Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

TRAVAIL TEMPORAIRE

Soc., 12 novembre 2020, n° 19-11.402, (P)

Rejet

Contrat de mission – Cas de recours autorisés – Emploi pour lequel il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée – Caractère temporaire de l'emploi – Raisons objectives l'établissant – Office du juge

Aux termes de l'article L. 124-2, alinéa 1, devenu l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Selon les articles L. 124-2, alinéa 2, L. 124-2-1 et D. 124-2 devenus les articles L. 1251-6 et D. 1251-1 du même code, dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il peut être fait appel à un salarié temporaire pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée « mission » pour certains des emplois en relevant lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats de mission successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié.

Il résulte de l'application combinée de ces textes, que le recours à l'utilisation de contrats de missions successifs impose de vérifier qu'il est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.

Doit être approuvé, l'arrêt qui requalifie la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat de mission irrégulier au motif que l'entreprise utilisatrice, qui avait ensuite directement recruté le salarié au moyen de contrats à durée déterminée d'usage successifs, ne produisait aucun élément permettant au juge de contrôler de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.

Contrat de mission – Succession de contrats de mission – Requalification en contrat de travail à durée indéterminée – Caractère temporaire de l'emploi – Existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi – Contrôle – Office du juge – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 30 novembre 2018), M. D... a été engagé à compter du mois de février 2006, en qualité d'ouvrier docker occasionnel, par plusieurs entreprises de travail temporaire qui l'ont mis à disposition de la société Terminal des Flandres, l'une des sociétés de manutention portuaire sur le port de Dunkerque, au moyen de deux cent un contrats de mission.

2. A compter du 1er janvier 2013, il a été recruté directement par la société Terminal des Flandres dans le cadre de contrats à durée déterminée d'usage.

3. La relation de travail ayant pris fin le 16 juillet 2014, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée des contrats de mission temporaire ainsi que des contrats à durée déterminée, avec toutes les conséquences attachées à la rupture injustifiée d'un contrat à durée indéterminée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la relation de travail doit être requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du 16 février 2006, de dire que la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement de sommes en conséquence, alors :

« 2° / que constituent des éléments objectifs établissant la nature temporaire de l'emploi, au sens des articles L. 12421 et L. 12422 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l'accord cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000, le caractère fluctuant du trafic maritime et la variation continue de la charge d'activité de chargement et déchargement des navires, de sorte que la conclusion de contrats à durée déterminée successifs est justifiée par des raisons objectives ; qu'en l'espèce, pour dire que la relation de travail du salarié devait être requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du 16 février 2006 et que la rupture du dernier contrat devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a considéré que, par principe, les contrats de missions et à durée déterminée étaient liés à l'activité normale et permanente de la société, fût-elle fluctuante ; que pourtant, le caractère fluctuant du trafic maritime et la variation continue de la charge d'activité de chargement et déchargement des navires peuvent constituer des raisons objectives justifiant la conclusion de contrats à durée déterminée successifs ; qu'en considérant le contraire, la cour d'appel a violé l'ensemble des textes susvisés ;

3°/ qu'en affirmant que les contrats de missions et à durée déterminée étaient liés à l'activité normale et permanente de la société, fût elle fluctuante et que les pièces produites par la société ne permettait pas d'établir l'existence de raisons objectives justifiant le recours à des contrats à durée déterminée successifs, quand elle constatait elle-même que le trafic maritime avait un caractère par essence fluctuant et que l'activité continue de la société était variable en fonction de la charge d'activité de chargement et déchargement des navires, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'ensemble des articles L. 12421 et L.12422 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l'accord cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 ;

4°/ qu'en affirmant que le caractère par essence fluctuant de l'activité de manutention portuaire ne saurait constituer concrètement une raison objective établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné car à suivre la société c'est du même coup l'existence des dockers mensualisés embauchés à durée indéterminée qui serait une anomalie, et que la société avait la possibilité d'adapter le travail des salariés à l'activité par essence fluctuante de l'entreprise en agissant sur la durée du travail (modulation, temps partiel), la cour d'appel a statué par des motifs inopérants qui n'étaient en rien de nature à exclure l'existence d'une raison objective justifiant le recours à des contrats à durée déterminée successifs, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des articles L. 12421 et L. 12422 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l'accord cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 124-2, alinéa 1, devenu l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

7. Selon les articles L. 124-2, alinéa 2, L. 124-2-1 et D. 124-2 devenus les articles L. 1251-6 et D. 1251-1 du même code, dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il peut être fait appel à un salarié temporaire pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée « mission » pour certains des emplois en relevant lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats de mission successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié.

