Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

SUCCESSION

1re Civ., 18 novembre 2020, n° 19-10.965, (P)

Cassation partielle

Généalogiste – Révélation d'une succession – Contrat – Défaut – Gestion d'affaire – Remboursement des dépenses faites – Dépenses utiles ou nécessaires exposées pour la recherche de l'héritier – Paiement d'une rémunération (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 4 octobre 2018), à la suite du décès de J... S..., la société [...] (la société [...]), mandatée par le notaire chargé de la succession, a identifié Mme N..., parente au cinquième degré du défunt, comme unique héritière. Elle a assigné celle-ci, sur le fondement de la gestion d'affaires, aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme correspondant à 20 % hors taxes des actifs nets de la succession perçus ou à percevoir par elle, incluant les éventuels capitaux d'assurance sur la vie, à titre de rémunération et indemnisation de ses frais.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

2. Mme N... fait grief à l'arrêt de fixer la rémunération de la société [...] pour l'établissement de la dévolution successorale de J... S... et de son arbre généalogique ayant permis de régulariser l'acte de notoriété dressé le 29 juillet 2014 par M. K..., notaire, à 8 % hors taxes de l'actif net successoral, en ce compris tous éventuels capitaux d'assurance sur la vie, perçu ou à percevoir par elle dans la succession et de la condamner à verser cette somme au généalogiste, alors :

« 1°/ que le généalogiste successoral ne peut prétendre à une indemnisation que si son intervention a été utile à l'héritier ; qu'en relevant que le tableau généalogique réalisé par la société [...], visé dans l'acte de notoriété et la déclaration de succession, avait permis de certifier l'absence d'autres héritiers possibles dans la ligne maternelle du défunt, après avoir pourtant constaté que Mme N... savait et était en capacité de justifier qu'elle était seule héritière du côté de la branche maternelle, ce qui excluait toute indemnisation du généalogiste, la cour d'appel a violé l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 du code civil ;

3°/ que le généalogiste successoral ne peut prétendre à une indemnisation que si son intervention a été utile à l'héritier ; que le notaire ne peut recourir à un généalogiste avant d'avoir fait lui-même les investigations propres à l'identification et à la localisation des héritiers ; qu'en affirmant qu'il ne pouvait pas être reproché au notaire d'avoir mandaté la société [...], en sa qualité de professionnelle des recherches généalogiques, pour réaliser des vérifications matérielles complexes permettant de sécuriser l'établissement de l'attestation de dévolution successorale, après avoir pourtant relevé que l'intervention du généalogiste mandaté par le notaire moins de vingt jours après le décès n'avait eu aucune utilité sur la révélation du décès du défunt à Mme N..., laquelle n'ignorait pas être la seule héritière dans la ligne maternelle et était en capacité de le justifier, et sans rechercher si le cabinet de généalogiste s'était borné à reconstituer la ligne maternelle du défunt, de sorte que la succession aurait été réglée dans des conditions strictement identiques sans son intervention, ce qui excluait toute indemnisation du généalogiste, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Ayant retenu, par motifs adoptés, que seule l'intervention spécialisée du généalogiste avait permis de vérifier l'absence d'héritier jusqu'au sixième degré dans la branche paternelle, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, en a souverainement déduit que l'intervention de la société [...], si elle n'avait pas eu d'utilité quant à la révélation du décès de J... S... à Mme N..., laquelle n'ignorait pas qu'elle était la seule héritière dans la ligne maternelle, avait, en écartant l'existence d'autres héritiers possibles dans les deux lignes, rendu service à Mme N... en permettant de certifier sa qualité d'héritière exclusive.

