Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

FILIATION

1re Civ., 18 novembre 2020, n° 19-50.043, (P)

Rejet et cassation partielle sans renvoi

Actions relatives à la filiation – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Action aux fins de transcription de l'acte de naissance étranger de l'enfant – Portée

Désistement

1. Le procureur général près la cour d'appel de Rennes a déclaré se désister du pourvoi principal. MM. A... et N..., qui avaient formé un pourvoi incident, n'ont pas accepté le désistement.

2. Il résulte des dispositions de l'article 1024 du code de procédure civile qu'il y a lieu de statuer sur les deux pourvois.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 mai 2019), aux termes de son acte de naissance étranger, J... A...-N... est né le [...] à Kamloops (Colombie britannique, Canada), ayant pour parents M. A... et M. N..., tous deux de nationalité française.

Les deux hommes ont eu recours à une convention de gestation pour autrui au Canada.

4. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s'étant opposé à leur demande de transcription de l'acte de naissance sur les registres de l'état civil consulaire, MM. A... et N... l'ont assigné à cette fin.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. MM. A... et N... font grief à l'arrêt de rejeter la demande de M. N... tendant à la transcription de l'acte de naissance de J... A...-N..., s'agissant de sa désignation comme parent de l'enfant, alors :

« 1°/ que l'article 47 du code civil permet simplement d'écarter les actes d'état civil qui n'ont pas été établis conformément à la loi dont ils relèvent ; que leur régularité formelle doit être examinée au regard des conditions posées par la loi étrangère ; qu'en refusant la transcription de l'acte de naissance de l'enfant J... en ce qui concerne la désignation de M. N... en qualité de parent, au motif que les faits déclarés ne correspondaient pas à la réalité biologique de l'enfant, sans examiner la régularité de l'acte de naissance au regard de la loi canadienne, dont il relevait, la cour d'appel a violé l'article 47 du code civil ;

2°/ qu'il se déduit de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, la circonstance que la naissance d'un enfant à l'étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui ne peut à elle seule faire obstacle à la transcription de l'acte de naissance du lien de filiation à l'égard du parent d'intention mentionnée dans un acte étranger laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l'enfant et le parent d'intention s'est concrétisé ; qu'en énonçant que le refus de transcription de la filiation paternelle d'intention, lorsque l'enfant est né à l'étranger à l'issue d'une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu'il tend à la protection de l'enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique prohibée, la cour d'appel a refusé la transcription de l'acte de naissance de l'enfant J... par des motifs fondés sur l'existence d'une convention de gestation pour autrui à l'origine de la naissance de l'enfant, et a violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 47 du code civil :

7. Aux termes de l'article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

8. Aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

9. Aux termes de l'article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

10. Il se déduit du deuxième de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme (avis consultatif du 10 avril 2019), qu'au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, la circonstance que la naissance d'un enfant à l'étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'enfant, faire obstacle à la transcription de l'acte de naissance établi par les autorités de l'Etat étranger, en ce qui concerne le père biologique de l'enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l'égard de la mère d'intention mentionnée dans l'acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l'enfant et la mère d'intention s'est concrétisé (Ass. plén., 4 octobre 2019, pourvoi n° 10-19.053, publié, paragraphe 6).

11. Le raisonnement n'a pas lieu d'être différent lorsque c'est un homme qui est désigné dans l'acte de naissance étranger comme « parent d'intention ».

12. La jurisprudence de la Cour de cassation (1re Civ., 5 juillet 2017, pourvois n° 15-28.597, Bull. 2017, I, n° 163, n° 16-16.901 et 16-50.025, Bull. 2017, I, n° 164 et n° 16-16.455, Bull. 2017, I, n° 165) qui, en présence d'un vide juridique et dans une recherche d'équilibre entre l'interdit d'ordre public de la gestation pour autrui et l'intérêt supérieur de l'enfant, a refusé, au visa de l'article 47 du code civil, la transcription totale des actes de naissance étrangers des enfants en considération, notamment, de l'absence de disproportion de l'atteinte portée au droit au respect de leur vie privée dès lors que la voie de l'adoption était ouverte à l'époux ou l'épouse du père biologique, ne peut trouver application lorsque l'introduction d'une procédure d'adoption s'avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressés.

13. Ainsi, dans l'arrêt précité, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a admis, au regard des impératifs susvisés et des circonstances de l'espèce, la transcription d'actes de naissance étrangers d'enfants nés à l'issue d'une convention de gestation pour autrui, qui désignaient le père biologique et la mère d'intention.