8. Il résulte de l'application combinée de ces textes, que le recours à l'utilisation de contrats de missions successifs impose de vérifier qu'il est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.

9. Ayant relevé que les contrats de mission conclus en 2006 et 2007 mentionnaient comme motif de recours « emploi pour lequel il n'est pas d'usage de recourir au contrat à durée indéterminée » et que l'entreprise utilisatrice, avec laquelle la relation de travail s'était poursuivie de manière continue au moyen de contrats à durée déterminée d'usage, se contentait d'affirmer que, compte tenu du caractère fluctuant et imprévisible de l'activité de la manutention portuaire, le recours aux ouvriers dockers occasionnels se justifiait nécessairement par une tâche précise et temporaire indissociablement liée au secteur d'activité de la manutention portuaire sans qu'elle ne verse, aucun élément permettant au juge, de vérifier concrètement l'existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi occupé par le salarié, la cour d'appel a pu, par ces seuls motifs, en déduire que la relation de travail devait être requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat de mission irrégulier.

10. Le moyen, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Articles L. 124-2, alinéa 2, L. 124-2-1 et D. 124-2 du code du travail, devenus articles L.1251-5, L. 1251-6 et D. 1251-1 du même code.

Rapprochement(s) :

Sur l'office du juge en matière de contrats à durée déterminée dits d'usage et la nécessaire justification du caractère temporaire de l'emploi, à rapprocher : Soc., 4 décembre 2019, pourvoi n° 18-11.989, Bull. 2019, (rejet), et l'arrêt cité. Sur la charge de la preuve de la réalité du motif de recours au travail temporaire, à rapprocher : Soc., 28 novembre 2007, pourvoi n° 06-44.843, Bull. 2007, V, n° 202 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 12 novembre 2020, n° 18-18.294, (P)

Rejet

Contrat de mission – Succession de contrats de mission – Requalification en contrat de travail à durée indéterminée – Demande – Action à l'encontre de l'entreprise de travail temporaire – Fondement – Détermination – Portée

Les dispositions de l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui sanctionnent l'inobservation par l'entreprise utilisatrice des dispositions des articles L. 1251-5 à L.1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 du même code, n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite n'ont pas été respectées.

Par ailleurs, il résulte de l'article L. 1251-36 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, et de l'article L. 1251-37 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que l'entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs qu'à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l'un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels ne figure pas l'accroissement temporaire d'activité.

Doit, en conséquence, être approuvée la cour d'appel qui, ayant fait ressortir que l'entreprise de travail temporaire avait conclu plusieurs contrats de mission au motif d'un accroissement temporaire d'activité sans respect du délai de carence, en a exactement déduit, d'une part, que la relation contractuelle existant entre le salarié et l'entreprise de travail temporaire devait être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée, et, d'autre part, que le non-respect du délai de carence caractérisant un manquement par l'entreprise de travail temporaire aux obligations qui lui sont propres dans l'établissement des contrats de mission, cette dernière devait être condamnée in solidum avec l'entreprise utilisatrice à supporter les conséquences de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, à l'exception de l'indemnité de requalification, dont l'entreprise utilisatrice est seule débitrice.

Contrat de mission – Succession de contrats de mission – Succession ininterrompue – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Contrat conclu pour accroissement temporaire d'activité – Portée

Contrat de mission – Succession de contrats de mission – Succession ininterrompue – Licéité – Conditions – Inobservation – Effets – Requalification à l'égard de l'entreprise de travail temporaire – Détermination

Contrat de mission – Succession de contrats de mission – Requalification en contrat de travail à durée indéterminée – Effets – Indemnités – Condamnation – Condamnation des entreprises utilisatrice et de travail temporaire – Portée

Examen d'office de la recevabilité de l'intervention volontaire du syndicat Prism'emploi après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile

1. Selon les articles 327 et 330 du code de procédure civile, les interventions volontaires ne sont admises devant la Cour de cassation que si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie et ne sont recevables que si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.