4. Il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. Mme N... fait grief à l'arrêt de fixer la rémunération de la société [...] pour l'établissement de la dévolution successorale de J... S... et de son arbre généalogique ayant permis de régulariser l'acte de notoriété dressé le 29 juillet 2014 par M. K..., notaire, à 8 % hors taxes de l'actif net successoral, en ce compris tous éventuels capitaux d'assurance sur la vie, perçu ou à percevoir par elle dans la succession et de la condamner à verser cette somme au généalogiste, alors « que le généalogiste successoral ne peut prétendre à une indemnisation que si son intervention a été utile à l'héritier ; qu'en affirmant que seule l'intervention spécialisée du généalogiste avait permis de vérifier l'absence d'héritiers ab intestat jusqu'au sixième degré dans la branche paternelle S..., en s'abstenant de rechercher si le généalogiste s'était borné à communiquer au notaire l'arbre généalogique de la branche maternelle du défunt et à indiquer qu'il n'existait aucun héritier au degré successible dans la branche paternelle, que le notaire avait déjà pu en grande partie reconstituer, sans justifier d'aucune investigation à ce titre, ce qui excluait toute indemnisation du généalogiste, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

6. En cas de gestion d'affaires, ce texte n'accorde au gérant que le remboursement des dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites, mais non le paiement d'une rémunération, quand bien même il aurait agi à l'occasion de sa profession. Il en résulte que le généalogiste qui, par son activité professionnelle, a rendu service à l'héritier, ne peut être indemnisé, en l'absence de tout contrat, qu'à hauteur des dépenses spécifiques, utiles ou nécessaires qu'il a exposées pour la recherche de l'héritier considéré et la détermination de ses droits successoraux.

7. Pour condamner Mme N... à payer à la société [...] une rémunération calculée à hauteur de 8 % hors taxes de l'actif net de la succession, en ce compris les capitaux d'assurance sur la vie, l'arrêt, tant par motifs propres qu'adoptés, relève, d'abord, que l'intervention du généalogiste n'a pas eu d'utilité quant à la révélation du décès de J... S..., Mme N... étant en capacité de justifier par l'établissement de son arbre généalogique qu'elle était seule héritière du côté de la branche maternelle. Il retient, ensuite, qu'en revanche, seule l'intervention du généalogiste a permis de vérifier l'absence d'héritier jusqu'au sixième degré dans la branche paternelle et de sécuriser l'établissement de l'attestation de dévolution successorale et que la réalisation du tableau généalogique ayant permis la rédaction de l'acte de notoriété a nécessité des investigations complexes pour écarter l'existence d'autres héritiers dans les deux lignes, n'étant pas contesté que le défunt vivait une vie isolée et secrète. Il ajoute que si la société [...] n'expose pas, dans sa note analytique de travail, le nombre d'heures, d'investigations et de personnel affecté à la tâche et, plus largement, ne verse aucune pièce aux débats permettant de justifier précisément de ses débours et de son travail, celui-ci a été utile dans la mesure où il a permis d'aboutir à une dévolution successorale certifiée, ce qui justifie le paiement d'honoraires.

8. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la nature des investigations accomplies par la société [...] ni les dépenses spécifiques, utiles ou nécessaires exposées par celle-ci pour établir la qualité certaine d'héritière de Mme N..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe la rémunération de la société [...] pour l'établissement de la dévolution successorale de J... S... et de son arbre généalogique ayant permis de régulariser l'acte de notoriété dressé le 29 juillet 2014 par M. K..., notaire au Perray-en-Yvelines, à 8 % hors taxes de l'actif net successoral, en ce compris tous éventuels capitaux d'assurance-vie, perçu ou à percevoir par Mme N... dans la succession et condamne cette dernière à payer cette somme à la société [...], l'arrêt rendu le 4 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 mai 2019, pourvoi n° 18-16.999, Bull. 2019, (rejet).

1re Civ., 4 novembre 2020, n° 19-14.421, (P)

Rejet

Indivision successorale – Bien indivis grevé d'un usufruit – Usufruit portant sur des sommes d'argent – Obligation de restituer les sommes à la fin de l'usufruit

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 février 2019), R... L... est décédée le 21 août 1990, laissant pour lui succéder son époux commun en biens, D... Q..., et leur fille unique, A....

Aux termes de leur contrat de mariage, R... L... avait fait donation à son époux, pour le cas où il lui survivrait, de l'usufruit de tous les biens propres qu'elle laisserait le jour de son décès et qui composeraient sa succession.

2. A... Q... est décédée le 6 novembre 1997, laissant pour lui succéder son époux, W... O..., et son père. Celui-ci est décédé le 17 novembre 2000, en l'état d'un testament désignant en qualité de légataires universels Mme J... Q... et l'époux de celle-ci, P... Y.... W... O... est décédé le 7 janvier 2002, laissant pour lui succéder sa soeur, Mme K... O....

