Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

SEPARATION DES POUVOIRS

Soc., 25 novembre 2020, n° 18-13.771, n° 18-13.772, (P)

Cassation partielle

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité – Demande de dommages-intérêts du salarié – Préjudice découlant de la perte de l'emploi – Appréciation – Possibilité

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° R 18-13.771 et S 18-13.772 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Caen, 19 janvier 2018), le groupe David, composé de la société David miroiterie et de la société David services, a été repris le 22 septembre 2010 par le groupe verrier japonais AGC (Asahi Glass Compagny limited).

La société AGC France exerçait la présidence de la nouvelle société AGC David miroiterie venue aux droits de la société David miroiterie et ayant absorbé la société David services.

Les actions de la société AGC David miroiterie étaient détenues par une autre société du groupe, également présidée par la société AGC France.

3. Les salariés non protégés ont été licenciés pour motif économique le 16 mai 2012, en raison de la cessation d'activité de la société AGC David miroiterie. Celle-ci a été placée le 9 janvier 2013 en liquidation judiciaire avec poursuite d'activité jusqu'au 9 avril 2013, Mme S... étant désignée en qualité de liquidatrice.

4. MM. W... et T..., salariés protégés, ont été licenciés le 18 avril 2013 par la liquidatrice après autorisation de l'inspecteur du travail.

5. Contestant leur licenciement, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'une indemnité supra conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts à l'encontre de la société AGC David miroiterie et de la société AGC France, invoquant la qualité de coemployeur de celle-ci.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de la société AGC France, pris en sa première branche ; Publication sans intérêt

Mais sur le moyen du pourvoi principal de la société AGC France, pris en sa seconde branche ; Publication sans intérêt

Et sur le moyen du pourvoi incident des salariés, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

17. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leur demande en paiement de dommages-intérêts au titre de la légèreté blâmable de l'employeur, alors « que la décision de l'inspecteur du travail, à qui il n'appartient pas de rechercher si la cessation d'activité est due à la faute ou à la légèreté blâmable de l'employeur, ne fait pas obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, mette en cause devant les juridictions compétentes la responsabilité de l'employeur en demandant réparation des préjudices que lui auraient causé cette faute ou légèreté blâmable dans l'exécution du contrat de travail ; qu'en déboutant le salarié au motif de l'absence de tout préjudice autre que celui découlant de la perte de son emploi qui ne saurait être apprécié par les juridictions judiciaires, la cour d'appel a violé l'article 1382 alors applicable du code civil, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

18. La décision d'autorisation de licenciement prise par l'inspecteur du travail, à qui il n'appartient pas de rechercher si la cessation d'activité est due à la faute de l'employeur, ne fait pas obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, mette en cause devant les juridictions judiciaires compétentes la responsabilité de l'employeur en demandant réparation des préjudices que lui aurait causés une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, y compris le préjudice résultant de la perte de son emploi.

19. Pour débouter les salariés de leur demande de dommages-intérêts au titre de la faute ou la légèreté blâmable de l'employeur les arrêts retiennent que les salariés ont été licenciés, après autorisation de l'inspection du travail, à raison de la liquidation judiciaire de l'employeur qui conduit à la fermeture définitive de son établissement et à sa cessation d'activité, ce qui implique la suppression de leur poste, et leur licenciement, aucun reclassement dans un emploi correspondant à leurs compétences n'étant possible.

20. Les arrêts constatent ensuite que les salariés soutiennent que la cessation d'activité de la société AGC David Miroiterie trouve son origine dans la faute ou la légèreté blâmable de la société et réclament des dommages-intérêts « à raison du préjudice subi », antérieur, selon eux, à la rupture de leur contrat de travail.

21. Les arrêts relèvent que, toutefois, ils caractérisent ce préjudice par le fait que « l'absence de faute et de légèreté blâmable aurait permis le maintien de l'engagement contractuel », considérant ce faisant, que leur préjudice est bien constitué par la perte de leur emploi et donc par le licenciement et n'établissent pas, ni même ne soutiennent, que la faute et la légèreté blâmable de leur employeur leur auraient occasionné un préjudice distinct.

22. Les arrêts retiennent enfin qu'en l'absence de tout préjudice autre que celui découlant de la perte d'emploi, qui ne saurait être apprécié par les juridictions judiciaires, ils seront déboutés de cette demande.

23. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils jugent que la société AGC France est tenue, in solidum avec la société AGC David miroiterie, au paiement de la somme de 15 000 euros allouée respectivement à MM. W... et T... au titre de l'indemnité supra-légale de licenciement, disent qu'à l'égard de la société AGC France cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2013, la condamnent au paiement de ces sommes, déboutent MM. W... et T... de leur demande en paiement de dommages-intérêts au titre de la légèreté blâmable de l'employeur, disent que la société AGC France est tenue, in solidum avec la société AGC David miroiterie, au paiement de la somme allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de première instance et d'appel, et la condamnent au paiement de ces sommes, les arrêts rendus par la cour d'appel de Caen le 19 janvier 2018 ;

Remet, seulement sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prache - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Principe de séparation des pouvoirs ; loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination des juridictions compétentes pour connaître d'une action en responsabilité au titre de la faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, cf. : CE, 8 avril 2013, n° 348559, publié au Recueil Lebon ; CE, 1er août 2013, n° 351917, inédit au Recueil Lebon.

