Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 18 novembre 2020, n° 19-15.438, (P)

Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 – Article 10, point 1, a) – Successions – Résidence habituelle du défunt non située dans un Etat membre – Compétence subsidiaire de la juridiction d'un Etat membre – Office du juge – Etendue – Portée

Est renvoyée à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :

Les dispositions de l'article 10, point 1, a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, la juridiction d'un Etat membre dans lequel la résidence habituelle du défunt n'était pas fixée mais qui constate que celui-ci avait la nationalité de cet Etat et y possédait des biens doit, d'office, relever sa compétence subsidiaire prévue par ce texte ?

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), C... X..., de nationalité française, est décédé en France le 3 septembre 2015, laissant pour lui succéder son épouse, Mme L..., et ses trois enfants issus d'une première union, F..., S... et R... (les consorts X...).

2. Les consorts X... ont assigné Mme L... devant le président d'un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d'obtenir la désignation d'un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, en soutenant que la résidence habituelle de C... X... au jour de son décès était située en France.

3. F... X... étant décédé le 10 avril 2017, ses frère et soeur ont indiqué agir également en leur qualité d'ayants droit de celui-ci.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

5. Les consorts X... font grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de C... X... et la demande de désignation d'un mandataire successoral, alors « que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que C... X... avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 10, point 1a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, auquel le Royaume-Uni n'est pas partie, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès.

7. Cette disposition n'a pas été invoquée par les consorts X... devant la cour d'appel de Versailles, laquelle, après avoir estimé que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni, a dit que, conformément à l'article 4 du règlement, la juridiction française était incompétente pour statuer sur sa succession et désigner un mandataire successoral.

8. Il s'agit, donc, de déterminer si la cour d'appel, qui constatait que C... X... était de nationalité française et possédait des biens en France, était tenue de relever d'office sa compétence subsidiaire énoncée à l'article 10 du règlement.

9. Si l'article 15 du règlement prévoit que la juridiction d'un Etat membre saisie d'une affaire de succession pour laquelle elle n'est pas compétente en vertu de ce règlement se déclare d'office incompétente, il ne précise pas s'il lui appartient de vérifier au préalable si les conditions de sa compétence non seulement principale (article 4) mais également subsidiaire (articles 10 et 11) ne sont pas remplies.

Le règlement ne précise pas si la compétence subsidiaire présente un caractère facultatif.

10. En faveur de l'obligation pour le juge de rechercher d'office sa compétence sur le fondement de l'article 10 lorsque le défunt n'avait pas sa résidence habituelle dans un Etat membre au moment de son décès, il convient de relever que le règlement (UE) n° 650/2012 met en place un système global qui résout tous les conflits internationaux de juridictions résultant de litiges dont sont saisis les juges des États membres en matière successorale et se substitue donc à l'ensemble des solutions que ceux-ci appliquaient jusqu'alors. Il institue un système de résolutions des conflits de juridiction que les juges des Etats membres doivent appliquer d'office dès lors que le litige relève du domaine matériel couvert par le texte. Or, la compétence subsidiaire, prévue à l'article 10 du règlement a pour objet de fixer des critères de compétence applicables dans l'hypothèse où aucune juridiction d'un Etat membre ne serait compétente au regard de la règle principale énoncée à l'article 4. Il ne serait donc pas logique qu'après avoir relevé d'office la mise en oeuvre du règlement pour trancher un conflit de juridiction, les juges puissent écarter leur compétence au profit d'un Etat tiers, sur le fondement du seul l'article 4, sans avoir à vérifier au préalable leur compétence subsidiaire sur celui de l'article 10.

Au contraire, il serait plus cohérent que les juridictions saisies soient tenues de vérifier tous les critères de compétence possibles, dès lors qu'aucun autre Etat membre n'est compétent, y compris d'office. Ainsi, il n'y aurait pas lieu de distinguer l'obligation faite aux juges de rechercher d'office s'ils sont compétents selon que cette compétence résulte de l'article 4 ou de l'article 10.

11. Cependant, la règle de l'article 10, présentée par le règlement comme subsidiaire, a pour effet de déroger au principe d'unité des compétences judiciaire et législative qui innerve le règlement dont le considérant 23 insiste sur la nécessité « d'assurer une bonne administration de la justice au sein de l'Union et de veiller à ce qu'un lien de rattachement réel existe entre la succession et l'Etat membre dans lequel la compétence est exercée » puisque lorsqu'une juridiction de l'Etat dans lequel le défunt n'avait pas sa compétence habituelle se reconnaît compétente sur le fondement de l'article 10, elle sera néanmoins conduite à appliquer la loi de l'Etat de résidence habituelle, sauf s'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un autre Etat (article 21 du règlement) ou avait fait le choix exprès de la loi d'un autre Etat (article 22). Il parait dès lors difficile d'admettre qu'une règle de compétence qualifiée comme subsidiaire, qui déroge aux principes généraux qui servent de fondement au règlement, doit être obligatoirement relevée par les juges, même si les parties ne l'invoquent pas.

Par ailleurs, si le règlement prévoit expressément, à l'article 15, l'obligation pour le juge incompétent de relever d'office son incompétence, il ne prévoit aucune disposition équivalente en cas de compétence. Rien dans le règlement ne permet de considérer que le juge d'un Etat membre, saisi sur le fondement de l'article 4, doit rechercher d'office si sa compétence est acquise en application d'une autre règle, notamment de l'article 10 qui ne prévoit qu'une compétence subsidiaire. Cette asymétrie s'explique par le fait que l'objectif de la règle de l'article 15 est de faciliter la reconnaissance et l'exécution des décisions prises par une juridiction qui s'est reconnue compétente et d'éviter qu'il ne puisse être objecté ensuite dans un autre Etat membre qu'elle n'était en réalité pas compétente. Enfin, les règles sur les successions relèvent, au sens du règlement, des droits disponibles, puisque cet instrument autorise les parties à convenir de la compétence par une convention d'élection de for (article 5) et retient la possibilité pour une juridiction de se déclarer compétente sur le fondement de la seule comparution (article 9). Il serait dès lors illogique que le juge soit tenu de relever un critère subsidiaire de compétence que les parties n'ont pas envisagé de soulever.

