Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

2e Civ., 26 novembre 2020, n° 19-19.676, (P)

Rejet

Chose dont on a la garde – Garde – Pouvoirs de contrôle d'usage et de direction – Constatations suffisantes

Ayant relevé qu'un enfant s'étant rendu au sous-sol du domicile des personnes auxquelles, accompagné de sa mère, il rendait visite, s'était blessé accidentellement en manipulant un pistolet gomme-cogne, qui s'y trouvait entreposé, une cour d'appel a pu déduire de ses constatations et énonciations, faisant ressortir que l'enfant, âgé de onze ans, ne pouvait être considéré comme ayant acquis les pouvoirs de direction et de contrôle sur l'arme dont il avait fait usage, que la preuve du transfert de garde invoqué par les propriétaires de cette arme n'était pas rapportée.

Chose dont on a la garde – Garde – Propriétaire – Arme entreposée dans un sous-sol – Arme manipulée par un enfant mineur lors d'une visite ponctuelle

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 26 avril 2019), le 20 décembre 2007, M. X..., alors âgé de onze ans, a rendu visite, avec sa mère, à M. et Mme U..., au domicile desquels il a trouvé un pistolet gomme-cogne et en le manipulant, s'est blessé grièvement à l'oeil gauche.

2. Après avoir obtenu en référé une expertise, Mme E..., agissant en qualité de représentante légale de son fils M... X..., a assigné M. et Mme U... et leur assureur, la société Prudence créole, en indemnisation des préjudices subis. M. X..., devenu majeur, a relevé appel du jugement rendu.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. et Mme U... et la société Prudence créole font grief à l'arrêt de déclarer les deux premiers responsables de l'entier dommage subi par M. X... et de les condamner in solidum avec la troisième à payer à celui-ci les sommes de 700 euros et 1 067,50 euros en réparation du préjudice résultant du déficit fonctionnel temporaire, 9 000 euros au titre des souffrances endurées, 50 000 euros en réparation du préjudice résultant du déficit fonctionnel permanent, 3 000 euros en réparation du préjudice d'agrément et 5 000 euros en réparation du préjudice esthétique, alors « que la responsabilité du fait des choses prévue par l'article 1384 alinéa 1er du code civil incombe à celui qui en était le gardien au moment où le dommage a été causé ; que le gardien de la chose est celui qui, d'un point de vue strictement matériel, exerçait sur celle-ci les pouvoirs d'usage de direction et de contrôle au moment où le dommage s'est réalisé ; que pour juger que les époux U..., propriétaires de l'arme manipulé par le jeune M... X..., étaient responsables du dommage subi par cet enfant sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, la cour d'appel a retenu que les époux U... avaient conservé la garde de l'arme avec laquelle l'enfant s'était blessé et qu'aucun transfert de garde n'était intervenu au profit de M. X... ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que M. X... s'était introduit sans autorisation dans le sous-sol des époux U..., qu'il s'y était rendu seul, qu'il s'était emparé à leur insu de l'arme et des munitions qui y étaient entreposées, qu'il en avait acquis l'usage, et qu'il s'était blessé lui-même sous l'effet de ses manipulations, ce dont il résultait nécessairement que M. X... avait acquis l'usage, la direction et le contrôle de l'arme à l'origine du dommage et qu'il en était l'unique gardien au moment où le dommage avait été causé, la cour d'appel a violé l'article 1384 alinéa 1er du code civil dans sa rédaction applicable à l'époque des faits. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir relevé que M... X... s'était rendu dans le sous-sol du domicile des époux U... et s'était blessé accidentellement en manipulant l'arme s'y trouvant, l'arrêt retient que les conditions dans lesquelles l'arme était entreposée ont permis son appréhension matérielle par l'enfant, quand bien même ce dernier n'aurait pas reçu l'autorisation de se rendre en ce lieu, et alors qu'il n'est pas soutenu qu'il lui avait été interdit d'y aller.

L'arrêt ajoute qu'à supposer que l'enfant ait procédé lui-même au chargement de l'arme, cela implique nécessairement la présence d'une munition à proximité.

6. De ses constatations et énonciations, faisant ressortir que l'enfant, âgé de onze ans, ne pouvait être considéré comme ayant acquis les pouvoirs de direction et de contrôle sur l'arme dont il avait fait usage, la cour d'appel a pu déduire que la preuve du transfert de garde invoqué par M. et Mme U... n'était pas rapportée.

7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Guého - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 1384 du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 28 mars 1994, pourvoi n° 92-10.743, Bull. 1994, II, n° 112 (rejet), et les arrêts cités.

