Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

ETAT

1re Civ., 3 novembre 2021, n° 19-25.404, (B)

Rejet

Etat étranger – Immunité d'exécution – Exclusion – Mesure d'exécution forcée en vertu d'un jugement ou d'une sentence arbitrale – Conditions – Affectation du bien saisi à une activité économique ou commerciale relevant du droit privé – Lien avec l'entité contre laquelle la procédure est intentée

1re question :

« Il résulte du droit international coutumier, tel que reflété par l'article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, qu'à défaut de renonciation à l'immunité d'exécution, ou d'affectation des biens saisis à la satisfaction de la demande, les biens d'un Etat étranger ou de ses émanations ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée, en vertu d'un jugement ou d'une sentence arbitrale, que s'il est établi que ces biens, situés sur le territoire de l'Etat du for, sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commerciales et ont un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée, sans qu'il soit nécessaire qu'ils aient un lien avec la demande en justice. »

2e question :

« Pour apprécier si les biens d'un Etat étranger ou de ses émanations sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commerciales, le droit international coutumier, tel que reflété par l'article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, n'exige pas la démonstration d'un élément intentionnel, seule la nature du bien étant prise en compte. ».

Etat étranger – Immunité d'exécution – Exclusion – Affectation du bien saisi à une activité économique ou commerciale relevant du droit privé – Nature du bien – Recherche suffisante

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 octobre 2019), sur le fondement d'un jugement du tribunal d'arrondissement d'Amsterdam du 27 septembre 2000, condamnant la société Rasheed Bank, émanation de l'Etat irakien, à lui payer diverses sommes, la société Citibank a fait pratiquer, le 28 juillet 2011, entre les mains de la société Natixis, une saisie conservatoire de créances, convertie en saisie-attribution par acte du 26 juin 2014, à la suite de l'exequatur de la décision néerlandaise.

2. La société Rasheed Bank a saisi le juge de l'exécution d'une contestation de cette saisie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, qui est irrecevable.

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième à septième branches

Enoncé du moyen

4. La société Rasheed Bank fait grief à l'arrêt de valider l'acte de conversion du 26 juin 2014, alors :

« 4°/ qu'une condition additionnelle à la mise en oeuvre d'une mesure de contrainte visant les biens d'un État étranger, non prévue par le droit international des immunités d'exécution issu de la Convention du 2 décembre de 2004, mais non explicitement interdite par elle, ne constitue pas une violation de ce droit qui, s'il fixe un plancher, ne fixe pas de plafond à la protection accordée aux Etats ; que pour valider la saisie litigieuse, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que l'article 19 de la Convention du 2 décembre 2004 " stipule que l'affectation des biens saisis à une opération relevant du droit privé constitue une condition suffisante pour permettre l'exercice d'une voie d'exécution, sans qu'il soit nécessaire que les biens aient un lien avec la demande en justice ", en déduit qu'il convient " par conséquent de vérifier si les biens saisis se rattachent à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé, ces bien devant entretenir un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée " ; qu'en statuant ainsi, quand l'exigence d'un lien entre le bien saisi et la demande, si elle n'est pas nécessaire pour respecter l'article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004, ne lui est pas contraire pour autant, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif radicalement inopérant, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que le droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et dont l'exécution d'une décision de justice constitue le prolongement nécessaire, ne s'oppose pas à une limitation à ce droit d'accès, découlant de l'immunité des Etats étrangers, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles de droit international reconnues en matière d'immunités des Etats ; que ces règles sont celles du droit coutumier international, le cas échéant reflété par la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 ; qu'en affirmant péremptoirement que " l'exigence d'un lien entre le bien saisi et la demande en justice est contraire à l'articles 6 § 1 de la CEDH, par l'atteinte disproportionné qu'elle porte sans but légitime au droit à l'exécution forcée des décision de justice du créancier ", sans établir, au préalable, que cette exigence était contraire au droit coutumier international, le cas échéant reflété par la Convention du 2 décembre 2004, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que la limitation apportée au droit d'accès à un tribunal est conciliable avec l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où elle tend à un but légitime et où il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les mesures employées et le but visé ; qu'en se bornant à retenir que " l'exigence d'un lien entre le bien saisi et la demande en justice est contraire à l'articles 6 § 1 de la CEDH, par l'atteinte disproportionné qu'elle porte sans but légitime au droit à l'exécution forcée des décision de justice du créancier ", sans établir en quoi, au regard de ses conséquences sur le terrain probatoire notamment, cette exigence limitait le droit de la société Citibank à l'exécution de la décision de justice d'une manière telle qu'il s'en trouvait atteint dans sa substance même, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