12. Il existe un doute raisonnable sur la réponse qui peut être apportée à cette question, qui est déterminante pour la solution du litige que doit trancher la Cour de cassation.

13. Il s'ensuit qu'il convient d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante :

« Les dispositions de l'article 10, point 1a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, la juridiction d'un Etat membre dans lequel la résidence habituelle du défunt n'était pas fixée mais qui constate que celui-ci avait la nationalité de cet Etat et y possédait des biens doit, d'office, relever sa compétence subsidiaire prévue par ce texte ? » ;

SURSOIT à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

RENVOIE la cause et les parties à l'audience de formation de section du 6 juillet 2021.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 10, point 1, a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

Com., 4 novembre 2020, n° 16-28.281, (P)

Cassation

Marque – Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 – Déchéance d'une marque – Effets – Portée – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 septembre 2016), M. B... était titulaire de la marque française semi-figurative « Saint Germain » n° 3 395 502, déposée le 5 décembre 2005 pour désigner, en classes 30, 32 et 33, notamment les boissons alcooliques (à l'exception des bières), cidres, digestifs, vins et spiritueux, extraits ou essences alcooliques.

2. Ayant appris que la société Cooper International Spirits distribuait une liqueur de sureau sous la dénomination « St-Germain », fabriquée par la société St Dalfour et un sous-traitant de cette dernière, la société Etablissements Gabriel Boudier, M. B... a, le 8 juin 2012, assigné ces trois

sociétés en contrefaçon de marque.

3. Ayant été déchu de ses droits sur la marque « Saint Germain » pour les produits précités à compter du 13 mai 2011, par un arrêt, devenu irrévocable, rendu dans une autre instance le 11 février 2014, M. B... a maintenu ses demandes pour la période non couverte par la prescription et antérieure à la déchéance, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011.

4. Par un arrêt du 26 septembre 2018, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive n° 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. B... fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes, alors « qu'au cours de la période de cinq ans qui suit l'enregistrement d'une marque, le titulaire de la marque peut interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique ou similaire à sa marque et susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, sans devoir démontrer un usage sérieux de ladite marque pour ces produits ou ces services ; qu'en retenant que M. B... ne pouvait se prévaloir ni d'une atteinte à la fonction de garantie d'origine de la marque « Saint Germain », ni d'une atteinte portée au monopole d'exploitation conféré par sa marque, ni même d'une atteinte à la fonction d'investissement de la marque, motifs pris qu'il avait échoué à démontrer que sa marque avait été réellement exploitée, cependant qu'il pouvait interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique ou similaire à sa marque et susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, sans devoir démontrer un usage sérieux de la marque « Saint Germain » et, partant, sans démontrer qu'elle était effectivement exploitée, la cour d'appel a violé les articles L. 713-3 et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 713-3, b) et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, tels qu'interprétés à la lumière des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques :

6. Le premier de ces textes interdit, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement.

7. Le second de ces textes sanctionne par la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la déchéance ne pouvant prendre effet avant l'expiration de ce délai.

8. Répondant à la question préjudicielle précitée, la CJUE, par un arrêt du 26 mars 2020 (Cooper International Spirits e. a., C-622/18), a dit pour droit que « l'article 5, paragraphe 1, sous b), l'article 10, paragraphe 1, premier alinéa, et l'article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, lus conjointement avec le considérant 6 de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens qu'ils laissent aux États membres la faculté de permettre que le titulaire d'une marque déchu de ses droits à l'expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l'État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l'indemnisation du préjudice subi en raison de l'usage, par un tiers, antérieurement à la date d'effet de la déchéance, d'un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque. »

9. A cet égard, la CJUE a précisé qu'il convenait d'apprécier, au cours de la période de cinq ans suivant l'enregistrement de la marque, l'étendue du droit exclusif conféré au titulaire, en se référant aux éléments résultant de l'enregistrement de la marque et non pas par rapport à l'usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période (arrêt précité, points 38 et 39).

10. Par conséquent, la déchéance d'une marque, prononcée en application de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, ne produisant effet qu'à l'expiration d'une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, son titulaire est en droit de se prévaloir de l'atteinte portée à ses droits sur la marque qu'ont pu lui causer les actes de contrefaçon intervenus avant sa déchéance.

