des produits actuellement commercialisés entre elles, et ce dans des volumes conformes au niveau des mêmes mois de l'année précédente, alors :

« 1°/ que dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH faisaient valoir qu'il ne résultait d'aucune pièce du dossier qu'elles auraient été le fournisseur exclusif de la société Mix'buffet en jambon ; qu'en affirmant néanmoins, pour retenir que les conditions de la rupture de la relation commerciale établie étaient constitutives d'un trouble manifestement illicite et de nature à causer un dommage imminent à la société Mix'buffet, qu'il n'était pas discuté que la société Cooperl arc Atlantique était son fournisseur exclusif en jambon, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de leurs conclusions d'appel, en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°/ que le juge des référés ne peut, sans excéder ses pouvoirs, imposer à l'auteur d'une rupture brutale de relations commerciales établies la poursuite de la relation commerciale en lui imposant un prix de vente de ses marchandises, si les parties n'étaient pas convenues, avant la rupture, de l'application d'un prix déterminé pendant une certaine durée ; qu'en imposant néanmoins, comme mesure conservatoire, la poursuite des relations commerciales en enjoignant à la société Brocéliande-ALH de céder ses marchandises aux prix unilatéralement fixés par la société Mix'buffet et que la société Brocéliande-ALH avait refusés lors des négociations, comme étant insuffisants, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs au regard de l'article 873 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 442-1 et L. 442-4 du code de commerce ;

3°/ que le bordereau de pièces annexé aux conclusions d'appel des sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH mentionne, en pièce n° 37, une « Attestation du Commissaire aux Comptes du 22 novembre 2019 relative aux marges brutes négatives réalisées sur la période de juillet à octobre 2019 » ; qu'en affirmant néanmoins, pour imposer à la société Brocéliande-ALH les prix de vente acceptés par la société Mix'buffet pendant les négociations tandis qu'elle les avait refusés, que les sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH se bornant à produire des documents internes, il n'était pas démontré que ces prix auraient eu pour effet d'imposer au fournisseur une marge commerciale négative, la cour d'appel a dénaturé ce bordereau de pièces, en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ qu'en se se bornant à énoncer, pour imposer à la société Brocéliande-ALH les prix de ventes acceptés par la société Mix'buffet pendant les négociations tandis qu'elle les avait refusés, qu'il n'était pas démontré que ces prix auraient eu pour effet d'imposer au fournisseur une marge commerciale négative, dès lors que les sociétés Cooperl arc Atlantique et Brocéliande-ALH se bornaient à produire des documents internes, sans rechercher, comme elle y été invitée, si cette marge brute négative était confirmée par l'attestation établie le 22 novembre 2019 par la société Rouxel Tanguy & associés - Actheos, commissaire aux comptes, laquelle avait procédé aux vérifications et rapprochements nécessaires au calcul de la perte de marge et du montant des pertes en résultant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 442-1 et L. 442-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

12. Après avoir constaté qu'une relation commerciale existait entre les parties depuis 2011, la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, qu'aucun préavis de rupture n'avait été adressé à la société Mix'buffet et qu'une telle précipitation avait causé de graves problèmes d'approvisionnement à cette société qui avait été brusquement privée d'un fournisseur stratégique pendant une période de forte activité, ce dont elle a pu déduire que cette rupture était constitutive d'un trouble manifestement illicite.

13. Elle a ainsi légalement justifié sa décision d'ordonner, afin de faire cesser le trouble constaté, le rétablissement de juillet à octobre 2019 des relations commerciales au prix majoré que la société Mix'buffet avait accepté lors des négociations ayant précédé la rupture, sans excéder ses pouvoirs ni être tenue de procéder à une recherche que la nécessité d'un tel rétablissement rendait inutile.

14. Le moyen, inopérant en ses première et troisième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Vitse - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Richard ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 631-28 du code rural et de la pêche maritime ; article 873, alinéa 1, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur les mesures pouvant être ordonnées par le juge : 1re Civ., 7 novembre 2000, pourvoi n° 99-18.576, Bull. 2000, I, n° 286 (cassation).

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