Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

PREUVE

3e Civ., 12 novembre 2020, n° 19-21.764, (P)

Cassation partielle

Règles générales – Charge – Applications diverses – Architecte – Honoraires – Action en paiement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 mai 2019), par contrat du 13 mai 2008, les sociétés Marignan résidences et Cogedim Méditerranée (les sociétés) ont confié à M. A..., architecte, une mission d'aménagement et de maîtrise d'oeuvre de conception en vue de la réalisation d'un programme immobilier.

2. Le contrat fixait la durée maximum d'exécution de la première partie de la mission, dénommée mission A, relative à l'élaboration du schéma d'aménagement et du dossier-projet, à dix semaines à compter de la signature et comportait une clause de résiliation de plein droit, en cas d'inexécution par l'architecte de ses obligations, huit jours après une mise en demeure restée sans réponse, sans versement de dommages-intérêts.

3. Par lettre du 30 septembre 2008, les sociétés ont mis en demeure M. A... de leur fournir, sous huit jours, l'ensemble des éléments de la mission A, puis lui ont notifié le 28 octobre 2008, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la résiliation de plein droit du contrat.

4. M. A... a assigné les deux sociétés en paiement d'honoraires et indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. A... fait grief à l'arrêt de constater la résiliation de plein droit du contrat, alors :

« 1°/ que dans ses conclusions d'appel, M. A... a fait valoir que le dépassement des délais ne lui était pas imputable mais était la conséquence, d'une part, du retard apporté par les maîtres d'ouvrage à lui fournir le projet de base lui permettant d'établir ses plans, qui ne lui avait été fourni que le 8 juillet 2008 et, d'autre part, des modifications apportées au projet initial à nouveau modifié, notamment, le 25 juillet suivant ; qu'en se bornant à retenir que M. A... imputait le dépassement des délais prévus aux maîtres de l'ouvrage mais qu'il ne démontrait pas que ces derniers lui avaient fourni tardivement le projet de base lui permettant d'établir ses plans ou qu'ils avaient modifié de manière substantielle le plan de masse, sans examiner les éléments de preuve produits à cet égard par M. A..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que M. A... a également soutenu que les maîtres d'ouvrage avaient commis des fautes contractuelles à son encontre en refusant systématiquement d'organiser des réunions de travail avec les autres intervenants à l'acte de construire, notamment l'urbaniste et la mairie ; qu'en déclarant M. A... responsable du dépassement des délais et en prononçant la résiliation du contrat à ses torts sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a relevé, d'une part, que l'architecte s'était engagé par contrat du 13 mai 2008 à accomplir les quatre phases de la mission A dans un délai global maximal de dix semaines, dont deux semaines pour l'élaboration du schéma d'aménagement, et que, par lettre recommandée du 31 juillet 2008, les maîtres de l'ouvrage l'avaient avisé que le délai de deux semaines prévu pour la première phase de la mission était dépassé sans que le schéma d'aménagement ne soit formalisé onze semaines après le lancement des premiers travaux, d'autre part, par motifs adoptés, que les sociétés de maîtrise d'ouvrage avaient attendu le 28 octobre 2008 pour lui notifier la résiliation du contrat, soit plus de deux mois après l'expiration du délai de dix semaines initialement convenu.

7. Elle a pu en déduire, sans être tenue d'examiner des pièces venant au soutien d'une simple argumentation, ni de répondre à des allégations dépourvues d'offre de preuve, qu'un tel retard caractérisait un manquement de l'architecte à l'exécution de ses obligations et justifiait la résolution de plein droit du contrat par application de son article 12-2-4.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. M. A... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'honoraires, alors « que celui qui se prétend libéré d'une obligation doit justifier le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; que le maître d'ouvrage qui entend s'opposer au paiement des honoraires dus à l'architecte en exécution de ses prestations doit donc démontrer l'inexécution ou la mauvaise exécution desdites prestations ; que pour débouter M. A... de sa demande en paiement d'honoraires, la cour a retenu que s'il indiquait avoir accompli la mission qui lui avait été confiée, elle n'avait pas les compétences nécessaires en matière d'architecture pour apprécier le travail exempt de défauts qu'il indiquait avoir accompli, et qu'en l'absence d'éléments probants, il n'y avait pas lieu de recevoir sa demande en paiement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :

10. Selon ce texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

11. Pour rejeter la demande en paiement d'honoraires formée par l'architecte au titre des prestations réalisées, l'arrêt retient que les sociétés de maîtrise d'ouvrage contestent le caractère exploitable du travail fourni et que, la cour n'ayant pas les compétences nécessaires en matière d'architecture pour évaluer la qualité de celui-ci, il appartenait à M. A... de solliciter le prononcé d'une mesure d'expertise permettant seule d'établir la réalité et la conformité des travaux exécutés, ce qu'il n'a pas fait.