11. Pour rejeter les demandes formées par M. B..., l'arrêt retient que celui-ci ne justifie d'aucune exploitation de la marque depuis son dépôt et en déduit que, faute pour la marque d'avoir été mise en contact avec le consommateur, son titulaire ne peut arguer ni d'une atteinte à sa fonction de garantie d'origine, ni d'une atteinte portée au monopole d'exploitation conférée par ladite marque, ni encore d'une atteinte à sa fonction d'investissement.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

13. M. B... fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut dénaturer le contenu des documents qui lui sont soumis ; qu'en retenant que « les pièces produites par M. B... pour justifier que la liqueur de sureau supportant le signe « St-Germain » a été commercialisée sont, à l'exception d'une seule, postérieures au 13 mai 2011 », cependant que M. B... produisait un nombre très important de pièces, en l'occurrence des bons de commande, bons de livraison et de factures datés de mai 2009 à mai 2011, chaque document portant la mention « St-Germain » et étant relatif à la vente de bouteilles d'alcool sous ce nom en France, démontrant ainsi sans équivoque que la société SAEGB avait fabriqué et vendu en France les liqueurs issues de sa fabrication à la société Cooper International Spirits, et à compter de 2009 à la société française St Dalfour et que la société St Dalfour avait fabriqué et vendu en France les produits « St-Germain » à la société Cooper International Spirits en France, la cour d'appel a dénaturé le contenu clair et précis des pièces produites par M. B... en méconnaissance de l'obligation, pour le juge, de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

14. Pour rejeter les demandes formées par M. B..., l'arrêt retient encore que les pièces produites par celui-ci pour justifier que la liqueur de sureau supportant le signe « St-Germain » avait été commercialisée par les sociétés poursuivies durant la période considérée sont, à l'exception d'une seule, postérieures au 13 mai 2011, date d'effet de la déchéance de ses droits sur la marque « Saint Germain », et en déduit que la réalité de l'atteinte alléguée n'est pas démontrée.

15. En statuant ainsi, alors que M. B... produisait plusieurs pièces comptables, datées de mai 2009 à mai 2011, portant la mention « St-Germain » et relatives à la vente de bouteilles d'alcool sous cette dénomination, la cour d'appel, qui a dénaturé ces documents, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le bien-fondé de l'action entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif de l'arrêt relatif à la procédure abusive, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard (président) - Rapporteur : Mme Darbois - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer -

Textes visés :

Article 5, § 1, sous b), l'article 10, § 1, alinéa 1, et l'article 12, § 1, alinéa 1, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ; article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019.

Rapprochement(s) :

Sur les effets de la déchéance d'une marque, cf. : CJUE, arrêt du 26 mars 2020, Cooper International Spirits e. a., C-622/18.

1re Civ., 25 novembre 2020, n° 19-18.786, (P)

Cassation partielle

Règlement (CE) n° 1371/2007 du 23 octobre 2007 – Assistance aux personnes handicapées et à mobilité réduite dans les gares et à bord des trains – Application – Modalités

Les articles 22, 23 et 24 du règlement (CE) n° 1371/2007 du 23 octobre 2007, entré en vigueur le 3 décembre 2009, qui mettent à la charge des entreprises ferroviaires et des gestionnaires des gares une obligation d'assistance dans les gares et à bord des trains en faveur des personnes handicapées et à mobilité réduite et qui définissent les conditions auxquelles est fournie cette assistance, étaient applicables dès 2016 aux transports ferroviaires autres qu'urbains, départementaux et régionaux, le report de leur application pour une durée de cinq ans prévu à l'article L 2151-2 du code des transports n'ayant pas été renouvelé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 27 juin 2019), M. K..., atteint d'un handicap qui l'oblige à se déplacer en fauteuil roulant, a, par acte du 19 septembre 2017, assigné l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, aux droits duquel vient la société SNCF Voyageurs (la SNCF) en réparation du préjudice constitué, lors de voyages en train effectués au cours de l'année 2016, par le fait d'avoir été placé dans l'allée centrale et par l'impossibilité d'accéder aux toilettes et au bar.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, qui est préalable

Enoncé du moyen

2. M. K... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande visant à voir juger que la SNCF a manqué à ses obligations légales en matière d'accessibilité de ses équipements de transport aux personnes en situation de handicap, alors « que si, s'agissant de l'entrée en vigueur de certaines des dispositions du règlement n° 1371/2007 du 23 octobre 2007 applicable à compter du 3 décembre 2009, les États membres pouvaient accorder des dérogations aux opérateurs ferroviaires, pour une durée de cinq ans renouvelable deux fois, une seule dérogation avait été mise en place en France, par l'article L. 2151-2 du code des transports, son renouvellement devant être pris par décret ; que ces décrets n'ont, toutefois, pas été adoptés, de sorte qu'à compter du 4 décembre 2014 les dispositions de ce règlement étaient applicables dans leur intégralité ; qu'en refusant de déclarer opposables à la SNCF les articles 22 à 24 du règlement du 23 octobre 2007, la cour d'appel a violé ces dispositions par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2, paragraphes 4 et 5, et 22 à 24 du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, L. 2151-2 et L. 1112-2-1 à L. 1112-3 du code des transports :

3. Selon l'article 2, paragraphes 4 et 5, de ce règlement, entré en vigueur le 3 décembre 2009, un Etat membre peut déroger à ses dispositions à l'exception des articles 9, 11, 12, 19, 20, paragraphe 1, et 26 en ce qui concerne, d'une part, les services ferroviaires urbains, suburbains et régionaux, d'autre part, les services ferroviaires intérieurs de transport de voyageurs pendant une période ne dépassant pas cinq ans, renouvelable deux fois pour une période maximale de cinq ans à chaque fois.

4. Les articles 22 à 24 de ce règlement mettent à la charge des entreprises ferroviaires et des gestionnaires des gares une obligation d'assistance dans les gares et à bord des trains et définissent les conditions auxquelles est fournie cette assistance.

5. L'article L. 2151-2 du code des transports dispose :

« Les services publics de transport ferroviaire de voyageurs urbains, départementaux ou régionaux réalisés sur le réseau ferroviaire tel que défini à l'article L. 2122-1 sont soumis à l'application des seuls articles 9, 11, 12, 19, 26 ainsi que du I de l'article 20 du règlement précité.