3. Mme O... a assigné Mme Q... et P... Y... pour voir dire ces derniers tenus de restituer à la succession de A... Q..., sur le fondement de l'article 587 du code civil, une somme correspondant à l'usufruit de celles qu'D... Q... avait reçues de la succession de son épouse.

4. P... Y... étant décédé le 28 mars 2013, Mme O... a assigné en intervention forcée ses deux filles, E... et C....

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. Mme Q... et Mmes Y... font grief à l'arrêt de les condamner à payer à Mme O... la somme de 312 372,59 euros au titre de la créance de restitution des biens de la succession de A... Q... alors « que l'on ne peut hériter que des biens présents dans le patrimoine du défunt au jour de son décès ; que l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté qu'D... Q... avait hérité de la totalité de l'usufruit des biens composant la succession de son épouse R... L..., et que A... Q... avait hérité de la totalité de la nue-propriété des mêmes biens ; que la cour d'appel a encore constaté que A... Q... était décédée en 1997, trois ans avant le décès d'D... Q... en l'an 2000 ; qu'en conséquence, au jour du décès de A... Q..., l'usufruit qu'exerçait D... Q... n'avait pas pris fin ; que ni l'usufruit, ni une créance de restitution à ce titre, n'étaient dès lors jamais entrés dans le patrimoine ni dans la succession de A... Q... ; que Mme K... O..., héritière de W... O..., lui-même héritier de A... Q..., ne pouvait donc prétendre à aucune créance de restitution au titre de l'usufruit exercé par D... Q... sur les biens composant la succession de R... L... ; que dès lors, en jugeant qu'au jour du décès d'D... Q..., l'usufruit qu'il exerçait avait rejoint la nue-propriété échue entre-temps à la succession de A... Q..., et que la créance de restitution revendiquée par Mme K... O... était justifiée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 587 du code civil, ensemble l'article 617 du même code. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt relève qu'à son décès, R... L... a transmis à D... Q... l'usufruit de ses comptes bancaires et qu'en vertu de cet usufruit, celui-ci disposait, conformément à l'article 587 du code civil, du droit d'utiliser ces sommes mais à charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité, soit leur valeur estimée à la date de la restitution.

8. Il énonce ensuite, à bon droit, que, dès avant le décès de son père, en sa qualité de nue-propriétaire de ces sommes, A... Q... avait vocation à la pleine propriété de ces comptes, alors même qu'elle n'en était pas encore titulaire et n'en avait pas la jouissance.

9. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a justement déduit qu'au décès d'D... Q..., cet usufruit avait rejoint la nue-propriété échue entre-temps à la succession de A... Q..., de sorte que ses légataires universels étaient tenus de restituer à la succession de celle-ci la valeur des comptes bancaires de R... L....

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Article 587 du code civil.

1re Civ., 4 novembre 2020, n° 19-10.179, (P)

Cassation

Rapport – Modalités – Rapport en valeur – Indemnité de rapport – Eléments constitutifs – Evaluation – Critères – Détermination – Appréciation – Portée

Selon l'article 868 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006, l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des objets donnés ou légués à l'époque du partage, selon leur état au jour où la libéralité a pris effet. La même règle figure à l'article 924-2 du code civil.

Viole ce texte une cour d'appel qui calcule une indemnité de réduction en retenant la valeur des biens donnés à l'ouverture de la succession et non à l'époque du partage.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 30 octobre 2018), S... J... et P... R..., son épouse commune en biens, sont respectivement décédés les [...] et [...], laissant pour leur succéder leurs trois enfants, M. J..., Mme C... et Mme Q.... Des difficultés sont nées pour le partage des successions et de la communauté.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa seconde branche et le troisième moyen, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme Q... fait grief à l'arrêt d'homologuer le projet de liquidation et de partage des deux successions et de la communauté, alors « que le montant de l'indemnité de réduction d'une donation doit être fixé d'après la valeur du bien donné au jour du partage ; qu'en énonçant, pour faire droit à la demande d'homologation du projet de liquidation et partage, que c'était à bon droit que le notaire avait, lors du calcul des indemnités de réduction, retenu la valeur à l'ouverture de la succession des immeubles donnés et réunis à la masse partageable, conformément à l'article 922, alinéa 2, du code civil, et que l'application de cet article rendait inutile la discussion qui avait eu lieu entre les parties sur les futures éventuelles modifications de classement et de valeur des parcelles situées sur la commune de Saint-Pierre Quiberon, la cour d'appel a violé l'article 868 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 868 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 :

