Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

CONTRAT DE TRAVAIL, DUREE DETERMINEE

Soc., 17 novembre 2021, n° 20-17.526, (B)

Cassation partielle

Qualification donnée au contrat – Demande de requalification – Requalification par le juge – Effets – Etendue – Contrats à durée déterminée conclus successivement – Durée d'exécution des contrats de travail – Durée propre à chaque contrat – Modification unilatérale de la durée par l'employeur (non) – Portée

La conclusion de contrats de travail à durée déterminée, même compris dans la période objet de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, ne constitue pas une modification unilatérale du contrat de travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 13 mai 2020), M. [T] [G], dit [T] [S], a été engagé à compter de 1988, dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs, par la société Nulle part ailleurs production pour exercer les fonctions d'imitateur au cours de l'émission dénommée successivement « les arènes de l'info », puis « les guignols de l'info » et enfin « les guignols ».

2. Un terme a été mis à l'émission « les guignols » à l'issue de la saison 2017-2018.

Par lettre du 31 mai 2018, la société a informé le salarié de la fin de son contrat.

3. Le 18 mai 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une somme à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, alors « que la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail ; que le salarié ne peut obtenir des rappels de salaire au titre des périodes d'intercontrats, que s'il établit s'être, durant lesdites périodes, tenu à la disposition de l'employeur ; que, pour allouer au salarié un complément de salaire au titre des mois de septembre à décembre 2015, la cour d'appel a préalablement retenu que « suite à [la] requalification [des contrats à durée déterminée du salarié en contrat à durée indéterminée], l'employeur n'était pas fondé à opposer au salarié des modifications unilatérales du contrat quant à sa durée de travail et sa rémunération » ce dont elle a déduit que « les périodes au cours desquelles ces dernières ont été modifiées de manière unilatérale, sans que la circonstance que cela ait pu résulter de l'agencement des CDD successifs sur cette période ne soit exonératoire de l'interdiction pour l'employeur de modifier les termes du contrat, conduisent à déclarer fondées en leur principe les demandes du salarié à ce titre » ; qu'en statuant ainsi, considérant que la demande du salarié au titre de périodes non travaillées entre ses contrats à durée déterminées serait « fondées dans leur principe » dès lors que les contrats à durée déterminée successifs n'auraient pu modifier la durée du travail et la rémunération du salarié, la cour d'appel a violé L. 1245-1 et L. 1245-2 dans leur rédaction alors applicable du code du travail, ensemble les articles 1134 alinéa 1er, devenu l'article 1103 du code civil, et 1315, devenu 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1245-1, L. 1221-1 du code du travail et 1134, alinéa 1er, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. La requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

6. Il appartient au juge d'apprécier la valeur et la portée des modifications apportées par les parties aux dispositions relatives à la rémunération ou à la durée du travail résultant de la conclusion des contrats à durée déterminée concernés par cette requalification.

7. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une somme à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, l'arrêt retient que la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et qu'il convient d'apprécier la valeur et la portée, sur la rémunération du salarié, des différents contrats conclus par les parties. Il ajoute que par suite de cette requalification l'employeur n'était pas fondé à opposer au salarié des modifications unilatérales du contrat quant à sa durée de travail et sa rémunération. Il en déduit que, sous réserve de ce que le salarié justifie de s'être tenu à disposition de l'employeur, les périodes au cours desquelles ces dernières ont été modifiées de manière unilatérale, sans que la circonstance que cela ait pu résulter de l'agencement des contrats de travail à durée déterminée sur cette période ne soit exonératoire de l'interdiction pour l'employeur de modifier les termes du contrat, conduisent à déclarer fondées en leur principe les demandes du salarié à ce titre.

8. En statuant ainsi, alors que la conclusion de contrats de travail à durée déterminée, même compris dans la période objet de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, ne constitue pas une modification unilatérale du contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de rappel de salaire d'avril 2017 à mai 2018 inclus, outre les congés payés afférents, sous réserve de la déduction des cotisations sociales, alors « que pour faire droit à la demande du salarié, la cour d'appel s'est exprimée ainsi : « il demeure que les circonstances objectives de modification du format de l'émission et des conditions de travail ont correspondu à une réduction de la rémunération antérieure, alors que l'employeur ne pouvait pas modifier celle-ci sans l'accord du salarié, étant rappelé que par la convention d'exclusivité précitée » ; qu'en n'achevant pas sa phrase, la cour d'appel a statué par des motifs inintelligibles ou à tout le moins insuffisants et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

11. Pour condamner l'employeur à payer une certaine somme à titre de rappel de salaire pour la période d'avril 2017 à mai 2018, outre les congés payés afférents, l'arrêt retient que les circonstances objectives de modification du format de l'émission et des conditions de travail ont correspondu à une réduction de la rémunération antérieure, alors que l'employeur ne pouvait pas modifier celle-ci sans l'accord du salarié, dont la demande est dès lors fondée en son principe, étant rappelé que par la convention d'exclusivité précitée.

12. En statuant ainsi, par des motifs qui ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Nulle part ailleurs production à payer à M. [T] [G] les sommes de 78 875 euros, à titre de rappel de salaire brut, sous réserve de cotisations sociales outre les congés payés incidents de 7 887,50 euros, sous même réserve de 146 408,12 euros brut au titre du rappel de salaire d'avril 2017 à mai 2018 inclus, sous réserve de la déduction des cotisations sociales outre les congés payés afférents de 14 640,81 euros brut sous même réserve, de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens, l'arrêt rendu le 13 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles L. 1245-1, L. 1221-1 et 1134, alinéa 1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence d'incidence de la requalification de contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée sur les autres clauses que celles relatives au terme des contrats, à rapprocher : Soc., 5 octobre 2017, pourvoi n° 16-13.581, Bull. 2017, V, n° 172 (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur les conséquences du renouvellement d'un contrat à durée déterminée, à l'exclusion de toute modification unilatérale par l'employeur, à rapprocher : Soc., 1er février 2000, pourvoi n° 97-44.100, Bull. 2000, V, n° 47 (2) (rejet).