Les autres services intérieurs de transport ferroviaire de voyageurs sont soumis à l'application des seuls articles 9, 11, 12, 19, 26 ainsi que du I de l'article 20 du même règlement pour une période de cinq ans. Celle-ci peut être renouvelée, par décret, deux fois par période maximale de cinq ans. A l'issue de cette période, l'ensemble des dispositions du même règlement est applicable à ces services. »

6. En vertu des articles L. 1112-2-1 et L. 1112-2-2 du code des transports, issus de l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014, la SNCF dispose d'un délai maximum de neuf ans à compter du 29 août 2016, date de l'approbation du schéma directeur d'accessibilité - agenda d'accessibilité programmée, pour mettre en oeuvre, notamment, les mesures destinées à assurer l'accessibilité du matériel roulant aux personnes handicapées et à mobilité réduite. Enfin, selon l'article L. 1112-3 du même code, si tout matériel roulant acquis lors d'un renouvellement ou à l'occasion de l'extension des réseaux est accessible aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, le matériel roulant routier, guidé et ferroviaire en service le 13 février 2015 peut être exploité après cette date.

7. Dès lors que ces dispositions ne visent pas les articles 22 à 24 du règlement précité et qu'aucun décret n'a renouvelé le délai de cinq ans prévu à l'article L. 2151-2 du même code, ces articles du règlement étaient applicables aux services de transport ferroviaire à la date des voyages en cause.

8. Pour écarter l'existence d'un manquement de la SNCF à ses obligations légales en matière d'assistance aux personnes en situation de handicap et rejeter la demande de M. K..., l'arrêt retient que les articles 22 à 24 du règlement ne sont pas opposables à la SNCF.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. La SNCF fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable, lors de l'exécution du contrat de transport, d'une atteinte à la dignité de M. K... et de la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que, si le contrat oblige non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi, le juge ne peut rattacher une obligation à un contrat à titre accessoire qu'à la condition que cette obligation n'ait pas été déjà édictée par l'usage ou le législateur ; qu'en matière de transport ferroviaire, le législateur a défini, par une loi du 11 février 2005, complétée par une ordonnance du 26 septembre 2015, relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, ratifiées par une loi du 5 août 2015, les obligations à la charge des transporteurs ferroviaires en matière d'accessibilité de ses services aux personnes handicapées ; qu'à ce titre, il a notamment prévu la mise en place d'un calendrier précis et matériellement réalisable, ainsi que des plans de financement, sous la forme d'un « schéma directeur d'accessibilité – agenda d'accessibilité programmée », établi en concertation avec les associations de personnes handicapées ; qu'en l'espèce, après avoir considéré que la SNCF avait respecté les obligations imposées par la loi en la matière, la cour d'appel a néanmoins jugé que le transporteur ferroviaire était tenu, à l'égard des voyageurs, d'une « obligation générale de soins et doit leur assurer un transport dans des conditions normales d'hygiène, de sécurité et de confort » ; qu'elle a considéré que M. K... ayant réglé ses billets pour un prix identique aux autres voyageurs, n'avait pas accès à toutes les prestations annexes au contrat de transport, et que l'inconfort généré par l'inaccessibilité des toilettes caractérisait une atteinte à la dignité et un « manquement à l'obligation de la SNCF mobilités d'assurer un transport dans des conditions normales d'hygiène » ; qu'en édictant ainsi une « obligation générale de soins et doit leur assurer un transport dans des conditions normales d'hygiène, de sécurité et de confort », tandis que les modalités d'accessibilité des personnes handicapées aux transports ferroviaires, y compris en matière d'hygiène et de confort, sont encadrées par la loi, la cour d'appel a violé l'article 1135 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1194 du même code. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. La recevabilité du moyen est contestée en défense, en raison de sa nouveauté.

12. Le moyen, né de la décision attaquée, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1135 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, L. 1112-2-1 à L. 1112-3 et L. 2151-1 et suivants du code des transports :

13. Les obligations incombant à la SNCF au titre de la mise en conformité du matériel roulant aux normes destinées à en permettre l'accès aux personnes handicapées ou dont la mobilité est réduite, notamment quant à la dimension des couloirs et des toilettes, sont régies par les dispositions du code des transports susvisées.

14. Pour déclarer la SNCF responsable, lors de l'exécution du contrat de transport, d'une atteinte à la dignité de M. K... et la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient

que le transporteur ferroviaire est tenu, à l'égard des voyageurs, d'une obligation générale de soins et doit leur assurer un transport dans des conditions normales d'hygiène, de sécurité et de confort, et que l'inconfort généré par l'inaccessibilité des toilettes caractérise une atteinte à la dignité et un manquement à l'obligation du transporteur ferroviaire d'assurer un transport dans des conditions normales d'hygiène.

15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait préalablement constaté que la SNCF justifiait avoir mis en place un schéma directeur d'accessibilité des services ferroviaires nationaux (SDNA), élaboré en concertation avec les associations de personnes handicapées et souscrit au schéma des Ad'AP (Agenda d'adaptabilité programmée) en réalisant un schéma intégré pour SNCF Mobilités et pour SNCF Réseau, pour le compte de l'Etat, validé le 29 août 2016, et avait ainsi respecté ses obligations légales quant à la mise aux normes progressive des voitures destinée à assurer l'accessibilité des couloirs et des toilettes dans les trains aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare le juge judiciaire incompétent pour prononcer une injonction à l'encontre de SNCF Mobilités et renvoie M. K... à mieux se pourvoir, l'arrêt rendu le 27 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Articles 2, § 4 et 5, et 22 à 24 du règlement (CE) n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires ; articles L. 2151-2 et L. 1112-2-1 à L. 1112-3 du code des transports ; articles 1135 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; articles L. 1112-2-1 à L. 1112-3 et L. 2151-1 et suivants du code des transports.