4. Selon ce texte, l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des objets donnés ou légués à l'époque du partage, et leur état au jour où la libéralité a pris effet.

5. Pour homologuer le projet de liquidation et partage des successions et de la communauté ayant existé entre S... J... et P... R..., l'arrêt retient que c'est à juste titre que le notaire a, lors du calcul des indemnités de réduction, retenu, sur la base du rapport d'expertise judiciaire, la valeur à l'ouverture de la succession des immeubles donnés et réunis à la masse partageable, conformément à l'article 922, alinéa 2, du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, de sorte que les éventuelles évolutions de classification ultérieures des parcelles situées sur la commune de Saint-Pierre Quiberon ne sont pas de nature à justifier une nouvelle mesure d'investigation.

6. En statuant ainsi, alors que si l'application de l'article 922 permettait de déterminer la proportion dans laquelle les libéralités étaient réductibles, il convenait, pour le calcul de l'indemnité de réduction, de retenir la valeur des biens donnés à l'époque du partage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

- Président : Mme Batut (président) - Rapporteur : Mme Mouty-Tardieu - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 868 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 28 mai 2015, pourvoi n° 14-15.115, Bull. 2015, I, n° 125 (cassation partielle).

1re Civ., 18 novembre 2020, n° 19-15.438, (P)

Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Succession internationale – Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 – Question préjudicielle – Juridiction compétente – Compétence subsidiaire de la juridiction d'un Etat membre – Office du juge – Etendue – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), C... X..., de nationalité française, est décédé en France le 3 septembre 2015, laissant pour lui succéder son épouse, Mme L..., et ses trois enfants issus d'une première union, F..., S... et R... (les consorts X...).

2. Les consorts X... ont assigné Mme L... devant le président d'un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d'obtenir la désignation d'un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, en soutenant que la résidence habituelle de C... X... au jour de son décès était située en France.

3. F... X... étant décédé le 10 avril 2017, ses frère et soeur ont indiqué agir également en leur qualité d'ayants droit de celui-ci.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

5. Les consorts X... font grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de C... X... et la demande de désignation d'un mandataire successoral, alors « que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que C... X... avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 10, point 1a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, auquel le Royaume-Uni n'est pas partie, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès.

7. Cette disposition n'a pas été invoquée par les consorts X... devant la cour d'appel de Versailles, laquelle, après avoir estimé que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni, a dit que, conformément à l'article 4 du règlement, la juridiction française était incompétente pour statuer sur sa succession et désigner un mandataire successoral.

8. Il s'agit, donc, de déterminer si la cour d'appel, qui constatait que C... X... était de nationalité française et possédait des biens en France, était tenue de relever d'office sa compétence subsidiaire énoncée à l'article 10 du règlement.

9. Si l'article 15 du règlement prévoit que la juridiction d'un Etat membre saisie d'une affaire de succession pour laquelle elle n'est pas compétente en vertu de ce règlement se déclare d'office incompétente, il ne précise pas s'il lui appartient de vérifier au préalable si les conditions de sa compétence non seulement principale (article 4) mais également subsidiaire (articles 10 et 11) ne sont pas remplies.

Le règlement ne précise pas si la compétence subsidiaire présente un caractère facultatif.

