Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

PREUVE

Com., 10 novembre 2021, n° 20-14.669, (B)

Rejet

Règles générales – Moyen de preuve – Administration – Principe de loyauté – Applications diverses – Stratagème – Attestations émanant de « clients mystère » – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 février 2020), l'Union des opticiens (l'UDO), aux droits de laquelle vient le Rassemblement des opticiens de France (le ROF), syndicat professionnel ayant notamment pour mission de moraliser et défendre l'éthique de la profession des opticiens-lunetiers, a organisé la visite de « clients mystère » auprès de différents magasins d'optique, dont celui exploité par la société IMD Optic, afin de vérifier l'éventuelle pratique frauduleuse consistant à falsifier les factures en augmentant le prix des verres et en diminuant corrélativement le prix des montures, pour faire prendre en charge par les mutuelles des clients une part plus importante du prix des montures.

2. Se prévalant des témoignages de deux de ces « clientes », l'UDO a assigné la société IMD Optic en cessation des actes de concurrence déloyale et en paiement de dommages-intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

4. Le ROF fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les deux attestations et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :

« 1°/ que si le principe de loyauté de la preuve fait obstacle à la recevabilité d'une preuve recueillie par un procédé consistant à provoquer la commission d'une infraction ou d'une faute civile, il n'interdit pas l'administration de la preuve d'une telle infraction ou faute par le biais d'une attestation établie par une personne l'ayant constatée et relatant objectivement les circonstances de sa commission ; que la seule circonstance que le rédacteur de cette attestation soit rémunéré à ce titre ne caractérise pas à lui seul le caractère déloyal de ce procédé, dès lors que la personne concernée se borne à constater la commission d'un fait sans intervenir en vue de sa réalisation, et qu'elle n'est pas spécialement rétribuée en cas de constatation d'un fait déterminé ; que pour écarter les deux attestations respectivement établies par Mme [B] et par Mme [O], relatant la commission par des préposés de la société IMD Optic de fraudes aux mutuelles par falsification de factures, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas contesté que ces deux « clientes mystères » étaient rémunérées par une société Qualivox, et que la société IMD Optic justifiait par ailleurs de l'existence de trois affaires distinctes dans lesquelles l'UDO (aux droits de laquelle est venu le ROF) avait également eu recours à ces deux personnes, ce dont elle a déduit « l'existence de relations d'affaires entre le ROF et la société Qualivox et une certaine professionnalisation de ces deux clientes mystère, de nature à faire douter de leur parfaite neutralité dans l'établissement des témoignages produits dans la présente affaire, aucun élément n'étant apporté quant au mode de rémunération des clients mystère par la société QUALIVOX et le ROF affirmant, mais sans l'établir, que de nombreux clients mystère ont été envoyés dans des magasins d'optique sans constater de comportements déloyaux de la part des opticiens » ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à établir le caractère déloyal du procédé employé par l'UMO pour établir l'existence des fraudes commises par la société IMD Optic, la cour d'appel a violé l'article 9 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que ne constitue pas une mise en scène destinée à provoquer la commission d'une infraction ou d'une faute civile le fait de mandater une personne afin de se rendre dans une entreprise pour constater les modalités de facturation d'un produit afin de s'assurer de leur conformité à la législation applicable ; qu'en l'espèce, au soutien de ses demandes contre la société IMD Optic, le ROF versait aux débats deux attestations, respectivement établies par Mme [B] et par Mme [O], aux termes desquelles ces dernières indiquaient que le préposé de la société IMD Optic avait falsifié la facture d'achat de leurs lunettes, en augmentant le prix des verres, mieux remboursé par les mutuelles, et en diminuant corrélativement celui de la monture, tels qu'ils figuraient sur le devis qui leur avait été initialement présenté ; que pour écarter ces attestations comme établies en méconnaissance du principe de loyauté de la preuve, la cour d'appel a retenu que le contenu des attestations, qui montrait que les clientes mystères avaient « d'emblée appelé l'attention des opticiens sur les montants de prise en charge des verres et montures par leur mutuelle (70 euros pour la monture et 140 euros maximum par verre), ne permet pas d'écarter la thèse de l'intimée selon laquelle les opticiens ont été incités à la fraude, le remboursement des produits par la mutuelle ne pouvant être perçu par les opticiens que comme un élément déterminant de la vente » ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à établir que les clients en cause avaient provoqué la fraude à laquelle s'étaient livrés les préposés de la société IMD Optic, la cour d'appel a encore violé l'article 9 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'un mode de preuve est légalement admissible dès lors qu'il constitue le seul moyen pour celui qui l'a employé de rapporter la preuve d'un fait et que l'atteinte qu'il porte aux droits des tiers est proportionné au regard des intérêts en présence ; qu'en l'espèce, le ROF faisait valoir que la méthode dite des « visites mystères » constituait la seule façon de rapporter la preuve des éventuelles fraudes aux mutuelles que pouvaient commettre certains opticiens, et qu'elle avait pour but de constater la commission d'actes illégaux portant atteinte aux intérêts et à la réputation de la profession, et constitutifs d'actes de concurrence déloyale ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter les deux attestations versées aux débats par le syndicat exposant, que celles-ci avaient été établies en méconnaissance du principe de loyauté de la preuve, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la pratique des « visites mystères » dans le cadre desquelles avaient été établies les attestations en cause ne constituait pas le seul moyen pour le syndicat de rapporter la preuve d'éventuelles fraudes aux mutuelles par le biais de falsifications de factures, et si la production de ces attestations n'était pas proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence, en ce qu'il tendait à rapporter la preuve d'actes de nature à porter atteinte à l'intérêt collectif de la profession d'opticiens, et constitutifs de faits de concurrence déloyale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté que les deux « clientes mystère » ayant rédigé les attestations étaient rémunérées par la société Qualivox et qu'elles avaient également rédigé les attestations sur la base desquelles le ROF avait assigné trois autres opticiens début 2017, l'arrêt retient qu'il en résulte l'existence de relations d'affaires entre le ROF et la société Qualivox et une certaine professionnalisation de ces deux « clientes mystère », de nature à faire douter de leur parfaite neutralité dans l'établissement des témoignages produits, aucun élément n'étant apporté quant à leur mode de rémunération par la société Qualivox.

