Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2021

AVOCAT

1re Civ., 10 novembre 2021, n° 20-11.922, (B)

Cassation partielle sans renvoi

Discipline – Procédure – Conseil de l'ordre – Composition – Détermination

Il résulte de l'article 180 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, selon lequel chaque barreau réunissant plus de deux cents avocats disposant du droit de vote désigne un représentant supplémentaire et son suppléant par tranche de deux cents, qu'un représentant en sus et son suppléant sont prévus dès que le nombre minimum d'avocats votants est dépassé.

Dès lors, viole ce texte la cour d'appel qui retient que la tranche supplémentaire doit être complète et ainsi comporter au moins deux cents avocats votants pour ouvrir droit à la désignation d'un représentant supplémentaire avec son suppléant.

Conseil de l'ordre – Conseil de discipline – Composition – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 novembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 15-20.325, Bull. 2016, I, n° 62), M. [L], avocat inscrit au barreau de Seine-Saint-Denis, qui faisait l'objet de poursuites disciplinaires devant le conseil de discipline de la cour d'appel de Paris, hors Paris, a sollicité, avec onze autres personnes physiques et morales, l'annulation des délibérations des différents conseils de l'ordre ayant désigné les membres de cette formation disciplinaire et de l'élection de son président pour les années 2013 et 2014.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

2. Les ordres des avocats aux barreaux de Melun, du Val-de-Marne, de l'Essonne et de Meaux font grief à l'arrêt d'annuler les désignations des membres devant siéger au conseil régional de discipline en 2014, décidées respectivement le 19 décembre 2013 par le barreau de Seine-Saint-Denis et le 17 décembre 2013 par le barreau du Val-de-Marne, et d'annuler l'élection du président du conseil régional de discipline pour les années 2013 et 2014, alors « qu'en prononçant pour les mêmes motifs l'annulation de la désignation du président du conseil régional de discipline pour les années 2013 et 2014, la cour d'appel a, derechef, violé, ensemble, les articles 22-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 180 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. »

Réponse de la Cour

3. La cour d'appel ayant retenu que les procès-verbaux d'élection des années 2013 et 2014 présentaient une feuille d'émargement qui ne comportait pas la signature des trois personnes ayant composé le bureau de vote, pour en déduire que l'élection du président du conseil régional de discipline pour les années 2013 et 2014 devait être annulée, le moyen est inopérant.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Les ordres des avocats aux barreaux de Melun, du Val-de-Marne, de l'Essonne et de Meaux font le même grief à l'arrêt, alors « qu'à défaut d'indication expresse contraire contenue à l'article 180 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, qui fixe le nombre des membres des conseils de discipline des barreaux hors Paris proportionnellement au nombre d'avocats disposant du droit de vote dans chaque barreau, il y a lieu de considérer, en ce qui concerne les tranches supplémentaires de deux cents avocats au-delà de deux cents, que chaque tranche supplémentaire, même si elle est incomplète, doit donner lieu automatiquement à la désignation d'un membre titulaire et d'un membre suppléant ; qu'en estimant au contraire que chaque tranche devait être complète, pour annuler les désignations des membres devant siéger au conseil régional de discipline en 2014 par le barreau de la Seine-Saint-Denis et le barreau du Val-de-Marne, la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 22-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. M. [L] conteste la recevabilité du moyen et soutient qu'il est pour partie irrecevable, s'agissant de l'annulation de la désignation des membres devant siéger au conseil régional de discipline décidée le 19 décembre 2013 par le barreau de la Seine-Saint-Denis, dès lors que celui-ci n'est pas demandeur au pourvoi.

6. Cependant, les ordres des avocats aux barreaux de [Localité 35], du Val-de-Marne, de l'Essonne et de [Localité 34] ont un intérêt à agir dès lors qu'est en cause le nombre de représentants désignés au sein du conseil régional de discipline et prenant part à l'élection de son président.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Vu les articles 22-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 180 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :

8. Selon le premier de ces textes, le conseil de discipline mentionné au premier alinéa de l'article 22 est composé de représentants des conseils de l'ordre du ressort de la cour d'appel. Aucun conseil de l'ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres du conseil de discipline et chaque conseil de l'ordre désigne au moins un représentant. Des membres suppléants sont nommés dans les mêmes conditions.