10. En faveur de l'obligation pour le juge de rechercher d'office sa compétence sur le fondement de l'article 10 lorsque le défunt n'avait pas sa résidence habituelle dans un Etat membre au moment de son décès, il convient de relever que le règlement (UE) n° 650/2012 met en place un système global qui résout tous les conflits internationaux de juridictions résultant de litiges dont sont saisis les juges des États membres en matière successorale et se substitue donc à l'ensemble des solutions que ceux-ci appliquaient jusqu'alors. Il institue un système de résolutions des conflits de juridiction que les juges des Etats membres doivent appliquer d'office dès lors que le litige relève du domaine matériel couvert par le texte. Or, la compétence subsidiaire, prévue à l'article 10 du règlement a pour objet de fixer des critères de compétence applicables dans l'hypothèse où aucune juridiction d'un Etat membre ne serait compétente au regard de la règle principale énoncée à l'article 4. Il ne serait donc pas logique qu'après avoir relevé d'office la mise en oeuvre du règlement pour trancher un conflit de juridiction, les juges puissent écarter leur compétence au profit d'un Etat tiers, sur le fondement du seul l'article 4, sans avoir à vérifier au préalable leur compétence subsidiaire sur celui de l'article 10.

Au contraire, il serait plus cohérent que les juridictions saisies soient tenues de vérifier tous les critères de compétence possibles, dès lors qu'aucun autre Etat membre n'est compétent, y compris d'office. Ainsi, il n'y aurait pas lieu de distinguer l'obligation faite aux juges de rechercher d'office s'ils sont compétents selon que cette compétence résulte de l'article 4 ou de l'article 10.

11. Cependant, la règle de l'article 10, présentée par le règlement comme subsidiaire, a pour effet de déroger au principe d'unité des compétences judiciaire et législative qui innerve le règlement dont le considérant 23 insiste sur la nécessité « d'assurer une bonne administration de la justice au sein de l'Union et de veiller à ce qu'un lien de rattachement réel existe entre la succession et l'Etat membre dans lequel la compétence est exercée » puisque lorsqu'une juridiction de l'Etat dans lequel le défunt n'avait pas sa compétence habituelle se reconnaît compétente sur le fondement de l'article 10, elle sera néanmoins conduite à appliquer la loi de l'Etat de résidence habituelle, sauf s'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un autre Etat (article 21 du règlement) ou avait fait le choix exprès de la loi d'un autre Etat (article 22). Il parait dès lors difficile d'admettre qu'une règle de compétence qualifiée comme subsidiaire, qui déroge aux principes généraux qui servent de fondement au règlement, doit être obligatoirement relevée par les juges, même si les parties ne l'invoquent pas.

Par ailleurs, si le règlement prévoit expressément, à l'article 15, l'obligation pour le juge incompétent de relever d'office son incompétence, il ne prévoit aucune disposition équivalente en cas de compétence. Rien dans le règlement ne permet de considérer que le juge d'un Etat membre, saisi sur le fondement de l'article 4, doit rechercher d'office si sa compétence est acquise en application d'une autre règle, notamment de l'article 10 qui ne prévoit qu'une compétence subsidiaire. Cette asymétrie s'explique par le fait que l'objectif de la règle de l'article 15 est de faciliter la reconnaissance et l'exécution des décisions prises par une juridiction qui s'est reconnue compétente et d'éviter qu'il ne puisse être objecté ensuite dans un autre Etat membre qu'elle n'était en réalité pas compétente. Enfin, les règles sur les successions relèvent, au sens du règlement, des droits disponibles, puisque cet instrument autorise les parties à convenir de la compétence par une convention d'élection de for (article 5) et retient la possibilité pour une juridiction de se déclarer compétente sur le fondement de la seule comparution (article 9). Il serait dès lors illogique que le juge soit tenu de relever un critère subsidiaire de compétence que les parties n'ont pas envisagé de soulever.

12. Il existe un doute raisonnable sur la réponse qui peut être apportée à cette question, qui est déterminante pour la solution du litige que doit trancher la Cour de cassation.

13. Il s'ensuit qu'il convient d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante :

« Les dispositions de l'article 10, point 1a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, la juridiction d'un Etat membre dans lequel la résidence habituelle du défunt n'était pas fixée mais qui constate que celui-ci avait la nationalité de cet Etat et y possédait des biens doit, d'office, relever sa compétence subsidiaire prévue par ce texte ? » ;

SURSOIT à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

RENVOIE la cause et les parties à l'audience de formation de section du 6 juillet 2021.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 10, point 1, a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

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