Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

CONFLIT DE JURIDICTIONS

1re Civ., 17 novembre 2021, n° 20-19.420, (B)

Cassation

Application de la loi étrangère – Mise en oeuvre par le juge français – Application d'office – Cas – Droits indisponibles – Portée

Il résulte de l'article 3 du code civil, d'une part, qu'en matière de droits indisponibles, il incombe au juge français de mettre en oeuvre les règles de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par celles-ci, d'autre part, que les conditions de fond du mariage sont régies par la loi personnelle de chacun des époux.

Dès lors, ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui déclare irrecevable une requête en divorce d'avec une seconde épouse sans rechercher si la loi personnelle des époux, dont elle avait constaté qu'ils étaient tous deux libyens, n'autorisait pas la bigamie.

Statut personnel – Mariage – Conditions de fond – Loi applicable – Loi personnelle de chacun des époux – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 15 mai 2019), Mme [S] et M. [H], tous deux de nationalité libyenne, se sont mariés le 22 septembre 2000 en Libye.

2. Le 23 novembre 2017, Mme [S] a déposé une requête en divorce.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. Mme [S] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa requête en divorce, alors « qu'en se bornant à relever, pour statuer comme elle l'a fait, que la loi française ne reconnaissait pas le mariage bigame, de sorte que le second mariage n'avait pas d'existence légale et ne pouvait donc être dissous par une juridiction française, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la loi personnelle des époux n'autorisait pas le mariage bigame, de sorte que ce mariage, célébré à l'étranger, produisait effet en France, où il pouvait être dissous, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 et 147 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 3 du code civil :

4. Il résulte de ce texte, d'une part, qu'en matière de droits indisponibles, il incombe au juge français de mettre en oeuvre les règles de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette règle, d'autre part, que les conditions de fond du mariage sont régies par la loi personnelle de chacun des époux.

5. Pour déclarer irrecevable la requête en divorce de Mme [S], l'arrêt retient qu'avant son mariage avec celle-ci, M. [H] avait contracté une précédente union en Libye et que, la loi française ne reconnaissant pas la bigamie, ce second mariage n'a pas d'existence légale et ne peut donc être dissous par une juridiction française.

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait, si la loi personnelle des époux, dont elle avait constaté qu'ils étaient tous deux libyens, n'autorisait pas la bigamie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : Me Laurent Goldman -

Textes visés :

Article 3 du code civil.

1re Civ., 17 novembre 2021, n° 20-20.746, (B)

Rejet

Compétence internationale des juridictions françaises – Compétence en matière matrimoniale – Compétence édictée préalablement à la tentative de conciliation – Caractère autonome – Autorité de la chose jugée – Application diverses

La caducité de l'ordonnance de non-conciliation, qui résulte de l'article 1113 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2004-1158 du 29 octobre 2004, affecte les mesures provisoires fixées par cette ordonnance, ainsi que l'autorisation d'introduire l'instance, mais ne s'étend pas aux dispositions sur la compétence internationale du juge français, lesquelles, édictées préalablement à la tentative de conciliation, présentent un caractère autonome et sont revêtues de l'autorité de la chose jugée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 10 juillet 2020), M. [D] et Mme [P] se sont mariés le 7 janvier 1989 à Meknès (Maroc).

Par un jugement du 17 juin 2010, confirmé par un arrêt du 17 mai 2011 devenu irrévocable, le juge marocain, saisi par M. [D], a prononcé le divorce des époux.

Le juge aux affaires familiales, saisi en second par Mme [P], a rejeté l'exception de litispendance par une ordonnance du 22 octobre 2009, ayant force de chose jugée. Faute d'assignation dans les délais impartis par l'article 1113 du code de procédure civile, l'ordonnance de non-conciliation est devenue caduque.

2. M. [D] a sollicité l'exequatur de la décision marocaine.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième, cinquième et sixième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. M. [D] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'exequatur de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Meknès le 17 mai 2011, alors « que la caducité de l'ordonnance de non-conciliation a rendu caducs les arrêts du 1er février 2013, statuant sur l'appel de cette décision, et du 3 décembre 2010, statuant sur des demandes accessoires au divorce ; que la cour d'appel, qui s'est déterminée au regard d'une chose jugée rendue caduque par l'effet de la caducité de l'ordonnance de non-conciliation et d'une situation de litispendance qui n'existait plus au jour où elle statuait, a violé les articles 480 et, dans sa rédaction applicable, 1113 du code de procédure civile et 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La caducité de l'ordonnance de non-conciliation, qui résulte de l'article 1113 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2004-1158 du 29 octobre 2004, affecte les mesures provisoires fixées par cette ordonnance, ainsi que l'autorisation d'introduire l'instance, mais ne s'étend pas aux dispositions sur la compétence internationale du juge français, lesquelles, édictées préalablement à la tentative de conciliation, présentent un caractère autonome et sont revêtues de l'autorité de la chose jugée.