12. En statuant ainsi, après avoir retenu que M. A... était en droit de prétendre au paiement d'honoraires au titre des prestations réalisées, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve de l'extinction de l'obligation à paiement des maîtres de l'ouvrage, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement d'honoraires formée par M. A..., l'arrêt rendu le 9 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Boyer - Avocat(s) : SCP Boulloche ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Article 1315, devenu 1353, du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 19 juin 2008, pourvoi n° 07-15.643, Bull. 2008, I, n° 172 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 4 novembre 2020, n° 19-12.367, n° 19-12.369, (P)

Rejet

Règles générales – Charge – Applications diverses – Contrat de travail – Licenciement – Licenciement postérieur à la demande en justice du salarié – Atteinte à la liberté fondamentale d'agir en justice – Présomption – Exclusion – Détermination – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 19-12.369 et K 19-12.367 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Caen, 20 décembre 2018), statuant en référé, MM. P... et Y... ont été engagés les 1er janvier 2008 et 24 mars 2014 par la société Derichebourg polyurbaine, aux droits de laquelle vient la société Collectes valorisation énergie déchets, en qualité d'équipier de collecte.

3. Le 5 février 2017, ils ont écrit à la direction des ressources humaines pour exprimer des revendications en ce qui concerne les temps de pause.

Le 23 mars 2017, la direction a refusé d'y faire droit et les a invités à respecter les consignes concernant la pause à proximité du lieu de collecte. Une note de service du 12 avril 2017 a demandé à l'ensemble du personnel de respecter les lieux de pause définis dans le planning hebdomadaire.

Le 12 mai 2017, les salariés ont reçu un avertissement pour non-respect des lieux de pause.

4. Le 4 octobre 2017, ils ont saisi la juridiction prud'homale en référé pour obtenir l'annulation de cette sanction, un rappel de salaire et des dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité. Cette affaire a été appelée à l'audience du 23 janvier 2018, la décision devant être rendue le 30 janvier 2018.

5. Le 4 janvier 2018, les salariés ont saisi le conseil de prud'hommes en référé pour voir ordonner la suspension de la note de service du 12 avril 2017 et que le dépôt de Giberville soit retenu comme lieu de pause.

6. Le 29 janvier 2018, à la suite d'un contrôle opéré sur une tournée, ils ont été mis à pied à titre conservatoire puis licenciés pour faute grave le 15 février 2018, au motif de la réalisation d'une collecte bilatérale interdite et dangereuse.

7. Soutenant que leur licenciement intervenait en violation de la liberté fondamentale d'agir en justice et encourait la nullité, ils ont saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes aux fins que leur réintégration soit ordonnée et que l'employeur soit condamné à leur payer des rappels de salaire depuis la mise à pied.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Les salariés font grief aux arrêts de dire n'y avoir lieu à référé et de rejeter leurs demandes tendant, notamment, à voir ordonner leur réintégration sous astreinte, alors :

« 1°/ qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié ; qu'il appartient à l'employeur d'établir que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit d'agir en justice ; qu'en retenant que la seule circonstance qu'une procédure de licenciement ait été engagée immédiatement après l'introduction d'une action en justice exercée par le salarié ne fait pas présumer une atteinte à la liberté fondamentale d'agir quand il appartenait à l'employeur d'établir que sa décision de licencier le salarié était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice par celui-ci de son droit d'agir en justice, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 1121-1 du code du travail et 1315, devenu 1353, du code civil ;

2°/ qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié ; que constitue un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser le licenciement motivé par une volonté répressive du salarié ayant introduit une action en justice à l'encontre de son employeur ; qu'en écartant l'existence d'un trouble manifestement illicite, sans rechercher si le licenciement du salarié n'était pas uniquement motivé par une volonté répressive de l'employeur, qui découlait de ce que, dans le mois ayant suivi l'introduction d'une action en justice, l'employeur avait, d'une part, décidé de modifier la tournée du salarié en l'affectant pour la première fois avec deux autres salariés qui avaient participé à la même action et, d'autre part, diligenté un contrôle inopiné dont le résultat l'avait conduit, le jour même, à mettre les salariés à pied avant de les licencier pour faute grave, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, L. 1121-1 et R. 1455-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

9. Le seul fait qu'une action en justice exercée par le salarié soit contemporaine d'une mesure de licenciement ne fait pas présumer que celle-ci procède d'une atteinte à la liberté fondamentale d'agir en justice.