14. Les mêmes impératifs et la nécessité d'unifier le traitement des situations ont conduit à une évolution de la jurisprudence en ce sens qu'en présence d'une action aux fins de transcription de l'acte de naissance étranger de l'enfant, qui n'est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l'enfant soit né à l'issue d'une convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l'enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l'acte sur les registres de l'état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l'article 47 du code civil (1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-12.327, publié, et 1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-11.815, publié).

15. Pour ordonner la transcription partielle de l'acte de naissance de J... et rejeter la demande en ce que cet acte désigne M. N... en qualité de parent, l'arrêt retient que la désignation de celui-ci ne peut correspondre à la réalité biologique, ce dont il résulte que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité, et que la transcription partielle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'enfant, au regard du but légitime poursuivi, dès lors que l'accueil de l'enfant au sein du foyer constitué par son père et son compagnon n'est pas remis en cause par les autorités françaises et que ce dernier aura la possibilité de créer un lien de filiation avec l'enfant par un biais autre que la transcription, n'étant pas établi que la voie de l'adoption serait fermée au motif qu'il figure dans l'acte de naissance comme parent.

16. En statuant ainsi, alors que, saisie d'une demande de transcription d'un acte de l'état civil étranger, elle constatait que celui-ci était régulier, exempt de fraude et avait été établi conformément au droit de l'Etat de Colombie Britannique, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

17. Tel que suggéré par le mémoire déposé au soutien du pourvoi incident, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen du pourvoi incident, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. N... tendant à la transcription, sur les registres de l'état civil, de l'acte de naissance de J... A...-N..., né le [...] à Kamloops, BC (Colombie Britannique, Canada), s'agissant de sa désignation comme parent de l'enfant, l'arrêt rendu le 13 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement rendu le 14 décembre 2017 par le tribunal de grande instance de Nantes.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet -

Textes visés :

Article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 47 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-12.327, Bull. 2019, (cassation partielle sans renvoi) ; 1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-11.815, Bull. 2019, (cassation partielle sans renvoi).

1re Civ., 4 novembre 2020, n° 19-15.739, (P)

Déchéance partielle et cassation

Filiation adoptive – Adoption de l'enfant par l'époux du père – Adoption de l'enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger – Possibilité – Condition

Le droit français n'interdit pas le prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né à l'étranger d'une gestation pour autrui lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l'acte de naissance de l'enfant, qui ne fait mention que d'un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l'absence de tout élément de fraude.

Dès lors, prive sa décision de base légale une cour d'appel qui, pour rejeter une demande d'adoption plénière, retient que rien ne permet d'appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché aurait renoncé de manière définitive à l'établissement de la filiation maternelle et qu'il en est de même du consentement de cette femme à l'adoption de l'enfant, par le mari du père, de sorte que, dans ces conditions, il ne peut être conclu que l'adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière, soit conforme à l'intérêt de l'enfant, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les documents produits ne démontraient pas que l'acte de naissance, comportant le seul nom du père, était conforme à la loi de l'Etat étranger et qu'en l'absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l'enfant, l'adoption plénière était possible.

Déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du 27 novembre 2018

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

1. MM. Q... et E... se sont pourvus en cassation contre l'arrêt du 27 novembre 2018 mais leur mémoire ne contient aucun moyen à l'encontre de cette décision.

2. Il y a donc lieu de constater la déchéance partielle du pourvoi.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 février 2019), l'enfant U... E... est né le [...] 2015 à Villahermosa (Etat de Tabasco, Mexique) de M. E.... Celui-ci, né le [...] à Tarbes, de nationalité française, a eu recours à une convention de gestation pour autrui au Mexique.

La transcription de l'acte de naissance établi à l'étranger ne mentionne que le nom du père.

4. Par requête du 11 juillet 2016, M. Q..., né le [...] à Guayaquil (Equateur), de nationalité française, époux de M. E..., a formé une demande d'adoption plénière de l'enfant de son conjoint. M. E... a consenti à cette adoption le 4 mai 2016.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