2. Le syndicat Prism'emploi ne justifiant pas d'un tel intérêt dans le présent litige, son intervention volontaire n'est pas recevable.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Colmar,19 avril 2018), M. I... a été engagé par la société Manpower (l'entreprise de travail temporaire), du 19 mai 2008 au 15 février 2013, suivant deux cent dix-huit contrats de mission pour exercer, au sein de la société Bestfoods France industries (l'entreprise utilisatrice), des fonctions de préparateur matières premières, et ponctuellement celles d'agent de préparation, d'agent de préparation polyvalent, mélangeur et opérateur.

4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la requalification de la relation de travail avec l'entreprise utilisatrice en contrat à durée indéterminée et le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

5. L'entreprise utilisatrice a appelé en garantie l'entreprise de travail temporaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. L'entreprise utilisatrice fait grief à l'arrêt de requalifier les contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée pour la période du 20 juillet 2009 jusqu'au 15 février 2013 entre le salarié et l'entreprise utilisatrice, et de la condamner, en conséquence, in solidum avec l'entreprise de travail temporaire à payer au salarié certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, ainsi qu'une indemnité de licenciement, d'ordonner le remboursement au Pôle emploi par l'entreprise utilisatrice à proportion de 80 % et par l'entreprise de travail temporaire à proportion de 20 % des prestations de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois d'indemnités et, enfin, de condamner l'entreprise utilisatrice à payer au salarié une indemnité de requalification, alors :

« 1°/ que le seul fait pour l'employeur de recourir au travail temporaire avec le même salarié pour des remplacements de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique au travail temporaire pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; que pour caractériser le fait que l'employeur a, par une telle pratique, pourvu durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, les juges du fond doivent apprécier la nature des emplois successifs occupés par le salarié et la structure des effectifs de l'employeur ; qu'au cas présent, la cour d'appel a requalifié l'ensemble des contrats de mission conclus entre la société Manpower et M. I... en un contrat à durée indéterminée avec la société Bestfoods France industries en relevant qu'une entreprise ne pouvait recourir de façon systématique aux missions d'intérim pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre, que M. I... faisait valoir qu'il avait travaillé au sein de la société Bestfoods France industries en exécution de près de deux cents contrats de mission pour une période courant du 19 mai 2008 au 15 février 2013, et ce principalement pour remplacer des salariés absents, que le salarié avait occupé durant ces missions le même poste de ''préparateur matières premières'', que l'existence d'une pratique habituelle de l'entreprise d'un recours à des embauches précaires pour des motifs de moindre coût et que ''l'embauche'' de M. I... par la société Bestfoods France industries à compter du 20 juillet 2009 et jusqu'au 15 février 2013 visait à pourvoir à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; qu'en se déterminant de la sorte, sans se prononcer sur la structure des effectifs de la société Bestfoods France industries, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1251-5 et L. 1251-40 dans sa rédaction applicable au litige ;

2°/ que les dispositions de l'article L.1251-40 du code du travail, qui sanctionnent l'inobservation par l'entreprise utilisatrice de dispositions limitativement énumérées des articles du même code, par la requalification auprès de l'entreprise utilisatrice du contrat de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée, ne visent pas la méconnaissance de l'article L. 1251-36, relatif au délai de carence ; que si, comme l'a retenu la cour d'appel, un contrat de mission conclu pour le remplacement d'un salarié absent ne peut être suivi d'un contrat de mission conclu pour un accroissement d'activité, cette irrégularité ne peut entraîner la requalification desdits contrats de mission en un contrat à durée indéterminée auprès de l'entreprise utilisatrice ; qu'en statuant comme elle l'a fait et en requalifiant les contrats de mission de M. I... en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article L. 1251-40 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

7.Il résulte des articles L. 1251-5 du code du travail, L. 1251-6 du même code, dans sa rédaction applicable, et de l'article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'en cas de litige sur le motif de recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.