Soc., 4 novembre 2020, n° 18-24.451, n° 18-24.454, n° 18-24.461, n° 18-24.462, n° 18-24.463, n° 18-24.464, n° 18-24.478, n° 18-24.482, n° 18-24.483, n° 18-24.484 et suivants, (P)

Rejet

Sécurité sociale – Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 – Législation applicable – Articles 13 et 14 – Règle générale – Exception – Travailleurs détachés – Certificat E101/A1 – Délivrance – Refus ou retrait – Effets – Détermination

Il résulte des articles 13, § 2, sous a), et 14, points 1, sous a), et 2, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CE) n° 592/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, des articles 11, § 1, et 12 bis, points 1, sous b), 2 et 4, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71, tel que modifié par le règlement (CE) n° 120/2009 de la Commission du 9 février 2009, ainsi que des articles 11, § 3, sous a), 12, § 1, et 13, § 1, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, et des articles 15, § 1, 16, § 2, et 19, § 2, du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement n° 883/2004, que, en l'absence de certificat E101/A1 résultant d'un refus de délivrance ou d'un retrait par une institution compétente, seule s'applique la législation de l'Etat membre où est exercée l'activité salariée.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Z 18-24.451, C 18-24.454, K 18-24.461, M 18-24.462, N 18-24.463, P 18-24.464, D 18-24.478, G 18-24.482, J 18-24.483, K 18-24.484, N 18-24.486, Q 18-24.488, R 18-24.489, S 18-24.490, T 18-24.491 et E 18-24.502 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Caen, 26 juillet 2018), MM. C..., M..., F..., T..., N..., D..., H..., W..., O..., P... et TZ... B..., VV..., L..., AP..., X..., E..., de nationalité polonaise et domiciliés en Pologne, ont été mis à disposition de la société Bouygues travaux publics (la société Bouygues TP) ou de la société Welbond armatures par la société de travail temporaire Atlanco Limited, entreprise de droit chypriote (la société Atlanco), entre le mois de mars 2010 et le mois de juin 2011, pour exercer une activité salariée sur le chantier de construction d'un réacteur nucléaire de nouvelle génération sur le site de Flamanville.

3. L'institution compétente de l'État chypriote, sur le territoire duquel est situé le siège de l'employeur, a retiré les certificats E101 et A1 qu'elle avait précédemment délivrés pour les salariés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Bouygues TP fait grief à l'arrêt de dire que la société Atlanco a effectué du travail dissimulé, de condamner cette dernière à verser aux salariés une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et à régulariser leur situation ainsi que de dire que la solidarité financière de la société Bouygues TP est engagée au titre du travail dissimulé et de la condamner au paiement de cette indemnité forfaitaire, alors :

« 1°/ que, au sens du droit de l'Union, exercent des activités alternantes, peu importe la fréquence de l'alternance, les personnes qui exercent de manière successive des activités dans au moins deux États membres pour le compte d'employeurs différents ; que la société utilisatrice soutenait que les salariés employés par la société Atlanco exerçaient des activités alternantes dans au moins deux États membres de l'Union européenne, de sorte que la législation applicable en matière de droit du travail était celle du siège social de l'employeur, soit le droit chypriote, et non celle de l'État dans lequel les salariés exerçaient leur activité ; que la cour d'appel, qui s'est bornée à relever que les contrats d'emploi conclus entre la société utilisatrice et la société de travail temporaire le 31 mars 2010 indiquaient que les salariés sont en détachement pour en déduire que la législation applicable en matière de droit du travail est le droit français, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si, au regard des éléments extrinsèques à ces contrats, ils n'étaient pas soumis au régime de l'alternance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 14, 2) du règlement n° 1408/71/CEE du 14 juin 1971, 13 du règlement n° 883/2004/ CE et L. 8221-5 et L. 8222-5 du code du travail ;

2 °/ que le juge, interprétant la commune intention des parties, est tenu de restituer à l'acte litigieux son exacte qualification, sans s'en tenir à la lettre de celui-ci ; qu'en se bornant à retenir que la lettre des contrats de travail impliquait l'application du régime du détachement sans jamais rechercher quelle avait été l'intention commune des parties et si celles-ci n'avaient pas souhaité se placer sous le régime de l'alternance, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 14, 2) du règlement n° 1408/71/CEE du 14 juin 1971, l'article 13 du règlement n° 883/2004/ CE et les articles L. 8221-5 et L. 8222-5 du code du travail ;

3°/ qu'en tout état de cause, à considérer que le régime du détachement soit applicable, si le certificat E101 délivré par l'institution désignée par l'autorité compétente d'un Etat membre, au titre de l'article 11 du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, lie tant les institutions de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71, le retrait de ce certificat ne démontre pas à lui seul le défaut d'affiliation du travailleur détaché au régime de sécurité sociale de l'Etat membre dans lequel son employeur a son siège social et dans lequel il n'exécute pas sa prestation de travail ; qu'en l'espèce, en déduisant qu'il n'est pas justifié de l'application de la loi de sécurité sociale chypriote aux salariés de la société Atlanco mis à la disposition de la société Bouygues TP pour effectuer un travail en France, de la seule circonstance selon laquelle ''le CLEISS, autorité officielle habilitée à diligenter les procédures de retrait des formulaires, a fait une démarche en ce sens le 5 juillet 2011 auprès des autorités chypriotes qui a abouti à un retrait de tous les certificats ab initio ce qui met à néant les déclarations effectuées'', la cour d'appel a violé l'article 11 du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, et 19 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ensemble les articles L. 8221-5 et L. 8222-5 du code du travail ;

