Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

3e Civ., 12 novembre 2020, n° 20-15.179, (P)

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Baux commerciaux – Code de commerce – Articles L. 145-33 et L. 145-34, alinéa 1 – Articles 2, 6, 13 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi

Faits et procédure

1. Selon bail du 25 février 1997, renouvelé le 26 juillet 2007, la société Elhil est locataire, moyennant un loyer mensuel de 1 436,55 euros, d'un immeuble à usage commercial appartenant à M. et Mme S... et à leur fils, M. V... S... (les consorts S...).

2. Le 11 juillet 2018, les consorts S..., exerçant leur droit de repentir, ont consenti au renouvellement du bail.

3. Par arrêt du 11 février 2020, la cour d'appel de Limoges a fixé à la somme de 12 000 euros le loyer annuel du bail renouvelé.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, les consorts S..., soutenant que l'absence de limite à la baisse du montant du loyer portait atteinte au droit de propriété et au principe d'égalité ont, par mémoire distinct, posé la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les articles L. 145-33 et L. 145-34 alinéa 1er du code de commerce sont-ils contraires au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au principe d'égalité garanti notamment par les articles 6 et 13 du même texte fondamental et par l'article 3 de la Constitution de 1958 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. Les dispositions contestées sont applicables au litige qui porte sur la fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative.

6. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. D'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

8. D'autre part, en premier lieu, cette question, en ce qu'elle invoque une atteinte au droit de propriété, ne présente pas un caractère sérieux.

9. D'abord, les dispositions contestées ne sont pas d'ordre public et les parties peuvent les écarter afin de fixer d'un commun accord le prix du loyer du nouveau bail.

10. Ensuite, à l'issue d'une période de trois ans, le bailleur peut demander la révision du loyer et compenser ainsi partiellement ou totalement la perte de revenu subie lors du renouvellement du bail.

11. Enfin, la fixation du loyer à la valeur locative, y compris à la baisse, correspond au juste prix du bail, déterminé si nécessaire après expertise contradictoire et sous le contrôle du juge, compte tenu des caractéristiques matérielles du bien et de l'état du marché locatif.

12. En deuxième lieu, la question posée ne présente pas davantage un caractère sérieux en ce qu'elle invoque une atteinte au principe d'égalité.

13. En effet, le bailleur et le preneur ne sont pas dans une situation identique, de sorte que le législateur était fondé à les soumettre à un traitement différent afin d'assurer la protection du preneur contre la surélévation du loyer en cas de dégradation de l'environnement économique du bail.

14. Cette différence de traitement est limitée, proportionnée et en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.

15. Par suite, la fixation du loyer à la valeur locative, sans plancher à la baisse, n'est pas contraire au principe d'égalité.

16. En troisième lieu, la fixation du loyer lors du renouvellement du bail ne constituant pas une charge publique, la question posée, en ce qu'elle invoque une méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, est inopérante.

17. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Parneix - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

1re Civ., 5 novembre 2020, n° 20-11.032, (P)

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Régimes matrimoniaux – Communauté entre époux – Liquidation – Apports en communauté – Reprise des apports (non) – Article 33, I et II, de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 – Application – Article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – Méconnaissance – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Mme F... et M. B... se sont mariés le [...] sous le régime de la communauté légale. Suivant acte reçu le 29 juin 2001 par M. P... A..., notaire, les époux ont adopté le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts avec convention préciputaire, Mme F... apportant à la communauté, avec dispense de récompense, divers biens propres pour un montant de 45 700 000 euros au 31 mai 2001.

Le changement de régime matrimonial a été homologué par jugement du 18 décembre 2001.

2. Par arrêt du 5 février 2015, la cour d'appel de Versailles a prononcé le divorce des époux aux torts exclusifs de M. B.... Un arrêt du 6 juillet 2016 (1re Civ., 6 juillet 2016, pourvoi n° 15-16.408) a rejeté le pourvoi formé contre cette décision par Mme F..., laquelle faisait grief à l'arrêt de dire qu'elle ne pourrait exercer de reprise ni de récompense sur ses apports en communauté réalisés le 29 juin 2001, en retenant qu'il résulte de l'article 33-I et II de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce que ce texte est applicable aux procédures introduites par une assignation délivrée après le 1er janvier 2005, date de son entrée en vigueur, et qu'en vertu de telles dispositions transitoires, la loi nouvelle a vocation à s'appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés.

3. Mme F... a assigné M. P... A... en responsabilité.

Par arrêt du 5 novembre 2019, la cour d'appel de Paris a dit que M. P... A... avait manqué à son devoir de conseil et de mise en garde à l'occasion du changement de régime matrimonial ayant causé à Mme F... la perte d'une chance d'introduire, dans l'acte de changement de régime matrimonial, une clause de reprise des apports.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre cet arrêt, M. P... A... a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions des I et II de l'article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, en ce qu'elles disposent selon la portée que leur donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que cette loi est applicable aux procédures introduites par une assignation délivrée après le 1er janvier 2005, date de son entrée en vigueur, et qu'en vertu de telles dispositions transitoires, la loi nouvelle a vocation à s'appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés, méconnaissent-elles la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en remettant en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus d'une situation légalement acquise ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. La disposition contestée est applicable au litige.

6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. La question posée présente un caractère sérieux en ce qu'en modifiant les conséquences du divorce sur les avantages matrimoniaux consentis avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, les dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, pourraient être de nature à remettre en cause des effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire des textes antérieurs et porter atteinte à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

8. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article 33, I et II, de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 ; article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

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