Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

2e Civ., 4 novembre 2021, n° 20-15.757, n° 20-15.758, n° 20-15.759, n° 20-15.760, n° 20-15.761, n° 20-15.762, n° 20-15.763, n° 20-15.764, n° 20-15.765, n° 20-15.766 et suivants, (B)

Annulation

Article 6, § 1 – Equité – Procès équitable – Violation – Revirement de jurisprudence – Défaut de prévisibilité

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-15.757, 20-15.758, 20-15.759, 20-15.760, 20-15.761, 20-15.762, 20-15.763, 20-15.764, 20-15.765, 20-15.766, 20-15.767, 20-15.768, 20-15.769, 20-15.770, 20-15.771, 20-15.772, 20-15.773, 20-15.774, 20-15.775, 20-15.776, 20-15.778, 20-15.779, 20-15.780, 20-15.781, 20-15.782, 20-15.783, 20-15.784, 20-15.785, 20-15.786, 20-15.787 ont été joints par ordonnance du président de la chambre sociale du 9 septembre 2020.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 20 décembre 2019), MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] ont, chacun, en leur qualité d'anciens salariés de la société Prevent Glass, par déclaration commune transmise sur le Réseau privé virtuel avocats (RPVA), interjeté appel de jugements du conseil des prud'hommes de Fontainebleau du 18 juillet 2018 dans une affaire les opposant à M. [O], liquidateur de la société International Corporate Investors GmbH (ICI GmbH), à la SCP Christophe Ancel prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Prevent Glass, à la société Prevent Dev GmbH et à la société Volkswagen Aktiengesellschaft et en présence de l'association AGS CGEA IDF Est UNEDIC (AGS).

3. Par ordonnance du 2 juillet 2019 rendue dans chacun des dossiers d'appel, le conseiller de la mise en état a dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer et a rejeté la demande de caducité de la déclaration d'appel présentée par les sociétés intimées.

4. Ces ordonnances ont été déférées à la cour d'appel.

Enoncé du moyen

5. MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] font grief aux arrêts d'infirmer l'ordonnance déférée du conseiller de la mise en état rejetant l'incident tendant au constat de la caducité de la déclaration d'appel et, statuant à nouveau, de prononcer cette caducité et constater l'extinction de l'appel et le dessaisissement de la cour, alors « que les conclusions d'appelant exigées par l'article 908 du code de procédure civile sont celles remises au greffe et notifiées dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel, qui déterminent l'objet du litige porté devant la cour d'appel ; que l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du même code, le respect de la diligence impartie par l'article 908 est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de l'article 954 ; que les conclusions qui présentent, au sein de leur dispositif, les prétentions de première instance qui ont été rejetée par les chefs du jugement critiqués au sein de la déclaration d'appel, déterminent l'objet du litige, peu important que ce dispositif ne comporte pas la mention spécifique d'une demande d'infirmation ou de réformation, que la discussion sur les prétentions et moyens ne développe aucune critique spécifiquement dirigée contre le jugement et que n'ait pas été respectée l'obligation d'énoncer, en amont de la discussion sur les prétentions et moyens, les chefs du jugement critiqués ;

qu'en retenant que les conclusions déposés par l'appelant ne déterminaient pas l'objet du litige aux motifs inopérants qu'elles ne critiquaient pas la décision du premier juge, qu'elles ne faisaient référence à cette dernière et qu'elles comportaient un dispositif qui ne concluait pas à l'annulation ou à l'infirmation du jugement, la cour d'appel a violé les articles 901, 908 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

6. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement.

7. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue, à l'article 914 du code de procédure civile, de relever d'office lacaducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d‘appel si les conditions en sont réunies.

8. Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour infirmer les ordonnances du conseiller de la mise en état et déclarer caduques les déclarations d'appel, les arrêts retiennent d'une part que la régularité de la déclaration d'appel ne dispense pas l'appelant d'adresser dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile des conclusions répondant aux exigences fondamentales en ce qu'elles doivent nécessairement tendre, par la critique du jugement, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel et déterminer l'objet du litige, d'autre part, que les conclusions déposées dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile ne critiquent pas la décision des premiers juges constatant la prescription de l'action et comportent un dispositif qui ne conclut pas à l'annulation ou à l'infirmation totale ou partielle du jugement.