L'arrêt retient enfin que le contenu même des attestations montre que les « clientes mystère » ont d'emblée appelé l'attention des opticiens sur les montants de prise en charge des verres et montures par leur mutuelle, ce qui ne permet pas d'écarter la thèse de la société IMD Optic selon laquelle les opticiens ont été incités à la fraude, le remboursement des produits par la mutuelle ne pouvant être perçu par les opticiens que comme un élément déterminant de la vente.

6. De ces constatations et appréciations, dont il résulte que le syndicat a eu recours à un stratagème consistant à faire appel aux services de tiers rémunérés pour une mise en scène de nature à faire douter de la neutralité de leur comportement à l'égard de la société IMD Optic, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la troisième branche, qui ne lui était pas demandée, a pu déduire que les attestations, ainsi que les devis et factures qui les accompagnaient, avaient été obtenus de manière déloyale et étaient donc irrecevables.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Darbois (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bellino - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 9 du code de procédure civile ; article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur le principe de la loyauté de la preuve, à rapprocher : Ass. plén., 9 décembre 2019, pourvoi n° 18-86.767, Bull. 2019, (rejet).

Com., 10 novembre 2021, n° 20-14.670, (B)

Rejet

Règles générales – Moyen de preuve – Administration – Principe de loyauté – Applications diverses – Stratagème – Attestations émanant de « clients mystère » – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 mars 2020), l'Union des opticiens (l'UDO), aux droits de laquelle vient le Rassemblement des opticiens de France (le ROF), syndicat professionnel ayant notamment pour mission de moraliser et défendre l'éthique de la profession des opticiens-lunetiers, a organisé la visite de « clients mystère » auprès de différents magasins d'optique, dont celui exploité par la société Nagabbo, afin de vérifier l'éventuelle pratique frauduleuse consistant à falsifier les factures en augmentant le prix des verres et en diminuant corrélativement le prix des montures, pour faire prendre en charge par les mutuelles des clients une part plus importante du prix des montures.

2. Se prévalant des témoignages de deux de ces « clientes », l'UDO a assigné la société Nagabbo en cessation des actes de concurrence déloyale et en paiement de dommages-intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le ROF fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les deux attestations et de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :

