Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

BAIL (règles générales)

3e Civ., 3 novembre 2021, n° 20-16.334, (B)

Cassation partielle

Nullité – Motif étranger au comportement du preneur – Effets – Indemnité d'occupation – Versement – Obligation – Contrepartie de la jouissance des locaux – Portée

En cas d'annulation d'un bail pour un motif étranger au comportement du locataire, l'indemnité d'occupation représente la contrepartie de la jouissance des lieux. Dès lors, si le locataire n'a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n'est pas redevable d'une indemnité d'occupation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2020), la SCI [Adresse 2] (la bailleresse), propriétaire de locaux commerciaux donnés à bail à la société L'Atelier de Marrakech (la locataire), lui a délivré un commandement de payer les loyers, visant la clause résolutoire inscrite au bail.

2. La locataire a assigné la bailleresse en opposition au commandement de payer, en annulation du bail commercial, et en indemnisation de son préjudice.

3. En appel, la bailleresse a sollicité, à titre reconventionnel et subsidiaire, une indemnité d'occupation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. La bailleresse fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de la somme de 130 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que le préjudice doit être réparé sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir considéré que la SCI avait commis une faute en consentant un bail sur un local impropre à sa destination et en n'attirant pas l'attention du preneur sur l'insuffisance du réseau d'évacuation des eaux usées, a jugé que le préjudice en lien avec cette faute était constitué par l'engagement, par la société Atelier de Marrakech, de dépenses pour démarrer son exploitation ; qu'elle a alloué à ce titre, notamment, la somme de 100 000 euros correspondant au montant emprunté par la société Atelier de Marrakech pour financer les dépenses afférentes aux travaux d'aménagement, à l'amélioration et à la réparation du fonds de commerce ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le montant emprunté ne pouvait constituer, en lui-même, un préjudice réparable, seules les dépenses réellement engagées pouvant, le cas échéant, être prises en compte, et si la société Atelier de Marrakech n'établissait, pour seul montant dépensé, qu'une somme de 6 298,33 euros HT virée à la société FBS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

6. Il résulte de ce texte et de ce principe que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.

7. Pour évaluer le préjudice subi par la locataire à la somme de 130 000 euros, l'arrêt retient que le préjudice par elle subi du fait de la faute commise par la bailleresse, pour avoir consenti un bail portant sur un local impropre à sa destination et pour n'avoir pas appelé l'attention de la locataire sur l'insuffisance du réseau d'évacuation des eaux usées au regard de la destination du bail, est constitué par l'engagement de dépenses pour démarrer son exploitation, et que le prêt de 100 000 euros ayant pour objet de financer les dépenses afférentes aux travaux d'aménagement, d'amélioration et de réparation du fonds de commerce doit être pris en compte dans la détermination du préjudice indemnisable.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, le montant des dépenses financées par le prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

9. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la bailleresse une certaine somme à titre d'indemnité d'occupation, alors « qu'en cas d'annulation d'un bail commercial pour erreur sur la substance du fait que le bailleur l'a consenti sur un local impropre à sa destination contractuelle, le locataire qui, pour une raison indépendante de sa volonté, n'a pu bénéficier de la jouissance des lieux loués en raison de leur caractère inexploitable, n'a pas à verser d'indemnité d'occupation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la SCI [Adresse 2] avait consenti à la société Atelier de Marrakech un bail sur des locaux impropres à leur destination contractuelle de « traiteur-restaurant-bar », dès lors qu'en l'absence d'un réseau d'évacuation des eaux usées, cette activité ne pouvait y être exercée ; qu'en jugeant néanmoins que la société Atelier de Marrakech était redevable du paiement d'une indemnité d'occupation, peu important qu'elle n'ait pu exploiter les locaux pris à bail, la cour d'appel a violé l'article 1304 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

10. Il résulte de ce texte qu'en cas d'annulation d'un bail pour un motif étranger au comportement du preneur, l'indemnité d'occupation représente la contrepartie de la jouissance des lieux.

11. Dès lors, si le locataire n'a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n'est pas redevable d'une indemnité d'occupation.

12. Pour condamner la locataire au paiement d'une indemnité d'occupation suite à l'annulation du contrat de bail, l'arrêt énonce qu'il importe peu qu'elle n'ait pu exploiter les locaux pris à bail, la bailleresse ayant été privée de la jouissance de son bien jusqu'à la remise des clés.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la bailleresse avait consenti un bail pour un local impropre à sa destination contractuelle, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SCI [Adresse 2] à payer à la société L'Atelier de Marrakech la somme de 130 000 euros à titre de dommages-intérêts et en ce qu'il condamne la société L'Atelier de Marrakech à payer à la SCI [Adresse 2] la somme de 37 000 euros en contrepartie de la privation de jouissance du local jusqu'au 21 mars 2016, date de restitution des locaux, l'arrêt rendu le 27 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 24 juin 2009, pourvoi n° 08-12.251, Bull. 2009, III, n° 155 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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