6. La cour d'appel, qui a relevé que l'ordonnance du 22 octobre 2009 avait rejeté l'exception de litispendance soulevée par M. [D] au motif qu'en application de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, la juridiction française était seule compétente, en a exactement déduit que cette décision, passée en force de chose jugée, rendait irrecevable la demande d'exequatur de la décision de divorce prononcée par les juridictions marocaines.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Ghestin -

Textes visés :

Article 1113 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2004-1158 du 29 octobre 2004.

Rapprochement(s) :

Sur les effets de la caducité de l'ordonnance de non-conciliation sur les mesures provisoires : 2e Civ., 26 juin 2003, pourvoi n° 01-14.317, Bull. 2003, II, n° 211 (rejet).

1re Civ., 3 novembre 2021, n° 20-12.006, (B)

Cassation

Compétence internationale – Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 – Article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 – Compétence en matière de responsabilité parentale – Obligation alimentaire accessoire – Critères spécifiques

Il résulte de l'article 8 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, et de l'article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires que la compétence internationale en matière de responsabilité parentale dépend d'éléments de fait et de droit distincts de ceux qui commandent la compétence en matière de désunion. Il s'en déduit la compétence à l'égard de la demande d'obligation alimentaire, lorsqu'elle est accessoire à l'action relative à la responsabilité parentale.

Compétence internationale – Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 – Article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 – Compétence en matière de responsabilité parentale – Compétence en matière de divorce – Critères distincts

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 13 novembre 2019), Mme [P], de nationalité française, et M. [Z], de nationalité belge, se sont mariés en France le 2 septembre 1995.

2. Après avoir fixé leur résidence en Belgique où sont nés leurs trois enfants, ils se sont installés en Inde le 27 juillet 2012.

3. Le 14 juin 2013, alors que la famille se trouvait en France, l'épouse a saisi le juge aux affaires familiales d'une requête en divorce. Un arrêt du 11 décembre 2018, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 15 novembre 2017, pourvoi n° 15-16.265, Bull. 2017, I, n° 232) a constaté l'incompétence des juridictions françaises pour statuer sur cette requête.

4. Le 21 novembre 2014, M. [Z] a assigné Mme [P] en la forme des référés devant le juge aux affaires familiales pour voir ordonner une expertise psychiatrique des membres de la famille et voir fixer les modalités de son droit de visite et d'hébergement. Mme [P] a sollicité reconventionnellement l'exercice exclusif de l'autorité parentale et la condamnation du père à payer une contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Mme [P] fait grief à l'arrêt de déclarer le juge français incompétent pour statuer en la forme des référés, tant sur la responsabilité parentale que sur l'obligation alimentaire, alors « que l'instance dont avait à connaître la cour d'appel d'Orléans, statuant sur appel de l'ordonnance en la forme des référé du tribunal de grande instance de Montargis du 16 juillet 2015, avait été initiée par une assignation en la forme des référés délivrée par M. [Z] le 21 novembre 2014, à une époque où la mère et les enfants résidaient depuis plus de 15 mois en France, et ne concernait nullement le divorce des époux, initiée par une assignation en date du 14 juin 2013, ainsi que le faisait valoir Mme [P], dans ses écritures ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si à la date de l'assignation en la forme des référés délivrée par M. [Z] le 21 novembre 2014, la mère et les enfants résidaient en France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 du règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 et 3 du règlement (CE) n° 4/2009. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. M. [Z] conteste la recevabilité du moyen comme étant nouveau et mélangé de fait.

8. Cependant, le moyen est né de la décision attaquée.

9. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

10. Vu l'article 8 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, et l'article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires :

11. Aux termes du premier de ces textes, les juridictions d'un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l'égard d'un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.

12. Le second dispose :

« Sont compétentes pour statuer en matière d'obligations alimentaires dans les États membres :

a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou

b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou

c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d'une action relative à l'état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d'une des parties, ou

d) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d'une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d'une des parties. »

13. La compétence internationale en matière de responsabilité parentale dépend d'éléments de fait et de droit distincts de ceux qui commandent la compétence en matière de désunion. Il s'en déduit la compétence à l'égard de la demande d'obligation alimentaire, lorsqu'elle est accessoire à l'action relative à la responsabilité parentale.