Soc., 18 novembre 2020, n° 19-10.286, (P)

Rejet

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Autorisation administrative – Demande d'autorisation postérieure au retrait d'un premier licenciement – Examen par l'inspecteur du travail – Refus – Nature – Office du juge – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 novembre 2018), statuant en référé, Mme F... a été engagée le 9 novembre 1999 par la société SP3 nettoyage en qualité de secrétaire commerciale.

Le 3 décembre 2013, la salariée a été élue déléguée du personnel et membre du comité d'entreprise.

En dernier lieu, elle exerçait les fonctions d'assistante sociale.

2. La salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 19 juin 2017.

3. Le 26 juin 2017, l'employeur a notifié à la salariée l'annulation de son licenciement et a adressé à l'inspection du travail une demande d'autorisation préalable de licenciement pour inaptitude.

4. Par lettre du 27 juillet 2017, l'inspection du travail a déclaré cette demande irrecevable. Cette décision a été confirmée par le ministre du travail le 8 juin 2018.

5. Le 1er décembre 2017, la salariée a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale de demandes au titre de la nullité de son licenciement intervenu en violation de la procédure administrative d'autorisation préalable et en paiement de diverses indemnités.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée à titre provisionnel des sommes à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité spécifique et de dommages-intérêts pour licenciement nul, et de lui ordonner de délivrer une attestation Pôle emploi, un bulletin de salaire récapitulatif, un solde de tout compte et un certificat de travail, alors :

« 1° / que le trouble manifestement illicite résulte d'une violation évidente de la règle de droit ; que ne constitue pas un tel trouble le licenciement d'un salarié protégé prononcé sans autorisation de l'inspection du travail dès lors que le salarié a accepté de manière claire et non équivoque la rétraction par son employeur du licenciement ; qu'en l'espèce, la société SP3 nettoyage a fait valoir qu'ayant procédé par erreur au licenciement de Mme F... pour inaptitude et impossibilité de reclassement sans autorisation de l'inspecteur du travail, elle avait avisé la salariée de l'annulation de ce licenciement par courrier du 26 juin 2017, ce que Mme F... avait accepté en continuant à lui adresser des arrêts de travail postérieurement à cette date, reconnaissant ainsi la poursuite du contrat de travail ; qu'en jugeant cependant que le licenciement de Mme F... prononcé le 19 juin 2017 est effectif et qu'il a été prononcé en violation du statut protecteur de délégué du personnel et membre du comité d'entreprise sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si Mme F... n'avait pas accepté de manière claire et non équivoque la rétractation par son employeur du licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 1455-6, R. 1455-7 ensemble les articles L. 2411-5, L. 2411-8 du code du travail ;

2°/ en outre qu'en l'absence de demande de réintégration au sein de l'entreprise, le licenciement du salarié protégé sans autorisation administrative de licenciement, rétracté par l'employeur qui continue de verser la rémunération, ne constitue pas un trouble manifestement illicite qu'il appartient à la formation de référé de faire cesser ; qu'en jugeant le contraire alors qu'il est constant que Mme F... n'a pas sollicité sa réintégration au sein de la société SP3 nettoyage, et que la cour constate que l'employeur n'a pas cessé de lui servir sa rémunération, la cour d'appel qui a excédé ses compétences a violé l'article R. 1455-6 du code du travail ;

3°/ que la formation de référé ne peut allouer une provision au créancier que lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; qu'en l'occurrence, la société SP3 nettoyage a contesté non seulement la nullité du licenciement du fait de l'acceptation expresse par la salariée de la révocation du licenciement mais aussi la décision d'irrecevabilité de l'inspection du travail portant sur sa demande d'autorisation de licenciement en ayant formé un recours devant le tribunal administratif ; qu'en accordant néanmoins à Mme F... des provisions à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité spécifique et de dommages et intérêts pour licenciement nul quand ces créances étaient sérieusement contestables, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-7 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel, qui a constaté que par décision du 27 juillet 2017, confirmée par décision du ministre du travail du 8 juin 2018, l'inspecteur du travail avait refusé d'examiner la demande d'autorisation de licenciement aux motifs que dès l'instant où il a été notifié, le licenciement ne peut être annulé unilatéralement, sans l'accord du salarié, et qui a retenu à bon droit que ces décisions s'imposaient au juge judiciaire en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, peu important l'existence d'un recours devant le tribunal administratif dépourvu d'effet suspensif, de sorte que le licenciement de la salariée était effectif et avait été prononcé en violation du statut protecteur de délégué du personnel et membre du comité d'entreprise, a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que l'obligation de l'employeur au paiement des provisions sollicitées n'était pas sérieusement contestable.

8. La cour d'appel ayant justifié sa décision par ces seuls motifs, le moyen ne peut être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Principe de la séparation des pouvoirs ; articles L. 2411-5, L. 2411-8, R. 1455-6 et R. 1455-7 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la portée, dans un autre cas, du refus de l'inspecteur du travail d'examiner la demande d'autorisation de licenciement du salarié protégé, à rapprocher : Soc., 19 mai 2016, pourvoi n° 14-26.662, Bull. 2016, V, n° 107 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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