« 1°/ que si le principe de loyauté de la preuve fait obstacle à la recevabilité d'une preuve recueillie par un procédé consistant à provoquer la commission d'une infraction ou d'une faute civile, il n'interdit pas l'administration de la preuve d'une telle infraction ou faute par le biais d'une attestation établie par une personne l'ayant constatée et relatant objectivement les circonstances de sa commission ; que la seule circonstance que le rédacteur de cette attestation soit rémunéré à ce titre ne caractérise pas à lui seul le caractère déloyal de ce procédé, dès lors que la personne concernée se borne à constater la commission d'un fait sans intervenir en vue de sa réalisation, et qu'elle n'est pas spécialement rétribuée en cas de constatation d'un fait déterminé ; que pour écarter les deux attestations respectivement établies par Mme [S] et par Mme [G], relatant la commission par des préposés de la société Nagabbo de fraudes aux mutuelles par falsification de factures, la cour d'appel a retenu que Mme [S], répondant aux questions d'un huissier sur sommation interpellative, a indiqué qu'elle avait été mandatée par la société Qualivox pour effectuer un scénario non réel dont le déroulement lui a été précisé par la société Qualivox (prétendre que les lunettes lui plaisant étaient trop chères, qu'elle ne connaissait pas le nom de sa mutuelle, qu'elle reviendrait avec cette information), qu'une prescription pour une monture de lunettes de vue lui avait été établie pour l'occasion, tout en précisant qu'elle n'avait pas besoin de lunettes, qu'il s'agissait d'une mission rémunérée au taux horaire qui ne s'était pas limitée à la société Nagabbo ; que la cour d'appel en a déduit que ce témoignage, comme celui de Mme [G] dont il n'était pas contesté qu'elle avait exécuté la même mission dans les mêmes conditions, avait été obtenu par un stratagème caractérisé par le recours à un tiers au statut non défini pour une mise en scène, et constituaient des preuves déloyales, peu important que la visite de clients mystères ait été, ou non, annoncée au préalable ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à établir le défaut d'impartialité des témoins mandatés pour effectuer les « visites mystères », ainsi que le caractère déloyal du procédé employé par l'Union des opticiens pour établir l'existence des fraudes commises par la société Nagabbo, la cour d'appel a violé l'article 9 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que ne constitue pas une mise en scène destinée à provoquer la commission d'une infraction ou d'une faute civile le fait de mandater une personne afin de se rendre dans une entreprise pour constater les modalités de facturation d'un produit et s'assurer de leur conformité à la législation applicable ; qu'en l'espèce, au soutien de ses demandes contre la société Nagabbo, le ROF versait aux débats deux attestations, respectivement établies par Mme [S] et par Mme [C], aux termes desquelles ces dernières indiquaient que le préposé de la société Nagabbo avait falsifié la facture d'achat de leurs lunettes, en augmentant le prix des verres, mieux remboursé par les mutuelles, et en diminuant corrélativement celui de la monture, tels qu'ils figuraient sur le devis qui leur avait été initialement présenté ; que pour écarter ces attestations comme établies en méconnaissance du principe de loyauté de la preuve, la cour d'appel a retenu que la « cliente mystère » avait été mandatée et rémunérée par la société Qualivox, pour effectuer un scénario non réel dont le déroulement lui avait été précisé par la société Qualivox (prétendre que les lunettes lui plaisant étaient trop chères, qu'elle ne connaissait pas le nom de sa mutuelle, qu'elle reviendrait avec cette information), ce dont elle a déduit que les attestations avaient été obtenues par un stratagème caractérisé