10. La cour d'appel a constaté, dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que les actions en justice engagées portaient sur la question du lieu de pause, soit sur une question sans rapport avec le motif de licenciement, que la lettre de licenciement ne contenait pas de référence à ces actions en justice, que la procédure de licenciement avait été régulièrement suivie et que la lettre de notification du licenciement était motivée en ce qu'elle contenait l'exposé de faits circonstanciés dont il appartient à la seule juridiction du fond de déterminer s'ils présentent un caractère réel et sérieux notamment au regard de la pratique antérieure, des consignes et de la formation reçues et qu'enfin, pour avoir été inopiné, le contrôle terrain n'en était pas moins une pratique dans l'entreprise dont la déloyauté n'était pas en l'état manifeste s'agissant de celui du 29 janvier 2018, ce dont il résultait que le licenciement ne présentait pas de caractère manifestement illicite. Elle en a, sans inverser la charge de la preuve et procédant à la recherche prétendument omise, exactement déduit l'absence d'un trouble manifestement illicite.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Duvallet - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 1221-1 du code du travail ; article 1353 du code civil ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la preuve du lien existant entre une action en justice exercée par un salarié et la rupture de son contrat de travail à l'initiative de l'employeur, à rapprocher : Soc., 9 octobre 2019, pourvoi n° 17-24.773, Bull. 2019, (rejet), et l'arrêt cité.

2e Civ., 12 novembre 2020, n° 19-11.149, (P)

Cassation partielle

Règles générales – Charge – Applications diverses – Paiement – Débiteur se prétendant libéré – Paiement par chèque

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 novembre 2018), M. M... (l'assuré), qui a été affilié à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV) du 1er juillet 2004 au 31 décembre 2013 pour une activité libérale de formateur, a sollicité la liquidation de ses pensions de retraite de base et de retraite complémentaire, de manière anticipée, pour inaptitude, à effet du 1er avril 2014, qui lui a été refusée au motif qu'il n'était pas à jour de ses cotisations.

2. L'assuré a saisi une juridiction de sécurité sociale d'un recours contre cette décision en prétendant qu'il avait envoyé à l'organisme social un chèque du montant des cotisations manquantes qui avait été détourné et falsifié et a sollicité, outre la liquidation de sa pension de retraite complémentaire, la condamnation de la CIPAV à lui verser des dommages-intérêts en réparation de son préjudice. Cette dernière a demandé, à titre reconventionnel, la condamnation de l'assuré à lui payer une certaine somme correspondant aux cotisations non payées.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois dernières branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. La CIPAV fait grief à l'arrêt de la débouter de toutes ses demandes et de la condamner à créditer le compte de retraite de base et le compte de retraite complémentaire de l'assuré de certaines sommes et à liquider à compter du 1er avril 2014 la pension de retraite complémentaire de l'assuré avec versement des arrérages correspondants, outre intérêts au taux légal à compter de cette date et capitalisation des intérêts, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt et passé ce délai sous astreinte de 250 euros par jour de retard, alors :

« 1°/ que la remise d'un chèque ne valant paiement que sous condition de son encaissement, il appartient au tireur, qui se prétend libéré, de justifier de cet encaissement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le chèque de 2 645,50 euros que M. M... lui avait envoyé au mois d'avril 2010 pour procéder au paiement des sommes de 581,50 euros de cotisations de retraite de base et 2 064 euros de cotisations de retraite complémentaire n'avait pas été encaissé par la CIPAV ; qu'en condamnant néanmoins la CIPAV à créditer ces sommes sur le compte de retraite de base et le compte de retraite complémentaire de M. M..., la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil ;

2°/ que, selon l'article 3.16 des statuts du régime de retraite complémentaire, « la liquidation de la pension ne peut être effectuée avant que la totalité des cotisations et majorations échues, au titre des années antérieures à l'entrée en jouissance de la pension, ne soit acquittée.