5. MM. Q... et E... font grief à l'arrêt du 26 février 2019 de rejeter la demande d'adoption plénière de l'enfant U... par M. Q..., alors « que M. Q... faisait valoir, avec offre de preuve, qu'il était impossible de produire un document démontrant le consentement de Mme L... à l'adoption de U... par M. Q... ni la renonciation de cette dernière à des droits sur l'enfant dont elle avait accouché dans la mesure où, conformément au droit mexicain alors en vigueur dans l'état de Tabasco, Mme L... n'étant pas biologiquement le parent de l'enfant, conçu avec un don d'ovocyte, elle n'avait juridiquement aucun lien avec U... ni aucun droit sur ce dernier de sorte que l'enfant n'avait juridiquement pas de mère, ni au sens du droit mexicain, ni au sens du droit français ; que M. Q... versait notamment aux débats un document de la direction générale du registre civil de l'Etat de Tabasco du 10 décembre 2015 attestant que le contrat de gestation pour autrui conclu était conforme aux exigences de la loi » de sorte que l'officier d'Etat civil autorisait l'inscription de la naissance de l'enfant au registre d'état civil, l'original du contrat étant annexé au registre ; qu'il ressortait de ces écritures et de ce document que les conditions dans lesquelles Mme L... avait accouché de l'enfant U... et les conditions dans lesquelles ce dernier avait été remis à son père, M. E..., étaient parfaitement décrites et conformes à la loi mexicaine ; que M. Q... n'avait pas refusé de livrer à la cour d'appel des éléments d'information essentiels sur la naissance de U... mais démontrait au contraire que cette naissance avait eu lieu conformément aux dispositions de la loi mexicaine alors en vigueur et dans le respect des droits de Mme L..., le contrat de gestation pour autrui ayant été examiné par les autorités mexicaines et annexé au registre de l'état civil ; que la cour d'appel, pour débouter M. Q... de sa demande, s'est bornée à énoncer que rien ne permet en l'espèce d'appréhender les modalités dans lesquelles la femme ayant accouché de U... aurait renoncé à l'établissement de la filiation maternelle et ce de manière définitive, notamment si elle a été informée des conséquences juridiques de son acte et de l'importance pour toute personne de connaître son nom et son histoire, ni dans quelles conditions et dans quelle intention l'enfant U... a été remis à son père. Il en est de même, a fortiori, du consentement de cette femme à l'adoption de l'enfant dont elle a accouché, par le mari du père, dans des conditions qui viendraient, s'agissant d'une adoption plénière, à rendre impossibles à l'avenir, et de manière complète et irrévocable, tout établissement légal d'un lien de filiation maternelle et toute relation avec l'enfant. Dans ces conditions, et face au refus de l'appelant de livrer les éléments d'information essentiels sur la naissance de U..., en particulier ceux contenus dans le contrat de gestation pour autrui lequel détermine les conditions dans lesquelles Mme L... s'est abstenue de toute reconnaissance de l'enfant, la cour ne peut en conclure que l'adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière, et avec les effets définitifs qui s'attachent à cette dernière, soit conforme à l'intérêt de l'enfant lequel ne peut s'apprécier qu'au vu d'éléments biographiques suffisants » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si les documents produits, et notamment l'autorisation donnée à l'officier de l'état civil de la commune de Centro, Etat de Tabasco, en date du 10 décembre 2015, pour établir l'acte de naissance mexicain, ne démontrait pas que l'acte de naissance comportant le seul nom du père était conforme à la loi mexicaine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 345-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 16-7, 353, alinéa 1, 345-1, 1°, et 47 du code civil :

6. Aux termes du premier de ces textes, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle, l'article 16-9 du même code précisant que cette disposition est d'ordre public.

7. Selon le deuxième, l'adoption est prononcée à la requête de l'adoptant par le tribunal judiciaire qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant.

8. Aux termes du troisième, l'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint.

9. Aux termes du quatrième, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

10. Il résulte de ces textes que le droit français n'interdit pas le prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né à l'étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l'acte de naissance de l'enfant, qui ne fait mention que d'un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l'absence de tout élément de fraude.

11. Pour rejeter la demande d'adoption plénière, l'arrêt retient que rien ne permet d'appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché de U... aurait renoncé de manière définitive à l'établissement de la filiation maternelle et qu'il en est de même du consentement de cette femme à l'adoption de l'enfant, par le mari du père. Il estime que, dans ces conditions, il ne peut être conclu que l'adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière et avec les effets définitifs qui s'attachent à cette dernière, soit conforme à l'intérêt de l'enfant, qui ne peut s'apprécier qu'au vu d'éléments biographiques suffisants.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les documents produits, et notamment l'autorisation donnée le 10 décembre 2015, par la direction générale du registre civil, à l'officier de l'état civil de la commune de Centro (Etat de Tabasco) afin qu'il établisse l'acte de naissance de l'enfant, ne démontraient pas que cet acte de naissance, comportant le seul nom du père, était conforme à la loi de l'Etat de Tabasco, de sorte qu'en l'absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l'enfant, l'adoption plénière était juridiquement possible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du 27 novembre 2018 ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Cabinet Colin-Stoclet -

Textes visés :

Articles 16-7, 353, alinéa 1, 345-1, 1, et 47 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 5 juillet 2017, pourvoi n° 16-16.455, Bull. 2017, I, n° 165 (cassation).