par le recours à un tiers au statut non défini pour une mise en scène, de sorte qu'elles constituaient des preuves déloyales devant être écartées des débats ; qu'en statuant ainsi, sans qu'il résulte de ses constatations que les auteurs des attestations avaient cherché à provoquer la commission de la fraude, la cour d'appel s'est fondée sur des motifs impropres à établir le caractère déloyal du procédé employé pour recueillir les attestations litigieuses, et a encore violé l'article 9 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que les juges du fond doivent examiner, fût-ce sommairement, les pièces versées aux débats par les parties et répondre aux moyens opérants invoqués au soutien de leurs prétentions ; qu'en retenant que les témoignages de Mme [S] et de Mme [G] avaient été obtenus par un stratagème caractérisé par le recours à un tiers au statut non défini pour une mise en scène, sans procéder à la moindre analyse des attestations en cause et sans répondre au moyen invoqué par le ROF qui faisait valoir qu'il résultait de ces attestations que les « clientes mystères » n'avaient pas provoqué la commission de la fraude, le préposé de la société Nagabbo ayant de sa propre initiative proposé de falsifier les factures d'achat de lunettes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ et en tout état de cause, qu'un mode de preuve est légalement admissible dès lors qu'il constitue le seul moyen pour celui qui l'a employé de rapporter la preuve d'un fait et que l'atteinte qu'il porte aux droits des tiers est proportionné au regard des intérêts en présence ; qu'en l'espèce, le ROF faisait valoir que la méthode dite des « visites mystères » constituait la seule façon de rapporter la preuve des éventuelles fraudes aux mutuelles que pouvaient commettre certains opticiens, et qu'elle avait pour but de constater la commission d'actes illégaux portant atteinte aux intérêts et à la réputation de la profession, et constitutifs d'actes de concurrence déloyale ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter les deux attestations versées aux débats par le syndicat exposant, que celles-ci avaient été établies en méconnaissance du principe de loyauté de la preuve, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la pratique des « visites mystères » dans le cadre desquelles avaient été établies les attestations en cause ne constituait pas le seul moyen pour le syndicat de rapporter la preuve d'éventuelles fraudes aux mutuelles par le biais de falsifications de factures, et si la production de ces attestations n'était pas proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence, en ce qu'il tendait à rapporter la preuve d'actes de nature à porter atteinte à l'intérêt collectif de la profession d'opticiens, et constitutifs de faits de concurrence déloyale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir énoncé qu'en application de l'article 9 du code de procédure civile et du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, la preuve obtenue par un stratagème se caractérisant par un montage, une mise en scène, une opération clandestine, est déloyale, l'arrêt constate que les attestations produites par le ROF ont été établies par des « clientes mystère » dont l'une, répondant aux questions qui lui ont été posées par un huissier de justice sur sommation interpellative, a indiqué qu'elle avait été mandatée par la société Qualivox, spécialisée selon le ROF « dans le recrutement de ce genre de prestataires », pour effectuer un scénario non réel dont le déroulement lui avait été dicté par la société Qualivox, qu'une prescription pour une monture de lunettes de vue lui avait été établie pour l'occasion, cependant qu'elle n'avait pas besoin de lunettes et qu'il s'agissait d'une mission rémunérée au taux horaire qui ne s'était pas limitée à la société Nagabbo.