10. En statuant ainsi, la cour d' appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 4 septembre 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure, énoncée au § 6, instaurant une charge procédurale nouvelle, dans l'instance en cours et aboutissant à priver MM. [K], [CI], [ZS], [UI], [LM], [TZ], [JA], [BG], [FL], [D], [M], [W], [F], [C], Mme [MO], MM. [AU], [LW], [B], [YP], [T], Mme [J], MM. [PK] et [DM] [G], [N], [Z], [PU], [L], [IH], [VB] et [YZ] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts n° RG 19/07541, 19/07571, 19/07572, 19/07574, 19/07576, 19/07577, 19/07579, 19/07580, 19/07582, 19/07542, 19/07543, 19/07544, 19/07545, 19/07547, 19/07563, 19/07566, 19/07568, 19/07548, 19/07593, 19/07549, 19/07550, 19/07553, 19/07554, 19/07552, 19/07556, 19/07560, 19/07557, 19/07131, 19/07125, 19/07561, rendus le 20 décembre 2019, entre les parties, par le pôle 6 chambre 1 de la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Maunand - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Bénabent ; SAS Cabinet Colin - Stoclet ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 542, 954 et 914 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020, (rejet).

Soc., 17 novembre 2021, n° 19-16.756, (B)

Rejet

Article 6, § 1 – Principe de sécurité juridique – Violation – Exclusion – Cas – Convention individuelle de forfait en jours antérieure – Dispositions invalidés relatives aux conventions de forfait en jours – Jurisprudence invalidant des dispositions de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et commissaires aux comptes du 9 décembre 1974 – Application

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mars 2019), Mme [D] a été engagée le 5 septembre 2012 en qualité d'expert-comptable par la société BCRH & associés.

Le contrat de travail contenait une clause soumettant la salariée au régime du forfait en jours.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre 1974.

2. Après avoir démissionné le 2 juillet 2014, la salariée a saisi la juridiction prud'homale aux fins notamment de faire prononcer la nullité de la clause de forfait en jours et d'obtenir un rappel d'heures supplémentaires.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer nulle la clause de forfait en jours, de le condamner à payer à la salariée un rappel d'heures supplémentaires, une somme au titre de l'indemnité compensatrice de la contrepartie obligatoire en repos non prise et de rejeter sa demande tendant à la condamnation de la salariée à lui payer la différence entre le trop-perçu sur sa rémunération de base et la rémunération de ses heures supplémentaires, alors :

« 1°/ que les principes de proportionnalité et de sécurité juridique s'opposent à ce qu'un employeur subisse l'annulation d'une clause de forfait annuel en jours par application d'une règle jurisprudentielle qui n'était pas encore édictée au jour où elle a été souscrite ; qu'à la date de conclusion de la convention de forfait - 24 septembre 2012 -, la Cour de cassation considérait comme valable une telle clause consentie en vertu de l'article 8.1.2.5 de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et des commissaires aux comptes (Soc., 12 janvier 2011, n° 09-69.679) ; que ce n'est que par deux arrêts rendus le 14 mai 2014 (Soc., n° 12-35.033, Bull. 2011, V, n° 121, et n° 13-10.637) que la chambre sociale de la Cour de cassation a déclaré nulles les clauses de forfait annuel en jours consenties sur la base de l'article 8.1.2.5 de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et des commissaires aux comptes ; qu'en annulant néanmoins la convention de forfait litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 1134 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'il incombe au salarié de démontrer que son employeur n'a pas organisé un entretien annuel individuel portant sur sa charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération, s'il entend se prévaloir de cette circonstance à l'appui de son action en nullité de la convention de forfait annuel en jours ; que pour déclarer nulle la convention de forfait souscrite par la salariée, la cour d'appel a reproché à l'employeur de ne pas démontrer que des entretiens spécifiques avaient été organisés de nature à permettre le contrôle et le suivi de l'application des dispositions conventionnelles ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé ce faisant l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 3121-46 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige ;