8. La cour d'appel, qui a constaté que, malgré la contestation de la réalité de ces motifs d'accroissement temporaire d'activité émise par le salarié, l'entreprise utilisatrice, à laquelle il appartenait de produire les éléments permettant de vérifier la réalité des motifs énoncés dans les contrats, ne se rapportait à aucune donnée concrète justifiant des motifs de recours à l'embauche précaire du salarié puisqu'elle se limitait à critiquer la pertinence des documents produits aux débats par le salarié à l'appui de la dénonciation d'une pratique habituelle de l'entreprise d'un recours à des embauches précaires pour des motifs de moindre coût, ce dont elle a déduit que la relation de travail devait être requalifiée en contrat à durée indéterminée, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

Sur les premier et deuxième moyens, réunis, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

9. L'entreprise de travail temporaire fait grief à l'arrêt de requalifier les contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée pour la période du 20 juillet 2009 jusqu'au 15 février 2013 entre le salarié et l'entreprise de travail temporaire, de condamner, en conséquence, in solidum l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire à payer au salarié certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, ainsi qu'une indemnité de licenciement, et d'ordonner le remboursement à Pôle emploi par l'entreprise utilisatrice à proportion de 80 % et par l'entreprise de travail temporaire à proportion de 20 % des prestations de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois d'indemnités, alors :

« 1°/ qu' en vertu de l'article L. 1251-36 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, à l'expiration d'un contrat de mission, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de mission, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission incluant, le cas échéant, son ou ses deux renouvellements, ce délai n'étant toutefois pas applicable dans les cas visés à l'article L. 1251-37 ; qu'aucun texte ni aucun principe ne prévoit que le respect de ce délai de carence serait une obligation propre pesant sur l'entreprise de travail temporaire, sous peine de requalification en contrat à durée indéterminée de la relation de travail du salarié intérimaire avec cette entreprise de travail temporaire ; qu'au contraire, l'article L. 1255-9 du code du travail -dans sa rédaction applicable au litige-, en disposant que ''le fait pour l'utilisateur de méconnaître les dispositions relatives à la succession de contrats sur un même poste, prévues à l'article L. 1251-36, est puni d'une amende de 3 750 euros'', implique que le respect du délai de carence de l'article L. 1251-36 du code du travail constitue une obligation pesant sur l'entreprise utilisatrice, seule à même d'en assurer effectivement le respect, et par suite de répondre personnellement, y compris pénalement, de sa méconnaissance ; qu'en retenant pourtant, pour condamner la société Manpower France au titre d'une requalification de la relation de travail avec le salarié intérimaire en contrat à durée indéterminée, que l'entreprise de travail temporaire, du fait du non-respect du délai de carence, avait failli à ses obligations propres, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-36, L. 1251-40 et L. 1255-9 du code du travail ;

2°/ qu'aucune disposition du code du travail ne prévoit la requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à l'égard de l'entreprise de travail temporaire ; qu'en décidant de condamner la société Manpower France in solidum avec la société Bestfoods France industries, au motif que ''l'entreprise de travail temporaire a failli aux obligations qui lui étaient propres, et que la responsabilité de la société Manpower France et dès lors engagée, la relation contractuelle étant requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009'', quand aucune disposition légale ne prévoit que le non-respect du délai de carence fixé à l'article L. 1251-36 du code du travail est sanctionné par la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée avec l'entreprise de travail temporaire, la cour d'appel a violé les articles L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail, ensemble l'article L. 1251-40, dans leur version applicable au litige ;

3°/ en tout état de cause, qu'à supposer que ne soit pas exclue la possibilité pour le salarié d'agir en requalification contre l'entreprise de travail temporaire, nonobstant l'absence de texte en ce sens, ce ne peut être que lorsque les conditions énoncées par les articles L. 1251-16 et L. 1251-42 du code du travail, à défaut desquelles toute opération de prêt de main d'oeuvre est interdite, n'ont pas été respectées par l'entreprise de travail temporaire, ou si est caractérisée une entente illicite avec la société utilisatrice afin de permettre à celle-ci d'échapper à l'interdiction de pourvoir par des contrats de mission à un emploi durable et permanent de la société ; qu'en décidant de condamner la société Manpower France in solidum avec la société Bestfoods France industries au motif que ''l'entreprise de travail temporaire a failli aux obligations qui lui étaient propres, et que la responsabilité de la société Manpower France et dès lors engagée, la relation contractuelle étant requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009'', tandis que l'entreprise de travail temporaire n'était pas responsable du non-respect par l'entreprise utilisatrice du délai de carence, et sans caractériser en quoi la société Manpower France aurait agi de concert avec la société Bestfoods France industries, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1251-16, L. 1251-42, ensemble l'article L. 1251-40 du code du travail dans leurs versions applicables au litige. »

Réponse de la Cour

10. Les dispositions de l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui sanctionnent l'inobservation par l'entreprise utilisatrice des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 du même code, n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite n'ont pas été respectées.

