Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

MARIAGE

1re Civ., 4 novembre 2020, n° 19-50.027, (P)

Cassation sans renvoi

Devoirs et droits respectifs des époux – Communauté de vie – Caractérisation – Défaut – Cas – Bigamie – Effets – Non-acquisition de la nationalité française par mariage

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 17 janvier 2019), Mme G..., originaire d'Algérie, a contracté mariage en 1998, dans ce pays, avec un Français. Cette union a été transcrite sur les registres de l'état civil français le 30 juillet 2007. Mme G... a souscrit, le 6 mai 2014, une déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, laquelle a été enregistrée le 9 février 2015.

2. Le 14 mars 2016, le ministère public l'a assignée en nullité de cet enregistrement, en soutenant que l'état de bigamie de son conjoint français excluait toute communauté de vie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. Le ministère public fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la déclaration d'acquisition de la nationalité française par mariage souscrite par Mme G..., alors :

« 1°/ qu'en application l'article 26-4, alinéa 3, du code civil, l'enregistrement d'une déclaration acquisitive nationalité française peut, en cas de mensonge ou de fraude, être contesté par le ministère public dans le délai de deux ans à compter de leur découverte ; que ce texte ne distingue pas, en matière d'acquisition de la nationalité française par mariage, selon l'époux auteur du mensonge ou la fraude ; qu'en l'espèce, lors de la déclaration de nationalité française souscrite le 6 mai 2014 par Mme G..., le nouveau mariage de M. F... avec Mme P..., célébré 10 novembre 2010, a été dissimulé ; que dès lors, en retenant l'existence d'une vie commune entre Mme G... et M. F..., sans reconnaître la fraude commise lors de la souscription de la déclaration, peu important que cette fraude émane de M. F... ou des deux époux, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que la communauté de vie requise pour acquérir la nationalité française par mariage, et à laquelle s'obligent les époux en application de l'article 215 du code civil, est un élément de la conception monogamique française du mariage ; que la bigamie est incompatible avec l'existence d'une communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil ; que la cour d'appel a constaté la bigamie de l'époux en relevant que M. F... s'est marié en 1998 avec Mme G... puis le 10 novembre 2010 avec Mme P... ; que dès lors, en considérant qu'en dépit de la nouvelle union de M. F... en 2010, la persistance de la vie commune avec Mme G... au jour de la déclaration était caractérisée par le fait que les époux avaient fondé une famille nombreuse et avaient un domicile commun, la cour d'appel a violé l'article 21-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 :

5. Selon ce texte, l'étranger ou l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage.

6. La situation de bigamie d'un des époux à la date de souscription de la déclaration, qui est exclusive de toute communauté de vie affective, fait obstacle à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger.

7. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que les époux ont vécu ensemble pendant près de vingt ans et donné naissance à cinq enfants dont les deux derniers sont nés sur le territoire français en 2005 et 2013, ce qui caractérise l'existence d'une intention matrimoniale persistante ainsi qu'une communauté de vie réelle et constante au sens de l'article 215 du code civil.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le conjoint français de Mme G... avait contracté en 2010 une nouvelle union, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Infirme le jugement du 19 octobre 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Lille, sauf en ce qu'il constate l'accomplissement de la formalité prescrite à l'article 1043 du code de procédure civile et déclare recevable l'action du procureur de la République ;

Annule l'enregistrement effectué le 9 février 2015 de la déclaration de nationalité française souscrite par Mme Y... G... le 6 mai 2014 ;

Constate l'extranéité de Mme G... ;

Ordonne la mention prescrite par l'article 28 du code civil.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : Me Balat -

Textes visés :

Article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011.

1re Civ., 18 novembre 2020, n° 19-15.353, (P)

Cassation partielle

Devoirs et droits respectifs des époux – Contribution aux charges du mariage – Obligation – Exécution – Clause du contrat de mariage – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 20 février 2019), un jugement a prononcé le divorce de M. W... et de Mme M..., mariés sous le régime de la séparation de biens. Des difficultés sont nées pour le règlement de leurs intérêts patrimoniaux.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. M. W... fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de la somme de 74 723,19 euros à Mme M... au titre d'une créance entre époux, alors « que le caractère irréfragable de la présomption de contribution aux charges du mariage, au jour le jour, instituée par le contrat de mariage, interdit aux époux de prouver que l'un ou l'autre d'entre eux ne se serait pas acquitté de son obligation ; qu'il en résulte qu'un époux ne peut se prétendre créancier de l'autre au titre du remboursement d'un emprunt bancaire contracté pour la construction du logement familial, lequel participe de l'exécution de l'obligation de contribuer aux charges du mariage ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que le caractère irréfragable de cette clause n'interdit pas à un époux de faire la démonstration de ce que sa participation a excédé ses facultés contributives » et que si la sur-contribution est démontrée, elle a pour effet de rendre la clause inefficace », la cour d'appel a violé l'article 214 du code civil, ensemble l'article 1537 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 214 et 1537 du code civil :

3. Il résulte de ces textes que lorsque les juges du fond ont souverainement estimé irréfragable la présomption résultant de ce que les époux étaient convenus, en adoptant la séparation de biens, qu'ils contribueraient aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives et que chacun d'eux serait réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'ils ne seraient assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l'un de l'autre, un époux ne peut, au soutien d'une demande de créance, être admis à prouver l'insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l'excès de sa propre contribution.

4. Pour accueillir la demande de Mme M... tendant à se voir reconnaître titulaire d'une créance au titre du financement par des deniers personnels de la construction d'un immeuble ayant constitué par la suite le domicile conjugal, et ce, sur un terrain appartenant à son mari, après avoir relevé que le contrat de mariage des époux prévoit qu'ils contribueront aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives et que chacun d'eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l'un de l'autre, l'arrêt retient, d'une part, que le caractère irréfragable de cette clause, dont se prévaut M. W..., n'interdit pas à un époux de faire la démonstration de ce que sa participation a excédé ses facultés contributives, d'autre part, que si la sur-contribution est démontrée, elle a pour effet de rendre la clause inefficace.

5. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. Mme M... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que M. W... soit condamné à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de prestation compensatoire, alors « que la cassation de l'arrêt en ce qu'il a condamné M. W... à payer à Mme M... la somme de 74 723,19 euros au titre d'une créance entre époux entraînera nécessairement la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif par lequel la cour d'appel a débouté Mme M... de sa demande de versement d'une prestation compensatoire, dès lors que pour statuer ainsi, la cour d'appel s'est fondée sur la créance de 74 723,19 euros dont M. W... était débiteur envers Mme M..., en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ce texte que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée se trouvant dans un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

8. La cassation sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de prestation compensatoire de Mme M..., qui se trouve avec elle dans un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. W... au paiement de la somme de 74 723,19 euros à Mme M... au titre d'une créance entre époux et rejette la demande de prestation compensatoire de Mme M..., l'arrêt rendu le 20 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 214 et 1537 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 25 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.892, Bull. 2013, I, n° 189 (rejet) ; 1re Civ., 1er avril 2015, pourvoi n° 14-14.349, Bull. 2015, I, n° 78 (rejet).

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