L'arrêt retient que ces éléments démontrent que ce témoignage, comme celui de l'autre « cliente mystère », dont il n'est pas contesté qu'elle a exécuté la même mission dans les mêmes conditions, ont été obtenus par un stratagème caractérisé par le recours à un tiers au statut non défini pour une mise en scène.

5. De ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte que le syndicat a eu recours à un stratagème consistant à faire appel aux services de tiers rémunérés pour une mise en scène de nature à faire douter de la neutralité de leur comportement à l'égard de la société Nagabbo, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes invoquées par la troisième branche ni d'effectuer la recherche invoquée par la quatrième branche, qui ne lui était pas demandée, a pu déduire que les attestations, les ordonnances utilisées pour se faire passer pour des clientes potentielles, ainsi que les devis, factures et feuilles de soins remis à la suite de leur mise en scène, avaient été obtenus de manière déloyale et étaient donc irrecevables.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Darbois (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bellino - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article 9 du code de procédure civile ; article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur le principe de la loyauté de la preuve, à rapprocher : Ass. plén., 9 décembre 2019, pourvoi n° 18-86.767, Bull. 2019, (rejet).

Soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263, (B)

Cassation

Règles générales – Moyen de preuve – Procédés de surveillance – Système de vidéo-surveillance – Validité – Condition

Règles générales – Moyen de preuve – Moyen illicite – Applications diverses – Système de vidéo-surveillance de sécurité des biens et des personnes utilisé aux fins de contrôle des salariés – Défaut d'information des salariés et de consultation du comité d'entreprise – Portée

Règles générales – Moyen de preuve – Moyen illicite – Applications diverses – Illicéité au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés – Rejet des débats – Appréciation – Office du juge – Contrôle de proportionnalité – Modalités – Cas – Défaut d'information des salariés sur l'utilisation d'un système de vidéo-surveillance de sécurité des biens et des personnes aux fins de contrôle des salariés – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, 14 mai 2019), Mme [L] a été engagée par la société Pharmacie mahoraise (la société), le 7 janvier 2003, en qualité de caissière.

2. Licenciée pour faute grave, par lettre du 19 juillet 2016, elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes à titre d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches

Énoncé du moyen

3. La salariée fait grief à l'arrêt de dire le licenciement fondé, de la débouter de ses demandes et de la condamner à payer à la société une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 2° / que l'employeur doit informer et consulter le comité d'entreprise de tout dispositif de contrôle de l'activité des salariés, quand bien même à l'origine, ce dispositif n'aurait pas été exclusivement destiné à opérer un tel contrôle ; qu'à défaut, les preuves obtenues par le biais de ce dispositif sont illicites ; qu'en affirmant, par motifs adoptés, que la salariée ne pouvait exciper de l'illicéité des enregistrements recueillis grâce au système de vidéosurveillance installé dans les locaux de la pharmacie, faute de consultation préalable des représentants du personnel, en ce que ni la loi, ni la jurisprudence n'imposaient une telle obligation, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, alinéa 3, du code du travail applicable à Mayotte, en vigueur à l'époque du litige ;

4°/ que l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés ; qu'en l'espèce, la note de service du 27 novembre 2015, signée par les salariés, se bornait à indiquer « par cette note de service je tiens à vous rappeler comme je l'avais fait précédemment lors d'une réunion que nous avons un système de vidéosurveillance dans le but est notre sécurité et la prévention des atteintes aux biens et aux personnes.

L'emplacement des cinq caméras doit être connu de tous les salariés à savoir : 3 caméras au rez-de-chaussée (espace parapharmacie, espace bébé et espace ordonnance) ; 2 caméras à l'étage (bureau et réserve) » ; qu'en jugeant les salariés suffisamment informés de la présence du système de vidéosurveillance installé dans les locaux de la pharmacie par cette note de service, quand il résultait de celle-ci que l'information des salariés sur ce dispositif était postérieure à sa mise en place, la cour d'appel a violé l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 dans sa version applicable, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 dudit code ;