En cas de paiement tardif, la date d'effet de la retraite est reportée au premier jour du mois suivant la régulation... » ; que, par ailleurs, la remise d'un chèque ne valant paiement que sous condition de son encaissement, il appartient au tireur, qui se prétend libéré, de justifier de cet encaissement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le chèque de 2 645,50 euros que M. M... lui avait envoyé au mois d'avril 2010 pour procéder au paiement des sommes de 581,50 euros de cotisations de retraite de base et 2 064 euros de cotisations de retraite complémentaire n'avait pas été encaissé par la CIPAV ; qu'en condamnant néanmoins la CIPAV à liquider à compter du 1er avril 2014 la pension de retraite complémentaire de M. D... M... sur la base de ces points de retraite complémentaire avec versement des arrérages correspondants et intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2014 et capitalisation des intérêts, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt et passé ce délai sous astreinte de 250 euros par jour de retard, la cour d'appel a violé l'article 3.16 des statuts du régime de retraite complémentaire. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1353 du code civil, L. 131-67 du code monétaire et financier et 3.16 des statuts de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse :

5. Il résulte des deux premiers textes que la remise d'un chèque ne valant paiement que sous condition de son encaissement, il appartient au tireur, qui se prétend libéré, de justifier de cet encaissement.

6. Selon le dernier, la liquidation de la pension du régime de retraite complémentaire des personnes affiliées à la CIPAV ne peut être effectuée avant que la totalité des cotisations et majorations échues, au titre des années antérieures à l'entrée en jouissance de la pension, ne soit acquittée.

7. Pour débouter la CIPAV de ses demandes et la condamner à créditer les comptes de retraite de l'assuré des cotisations manquantes et à liquider à effet du 1er avril 2014 la pension de retraite complémentaire de l'assuré, l'arrêt relève qu'il est établi que l'assuré a envoyé en avril 2010 à la CIPAV un chèque du montant des cotisations restant dues que cette dernière ne conteste pas avoir reçu, que le chèque a été détourné, avec de nombreux autres, dans un centre de tri postal, falsifié et encaissé par un tiers, que la CIPAV a demandé à plusieurs reprises à l'assuré paiement des cotisations manquantes, ce qu'il a refusé de faire en raison de l'encaissement du chèque. Il relève, encore, qu'un rapport de la Cour des comptes a mis en évidence que l'organisme social, par son incurie dans la gestion comptable et l'absence de fiabilité des circuits de paiement mis en place, a permis que des centaines de chèques aient été détournés pour un montant de 800 000 euros, faits pour lesquels le ministre chargé des affaires sociales a pris un arrêté de débet de ce montant à l'encontre de l'agent comptable de la CIPAV. Il constate, enfin, que cette dernière s'est constituée partie civile dans une instance pénale dans laquelle un prévenu a été déclaré coupable du recel de cent cinquante-huit chèques volés à son préjudice et les coauteurs ont été condamnés à indemniser les parties civiles à hauteur de 260 289 euros de dommages-intérêts, que la CIPAV ne peut sans contradiction se déclarer victime du vol du chèque de l'assuré et lui en demander à nouveau le règlement et qu'elle ne démontre pas que ce chèque n'était pas visé dans la procédure ni à tout le moins qu'elle n'aurait pas été indemnisée de ce fait et retient que les cotisations que l'assuré entendait régler avec ce chèque doivent être considérées comme payées.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le chèque par lequel l'assuré prétendait s'être libéré du paiement des cotisations restant dues n'avait pas été encaissé par la CIPAV, ce dont il résultait qu'il n'était pas, à la date d'effet de la pension qu'elle retenait, à jour du paiement des sommes dues à titre de cotisations, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré l'appel de la CIPAV et les demandes de M. M... recevables et confirmé le jugement déféré en ce qu'il a condamné la CIPAV à payer à M. M... la somme de 15 000 euros de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 30 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Renault-Malignac - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles 1353 du code civil et L. 131-67 du code monétaire et financier ; article 3.16 des statuts de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse.