14. Pour décider que les juridictions françaises sont incompétentes, l'arrêt retient qu'après avoir fixé leur résidence en Belgique où sont nés leurs trois enfants, les époux se sont installés en Inde avec eux le 27 juillet 2012 et qu'à l'occasion d'un séjour de la famille en France, Mme [P] a, le 14 juin 2013, saisi le juge aux affaires familiales d'une requête en divorce. Il en déduit que les enfants n'avaient pas leur résidence habituelle en France, pas plus que leur père, par ailleurs, ressortissant belge.

15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était tenue, si, le 21 novembre 2014, date de l'assignation en la forme des référés relative à l'exercice du droit de visite et d'hébergement, la résidence habituelle des enfants n'était pas située en France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; Me Carbonnier -

Textes visés :

Article 8 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis ; Article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires.

Rapprochement(s) :

Sur l'articulation des compétences internationales en matière de divorce et les demandes en matière de responsabilité parentale : 1re Civ., 3 décembre 2008, pourvoi n° 07-19.657, Bull. 2008, I, n° 277 (rejet).

1re Civ., 17 novembre 2021, n° 19-23.298, (B)

Sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Effets internationaux des jugements – Chose jugée – Etendue – Détermination – Portée

Effets internationaux des jugements – Chose jugée – Part réservée à la loi de la juridiction saisie – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 juin 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 4 juillet 2018, pourvoi n° 17-20.610), la société luxembourgeoise Récamier a assigné M. [X] devant les juridictions luxembourgeoises en paiement de sommes en invoquant des détournements d'actifs commis par celui-ci dans l'exercice de ses fonctions d'administrateur.

Par un arrêt du 11 janvier 2012, la cour d'appel de Luxembourg a déclaré cette demande mal fondée. Elle a considéré que, les fautes alléguées étant celles d'un administrateur dans l'exercice de son mandat, la responsabilité de M. [X] était de nature contractuelle et que, dès lors, la demande qui était expressément fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle devait être déclarée irrecevable par application du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

2. Le 24 février 2012, la société Récamier a assigné M. [X] devant le tribunal de commerce de Nanterre en paiement des mêmes sommes, en raison des mêmes faits, sur le fondement des dispositions du droit luxembourgeois relatives à la responsabilité contractuelle.

3. Par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a déclaré irrecevable l'action de la société Récamier, aux motifs que l'autorité de chose jugée par les juridictions luxembourgeoises devait s'apprécier au regard de la loi française de procédure, selon laquelle il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci (règle dite de concentration des moyens). Elle en a déduit que les parties, leurs qualités et la chose demandée étant identiques dans l'instance ayant abouti à l'arrêt de la cour de Luxembourg et dans la présente instance et la demande indemnitaire étant fondée sur la même cause, à savoir les détournements d'actifs reprochés à M. [X], la société Récamier ne pouvait être admise à invoquer un fondement juridique différent de celui qu'elle s'était abstenue de soulever en temps utile.

Textes applicables

Le droit de l'Union

4. L'article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I », dispose : « Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. »

Le droit national

5. L'article 480 du code de procédure civile dispose : « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4. »

L'article 4, alinéa 1er, du même code dispose : « L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. »

6. L'article 1351, devenu 1355 du code civil, dispose : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, qu'elle soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

7. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation depuis un arrêt d'assemblée plénière du 7 juillet 2006 (pourvoi n° 04-10.672, Bull. civ. n° 8), il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci. Un demandeur ne peut être admis à contester l'identité de cause de deux demandes en invoquant un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile. Se heurte ainsi à l'autorité de chose jugée une partie qui agit sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice, alors que sa demande de réparation du même préjudice sur un fondement délictuel a été rejetée par une décision définitive d'une juridiction devant laquelle la responsabilité contractuelle n'avait pas été invoquée (2e Civ., 25 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.524, Bull. 2007, II, n° 241).

Position des parties

8. La société Récamier soutient que l'autorité de chose jugée de la décision luxembourgeoise ne doit pas être appréciée au regard du droit français mais qu'elle doit l'être, soit au regard d'une interprétation autonome de cette notion en droit de l'Union, soit au regard du droit luxembourgeois, dès lors que la reconnaissance d'une décision étrangère dans l'État requis ne saurait lui permettre de produire plus d'effets qu'elle n'en a dans son État d'origine et que le droit luxembourgeois ne connaît pas le principe de concentration des moyens.

9. M. [X] soutient qu'en vertu d'une règle de droit international public, chaque État a une compétence exclusive dans l'établissement de sa propre organisation interne, c'est-à-dire dans la mise en place des divers organes, la répartition des compétences entre eux, et l'élaboration de leurs règles de fonctionnement, de sorte que le droit processuel est nécessairement celui de la loi du for, et que les règles de conflit de lois ne s'appliquent pas en cette matière.