3°/ que le juge qui procède à l'annulation d'une clause de forfait annuel en jours doit évaluer le montant de la créance relative aux heures supplémentaires accomplies par le salarié, sans pouvoir s'en tenir à la rémunération initialement fixée qui, par hypothèse, constituait la contrepartie du forfait annulé ; qu'en condamnant la société BCRH & associés à payer à la salariée une somme de 21 137,68 euros au titre des heures supplémentaires 2012-2014 sans s'expliquer ni sur le taux horaire qu'elle a retenu pour fixer la créance de la salariée au titre des heures supplémentaires, ni en quoi le montant réclamé par la salariée représentait la valeur exacte de la créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-39 et L. 3121-40 du code du travail en leur rédaction applicable au cas présent. »

Réponse de la Cour

4. D'abord, par son arrêt du 12 janvier 2011 (Soc., 12 janvier 2011, pourvoi n° 09-69.679), la Cour de cassation a statué non pas sur les garanties présentées par cette convention collective pour les salariés ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours mais sur la possibilité de soumettre la salariée partie au litige au régime du forfait en jours, au regard de l'autonomie dont elle disposait.

5. Par les arrêts du 14 mai 2014 (Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 12-35.033, Bull. 2014, V, n° 121 et Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 13-10.637), la Cour de cassation s'est prononcée pour la première fois sur les dispositions relatives au forfait en jours de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre 1974. Elle a censuré un arrêt ayant fait application d'une convention individuelle de forfait en jours pour débouter un salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, en affirmant que les stipulations conventionnelles n'étaient pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés concernés et que la cour d'appel aurait dû en déduire que la convention de forfait était nulle.

6. Les arrêts précités du 14 mai 2014 ne constituent donc pas un revirement de jurisprudence. Ils s'inscrivent dans le cadre d'une jurisprudence établie affirmant que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 09-71.107, Bull. 2011, V, n° 181).

7. Ensuite, l'article L. 3121-43 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, tel qu'interprété par la Cour de cassation à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, met en oeuvre, d'une part, les dispositions de cette directive qui ne permettent de déroger aux règles relatives à la durée du travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur, d'autre part, l'exigence constitutionnelle du droit à la santé et au repos qui découle du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

8. En retenant que les dispositions relatives au forfait en jours de la convention collective applicable n'étaient pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié concerné restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé, la cour d'appel a fait ressortir que la clause de forfait en jours avait été conclue sur le fondement d'un accord collectif ne satisfaisant pas aux exigences légales.

9. Il en résulte qu'en disant nulle la clause du contrat de travail relative au forfait en jours, la cour d'appel n'a pas porté atteinte à une situation juridiquement acquise et n'a violé ni l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

10. Enfin, la cour d'appel a retenu à bon droit que, la clause de forfait en jours étant nulle, la salariée pouvait prétendre à ce que les heures accomplies au-delà de la durée légale du travail soient considérées comme des heures supplémentaires et rémunérées comme telles, avec une majoration portant sur le salaire de base réel de la salariée, et que l'employeur n'était pas fondé à demander que la rémunération soit fixée sur la base du salaire minimum conventionnel.

11. Elle, a, après analyse des pièces produites par chacune des parties, évalué souverainement l'importance des heures supplémentaires et fixé les créances salariales s'y rapportant.

12. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche comme critiquant un motif surabondant, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre 1974 ; articles L. 3121-39 et L. 3121-40 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité d'une convention de forfait en jours, à rapprocher : Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 12-35.033, Bull. 2014, V, n° 121 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263, (B)

Cassation

Article 8 – Respect de la vie privée – Exercice de ce droit – Production de pièces en justice – Justifications – Atteinte proportionnée au but poursuivi – Caractérisation – Nécessité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, 14 mai 2019), Mme [L] a été engagée par la société Pharmacie mahoraise (la société), le 7 janvier 2003, en qualité de caissière.

