Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

LOIS ET REGLEMENTS

2e Civ., 4 novembre 2021, n° 20-15.757, n° 20-15.758, n° 20-15.759, n° 20-15.760, n° 20-15.761, n° 20-15.762, n° 20-15.763, n° 20-15.764, n° 20-15.765, n° 20-15.766 et suivants, (B)

Annulation

Application dans le temps – Loi de forme ou de procédure – Application immédiate – Domaine d'application – Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 – Interprétation nouvelle par la Cour de cassation – Portée

Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue à l'article 914 du code de procédure civile de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier ou, le cas échéant, la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies.

Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel, ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

Il s'ensuit que la cour d'appel qui déclare caduque la déclaration d'appel donne une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties au jour où elles ont relevé appel antérieurement à cette date, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure instaurant une charge procédurale nouvelle, dans l'instance en cours aboutissant à priver les appelants d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-15.757, 20-15.758, 20-15.759, 20-15.760, 20-15.761, 20-15.762, 20-15.763, 20-15.764, 20-15.765, 20-15.766, 20-15.767, 20-15.768, 20-15.769, 20-15.770, 20-15.771, 20-15.772, 20-15.773, 20-15.774, 20-15.775, 20-15.776, 20-15.778, 20-15.779, 20-15.780, 20-15.781, 20-15.782, 20-15.783, 20-15.784, 20-15.785, 20-15.786, 20-15.787 ont été joints par ordonnance du président de la chambre sociale du 9 septembre 2020.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 20 décembre 2019), MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] ont, chacun, en leur qualité d'anciens salariés de la société Prevent Glass, par déclaration commune transmise sur le Réseau privé virtuel avocats (RPVA), interjeté appel de jugements du conseil des prud'hommes de Fontainebleau du 18 juillet 2018 dans une affaire les opposant à M. [O], liquidateur de la société International Corporate Investors GmbH (ICI GmbH), à la SCP Christophe Ancel prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Prevent Glass, à la société Prevent Dev GmbH et à la société Volkswagen Aktiengesellschaft et en présence de l'association AGS CGEA IDF Est UNEDIC (AGS).

3. Par ordonnance du 2 juillet 2019 rendue dans chacun des dossiers d'appel, le conseiller de la mise en état a dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer et a rejeté la demande de caducité de la déclaration d'appel présentée par les sociétés intimées.

4. Ces ordonnances ont été déférées à la cour d'appel.

Enoncé du moyen

5. MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] font grief aux arrêts d'infirmer l'ordonnance déférée du conseiller de la mise en état rejetant l'incident tendant au constat de la caducité de la déclaration d'appel et, statuant à nouveau, de prononcer cette caducité et constater l'extinction de l'appel et le dessaisissement de la cour, alors « que les conclusions d'appelant exigées par l'article 908 du code de procédure civile sont celles remises au greffe et notifiées dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel, qui déterminent l'objet du litige porté devant la cour d'appel ; que l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du même code, le respect de la diligence impartie par l'article 908 est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de l'article 954 ; que les conclusions qui présentent, au sein de leur dispositif, les prétentions de première instance qui ont été rejetée par les chefs du jugement critiqués au sein de la déclaration d'appel, déterminent l'objet du litige, peu important que ce dispositif ne comporte pas la mention spécifique d'une demande d'infirmation ou de réformation, que la discussion sur les prétentions et moyens ne développe aucune critique spécifiquement dirigée contre le jugement et que n'ait pas été respectée l'obligation d'énoncer, en amont de la discussion sur les prétentions et moyens, les chefs du jugement critiqués ;

qu'en retenant que les conclusions déposés par l'appelant ne déterminaient pas l'objet du litige aux motifs inopérants qu'elles ne critiquaient pas la décision du premier juge, qu'elles ne faisaient référence à cette dernière et qu'elles comportaient un dispositif qui ne concluait pas à l'annulation ou à l'infirmation du jugement, la cour d'appel a violé les articles 901, 908 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

6. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement.

7. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue, à l'article 914 du code de procédure civile, de relever d'office lacaducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d‘appel si les conditions en sont réunies.

8. Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour infirmer les ordonnances du conseiller de la mise en état et déclarer caduques les déclarations d'appel, les arrêts retiennent d'une part que la régularité de la déclaration d'appel ne dispense pas l'appelant d'adresser dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile des conclusions répondant aux exigences fondamentales en ce qu'elles doivent nécessairement tendre, par la critique du jugement, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel et déterminer l'objet du litige, d'autre part, que les conclusions déposées dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile ne critiquent pas la décision des premiers juges constatant la prescription de l'action et comportent un dispositif qui ne conclut pas à l'annulation ou à l'infirmation totale ou partielle du jugement.

10. En statuant ainsi, la cour d' appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 4 septembre 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure, énoncée au § 6, instaurant une charge procédurale nouvelle, dans l'instance en cours et aboutissant à priver MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts n° RG 19/07541, 19/07571, 19/07572, 19/07574, 19/07576, 19/07577, 19/07579, 19/07580, 19/07582, 19/07542, 19/07543, 19/07544, 19/07545, 19/07547, 19/07563, 19/07566, 19/07568, 19/07548, 19/07593, 19/07549, 19/07550, 19/07553, 19/07554, 19/07552, 19/07556, 19/07560, 19/07557, 19/07131, 19/07125, 19/07561, rendus le 20 décembre 2019, entre les parties, par le pôle 6 chambre 1 de la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Maunand - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Bénabent ; SAS Cabinet Colin - Stoclet ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 542, 954 et 914 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020, (rejet).

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