7°/ que l'article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution, qui prévoit que des mesures d'exécution forcée peuvent être autorisées en cas de jugement rendu contre un Etat étranger sur les biens spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commerciales ayant un " lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée ", ne concerne que les seules mesures d'exécution mises en oeuvre après le 10 décembre 2016, date d'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016 dont il est issu ; qu'en retenant néanmoins que cette disposition, » bien que postérieure à la saisie conservatoire et sa conversion ", devait " être appliquée au présent litige, du fait de la nécessité d'une cohérence des règles en la matière et pour des impératifs de sécurité juridique ", ce qui revenait à l'appliquer rétroactivement, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Selon le droit international coutumier, tel que reflété par l'article 19 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, à défaut de renonciation à l'immunité d'exécution, ou d'affectation des biens saisis à la satisfaction de la demande, les biens d'un Etat étranger ou de ses émanations ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée, en vertu d'un jugement ou d'une sentence arbitrale, que s'il est établi que ces biens, situés sur le territoire de l'Etat du for, sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commerciales et ont un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée.

6. La cour d'appel a énoncé à bon droit qu'il résulte du droit international coutumier, tel que reflété par la Convention précitée, qu'il n'est pas nécessaire, pour qu'ils soient saisissables, que les biens de l'émanation d'un Etat aient un lien avec la demande en justice, mais que ceux-ci doivent avoir un lien avec l'entité contre laquelle la procédure est intentée.

7. Par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par les cinquième à septième branches du moyen, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société Rasheed Bank fait le même grief à l'arrêt, alors " que les mesures d'exécution forcée ne pouvant être mises en oeuvre à l'encontre d'un Etat étranger ou de son émanation que sur des biens spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commerciales, il incombe au créancier saisissant d'établir la volonté de l'État ou de ses émanations d'affecter le bien saisi à une opération commerciale ; qu'en affirmant le contraire, au motif hypothétique qu'une telle preuve aurait été impossible », la cour d'appel a violé le droit coutumier international, tel que reflété sur ce point par la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004, ensemble, l'article 9 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. Selon le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations Unies précitée, à défaut de renonciation à l'immunité d'exécution, ou d'affectation des biens saisis à la satisfaction de la demande qui fait l'objet de cette procédure, les biens d'un Etat étranger ou de ses émanations ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée, en vertu d'un jugement ou d'une sentence arbitrale, que s'il est établi que ces biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commerciales.

10. Après avoir rappelé que l'insaisissabilité était de principe à l'égard des biens d'un État ou de ses émanations et qu'il incombait donc au créancier poursuivant de rapporter la preuve contraire, la cour d'appel a retenu que les fonds saisis avaient été déposés par la société Rasheed Bank sur un compte ouvert au titre de la constitution d'un gage-espèces, qu'il résultait d'une expertise financière que ce compte avait été constitué au milieu des années 1990, à une époque où il était constant que la société Rasheed Bank se présentait comme une banque indépendante de l'Etat irakien, réalisant des opérations commerciales courantes, ce qui constituait d'ailleurs toujours une partie de son activité, enfin que les mesures de gel des avoirs irakiens résultant des sanctions prononcés par l'ONU après le 6 août 1990 excluaient que les fonds déposés à titre de gage-espèces aient pu changer d'usage et que des mouvements aient pu ultérieurement affecter le compte litigieux.

11. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que l'actif saisi, instrument de garantie bancaire constitué à l'occasion d'opérations commerciales, était, par nature, destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales.

12. Le moyen, qui ajoute à la loi en exigeant la démonstration d'un élément intentionnel, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Leduc et Vigand -

Textes visés :

Article 19 de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 mars 1984, pourvoi n° 82-12.462, Bull. 1984, I, n° 98 (cassation).

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