Soc., 17 novembre 2021, n° 20-18.336, (B)

Cassation partielle

Succession de contrats à durée déterminée – Validité – Conditions – Délai de carence – Respect – Exclusion – Cas – Détermination

Lorsque le contrat à durée déterminée est conclu pour remplacer un salarié absent, les dispositions de l'article L. 1244-1 du code du travail autorisent la conclusion de plusieurs contrats à durée déterminée successifs, sans qu'il y ait lieu à application d'un délai de carence.

Dès lors, viole le texte susvisé la cour d'appel qui requalifie en un contrat à durée indéterminée quatre contrats à durée déterminée successivement conclus par un même salarié en remplacement de quatre salariés absents au motif qu'un délai de carence n'avait pas été appliqué entre ces contrats.

Qualification donnée au contrat – Demande de requalification – Requalification par le juge – Exclusion – Cas – Succession de contrats pour remplacement de salariés absents – Conditions – Détermination

Cas de recours autorisés – Absence d'un salarié – Conditions – Absence temporaire – Définition – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 juin 2020) et les pièces de la procédure, M. [G] [G] a été engagé en qualité d'assistant de vente par la société Proseca aux droits de laquelle vient la société Argedis, suivant quatre contrats à durée déterminée successifs à compter du 5 juillet 2011. Victime, le 26 décembre 2011, d'une agression sur son lieu de travail, il a été mis en arrêt pour accident du travail.

2.Le 4 juillet 2017, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir la requalification de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et le paiement de diverses sommes à titre d'indemnités et de rappel de salaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, de dire que la rupture de ce contrat requalifié était nulle, d'ordonner la réintégration du salarié et de le condamner au paiement de diverses sommes à titre d'indemnité de requalification et de rappels de salaire, alors « que le code du travail – dans sa version applicable aux faits de l'espèce, antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et à l'ordonnance n° 2017-647 du 27 avril 2017 – distingue nettement l'hypothèse de contrats de travail à durée déterminée « successifs avec le même salarié », régie par ses articles L. 1244-1 à L. 1244-2, laquelle couvre notamment le cas des contrats successifs conclus avec un même salarié en remplacement de différents salariés absents (article L. 1244-1 du code du travail), de celle des contrats de travail à durée déterminée « successifs sur le même poste ", régie par ses articles L. 1244-3 à L. 1244-4, laquelle couvre notamment le cas des contrats successifs conclus avec un même salarié en remplacement d'un seul et même salarié faisant l'objet d'une nouvelle absence (article L. 1244-4 du code du travail) ; que dès lors qu'il résultait des constatations de la cour d'appel que l'employeur avait conclu avec le salarié, au cours des années 2011 et 2012, successivement quatre contrats de travail à durée déterminée afin de pourvoir au remplacement de quatre salariés absents distincts, ces contrats devaient être regardés comme étant exclusivement régis par l'article L. 1244-1 du code du travail ; qu'en retenant au contraire que s'appliquaient à ces contrats les articles L. 1244-3 à L. 1244-4 du code du travail et que l'employeur aurait dû, en conséquence, respecter entre chacun des contrats conclus le délai de carence prévu à l'article L. 1244-3 du code du travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1244-1 du code du travail, par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1244-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

4.Selon ce texte, les dispositions de l'article L. 1243-11 ne font pas obstacle à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié lorsque le contrat est conclu dans le cas du remplacement d'un salarié absent ou d'un salarié dont le contrat de travail est suspendu.

5. Pour requalifier les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, dire la rupture de la relation de travail nulle et condamner l'employeur à diverses sommes, l'arrêt retient qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1244-4 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, que le délai de carence de l'article L. 1244-3 du même code n'est pas applicable notamment lorsque le contrat à durée déterminée est conclu pour assurer le remplacement d'un salarié temporairement absent ou dont le contrat de travail est suspendu, en cas de nouvelle absence du salarié remplacé. Il relève que les quatre contrats souscrits visent des remplacements de quatre salariés absents distincts, le premier du 5 juillet au 15 août 2011, le second du 16 août au 12 septembre 2011, le troisième du 13 septembre au 2 octobre avec prolongation pour le même salarié jusqu'au 4 novembre, et le dernier du 16 novembre au 30 novembre prolongé pour le même salarié jusqu'au 12 décembre, puis jusqu'au 31 janvier 2012. Il en déduit que le délai de carence devait s'appliquer entre ces contrats pour les différents salariés remplacés de sorte que la requalification en contrat à durée indéterminée est acquise en application des dispositions de l'article L. 1245-1 du même code.

6. En statuant ainsi, alors que lorsque le contrat à durée déterminée est conclu pour remplacer un salarié absent, les dispositions de l'article L. 1244-1 du code du travail autorisent la conclusion de plusieurs contrats à durée déterminée successifs, sans qu'il y ait lieu à application d'un délai de carence, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que les demandes de dommages-intérêts pour violation des obligations de formation et de sécurité rattachées à l'accident du travail doivent être formées devant le tribunal judiciaire, l'arrêt rendu le 3 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 1244-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel les contrats de travail à durée déterminée pour un même salarié peuvent se succéder sans délai de carence s'ils sont conclus pour les motifs limitativement énumérés par la loi, dans le même sens que : Soc., 10 octobre 2018, pourvoi n° 17-18.294, Bull. 2018, V, (rejet), et l'arrêt cité.

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