9. Selon le second, le conseil de l'ordre désigne, pour siéger au conseil de discipline, un membre titulaire et un membre suppléant dans les barreaux où le nombre des avocats disposant du droit de vote est de huit à quarante-neuf, deux membres titulaires et deux membres suppléants dans les barreaux où le nombre des avocats disposant du droit de vote est de cinquante à quatre-vingt-dix-neuf, trois membres titulaires et trois membres suppléants dans les barreaux où le nombre des avocats disposant du droit de vote est de cent à deux cents. Chaque barreau réunissant plus de deux cents avocats disposant du droit de vote désigne un représentant supplémentaire et son suppléant par tranche de deux cents, sous réserve que les membres de ce barreau ne composent pas plus de la moitié du conseil de discipline de la cour d'appel.

10. Pour annuler les désignations des membres devant siéger au conseil régional de discipline en 2014 par le barreau de la Seine-Saint-Denis et le barreau du Val de Marne, l'arrêt retient que le législateur a voulu raisonner par tranche complète et qu'il s'ensuit que la tranche supplémentaire doit comporter au moins deux cents avocats votants pour ouvrir droit à la désignation d'un représentant supplémentaire avec son suppléant.

11. En statuant ainsi, alors que, pour les tranches expressément définies par l'article 180 du décret précité, un représentant en sus et son suppléant sont prévus dès que le nombre minimum d'avocats votants est dépassé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond dès lors que peut être retranché du dispositif le chef censuré.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule les désignations des membres devant siéger au conseil régional de discipline en 2014, faites respectivement le 19 décembre 2013 par le barreau de la Seine-Saint-Denis et le 17 décembre 2013 par le barreau du Val-de-Marne, l'arrêt rendu le 14 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : Mme Legoherel, MM. Chaumont et Lavigne - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; Me Le Prado -

Textes visés :

Article 22-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; article 180 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 1er juillet 2015, pourvoi n° 14-15.402, Bull. 2015, I, n° 160 (cassation).

2e Civ., 10 novembre 2021, n° 19-26.183, (B)

Rejet

Honoraires – Contestation – Convention d'honoraires – Honoraires convenus – Montant et principe de l'honoraire acceptés par le client après service rendu – Réduction – Condition

La règle selon laquelle, le client qui a librement payé les honoraires d'avocat après service rendu ne peut plus les contester, ne s'applique que lorsque le paiement est effectué en toute connaissance de cause.

Dès lors, c'est à bon droit que le premier président qui, après avoir prononcé la nullité de la convention d'honoraire n'était pas tenu de rechercher si le client a autorisé le prélèvement de l'honoraire de résultat après service rendu, fixe les honoraires par référence aux critères de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance rendue par le premier président d'une cour d'appel (Nîmes, 24 octobre 2019), M. [N], avocat, a reçu mandat de Mme [Y], selon convention d'honoraires signée le 7 octobre 2016, aux fins d'assurer la défense de ses intérêts devant la commission arbitrale des journalistes de Paris, dans une instance l'opposant à la société Midi libre.

Les parties ont conclu une convention d'honoraires aux termes de laquelle les honoraires de l'avocat seraient de 120 euros TTC, outre un honoraire complémentaire de résultat fixé selon un taux variable en considération de sommes allouées par la juridiction.