4°/ qu'en appréciant de manière globale la situation des salariés mis à disposition de la société Bouygues TP quant à l'existence des certificats E101, quand celle-ci faisait valoir que tous les salariés ayant été mis à sa disposition pour travailler sur le site de Flamanville n'étaient pas concernés par le retrait des certificats E101, que les motifs du retrait de ces certificats n'étaient pas connus, de sorte que l'irrégularité de la situation des salariés ne pouvait être déduite de la seule absence de ces documents et que les salariés mis à disposition après le 1er mai 2010 bénéficiaient à tout le moins d'une demande de certificat E101, peu important que le certificat n'ait pas été émis avant le début de l'exécution du travail, la cour d'appel, qui n'a pas procédé aux distinctions ainsi indiquées n'a pas recherché si certains salariés n'étaient pas concernés par la procédure de retrait des certificats E 101, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 11 du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, ensemble les articles L. 8221-5 et L. 8222-5 du code du travail ;

5°/ qu'en ayant ainsi relevé que tous les certificats E101 avaient été retirés par l'autorité chypriote, à la demande des autorités françaises, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions de la société Bouygues TP en ce qu'elle faisait valoir que les salariés mis à disposition après le 1er mai 2010 bénéficiaient à tout le moins d'une demande de certificat E101 qui suffisait à justifier leur rattachement à la législation de sécurité sociale chypriote en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ qu'en raison du retrait des certificats E101 par l'autorité compétente, le juge a le pouvoir et le devoir d'apprécier la situation concrète et réelle dans laquelle les travailleurs sont détachés pour exécuter un travail en France, par l'entreprise de travail temporaire ayant son siège social dans un autre Etat membre, que ceux-ci exercent leur mission dans le cadre d'un détachement au sens du droit de l'Union européenne ou en alternance dans deux États membres au moins, afin de déterminer la législation de sécurité sociale qui leur est applicable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que les certificats E101 émis par l'autorité chypriote avaient été retirés par celle-ci et en a déduit que la législation de sécurité sociale chypriote n'était pas applicable aux salariés mis à la disposition de la société Bouygues TP pour effectuer un travail en France, sans apprécier, ainsi qu'il lui était pourtant demandé, la situation concrète et réelle de cette mise à disposition ni rechercher si elle justifiait l'affiliation ce ceux-ci au régime de sécurité sociale chypriote, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 11 du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, ensemble les articles L. 8221-5 et L. 8222-5 du code du travail ;

7°/ qu'en relevant que ''la défaillance de la société Atlanco devant la cour d'appel ne lui permet plus de défendre et de justifier de la régularité de son rattachement au droit de la sécurité sociale chypriote notamment par la justification du travail en alternance des travailleurs polonais dans d'autres pays de l'Union européenne, les sociétés utilisatrices étant dans l'incapacité de faire cette preuve'', ce dont il s'évince que la société Bouygues TP était dans l'impossibilité matérielle de justifier de l'affiliation des travailleurs mis à sa disposition au régime de sécurité sociale chypriote et, partant, n'avait pas une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions ne la plaçant pas dans une situation de désavantage par rapport à ces derniers, la cour d'appel a méconnu le principe de l'égalité des armes, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles L. 8221-5 et L. 8222-5 du code du travail ;

8°/ que l'immatriculation d'une société étrangère dépourvue de siège en France ne s'impose qu'autant qu'existe un établissement en France et donc une activité stable ; qu'en déduisant l'existence d'une situation de travail dissimulé résultant d'un défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés en considération du seul fait que ''faute de justifier du rattachement des travailleurs intérimaires à Chypre, la société Atlanco se devait de respecter la législation française exigeant son immatriculation au registre du commerce français'', sans expliquer en quoi la société Atlanco, dont le siège est à Chypre, aurait été soumise à une obligation d'immatriculation en France, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 8221-3 du code du travail, ensemble l'article L. 8222-5 du même code ;

9°/ que l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne consacre le principe de la liberté de prestation de services ; que la Cour de justice de l'Union européenne a pu juger que l'intervention durant trois années sur le territoire d'un État membre pour les besoins d'un chantier ne relève pas d'une activité stable mais d'une prestation de services (CJUE, 11 décembre 2003, KR..., aff. C-215/01) ; qu'en s'abstenant, en l'espèce, d'examiner si la société Atlanco avait exercé une activité stable au sens du droit de l'Union européenne avant de retenir qu'elle aurait dû procéder à son d'immatriculation au registre du commerce et que le défaut d'accomplissement de cette formalité constitue une situation de travail dissimulé, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard du droit européen. »

Réponse de la Cour

5. Les dispositions du titre II du règlement (CEE) n° 1408/71, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CE) n° 592/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, et du titre II du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale constituent un système complet et uniforme de règles de conflit de lois dont le but est de soumettre les travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de l'Union européenne au régime de la sécurité sociale d'un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités (CJCE, 24 mars 1994, Van Poucke/Rijksinstituut voor de Sociale Verzekeringen der Zelfstandigen e.a., C-71/93, point 22 ; CJCE, 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 20).

6. Ce système repose sur le principe de coopération loyale qui impose à l'institution de sécurité sociale compétente de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l'application des règles relatives à la détermination de la législation applicable et, partant de garantir l'exactitude des mentions figurant dans le certificat délivré (CJCE, 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 51).

7. Ce principe implique également celui de confiance mutuelle (CJUE, 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, point 40).

8. Selon les articles 13 § 2, sous a), du règlement n° 1408/71 et 11 § 3, sous a), du règlement n° 883/2004, la règle générale est celle de l'application de la législation de l'État d'exercice de l'activité salariée.