2. Licenciée pour faute grave, par lettre du 19 juillet 2016, elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes à titre d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches

Énoncé du moyen

3. La salariée fait grief à l'arrêt de dire le licenciement fondé, de la débouter de ses demandes et de la condamner à payer à la société une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 2° / que l'employeur doit informer et consulter le comité d'entreprise de tout dispositif de contrôle de l'activité des salariés, quand bien même à l'origine, ce dispositif n'aurait pas été exclusivement destiné à opérer un tel contrôle ; qu'à défaut, les preuves obtenues par le biais de ce dispositif sont illicites ; qu'en affirmant, par motifs adoptés, que la salariée ne pouvait exciper de l'illicéité des enregistrements recueillis grâce au système de vidéosurveillance installé dans les locaux de la pharmacie, faute de consultation préalable des représentants du personnel, en ce que ni la loi, ni la jurisprudence n'imposaient une telle obligation, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, alinéa 3, du code du travail applicable à Mayotte, en vigueur à l'époque du litige ;

4°/ que l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés ; qu'en l'espèce, la note de service du 27 novembre 2015, signée par les salariés, se bornait à indiquer « par cette note de service je tiens à vous rappeler comme je l'avais fait précédemment lors d'une réunion que nous avons un système de vidéosurveillance dans le but est notre sécurité et la prévention des atteintes aux biens et aux personnes.

L'emplacement des cinq caméras doit être connu de tous les salariés à savoir : 3 caméras au rez-de-chaussée (espace parapharmacie, espace bébé et espace ordonnance) ; 2 caméras à l'étage (bureau et réserve) » ; qu'en jugeant les salariés suffisamment informés de la présence du système de vidéosurveillance installé dans les locaux de la pharmacie par cette note de service, quand il résultait de celle-ci que l'information des salariés sur ce dispositif était postérieure à sa mise en place, la cour d'appel a violé l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 dans sa version applicable, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 dudit code ;

5°/ que l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés ; que l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dans sa version applicable, prévoit que les employés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en oeuvre du système litigieux, de l'identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégorie de destinataires de données, de l'existence d'un droit d'accès aux données les concernant, d'un droit de rectification et d'un droit d'opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d'exercice de ces droits ; qu'en l'espèce, la note de service du 27 novembre 2015, signée par les salariés, se bornait à indiquer « par cette note de service je tiens à vous rappeler comme je l'avais fait précédemment lors d'une réunion que nous avons un système de vidéosurveillance dans le but est notre sécurité et la prévention des atteintes aux biens et aux personnes.

L'emplacement des cinq caméras doit être connu de tous les salariés à savoir : 3 caméras au rez-de-chaussée (espace parapharmacie, espace bébé et espace ordonnance) ; 2 caméras à l'étage (bureau et réserve)" ; qu'en revanche, cette note ne précisait pas l'identité du responsable du traitement ou de son représentant, la finalité de contrôle poursuivie par ce traitement, ou les destinataires ou catégories de destinataire des données, pas plus qu'elle n'exposait aux salariés l'existence et les modalités d'exercice de leurs droits d'accès, de rectification et d'opposition pour motif légitime ; qu'en jugeant, par motifs propres, les salariés suffisamment informés du système de vidéosurveillance installé dans les locaux de la pharmacie par cette note de service et, par motifs adoptés, que l'information des salariés n'était soumise à aucune condition de forme, la cour d'appel a violé l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 dans sa version applicable, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu les articles 1103 et 1104 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, l'article L. 442-6 du code du travail, applicable à Mayotte, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2006 au 1er janvier 2018 et les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Aux termes du premier de ces textes, les salariés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel, de l'identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégories de destinataires de données, de l'existence d'un droit d'accès aux données les concernant, d'un droit de rectification et d'un droit d'opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d'exercice de ces droits.