2. Contestant le montant des honoraires, Mme [Y] a saisi le 26 avril 2017 le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de [Localité 4] d'une demande de fixation de ceux-ci.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [N] fait grief à l'ordonnance de confirmer l'ordonnance du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de [Localité 4] en date du 31 octobre 2017 en ce qu'elle fixe à la somme de 1 200 euros TTC le montant de ses honoraires pour la défense des intérêts de sa cliente, Mme [Y], et le condamne à restituer à cette dernière la somme de 6 840 euros qu'elle lui avait déjà versée, alors « que toute fixation d'honoraires, qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire est interdite ; qu'est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ; qu'en annulant la convention d'honoraires en date du 7 octobre 2016 au motif que l'« honoraire de résultat est à mettre en rapport avec l'honoraire fixe de 100 euros HT, soit 120 euros TTC, et il présente un caractère manifestement dérisoire par comparaison avec l'honoraire de résultat de 6 700 euros HT, soit 8 040 euros TTC » et que « c'est en conséquence à bon droit qu'au regard de cette disproportion, le bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 4] en a déduit la nullité de la convention d'honoraires », le premier président, qui a ajouté à l'article 10 alinéa 5 de la loi du 31 décembre 1971 précité une condition de proportion qu'il ne comporte pas, a violé ce texte. »

Réponse de la Cour

4. L'ordonnance retient que Mme [Y] a obtenu un gain de 67 000 euros à la suite de la procédure devant la commission arbitrale des journalistes, pour laquelle elle a bénéficié de l'assistance de M. [N], qu'en application des dispositions de la convention d'honoraires, un honoraire de résultat de 10 % du gain obtenu, soit 6 700 euros HT, reviendrait à M. [N].

L'ordonnance ajoute que cet honoraire de résultat est à mettre en rapport avec l'honoraire fixe de 100 euros HT, soit 120 euros TTC et qu'il présente un caractère manifestement dérisoire par comparaison avec l'honoraire de résultat de 6 700 euros HT, soit 8 040 euros TTC.

5. De ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, le premier président a pu déduire que l'honoraire de diligence revêtait un caractère manifestement dérisoire par comparaison avec l'honoraire de résultat et que la convention était illicite.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. M. [N] fait le même grief à l'ordonnance, alors « que si le premier président apprécie souverainement, d'après les conventions des parties et les circonstances de la cause, le montant de l'honoraire dû à l'avocat, il ne lui appartient pas de le réduire dès lors que le principe et le montant de l'honoraire ont été acceptés par le client après service rendu, que celui-ci ait ou non été précédé d'une convention ; qu'en le condamnant à restituer à Mme [Y] la somme trop perçue de 6 840 euros qu'elle lui avait déjà versée sans rechercher si, comme il le soutenait, Mme [Y] n'avait pas autorisé le prélèvement de l'honoraire de résultat le 31 mars 2017 sur le compte CARPA, après service rendu, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des articles 1104 du code civil et 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. »

Réponse de la Cour

8. La règle selon laquelle, le client qui a librement payé les honoraires d'avocat après service rendu ne peut plus les contester, ne s'applique que lorsque le paiement est effectué en toute connaissance de cause.

9. Le premier président ayant prononcé la nullité de la convention d'honoraire, c'est par une juste application de cette règle, que sans avoir à procéder à la recherche visée au moyen, il a fixé les honoraires par référence aux critères de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 au montant qu'il a retenu.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article 10 de la loi du 31 décembre 1971.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 18 septembre 2003, pourvoi n° 01-16.013, Bull. 2003, II, n° 279 (cassation) ; 2e Civ., 6 mars 2014, pourvoi n° 13-14.922, Bull. 2014, II, n° 62 (cassation).

2e Civ., 10 novembre 2021, n° 20-14.433, (B)

Cassation

Honoraires – Contestation – Procédure – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Contestation portant sur l'identité du débiteur

Il résulte de l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que la procédure de contestation en matière d'honoraires d'avocat concerne les seules contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires, à l'exclusion, notamment, de celles afférentes à la désignation du débiteur de l'honoraire. En application des articles 49 et 378 du code de procédure civile, le premier président, saisi d'une contestation relative à l'identité du débiteur des honoraires, doit surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction compétente pour en connaître.

Dès lors, encourt la cassation l'ordonnance qui refuse de surseoir à statuer, alors même qu'était contestée l'identité du débiteur des honoraires réclamés, et se prononce sur la rémunération de l'avocat envers celui qui l'a mandaté.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Dijon, 7 janvier 2020) et les productions, Mme [K], avocate au sein de la société d'avocats BLKS et Cuinat (l'avocate), est intervenue, à la demande de M. [E] [S] pour la défense des intérêts de son frère, M. [Y] [S].