Com., 12 novembre 2020, n° 18-23.479, (P)

Cassation partielle

Dommage – Réparation – Obligation – Bénéficiaires – Tiers à un contrat – Condition – Dommage causé par un manquement contractuel

Il résulte de l'article 1382, devenu 1240, du code civil que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manque contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Par conséquent, prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, pour déclarer une société de classification responsable des dommages causés à la marchandise à l'occasion de son transport à bord d'un navire ayant subi une avarie imputable à l'inondation d'une cale, retient que la société de classification, qui, au cours d'une inspection quinquennale et de visites occasionnelles, avait remarqué la médiocrité du revêtement interne des ballasts rendant prévisible leur dégradation à brève échéance, n'avait prescrit l'inspection annuelle de l'ensemble de ces éléments qu'au mois de février 1999, ce qui n'avait pas permis de la réaliser avant l'appareillage du navire en septembre 1999, et que cette inspection aurait dû être prescrite dès le mois de juin 1998, conformément aux règles de classification applicables, sans préciser la règle, à laquelle elle se référait, ni son contenu, notamment quant aux critères relatifs à l'état du revêtement des ballasts entraînant l'obligation, pour la société de classification, d'ordonner une inspection annuelle de ces éléments.

Lien de causalité avec le dommage – Dommage causé par un manquement contractuel – Caractérisation – Applications diverses

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Lloyd's Register of Shipping du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Charaf Corporation et Syndicate 5678.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 décembre 2017), par un contrat du 28 juillet 1999, la société SHB France a vendu à la société marocaine Charaf Corporation (la société Charaf) une cargaison d'engrais assurée auprès de la Compagnie africaine d'assurances, aux droits de laquelle est venue la société Axa assurances Maroc (la société Axa).

En vue de son transport du port de [...] à celui de [...], la société SHB France a, selon une charte-partie du 19 août 1999, affrété au voyage le navire [...] dont la société égyptienne Mahoney Shipping & Marine Services (la société Mahoney) est l'armateur. Ayant rencontré des conditions de navigation difficiles au cours du transport, le navire, dont l'une des cales avait pris l'eau, s'est réfugié le 5 octobre 1999 dans les ports de Saint-Malo puis de Brest, où il a été retenu par l'autorité maritime en raison de déficiences graves de navigabilité avant d'être déclaré abandonné par la société Mahoney, le 27 novembre 1999.

La cargaison, chargée sur le navire le 20 septembre 1999, ayant été cédée par adjudication, dans le cadre d'une vente de sauvetage organisée à l'initiative des sociétés Charaf et Axa, ces dernières ont assigné en paiement de dommages-intérêts la société Mahoney et la société britannique Lloyd's Register of Shipping (la société Lloyd's), qui avait procédé à la classification du navire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Lloyd's fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable des dommages causés à la marchandise et, en conséquence, de la condamner in solidum avec la société Mahoney à payer une certaine somme à la société Axa, alors « que seul un manquement au Règlement édicté par la société de classification qui fait la loi des parties et qui détermine les obligations des experts de la société de classification constitue une faute de nature à engager la responsabilité de cette dernière à l'égard de l'assureur de la marchandise transportée ; qu'en retenant la responsabilité de la société de classification au motif que son expert aurait agi en violation des « règles de classification applicables » en ne prescrivant pas d'inspection annuelle avant que ne soit conclue la charte-partie d'affrètement au voyage, sans préciser la règle qui aurait été ainsi méconnue, quand la société de classification faisait valoir qu'elle avait respecté le Règlement et que l'expert n'avait identifié aucune règle à laquelle elle aurait manqué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

4. Il résulte de ce texte que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

5. Pour déclarer la société Lloyd's responsable des dommages causés à la marchandise, l'arrêt, après avoir constaté que ceux-ci étaient imputables à l'inondation d'une cale en raison de l'impossibilité d'assèchement des ballasts et de défauts d'étanchéité affectant le bordé de fond et les panneaux de cale, retient que le navire avait subi une inspection spéciale quinquennale entre les mois de février et juin 1998, puis sept visites occasionnelles entre les mois d'octobre 1998 et août 1999, qu'en juin 1998, la société de classification, qui avait remarqué la médiocrité du revêtement interne des ballasts rendant prévisible leur dégradation à brève échéance, n'avait prescrit une visite annuelle que sur l'un d'entre eux, l'inspection annuelle de l'ensemble de ces éléments n'ayant été ordonnée qu'en février 1999, ce qui n'avait pas permis de la réaliser avant l'appareillage du navire en septembre 1999, et qu'elle aurait dû être prescrite dès le mois de juin 1998, conformément aux règles de classification applicables.

6. En se déterminant ainsi, sans préciser la règle, à laquelle elle se référait, ni son contenu, notamment quant aux critères relatifs à l'état du revêtement des ballasts entraînant l'obligation, pour la société de classification, d'ordonner une inspection annuelle de ces éléments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la société Lloyd's Register of Shipping responsable des dommages causés à la marchandise et qu'il la condamne in solidum avec la société Mahoney Shipping & Marine Services à payer à la société Axa assurances Maroc la contre-valeur en euros de 4 120 018 dirhams, sauf à déduire la somme de 82 322,47 euros, l'arrêt rendu le 15 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Corlay -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité pour un tiers au contrat d'invoquer un manquement contractuel, à rapprocher : Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén., n° 9 (rejet).

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