9. Il résulte de l'article 14, point 1, sous a), et point 2, du règlement n° 1408/71 et des articles 12 § 1 et 13 § 1 du règlement n° 883/2004 que font exception à cette règle, les situations de travail détaché et d'exercice normal d'une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres.

10. Conformément à l'article 14, point 1, sous a) du règlement n° 1408/71, aux articles 11 § 1 et 12 bis, point 1, sous b), du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71, tel que modifié par le règlement (CE) n° 120/2009 de la Commission, du 9 février 2009, à l'article 12 §1 du règlement n° 883/2004, aux articles 15 § 1 et 16 § 2 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d'application du règlement n° 883/2004, l'institution désignée vérifie si une situation de détachement est caractérisée en sorte que la législation applicable est celle de l'État membre de cette institution ou détermine, dans une situation d'exercice d'une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres, quelle est la législation applicable.

11. Cette institution est, dans le cas d'une situation de détachement, celle de l'État où l'employeur exerce normalement son activité.

12. Dans le cas d'une situation d'exercice d'une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres, ladite institution est celle de l'État membre de résidence de la personne concernée.

13. Selon les articles 11 § 1, 12 bis, points 2 et 4, du règlement n° 574/72, l'article 19 § 2 du règlement n° 987/2009, à la demande de la personne concernée ou de l'employeur, l'institution compétente de l'État membre dont la législation est applicable atteste, par la délivrance des certificats A1/E101, que cette législation est applicable.

14. Il résulte des textes précités que la caractérisation de situations de détachement ou d'exercice d'une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres au sens des règlements de coordination ressort uniquement à la compétence soit de l'institution compétente de l'État membre dans lequel l'employeur exerce normalement son activité, dans le cas où une situation de détachement est alléguée, soit, dans le second cas, de l'institution désignée par l'autorité compétente de l'État membre de résidence.

15. Le système complet et uniforme de conflit de lois ainsi institué par les titres II des règlements de coordination, en l'absence de fraude et lorsque État membre de résidence et État membre où est exercée l'activité salariée ne coïncident pas, ne confère aux institutions compétentes de ce dernier État ou à ses juridictions nationales aucune compétence pour procéder à une telle caractérisation afin de retenir l'application d'une loi autre que celle de cet État.

16. Dès lors, en l'absence de certificat E101/A1 résultant d'un refus de délivrance ou d'un retrait par l'institution compétente, seule trouve à s'appliquer la législation de l'État membre où est exercée l'activité salariée.

17. Cette conclusion s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable au regard des caractéristiques propres des règlements de coordination et de l'absence de toute difficulté particulière d'interprétation ou de tout risque de divergence de jurisprudence à l'intérieur de l'Union en sorte qu'il n'y a pas lieu de poser de question à titre préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne.

18. Il en résulte que, après avoir constaté que les salariés employés par la société Atlanco et mis à disposition des sociétés Bouygues TP et Welbond armatures exerçaient une activité salariée sur le territoire français, à Flamanville, et que les certificats A1/E101 délivrés par l'institution compétente chypriote avaient été retirés, la cour d'appel, sans avoir à procéder à des recherches que ces constatations rendaient inopérantes et sans méconnaître le principe de l'égalité des armes garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a exactement retenu que ces salariés étaient soumis à la législation française.

19. D'où il suit que le moyen, inopérant en ses huitième et neuvième branches en ce que celles-ci critiquent des motifs surabondants relatifs au défaut d'immatriculation au registre du commerce, n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

20. La société Bouygues TP fait grief à l'arrêt de dire que sa solidarité financière est engagée au titre du travail dissimulé réalisé par la société Atlanco et de la condamner au paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles L. 8222-1, 1° du code du travail et L. 114-15-1 du code de sécurité sociale que ne peut être engagée la solidarité financière du donneur d'ordre, qui doit vérifier, lors de la conclusion du contrat en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, que son cocontractant s'acquitte des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du même code, lorsque ce donneur d'ordre détient un justificatif attestant du dépôt de la demande d'obtention du certificat E101 prévu à l'article 11 du règlement (CEE) n° 574/72 ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a retenu la solidarité financière des sociétés utilisatrices sur le fondement de l'article L. 8222-5 du code du travail, a également reproché à la société Bouygues TP d'avoir laissé intervenir les salariés mis à sa disposition ''en contravention avec les stipulations des contrats d'emploi sur l'exigence de demandes de tels formulaires [E101]'' ; qu'en constatant ainsi un manquement de cette société à son obligation découlant de l'article L. 8222-1, 1° du code du travail, quand ce texte lui faisait simplement obligation de détenir les demandes de certificats E101 et non nécessairement les certificats E101 eux même, la cour d'appel a violé les textes précités ;

2°/ que la solidarité financière du maître de l'ouvrage ou du donneur d'ordre ne peut être retenue, sur le fondement de l'article L. 8222-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que dans l'hypothèse d'un travail dissimulé réalisé par un sous-traitant ou un subdélégataire ; qu'en retenant, en l'espèce, la solidarité financière de la société utilisatrice à l'égard de la société de travail temporaire auteur du travail dissimulé, quand cette dernière n'était ni le sous-traitant ni le subdélégataire de la première, la cour d'appel a violé le texte précité ;

3°/ que l'article L. 8222-5, alinéa 2, du code du travail prévoit que le maître de l'ouvrage ou le donneur d'ordre qui n'exécute pas son obligation d'injonction envers le sous-traitant ou le subdélégataire réalisant un travail dissimulé est tenu solidairement avec son cocontractant au paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 8222-2, dans les conditions fixées à l'article L. 8222-3 ; qu'en condamnant la société utilisatrice au paiement de l'indemnité pour travail dissimulé, au titre de la solidarité financière avec la société de travail temporaire ayant réalisé le travail dissimulé, quand le paiement de cette indemnité n'est pas prévu par l'article L. 8222-5, alinéa 2, du code du travail, la cour d'appel a violé ce texte ;