10. L'avocat général conclut principalement à l'application du droit luxembourgeois et subsidiairement à un renvoi préjudiciel.

Motifs justifiant le renvoi préjudiciel

11. D'une part, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit « qu'une décision étrangère reconnue en vertu de l'article 26 de la convention [de Bruxelles] doit déployer en principe, dans l'État requis, les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'État d'origine. » (CJCE, arrêt du 4 février 1988, Horst Ludwig Martin Hoffmann contre Adelheid Krieg, aff. 145/86).

12. D'autre part, la Cour de justice de l'Union européenne a posé le principe d'une définition autonome de la notion d'autorité de chose jugée en droit de l'Union (CJUE, arrêt du 15 novembre 2012, Gothaer Allgemeine Versicherung AG, C-456/11 points 39 et 40) comme suit : « L'exigence d'uniformité dans l'application du droit de l'Union requiert que l'étendue précise de cette restriction soit définie au niveau de l'Union plutôt que de dépendre des différentes règles nationales relatives à l'autorité de la chose jugée.

Or, la notion d'autorité de la chose jugée dans le droit de l'Union ne s'attache pas qu'au dispositif de la décision juridictionnelle en cause, mais s'étend aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et sont, de ce fait, indissociables de ce dernier (voir, notamment, arrêts du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C-442/03 P et C-471/03 P, Rec. p. I-4845, point 44, ainsi que du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C-221/10 P, point 87). »

13. La Cour se demande si la définition autonome de l'autorité de la chose jugée concerne l'ensemble des conditions et des effets de celle-ci ou si une part doit être réservée à la loi de la juridiction saisie et/ou à la loi de la juridiction qui a rendu la décision.

14. Dans la première hypothèse, elle s'interroge sur le point de savoir si deux demandes portées devant les juridictions de deux Etats membres doivent être considérées, au regard de la définition autonome de l'autorité de chose jugée, comme ayant la même cause lorsque le demandeur allègue des faits identiques mais invoque des moyens de droit différents.

15. Elle se demande plus spécialement si deux demandes fondées l'une sur la responsabilité contractuelle et l'autre sur la responsabilité délictuelle mais basées sur le même rapport de droit, tel que l'exécution d'un mandat d'administrateur, doivent être considérées comme ayant « la même cause » au sens de la jurisprudence Gubisch Maschinenfabrik (CJCE, 8 décembre 1987, aff. 144/86).

16. Dans la seconde hypothèse, la Cour se demande si l'article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 en application duquel il a été jugé qu'une décision de justice doit circuler dans les Etats membres avec la même portée et les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'Etat membre où elle a été rendue impose de se référer à la loi de la juridiction d'origine ou s'il autorise, s'agissant des conséquences procédurales qui y sont attachées, l'application de la loi du juge requis.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

« 1°/ L'article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I », doit-il être interprété en ce sens que la définition autonome de l'autorité de la chose jugée concerne l'ensemble des conditions et des effets de celle-ci ou qu'une part peut être réservée à la loi de la juridiction saisie et/ou à la loi de la juridiction qui a rendu la décision ?

2°/ Dans la première hypothèse, les demandes portées devant les juridictions de deux Etats membres doivent-elles être considérées, au regard de la définition autonome de l'autorité de chose jugée, comme ayant la même cause lorsque le demandeur allègue des faits identiques mais invoque des moyens de droit différents ?

3°/ Deux demandes fondées l'une sur la responsabilité contractuelle et l'autre sur la responsabilité délictuelle mais basées sur le même rapport de droit, tel que l'exécution d'un mandat d'administrateur, doivent-elles être considérées comme ayant la même cause ?

4°/ Dans la seconde hypothèse, l'article33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 en application duquel il a été jugé qu'une décision de justice doit circuler dans les Etats membres avec la même portée et les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'Etat membre où elle a été rendue impose-t-il de se référer à la loi de la juridiction d'origine ou autorise-t-il, s'agissant des conséquences procédurales qui y sont attachées, l'application de la loi du juge requis ?

SURSOIT à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 33, § 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I ».

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 7 juillet 2006, pourvoi n° 04-10.672, Bull. 2006, Ass. plén., n° 8 (rejet) ; 2e Civ., 25 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.524, Bull. 2007, II, n° 241 (cassation sans renvoi) ; Soc., 8 septembre 2021, pourvoi n° 19-20.538, Bull. 2021, (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne).

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