2. Le 19 janvier 2017, l'avocate a adressé à M. [E] [S] une facture d'un montant de 2 500 euros HT, soit 3 000 euros TTC, correspondant aux diligences effectuées dans ce dossier.

3. M. [E] [S] ayant refusé de régler cette facture, l'avocate a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 4] d'une demande de fixation de ses honoraires.

4. M. [E] [S], soutenant que le seul client de l'avocate est son frère, a sollicité du premier président, saisi du recours formé contre la décision rendue par le bâtonnier, un sursis à statuer dans l'attente de la décision qui serait rendue par la juridiction compétente pour trancher la question de l'identité du débiteur des honoraires.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [E] [S] fait grief à l'ordonnance de dire n'y avoir lieu à surseoir à statuer, alors « que toute juridiction saisie d'une demande de sa compétence doit surseoir à statuer lorsqu'elle a à connaître de moyens de défense relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction ; qu'en l'espèce, la première présidente de la cour d'appel était saisie d'une demande de sursis à statuer de M. [E] [S] qui soutenait que le juge de l'honoraire n'était pas compétent pour connaître de la contestation relative à la personne du débiteur ; que la juridiction, qui a dit n'y avoir lieu à sursis à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue par la juridiction compétente pour trancher cette question préalable de compétence posée par M. [E] [S], a violé l'article 277 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 49 et 378 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et les articles 49 et 378 du code de procédure civile :

6. Il résulte du premier de ces textes que la procédure de contestation en matière d'honoraires d'avocats concerne les seules contestations relatives au montant et au recouvrement de leurs honoraires, à l'exclusion, notamment, de celles afférentes à la désignation du débiteur de l'honoraire.

En application des deux derniers, le premier président, saisi d'une contestation relative à l'identité du débiteur des honoraires, doit surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction compétente pour en connaître.

7. Pour dire n'y avoir lieu de surseoir à statuer, l'ordonnance retient qu'il résulte des pièces produites que, même si le bénéficiaire de l'assistance de Mme [K] est M. [Y] [S], il n'en demeure pas moins que l'avocate, qui n'était pas de permanence pénale, est intervenue pour la défense de M. [Y] [S] à la demande de M. [E] [S] et qu'elle ne l'a défendu qu'en raison des liens confraternels qu'elle entretenait avec ce dernier et que, dès lors, c'est à juste titre qu'elle sollicite la rémunération de sa prestation envers celui qui l'a mandatée.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations qu'était contestée l'identité du débiteur des honoraires réclamés, le premier président, qui devait, dès lors, surseoir à statuer sur la fixation des honoraires dans l'attente de la décision de la juridiction compétente pour statuer sur cette question préalable, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'ordonnance en ce qu'elle rejette la demande de sursis à statuer entraîne la cassation du chef de dispositif confirmant l'ordonnance du bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 4] du 7 mars 2019 ayant condamné M. [E] [S] à payer à la société BLKS et Cuinat / Maître [K] la somme de 3 000 euros, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 7 janvier 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Dijon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; article 49 du code de procédure civile ; article 378 du code de procédure civile.

2e Civ., 10 novembre 2021, n° 20-15.361, (B)

Rejet

Représentation ou assistance en justice – Mandat de représentation – Fin – Effets – Indemnisation de la rupture brutale – Condition – Abus de droit – Caractérisation

Le mandant est libre de révoquer à tout moment son mandat, sous réserve de l'abus de droit.

Ayant relevé que l'état de dépendance de l'avocat envers le mandant n'était pas caractérisé, qu'il ne pouvait ignorer que le contentieux sériel, dont la gestion lui avait été confiée en 2009, n'était pas destiné à perdurer de sorte que la rupture, intervenue en 2015, ne pouvait être qualifiée de brutale, qu'il ne démontrait pas qu'elle aurait entraîné une désorganisation du cabinet et qu'enfin, la perte du chiffre d'affaires prétendument consécutive à la révocation du mandat n'était pas significative, la cour d'appel a pu en déduire, qu'en l'absence d'abus de droit de la part du mandant, l'avocat ne pouvait prétendre à une indemnité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 2020), la société Banque patrimoine et Immobilier (BPI), aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (Cifd), a mandaté, en 2009, la société Boukris (l'avocat), avec pour mission de représenter ses intérêts dans les actions en responsabilité et en paiement relatives aux affaires dites « Apollonia ».