3e Civ., 19 novembre 2020, n° 19-18.845, (P)

Rejet

Règles générales – Moyen de preuve – Force probante – Copie sincère et fidèle – Cas – Transcription hypothécaire du titre original – Appréciation souveraine

Ayant retenu que la tradition orale en Polynésie française avait pu conduire les parties à un échange, à ne pas conserver l'acte sous signature privée original et que la transcription hypothécaire de celui-ci, qui avait été conservée dans des conditions adéquates, en reproduisait littéralement la traduction, effectuée par un interprète assermenté, une cour d'appel a pu en déduire que cette transcription du titre original en constituait une copie, dont elle a souverainement apprécié le caractère fidèle et durable, au sens de l'article 1348, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 8 novembre 2018), Mmes Y... et U... H... ont formé tierce opposition à un jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 12 avril 2006, ayant déclaré M. C... I... propriétaire de la terre P... à Vairao.

2. Mme Y... H... a contesté la transcription, le 27 juillet 1927, sur le registre de la conservation des hypothèques de Papeete, d'un échange transactionnel dont M. I... s'est prévalu et qui avait été conclu entre leurs ascendants respectifs par acte sous seing privé du 30 juin 1927.

Recevabilité du pourvoi de Mme U... H..., contestée par la défense

3. Le moyen unique du pourvoi ne porte pas sur le chef du dispositif de l'arrêt ayant déclaré Mme U... H... irrecevable en son action.

4. Le pourvoi formé par celle-ci est dès lors irrecevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme Y... H... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :

« 1°/ que la copie d'un acte sous seing privé, même résultant de sa transcription sur un registre public, n'a par elle-même aucune valeur juridique et ne peut suppléer à l'absence de production de l'original dont l'existence est déniée ; qu'en se fondant, pour débouter Mme H... de sa demande tendant à se voir reconnaître propriétaire indivise de la terre P..., sur la seule transcription hypothécaire d'un acte dont l'existence était déniée par Mme H... et qui aurait transféré les droits de propriété de son auteur à celui de M. I..., la cour d'appel a violé l'article 1334 du code civil, ensemble l'article 1336 de ce code, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

2°/ qu'une copie ne peut suppléer l'absence de l'original que si elle en est la reproduction fidèle et durable ; qu'en se fondant, pour débouter Mme H... de sa demande tendant à se voir reconnaître propriétaire indivise de la terre P..., sur la seule transcription hypothécaire de l'acte sous seing privé du 30 juin 1927, sans caractériser en quoi cette transcription dont elle a constaté qu'elle était celle de la traduction de l'acte original, au surplus non écrite ni signée par les parties à ce prétendu acte original, en serait la reproduction fidèle et durable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1348 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

3°/ qu'il incombe à la partie qui, ne pouvant produire l'original, se prévaut d'une copie d'un acte d'établir qu'elle en est la reproduction fidèle et durable ; qu'en faisant peser sur la partie qui dénie l'existence de l'original la charge d'établir l'absence de force probante de la copie, en démontrant la falsification de la traduction ou de la transcription, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil, ensemble les articles 1336 et 1348 du même code, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

4°/ que la preuve testimoniale ne peut être admise que si la partie qui se prévaut d'un acte démontre qu'elle a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale par suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure ; qu'en jugeant probante du transfert des droits de propriété de l'auteur de Mme H... à celui de M. I... la transcription hypothécaire litigieuse, par des motifs d'ordre général tirés des conditions climatiques, de la présence d'insectes en Polynésie française et de la tradition orale, sans constater si M. I... rapportait la preuve, qui lui incombait, de la perte du titre original par cas fortuit ou force majeure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1348 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

5°/ que la transcription d'un acte sur les registres publics ne peut servir de commencement de preuve par écrit que, cumulativement, s'il est constant que toutes les minutes du notaire, de l'année dans laquelle l'acte paraît avoir été fait, soient perdues ou que l'on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier, et qu'il existe un répertoire en règle du notaire qui constate que l'acte a été fait à la même date ; qu'en qualifiant de commencement de preuve par écrit la transcription d'un acte sous seing privé, après avoir elle-même constaté que les conditions de l'article 1336 du code civil n'étaient pas réunies, la cour d'appel a violé ce texte, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

6°/ qu'un écrit ne peut valoir commencement de preuve que s'il émane de la personne à laquelle il est opposé ; qu'en qualifiant la transcription de l'acte sous seing privé du 30 juin 1927 de commencement de preuve, sans relever aucun élément établissant que cette transcription émanait de Q... E... à l'héritière de laquelle on l'opposait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