5°/ que l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés ; que l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dans sa version applicable, prévoit que les employés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en oeuvre du système litigieux, de l'identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégorie de destinataires de données, de l'existence d'un droit d'accès aux données les concernant, d'un droit de rectification et d'un droit d'opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d'exercice de ces droits ; qu'en l'espèce, la note de service du 27 novembre 2015, signée par les salariés, se bornait à indiquer « par cette note de service je tiens à vous rappeler comme je l'avais fait précédemment lors d'une réunion que nous avons un système de vidéosurveillance dans le but est notre sécurité et la prévention des atteintes aux biens et aux personnes.

L'emplacement des cinq caméras doit être connu de tous les salariés à savoir : 3 caméras au rez-de-chaussée (espace parapharmacie, espace bébé et espace ordonnance) ; 2 caméras à l'étage (bureau et réserve)" ; qu'en revanche, cette note ne précisait pas l'identité du responsable du traitement ou de son représentant, la finalité de contrôle poursuivie par ce traitement, ou les destinataires ou catégories de destinataire des données, pas plus qu'elle n'exposait aux salariés l'existence et les modalités d'exercice de leurs droits d'accès, de rectification et d'opposition pour motif légitime ; qu'en jugeant, par motifs propres, les salariés suffisamment informés du système de vidéosurveillance installé dans les locaux de la pharmacie par cette note de service et, par motifs adoptés, que l'information des salariés n'était soumise à aucune condition de forme, la cour d'appel a violé l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 dans sa version applicable, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, l'article L. 442-6 du code du travail, applicable à Mayotte, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2006 au 1er janvier 2018 et les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Aux termes du premier de ces textes, les salariés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel, de l'identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégories de destinataires de données, de l'existence d'un droit d'accès aux données les concernant, d'un droit de rectification et d'un droit d'opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d'exercice de ces droits.

5. Selon le deuxième, le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés.

6. L'illicéité d'un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

7. Pour juger le licenciement fondé sur une faute grave et débouter la salariée de ses demandes, l'arrêt énonce que la matérialité des faits qui lui sont reprochés est corroborée par les enregistrements vidéo de la pharmacie et que c'est vainement, qu'elle argue de l'illicéité de ce mode de preuve. Il précise que la loi du 21 janvier 1995 autorise en effet l'utilisation de système de vidéosurveillance dans des lieux ou des établissements ouverts au public particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol afin d'y assurer la sécurité des biens et des personnes et que c'est bien le cas d'une pharmacie dans le contexte d'insécurité régnant à Mayotte.

8. Il ajoute que tous les salariés ont été informés de la mise en place de ce système par la note de service diffusée le 27 novembre 2015 qu'ils ont signée, y compris l'intéressée, en sorte que l'utilisation des enregistrements de vidéosurveillance comme mode de preuve est licite.

9 En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le système de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l'entreprise, permettait également de contrôler et de surveiller l'activité des salariés et avait été utilisé par l'employeur afin de recueillir et d'exploiter des informations concernant personnellement la salariée, ce dont il résultait que l'employeur aurait dû informer les salariés et consulter le comité d'entreprise sur l'utilisation de ce dispositif à cette fin et qu'à défaut, ce moyen de preuve tiré des enregistrements de la salariée était illicite et, dès lors, les prescriptions énoncées au paragraphe 6 du présent arrêt invocables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Mariette - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données ; article L. 442-6 du code du travail, applicable à Mayotte, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2006 au 1er janvier 2018 ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité d'un procédé de vidéosurveillance, à rapprocher : Soc., 10 janvier 2012, pourvoi n° 10-23.482, Bull. 2012, V, n° 2 (cassation), et l'arrêt cité. Sur l'obligation pour l'employeur d'informer et de consulter le comité d'entreprise préalablement à l'utilisation d'un dispositif de contrôle des salariés, à rapprocher : Soc., 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-11.792, Bull. 2019, (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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