4°/ que l'article L. 8222-5 du code du travail fait obligation au donneur d'ordre d'enjoindre à son cocontractant de faire cesser sans délai la situation considérée comme irrégulière par un agent de contrôle mentionné à l'article L. 8271-7, dès lors qu'il en est informé par celui-ci ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que l'ASN (Autorité de sûreté nucléaire) a relevé l'absence de certificats E101 pour les salariés mis à la disposition de la société Bouygues TP par la société Atlanco et qu'elle a donné le 25 mai 2011 injonction à la société utilisatrice de faire cesser cette situation, la cour d'appel a expressément constaté que cette dernière a agi à l'égard de son cocontractant en lui ayant adressé une ''vaine sommation (...) le 31 mai (...) de lui adresser par retour de courrier les formulaires E101 ou A1 lorsqu'il s'agissait de renouvellement ainsi que la copie de la déclaration de détachement auprès de la DDTEP'', ce dont il se déduisait qu'elle avait exécuté l'obligation mise à sa charge par l'article précité ; qu'en décidant l'inverse, pour retenir la solidarité financière de la société utilisatrice à l'égard de la société de travail temporaire auteur du travail dissimulé, la cour d'appel a violé ces dispositions légales ;

5°/ qu'en retenant ainsi la solidarité financière de la société utilisatrice, la cour d'appel a laissé sans réponse les conclusions de celle-ci aux termes desquelles elle soutenait avoir tout mis en oeuvre pour faire cesser la situation considérée comme irrégulière par l'ASN, ayant mis fin à la mise à disposition des travailleurs le 24 juin 2011, après avoir vainement enjoint à son cocontractant de lui fournir les certificats E101, en méconnaissance des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ qu'en procédant à une appréciation globale de l'ensemble des dossiers qui lui étaient soumis, sans tenir compte de la situation particulière de chaque salarié, notamment des dates de fin de missions de chacun des 16 salariés demandeurs mis à la disposition de la société Bouygues TP, dont certaines étaient antérieures à l'injonction faite par l'ASN le 25 mai 2011, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a privé sa décision de motifs, en méconnaissance des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

21. Aux termes de l'article L. 8222-5, alinéas 1 et 2, du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, le maître de l'ouvrage ou le donneur d'ordre, informé par écrit par un agent de contrôle mentionné à l'article L. 8271-7 ou par un syndicat ou une association professionnels ou une institution représentative du personnel, de l'intervention d'un sous-traitant ou d'un subdélégataire en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 enjoint aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation. À défaut, il est tenu solidairement avec son cocontractant au paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 8222-2, dans les conditions fixées à l'article L. 8222-3.

22. Sont mentionnées à l'article L. 8222-2, 3°, du code du travail les rémunérations, les indemnités et les charges dues par celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, à raison de l'emploi de salariés n'ayant pas fait l'objet de l'une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche, et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie.

23. Ces articles L. 8222-2 et L. 8222-5 du code du travail figurent dans le chapitre de ce code intitulé « Obligations et solidarité financière des donneurs d'ordre et des maître d'ouvrage » qui instaure, par les dispositions qu'il prévoit, au bénéfice du Trésor, des organismes de sécurité sociale et des salariés, une garantie de l'ensemble des créances dues par l'employeur qui exerce un travail dissimulé à la charge des personnes qui recourent aux services de celui-ci afin de prémunir ces créanciers du risque d'insolvabilité du débiteur principal.

24. Il résulte de l'objet et de l'économie desdites dispositions que ce mécanisme de garantie est applicable aux créances indemnitaires pour travail dissimulé des salariés employés par des entreprises de travail temporaire.

25. Aussi, les articles L. 8222-2, 3°, et L. 8222-5, alinéas 1 et 2, du code du travail, doivent être interprétés en ce sens qu'il appartient à l'entreprise utilisatrice, informée de l'intervention de salariés, employés par une entreprise de travail temporaire, en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 de ce code, d'enjoindre aussitôt à celle-ci de faire cesser sans délai cette situation. À défaut, elle est tenue solidairement avec l'entreprise de travail temporaire au paiement des indemnités pour travail dissimulé.

26. Après avoir constaté que les sociétés Bouygues TP et Welbond armatures, informées le 25 mai 2011 de l'intervention de la société Atlanco en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, se sont abstenues, en l'absence de certificats A1/E101, de lui enjoindre aussitôt de faire cesser cette situation en accomplissant les formalités prescrites par ces articles, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a exactement retenu que les sociétés Bouygues TP et Welbond armatures étaient solidairement tenues, avec la société Atlanco, au paiement des indemnités pour travail dissimulé.

27. D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT n'y avoir lieu de poser une question à titre préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne ;

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Foussard et Froger ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles 13, § 2, sous a), et 14, points 1, sous a), et 2, du règlement (CEE) n°1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, modifié par le règlement (CE) n° 592/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 ; articles 11, § 1, et 12 bis, points 1, sous b), 2 et 4, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972, modifié par le règlement (CE) n° 120/2009 de la Commission du 9 février 2009 ; articles 11, § 3, sous a), 12, § 1, et 13, § 1, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ; articles 15, § 1, 16, § 2, et 19, § 2, du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ; articles L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8222-2, 3°, et L. 8222-5, alinéas 1 et 2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014, du code du travail.

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