7°/ qu'un commencement de preuve par écrit ne peut être complété que par des éléments extérieurs à l'acte lui-même ; qu'en se fondant sur la circonstance que la traduction de l'acte original a été effectuée par un interprète assermenté, laquelle résulte de la transcription elle-même, la cour d'appel a violé l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française ;

8°/ que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; que dans la transcription hypothécaire litigieuse, il est indiqué que le litige à l'origine de la transaction constatée dans l'acte du 30 juin 1927 ainsi transcrit est né au sujet d'une action en recherche de maternité de dame N... a B... par rapport à la dame L... a B..., qu' « il fut formé opposition contre un jugement par défaut rendu par le tribunal civil de Papeete le dix octobre mil neuf cent vingt-deux » et que « par le présent acte, il est mis fin à l'instance d'opposition formée par Mme J... a K... suivant requête du trois décembre mil neuf cent vingt-trois contre jugement par défaut du dix octobre mil neuf cent vingt-deux » ; qu'il résulte des termes clairs et précis de cet acte que le jugement de reconnaissance, contre lequel il a été formé une tierce opposition ayant abouti à la transaction transcrite dans l'acte querellé, date du 10 octobre 1922 et qu'il concerne la reconnaissance de Tetaroa a B... par L... a B... ; qu'en énonçant, pour retenir que l'échange contesté est corroboré et rejeter les demandes de l'exposante, qu'il est fait mention « en marge de l'acte de naissance de Q... B... d'une reconnaissance par N... B... aselon jugement du 27 septembre 1921, jugement à l'encontre duquel a été formée la tierce opposition ayant abouti à la transaction transcrite dans l'acte querellé », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet acte et méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

9°/ qu'en retenant, pour débouter Mme H... de sa demande, que le commencement de preuve que constitue la transcription de l'acte sous seing privé du 30 juin 1927 est corroboré par l'exécution qu'en a faite Q... B..., puisqu'elle a disposé du bien donné en échange des droits indivis auxquels elle prétendait du fait de sa filiation en le vendant à la Paroisse protestante de Vairao par acte transcrit le 14 décembre 1925, soit plus d'un an avant l'échange allégué par M. I... dont cette cession ne pouvait ainsi pas constituer l'exécution, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1347 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française. »

Réponse de la Cour

6. Ayant retenu que la tradition orale avait pu conduire les parties à l'échange contesté à ne pas conserver l'acte sous signature privée original et que la transcription hypothécaire de celui-ci, qui avait été conservée dans des conditions adéquates, en reproduisait littéralement la traduction, effectuée par un interprète assermenté, la cour d'appel, qui a pu en déduire que cette transcription du titre original en constituait une copie, dont elle a souverainement apprécié le caractère fidèle et durable, au sens de l'article 1348, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable en Polynésie française, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi de Mme U... H... ;

REJETTE le pourvoi de Mme Y... H...

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Béghin - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Textes visés :

Article 1348, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et applicable en Polynésie française.

Soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, (P)