2. Arguant de la réorganisation interne du groupe de sociétés auquel elle appartient, la société Cifd a mis fin, le 2 octobre 2015, au mandat conféré à l'avocat, s'agissant de la gestion des dossiers relatifs à ce contentieux, avant de le décharger, le 6 janvier 2016, des autres dossiers qu'il gérait dans son intérêt.

3. S'estimant victime d'une révocation abusive de son mandat, l'avocat a assigné la société Cifd devant un tribunal de grande instance aux fins d'indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le moyen, pris en sa première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. L'avocat fait grief à l'arrêt de le débouter de l'ensemble de ses demandes tendant à « dire et juger » que la société BPI avait rompu brutalement leur relation, de le débouter de ses demandes tendant à réparer ses préjudices financier et moral et de le condamner verser à la société Cifd la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile alors :

« 1°/ que le mandant est libre de révoquer à tout moment son mandat, sauf à ne pas commettre un abus de droit, que l'avocat et son client sont liés par un contrat de mandat qui empêche, sauf manquement grave aux obligations convenues par les parties, une rupture brutale des relations contractuelles entre les parties, qu'en l'espèce pour débouter la société Boukris de sa demande en réparation du préjudice économique et moral subi en raison de la rupture brutale des relations établies, la cour d'appel se serait bornée à considérer que le cabinet n'était pas économiquement dépendant de la société Cifd, et qu'en statuant ainsi, par des motifs prétendument impropres et inopérants à justifier sa décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et 2004 du code civil ;

2°/ que la révocation du mandat liant l'avocat à son client institutionnel devrait s'exercer en application d'un délai de préavis raisonnable ; qu'à défaut d'application des dispositions particulières de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture devrait être indemnisé sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, en affirmant, en l'espèce, qu'« au vu de la nature sérielle du contentieux qui diminuait, de l'activité même d'avocat liée à la durée des affaires en cours, du caractère intuitu personae de la relation avec son client, la rupture signifiée par courrier du 2 octobre 2015 à la société Cifd et liée à une réorganisation et à un regroupement du contentieux, ne présente pas un caractère abusif », sans vérifier, comme elle y était expressément invitée, si l'exécution d'un préavis contractuel avait été convenu par les parties et si, faute de l'avoir exécuté, la société Cifd n'avait pas brutalement rompu la relation la liant à la société Boukris, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1121 du code civil, ensemble le principe de la force obligatoire des conventions ;

3°/ qu'en tout état de cause, tout jugement doit être motivé ; que le juge ne peut statuer par voie d'affirmation ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans réserver le moindre motif à l'application d'un préavis contractuel, liant pourtant les parties, la cour d'appel a procédé par voie d'affirmation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Pour rejeter la demande d'indemnisation formée par l'avocat, l'arrêt relève que si, en 2010 et 2011, le chiffre d'affaires de l'avocat, lié aux dossiers Apollonia, a atteint 43 % du contentieux du cabinet, il avait diminué à 26 % en 2013 et 2014 et 28 % sur 9 mois en 2015, ce qui ne peut caractériser un état de dépendance.

7. La décision précise que ce contentieux sériel résultant d'un sinistre, important en nombre de dossiers à son apparition, n'était pas destiné à perdurer dans le temps ce que ne pouvait ignorer l'avocat, de sorte que la rupture, qui est intervenue en 2015, ne peut être qualifiée de brutale.

8. L'arrêt retient également que l'avocat ne démontre pas, contrairement à ce qu'il prétend, qu'il a dû procéder à une réduction de capital, en lien avec la présente affaire, qu'il ne justifie pas davantage avoir été dans l'obligation de se séparer de deux collaboratrices chargées de ce contentieux, que la rupture aurait entraîné une désorganisation du cabinet et qu'enfin, la perte du chiffres d'affaires prétendument consécutive à la révocation n'était pas significative.

9. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à relever l'absence d'une situation de dépendance économique et qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a, aux termes d'une motivation détaillée, pu en déduire que l'avocat ne pouvait prétendre à une indemnité, en l'absence d'abus de droit de la part du mandant.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

1re Civ., 10 novembre 2021, n° 20-12.235, (B)

Cassation

Responsabilité – Obligation de conseil – Rédaction d'actes – Etendue de l'obligation – Détermination – Portée

L'avocat rédacteur d'acte est tenu à l'égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d'une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues et l'existence d'une clause claire dans l'acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s'y attachent.

Responsabilité – Obligation de conseil – Définition – Existence d'une clause claire dans l'acte ne le dispensant pas d'informer toutes les parties des conséquences qui s'y attachent

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 octobre 2019), par acte sous seing privé du 30 septembre 1997, rédigé par M. [Y], avocat membre de la société [S] [Y] et associés (l'avocat), M. et Mme [J] ont acquis l'ensemble des parts de la société Café du port (la société), qui exploitait un fonds de commerce dans le port de [4], en vertu de deux contrats de concession de droit privé, conclus en 1985 et 1987 et renouvelés en 1994 et 1996 avec des porteurs d'actions d'une société chargée par la commune de l'établissement, de l'entretien et de l'exploitation du port.

2. Le 21 juin 2000, M. [J] a été, en qualité de représentant de la société, informé, par la préfecture des Alpes-Maritimes, qu'il était occupant sans droit ni titre, depuis le 17 mai 2000, du domaine public portuaire concédé à la commune et invité à enlever des installations.

3. Une ordonnance de référé du 11 octobre 2000 a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du contrat d'occupation, ordonné l'expulsion de la société et prononcé une condamnation au titre de redevances impayées.

4. Un jugement du 5 septembre 2008, confirmé par un arrêt du 17 décembre 2010, a rejeté l'action en nullité de l'acte de cession des parts sociales engagée par M. et Mme [J].

5. Reprochant à l'avocat d'avoir manqué à ses obligations de conseil, d'information et de mise en garde, en ne les alertant pas sur le caractère précaire des concessions de cellules situées sur le domaine public, M. et Mme [J] l'ont assigné en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [J] font grief à l'arrêt de rejeter toutes leurs demandes, alors « que les avocats rédacteurs d'actes sont tenus d'un devoir de conseil et d'information ; qu'en se bornant à énoncer que plusieurs dispositions de l'acte de concession attiraient clairement l'attention des cessionnaires, sur tous les mécanismes contractuels y définis, sur les particularités en résultant pour leur titre d'occupation et sur les limites consécutives des droits de la société, sans rechercher si l'avocat, rédacteur de l'acte n'avait pas manqué à son devoir d'information et de conseil, en ne mettant pas en garde M. et Mme [J], profanes en matière juridique, sur les limites de leurs droits et sur les risques encourus par la société dont ils acquéraient la totalité des parts, du fait de l'exploitation, par celle-ci d'un fonds de commerce dans des locaux, situés sur le domaine public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Il résulte de ce texte que l'avocat rédacteur d'acte est tenu à l'égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d'une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues et que l'existence d'une clause claire dans l'acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s'y attachent.

8. Pour écarter tout manquement de l'avocat à son devoir de conseil, l'arrêt retient qu'il résulte des actes de concession annexés à l'acte de vente des parts sociales, par lui dressé, que les lieux dans lesquels la société exploitait le fonds de commerce étaient situés sur le domaine public et que, même si certaines dispositions se référaient à la notion de bail, la dénomination de ces actes annexés était claire, de sorte que M. et Mme [J] avaient été informés des limites de leurs droits.

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'avocat avait spécialement mis en garde M. et Mme [J], qui acquéraient la totalité des parts de la société, sur les risques que comportait l'exploitation par celle-ci d'un fonds de commerce présentant de telles spécificités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composé.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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