5. Selon le deuxième, le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés.

6. L'illicéité d'un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

7. Pour juger le licenciement fondé sur une faute grave et débouter la salariée de ses demandes, l'arrêt énonce que la matérialité des faits qui lui sont reprochés est corroborée par les enregistrements vidéo de la pharmacie et que c'est vainement, qu'elle argue de l'illicéité de ce mode de preuve. Il précise que la loi du 21 janvier 1995 autorise en effet l'utilisation de système de vidéosurveillance dans des lieux ou des établissements ouverts au public particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol afin d'y assurer la sécurité des biens et des personnes et que c'est bien le cas d'une pharmacie dans le contexte d'insécurité régnant à Mayotte.

8. Il ajoute que tous les salariés ont été informés de la mise en place de ce système par la note de service diffusée le 27 novembre 2015 qu'ils ont signée, y compris l'intéressée, en sorte que l'utilisation des enregistrements de vidéosurveillance comme mode de preuve est licite.

9 En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le système de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l'entreprise, permettait également de contrôler et de surveiller l'activité des salariés et avait été utilisé par l'employeur afin de recueillir et d'exploiter des informations concernant personnellement la salariée, ce dont il résultait que l'employeur aurait dû informer les salariés et consulter le comité d'entreprise sur l'utilisation de ce dispositif à cette fin et qu'à défaut, ce moyen de preuve tiré des enregistrements de la salariée était illicite et, dès lors, les prescriptions énoncées au paragraphe 6 du présent arrêt invocables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Mariette - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données ; article L. 442-6 du code du travail, applicable à Mayotte, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2006 au 1er janvier 2018 ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité d'un procédé de vidéosurveillance, à rapprocher : Soc., 10 janvier 2012, pourvoi n° 10-23.482, Bull. 2012, V, n° 2 (cassation), et l'arrêt cité. Sur l'obligation pour l'employeur d'informer et de consulter le comité d'entreprise préalablement à l'utilisation d'un dispositif de contrôle des salariés, à rapprocher : Soc., 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-11.792, Bull. 2019, (cassation partielle), et l'arrêt cité.

2e Civ., 25 novembre 2021, n° 20-17.234, (B) (R)

Cassation partielle

Protocole additionnel n° 1 – Article 1 – Régime complémentaire d'assurance vieillesse – Disposition s'opposant à la liquidation des retraites des assujettis n'ayant pas acquitté l'intégralité de leurs cotisations – Contrôle de proportionnalité – Cas – Non-prise en compte des paiements partiels

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 13 mai 2020), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 15 février 2018, n° 17-15.208), M. [V] (l'assuré) a été affilié à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (la Caisse) du 1er avril 1975 au 31 décembre 1997, puis à compter du 1er avril 2003.

2. Par jugement du 28 juin 2010, le tribunal de grande instance de Pau a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de l'assuré, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 6 juillet 2011 et clôturée pour insuffisance d'actif le 22 avril 2013.

3. Pour liquider les droits de l'assuré à effet du 1er janvier 2012, au titre du régime d'assurance vieillesse complémentaire des médecins d'une part, du régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés d'autre part, la caisse a exclu les années durant lesquelles les cotisations n'avaient pas été intégralement payées par l'assuré.

4. L'assuré a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. L'assuré fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que toute faute d'une caisse de retraite engage sa responsabilité, dès lors qu'elle a entraîné un préjudice ; qu'en ayant jugé que la Caisse n'avait pas commis de faute en refusant de liquider la pension de retraite de l'assuré à hauteur des montants qui lui étaient dus, prétexte pris de ce que la position que la Caisse avait adoptée avait été confirmée par des cours d'appel, la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien du code civil ;

2°/ que la faute commise par une caisse de retraite engage sa responsabilité ; qu'en ayant jugé que la Caisse n'avait pas commis de faute en refusant de liquider la pension de retraite de l'assuré à hauteur des montants qui lui étaient dus, parce que la position de principe adoptée par la Caisse avait été confirmée par des cours d'appel, quand les conséquences de l'intercurrence entre cotisations de retraite et procédure collective, en matière de liquidation à pension, avaient été clairement posées par la Cour de cassation en 2011, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 ancien du code civil ;