11. Par ailleurs, il résulte de l'article L. 1251-36 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, et de l'article L. 1251-37 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que l'entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs qu'à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l'un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels ne figure pas l'accroissement temporaire d'activité.

12. Ayant fait ressortir que l'entreprise de travail temporaire avait conclu plusieurs contrats de mission au motif d'un accroissement temporaire d'activité sans respect du délai de carence, la cour d'appel en a exactement déduit que la relation contractuelle existant entre le salarié et l'entreprise de travail temporaire devait être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009.

13. Le non-respect du délai de carence caractérisant un manquement par l'entreprise de travail temporaire aux obligations qui lui sont propres dans l'établissement des contrats de mission, la cour d'appel, sans avoir à procéder à une recherche inopérante, en a exactement déduit qu'elle devait être condamnée in solidum avec l'entreprise utilisatrice à supporter les conséquences de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, à l'exception de l'indemnité de requalification, dont l'entreprise utilisatrice est seule débitrice.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

15. L'entreprise utilisatrice fait grief à l'arrêt de fixer sa contribution à 80 % et celle de l'entreprise de travail temporaire à 20 % s'agissant des indemnités liées à la rupture du contrat issu de la requalification des contrats de mission, et d'ordonner le remboursement à Pôle emploi par l'entreprise utilisatrice à proportion de 80 % et par l'entreprise de travail temporaire à proportion de 20 % des prestations de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois d'indemnités, alors « que la requalification d'un ou de contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à l'égard à la fois de l'entreprise utilisatrice et de l'entreprise de travail temporaire ne fait peut faire naître qu'un contrat de travail à durée indéterminée auxquels les deux entreprises sont cocontractantes, en qualité de co-employeurs ; que la contribution aux dettes dues aux salarié au titre de l'exécution dudit contrat ou de sa rupture doivent donc être imputées à chacune des entreprises utilisatrice et de travail temporaire en considération de cette situation contractuelle, et non de la nature ou de l'importance de la faute commise par elles, et de leur influence sur la réalisation du préjudice ; que la cour d'appel a prononcé la requalification des contrats de mission de M. I... à la fois à l'égard de la société Bestfoods France industries, entreprise utilisatrice, et de la société Manpower France, entreprise de travail temporaire ; qu'elle a fixé la contribution de la société Bestfoods France industries et de la société Manpower France respectivement à 80 % à la charge de la première et à 20 % à la charge de la seconde s'agissant des diverses indemnités liées à la rupture du contrat issu de la requalification des contrats de mission et du remboursement à Pôle emploi Alsace Champagne-Ardenne Lorraine des prestations de chômage versées à M. I... dans la limite de trois mois d'indemnités ; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'il lui appartenait de tirer les conséquences de la caractérisation concrète d'une situation de co-emploi, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1, L. 1234-1, L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

16. Ayant constaté les manquements imputables tant à l'entreprise utilisatrice qu'à l'entreprise de travail temporaire, la cour d'appel, qui les a condamnées in solidum à réparer le préjudice subi par le salarié, a souverainement apprécié la part de responsabilité qu'elle a retenue à l'encontre des co-obligées.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLE l'intervention volontaire du syndicat Prism'emploi ;

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 1251-36 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ; article L. 1251-37 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur le fondement de l'action en requalification dirigée contre l'entreprise de travail temporaire, à rapprocher : Soc., 12 juin 2014, pourvoi n° 13-16.362, Bull. 2014, V, n° 145 (cassation), et les arrêts cités. Sur l'exclusion de l'accroissement temporaire d'activité des cas de recours autorisés aux contrats de mission successifs, à rapprocher : Soc., 12 juin 2014, pourvoi n° 13-16.362, Bull. 2014, V, n° 145 (cassation), et les arrêts cités. Sur la condamnation in solidum des entreprises utilisatrice et de travail temporaire en cas de requalification du contrat de mission en contrat à durée indéterminée, à rapprocher : Soc., 20 décembre 2017, pourvoi n° 15-29.519, Bull. 2017, V, n° 228 (cassation partielle sans renvoi), et les arrêts cités.

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