Cassation partielle

Règles générales – Moyen de preuve – Moyen illicite – Applications diverses – Illicéité au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du règlement général s – Rejet des débats – Appréciation – Office du juge – Contrôle de proportionnalité – Modalités – Cas – Collecte d'adresses IP par l'exploitation d'un fichier de journalisation sans déclaration préalable à la CNIL – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mars 2017), M. O..., engagé par l'Agence France Presse (AFP) le 9 septembre 1991, a saisi la juridiction prud'homale le 17 février 2012 de diverses demandes en paiement. Il a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire le 27 février 2015 et a été licencié pour faute grave le 23 mars 2015, au motif d'une usurpation de données informatiques.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié et les trois moyens du pourvoi incident de l'employeur, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi principal du salarié, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger son licenciement justifié par une faute grave et de le débouter de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'aux termes de l'article 32 du règlement intérieur de l'AFP, aucune sanction autre qu'un simple avertissement ne sera notifiée sans qu'aient été préalablement avisés les délégués du personnel de la catégorie de l'intéressé ; que le caractère préalable de l'information a pour finalité d'offrir au salarié une protection supplémentaire par l'assistance ou l'intervention des représentants du personnel, laquelle ne peut avoir d'effet utile que si l'information est effectuée dans un délai suffisant rendant l'assistance effective ; que la cour d'appel a relevé que les délégués du personnel avaient été avisés le 23 mars 2015 à 19 heures 38 d'un licenciement par lettre datée du 23 mars 2015 et notifiée au plus tôt le 24 mars, dans un délai lui permettant de modifier sa position ; qu'en statuant de la sorte, quand il n'était pas contesté par l'AFP que la lettre de licenciement avait été envoyée le 23 mars 2015, pour une première présentation le 24 mars 2015, de sorte que l'information des représentants du personnel effectuée postérieurement à l'envoi de la lettre de licenciement ne permettait pas au salarié de se faire assister utilement pour permettre le cas échéant à l'employeur de revenir sur sa décision, la cour d'appel a violé l'article 32 du règlement intérieur de l'AFP, ensemble l'article L. 1232-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel qui a, d'une part, relevé que l'article 32 du règlement intérieur de la société prévoit qu'aucune sanction autre qu'un simple avertissement ne sera notifiée sans qu'aient été préalablement avisés les délégués du personnel de la catégorie de l'intéressé et, d'autre part, constaté que l'avis aux délégués du personnel avait été effectué le 23 mars 2015 et que la notification du licenciement, au sens des dispositions conventionnelles applicables, était intervenue le 24 mars 2015, en a déduit à bon droit que l'employeur avait respecté l'article 32 précité.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal du salarié, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article 51 de la convention d'entreprise AFP du 29 octobre 1976, les conflits individuels seront soumis à la commission paritaire amiable ; qu'il en résulte que ce texte institue une procédure particulière obligatoire permettant de rechercher une solution amiable ; qu'en jugeant qu'en cas de licenciement, sa saisine préalable par l'employeur ne constituait pas une obligation, mais qu'il appartenait seulement à la partie la plus diligente de la saisir, la cour d'appel a violé l'article 51 de la convention d'entreprise AFP du 29 octobre 1976, ensemble l'article L. 1232-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 51 de la convention d'entreprise AFP du 29 octobre 1976, les conflits individuels seront soumis à une commission paritaire amiable, ayant uniquement une mission conciliatrice. Si l'une des parties récuse cette commission, ou si la tentative de conciliation échoue, les intéressés pourront toujours porter le différend devant toute juridiction française compétente en la matière.

Le recours à la commission paritaire amiable est notifié par la partie la plus diligente à l'autre partie par lettre exposant le ou les points sur lesquels porte le litige.

8. La cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur n'avait pas l'obligation de saisir la commission paritaire amiable préalablement au licenciement.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal du salarié, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger son licenciement justifié par une faute grave et de le débouter de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que le licenciement pour faute grave, dont la preuve incombe à l'employeur, ne peut être justifié par des éléments de preuve obtenus de façon illicite et dont la production est de ce fait irrecevable ; que constituent un moyen de preuve illicite les informations collectées, avant toute déclaration à la CNIL, par un système de traitement automatisé de données personnelles comme la collecte des adresses IP, permettant d'identifier indirectement une personne physique ou encore le traçage des fichiers de journalisation ; que la cour d'appel a retenu que les logs, fichiers de journalisation et adresses IP, qui constituaient un traçage informatique, n'étaient pas soumis à une déclaration de la CNIL, ni à une information du salarié, dès lors qu'ils n'avaient pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs ; qu'en statuant de la sorte, par un motif inopérant, quand seule la condition de la possible identification d'une personne physique était déterminante, la cour d'appel a violé les articles 2 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, l'article 9 du code de procédure civile et l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales :

11. Les adresses IP, qui permettent d'identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, au sens de l'article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, de sorte que leur collecte par l'exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en application de l'article 23 de la loi précitée.

12. Toutefois, ainsi que la Cour l'a déjà jugé (Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203, Bull. 2016, V, n° 209), le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi. De même, elle a déjà jugé (Soc., 31 mars 2015, pourvoi n° 13-24.410, Bull. 2015, V, n° 68), qu'un salarié ne peut s'approprier des documents appartenant à l'entreprise que s'ils sont strictement nécessaires à l'exercice des droits de sa défense dans un litige l'opposant à son employeur, ce qu'il lui appartient de démontrer.

13. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, s'agissant plus particulièrement de la surveillance des employés sur le lieu de travail, qu'elle a estimé que l'article 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales laissait à l'appréciation des États le choix d'adopter ou non une législation spécifique concernant la surveillance de la correspondance et des communications non professionnelles des employés (CEDH, K..., 5 sept. 2017, n° 61496/08, § 119). Elle a rappelé que, quelle que soit la latitude dont jouissent les États dans le choix des moyens propres à protéger les droits en cause, les juridictions internes doivent s'assurer que la mise en place par un employeur de mesures de surveillance portant atteinte au droit au respect de la vie privée ou de la correspondance des employés est proportionnée et s'accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (K..., précité, § 120).

14. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé également que, pour déterminer si l'utilisation comme preuves d'informations obtenues au mépris de l'article 8 ou en violation du droit interne a privé le procès du caractère équitable voulu par l'article 6, il faut prendre en compte toutes les circonstances de la cause et se demander en particulier si les droits de la défense ont été respectés et quelles sont la qualité et l'importance des éléments en question (CEDH, 17 oct. 2019, Lopez Ribalda, n° 1874/13 et 8567/13, § 151).

15. Enfin, aux termes de l'article 13. 1 g) de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, applicable à l'époque des faits, les États membres peuvent prendre des mesures législatives visant à limiter la portée des obligations et des droits prévus à l'article 6 paragraphe 1, à l'article 10, à l'article 11 paragraphe 1 et aux articles 12 et 21, lorsqu'une telle limitation constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d'autrui.

16. Il y a donc lieu de juger désormais que l'illicéité d'un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

17. Pour juger le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que selon un procès-verbal de constat d'huissier, le recoupement des informations de fichiers de journalisation extraites de données du gestionnaire centralisé de logs de l'AFP sur la journée du 30 janvier 2015 et la plage horaire de 12 heures 02 à 16 heures 02 et de l'adresse utilisée pour l'envoi des messages incriminés, a permis de constater que l'adresse IP utilisée est celle de M. O.... Il énonce également que les logs, fichiers de journalisation et adresses IP, qui constituent un traçage informatique que ne peut ignorer le salarié compte tenu de ses fonctions, ne sont pas soumis à une déclaration à la CNIL, ni ne doivent faire l'objet d'une information du salarié en sa qualité de correspondant informatique et libertés, lorsqu'ils n'ont pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs. Il ajoute que seule la mise en oeuvre d'un logiciel d'analyse des différents journaux (applicatifs et systèmes) permettant de collecter des informations individuelles poste par poste pour contrôler l'activité des utilisateurs doit être déclarée à la CNIL en ce qu'il s'agit d'un traitement automatisé d'informations nominatives.

L'arrêt en conclut que s'agissant non pas de la mise en oeuvre d'un tel logiciel, mais d'un simple traçage issu des fichiers de journalisation, pour lesquels la charte des ressources informatiques et internet en vigueur à l'AFP précise qu'ils sont conservés par l'administrateur pour une durée pouvant atteindre six mois, la preuve opposée au salarié est légale et ne procède pas d'une exécution déloyale du contrat.

18. En statuant ainsi, alors que l'exploitation des fichiers de journalisation, qui permettent d'identifier indirectement une personne physique, constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, et était ainsi soumise aux formalités préalables à la mise en oeuvre de tels traitements prévues au chapitre IV de ladite loi, ce dont il résultait que la preuve était illicite et, dès lors, les prescriptions énoncées au paragraphe 16 du présent arrêt invocables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident formé par l'Agence France Presse ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge le licenciement de M. O... fondé sur une faute grave et le déboute en conséquence de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 16 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Richard - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Articles 2 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ; articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la qualification de données à caractère personnel des adresses IP, à rapprocher : 1re Civ., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-22.595, Bull. 2016, I, n° 206 (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur l'absence de rejet systématique des débats d'un élément de preuve illicite obtenu au moyen de données qui auraient dû faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de la CNIL, évolution par rapport à : Soc., 8 octobre 2014, pourvoi n° 13-14.991, Bull. 2014, V, n° 230 (cassation partielle). Sur le principe que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi, à rapprocher : Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 19-12.058, Bull. 2020, (rejet), et l'arrêt cité. Sur la recevabilité, sur le fondement du droit au procès équitable et du droit à la preuve, des moyens de preuve obtenus au détriment du droit à la vie privée, cf. : CEDH, arrêt du 5 septembre 2017, Barbulescu c. Roumanie, n° 61496/08 ; CEDH, arrêt du 17 octobre 2019, Lopez Ribalda et autres c. Espagne, n° 1874/13 et n° 8567/13.

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