3°/ que le versement d'une très faible pension de retraite incite évidemment le pensionné à cumuler un emploi avec sa retraite, lorsque cette possibilité lui est ouverte ; qu'en ayant jugé, après avoir relevé que la pension servie à l'assuré par la Caisse était de seulement 378 euros net par mois, que la preuve n'était pas faite qu'il avait été contraint de reprendre une activité professionnelle pour vivre et percevoir un revenu décent, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 1382 ancien du code civil ;

4°/ que les juges du fond doivent examiner tous les éléments de preuve versés aux débats ; qu'en ayant jugé que la preuve n'était pas faite que l'assuré, qui ne percevait que 378 euros de retraite par mois, avait été contraint de reprendre une activité professionnelle pour vivre, sans prendre en compte le courrier de l'assuré du 10 mai 2013, réitérant sa demande de retraite complète auprès de la commission de recours amiable de la caisse, et exposant qu'il ne pouvait décemment vivre avec sa retraite de base et l'aide accordée par le fonds d'action sociale, de sorte qu'il se voyait contraint de rechercher des remplacements en médecine générale, la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que les juges du fond doivent répondre à toutes les conclusions opérantes des parties ; qu'en ayant jugé que l'assuré ne rapportait pas la preuve d'un préjudice en lien avec le refus de la Caisse de lui verser une pension de retraite normale, sans répondre à ses conclusions, ayant fait valoir le préjudice moral qu'il avait subi par suite de ce refus de la Caisse, pendant six ans, de lui verser les arrérages de pension auxquels il avait droit, la cour d'appel n'a pas satisfait aux prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt retient que la Caisse, dont l'analyse opposée à l'assuré avait été retenue par plusieurs cours d'appel, a adopté une position déjà judiciairement confirmée.

7. De ces énonciations, la cour d'appel a pu déduire l'absence de faute de la Caisse engageant sa responsabilité à l'égard de l'assuré.

8. Le moyen, qui n'est, dès lors, pas fondé en ses deux premières branches, est inopérant pour le surplus.

Examen du moyen relevé d'office

9. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 644-1 et L. 645-2 du code de la sécurité sociale, 2 du décret n° 49-579 du 22 avril 1949 modifié relatif au régime d'assurance vieillesse complémentaire des médecins, et 2 du décret n° 72-968 du 27 octobre 1972 modifié tendant à rendre obligatoire le régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés :

10. La Cour de cassation juge, depuis un arrêt du 17 janvier 2007 (2e Civ., 17 janvier 2007, pourvoi n° 04-30.797, Bull. 2007, II, n° 6), que si le jugement de clôture pour insuffisance d'actif n'entraîne pas l'extinction des dettes, il interdit aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, de sorte que l'absence de règlement intégral des cotisations antérieures ne prive pas l'assuré ou ses ayants droit de tout droit aux prestations, mais a seulement pour effet d'exclure la période durant laquelle des cotisations n'ont pas été payées du calcul du montant des prestations.

11. La Cour de cassation a en outre jugé, par un arrêt du 26 novembre 2020 (2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi n° 19-21.207, en cours de publication), qu'il résulte de la combinaison des quatre derniers textes susvisés, interprétés à la lumière de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'en dehors des cas qu'ils visent, le report, chaque année, au compte de l'assuré, des points de retraite au titre du régime d'assurance vieillesse complémentaire des médecins et du régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés procède exclusivement du versement, pour l'intégralité de son montant, de la cotisation annuelle prévue pour chacun de ces régimes, et ne peut donc faire l'objet d'une proratisation en fonction de la fraction de la cotisation annuelle effectivement versée par l'assuré.

12. Cependant, la Cour de cassation a jugé depuis lors, par un arrêt du 12 mai 2021 (2e Civ., 12 mai 2021, pourvoi n° 19-20.938, en cours de publication), que l'article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

13. Le réexamen des dispositions législatives et réglementaires susvisées, à la lumière de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est, dès lors, justifié.

14. Le droit individuel à pension constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

15. Les articles L. 644-1 du code de la sécurité sociale et 2 du décret du 22 avril 1949 modifié relatif au régime d'assurance vieillesse complémentaire des médecins, d'une part, les articles L. 645-2 du code de la sécurité sociale et 2 du décret du 27 octobre 1972 modifié tendant à rendre obligatoire le régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, d'autre part, qui prévoient qu'en-dehors des cas qu'ils visent, seul le paiement intégral de la cotisation annuelle due au titre de chacun de ces régimes ouvre droit à l'attribution de points de retraite, constituent une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés à ces régimes, en ce qu'ils portent une atteinte à la substance de leurs droits à pension, en les privant de la totalité des points afférents aux années pour lesquelles ils ne se sont pas acquittés du montant intégral de leur cotisation.

16. Cette ingérence repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne accessibles, précises et prévisibles, et poursuit un motif d'intérêt général en tant qu'elle contribue à l'équilibre financier des régimes de retraite concernés.

17. Toutefois, pour la détermination des droits d'un assuré faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif, au titre de ces régimes à caractère essentiellement contributif, l'exclusion des années durant lesquelles des cotisations n'ont pas été intégralement payées, sans aucune prise en compte des paiements partiels, si elle contribue à l'équilibre financier de ces régimes, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu'elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

18. Dès lors, l'application des articles L. 644-1 du code de la sécurité sociale et 2 du décret du 22 avril 1949 modifié relatif au régime d'assurance vieillesse complémentaire des médecins, d'une part, des articles L. 645-2 du code de la sécurité sociale et 2 du décret du 27 octobre 1972 modifié tendant à rendre obligatoire le régime des prestations supplémentaires de vieillesse des médecins conventionnés, d'autre part, en tant qu'ils prévoient, qu'en-dehors des cas qu'ils visent, seul le paiement intégral de la cotisation annuelle due au titre de chacun de ces régimes ouvre droit à l'attribution de points de retraite, doit être écartée.

19. Pour accueillir le recours de l'assuré, l'arrêt constate que ce dernier, ayant fait l'objet par jugement du 22 avril 2013, d'une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif, au cours de laquelle la caisse a déclaré sa créance constituée de cotisations restant dues au titre des exercices 2003 à 2011, s'est acquitté partiellement de ses cotisations au titre des deux régimes précédemment mentionnés au cours de cette période. Il énonce que si le jugement de clôture pour insuffisance d'actif n'entraîne pas l'extinction des dettes, il interdit aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, de sorte que l'absence de règlement intégral des cotisations antérieures ne prive pas l'assuré ou ses ayants droit de tout droit aux prestations, mais a seulement pour effet d'exclure la période durant laquelle des cotisations n'ont pas été payées du calcul du montant des prestations.

20. L'arrêt retient que le nombre de points peut être attribué, conformément à l'article 19, alinéa 2, des statuts du régime d'assurance vieillesse complémentaire, au prorata, arrondi au centième de point le plus proche, lorsque la cotisation est d'un montant inférieur au plafond de revenu fixé au 1er alinéa de l'article 2 du décret du 22 avril 1949, et ordonne à la caisse de procéder à la liquidation au profit de l'assuré des prestations au titre de ce régime en appliquant pour les cotisations annuelles partiellement réglées un nombre de points proportionnel au montant exigible pour l'année considérée.

21. Il ordonne également à la caisse de procéder à la liquidation de l'allocation supplémentaire de vieillesse sur la base de 91 trimestres cotisés en application de l'article 10 des statuts relatifs à ce régime.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi incident, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables les demandes de M. [V] et déboute celui-ci de ses demandes de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 13 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vigneras - Avocat général : M. Gaillardot (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Poulet-Odent ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles L. 644-1 et 645-2 du code de la sécurité sociale ; article 2 du décret n° 49-579 du 22 avril 1949 modifié relatif au régime d'assurance vieillesse complémentaire des médecins ; article 2 du décret n° 72-968 du 27 octobre 1972 modifié.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 10 octobre 2013, pourvoi n° 12-22.096, Bull. 2013, II, n° 193 (rejet).

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