1re Civ., 4 novembre 2020, n° 19-50.042, (P)

Rejet

Filiation adoptive – Adoption de l'enfant par l'époux du père biologique – Adoption de l'enfant né d'une procréation médicalement assistée pratiquée à l'étranger – Possibilité – Conditions

Le droit français n'interdit pas le prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né à l'étranger de gestation pour autrui lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l'acte de naissance de l'enfant, qui ne fait mention que d'un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l'absence de tout élément de fraude.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mai 2019), V... E... est né le [...] 2011 à Bombay (Inde) de M. E..., de nationalité française.

L'acte de naissance indien de l'enfant n'indique aucune filiation maternelle.

Le 18 octobre 2012, M. E... a reconnu l'enfant devant l'officier de l'état civil de la ville de Paris (11e arrondissement).

Le 15 décembre 2015, l'acte de naissance a été transcrit par le consul général de France à Bombay.

Le 18 mars 2016, M. E... a épousé M. M..., de nationalité française, devant l'officier de l'état civil de la ville de Paris (11e arrondissement).

2. Par requête du 26 juillet 2016, M. M... a formé une demande d'adoption plénière de l'enfant V....

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

3. MM. E... et M... soulèvent l'irrecevabilité du pourvoi, en application de l'article 979 du code de procédure civile, au motif que la décision confirmée par l'arrêt attaqué n'aurait pas été remise au greffe dans le délai de dépôt du mémoire ampliatif.

4. Cependant, il résulte des productions que le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 4 octobre 2017 prononçant l'adoption de l'enfant, confirmé par l'arrêt attaqué, a été remis au greffe dans le délai du mémoire ampliatif.

5. Le pourvoi est donc recevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le procureur général près la cour d'appel de Paris fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande d'adoption plénière, alors « que l'acte d'état civil doit comporter le nom de la mère qui accouche afin qu'il soit conforme à la « réalité » au sens des dispositions de l'article 47 du code civil précité ; qu'en refusant de considérer que l'acte de naissance de l'enfant qui omet de mentionner la filiation maternelle est irrégulier en droit français, la cour d'appel de Paris a violé l'article susmentionné. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l'article 16-7 du code civil, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle, ces dispositions étant d'ordre public.

9. Cependant, le recours à la gestation pour autrui à l'étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l'adoption sont réunies et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant.

10. Aux termes de l'article 370-3 du code civil, les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant.

11. Aux termes de l'article 345-1, 1°, du même code, l'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint.

12. Aux termes de l'article 47 du même code, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

13. L'arrêt en déduit exactement que le droit français n'interdit pas le prononcé de l'adoption par l'époux du père de l'enfant né à l'étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l'acte de naissance de l'enfant, qui ne fait mention que d'un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l'absence de tout élément de fraude.

14. Il relève que le recours à la gestation pour autrui par des étrangers, y compris célibataires non résidents, demeurait possible en Inde lors de la conception en 2010 et de la naissance en 2011 de l'enfant, ce que ne conteste pas le procureur général, qui ne critique que la légalité, au regard du droit indien, de l'établissement de l'acte de naissance de l'enfant, lequel ne fait état que de la filiation paternelle de M. E... à l'exclusion de toute filiation maternelle.

15. Il ajoute que, si les dispositions de l'article 19 b de la loi indienne de 1886 et de l'article 29 de la loi indienne du 31 mai 1969 n'autorisent pas l'établissement ou l'enregistrement d'un acte de naissance d'un enfant né hors mariage avec la mention d'un père sans celle de la mère, il ressort du guide des bonnes pratiques rédigé en 2005 par le Conseil indien de la recherche médicale et du projet de loi sur les technologies reproductives assistées (ART) de 2008, révisé en 2010, que la situation des enfants nés d'une gestation pour autrui était régie par ces textes, les projets de loi ART de 2008 et de 2010 servant, dans l'attente de leur adoption définitive et de leur promulgation, de lignes directrices pour l'établissement des actes de naissance des enfants nés selon cette méthode d'assistance médicale à la procréation. Il constate que l'application de ces derniers textes par les juridictions indiennes est confirmée par la décision rendue le 18 novembre 2011 par la Cour de district de Delhi et relève que, selon l'article 35 du projet de loi ART de 2010, « dans le cas d'une femme célibataire, l'enfant sera l'enfant légitime de la femme, et dans le cas d'un homme seul, l'enfant sera l'enfant légitime de l'homme » et que « l'acte de naissance d'un enfant né grâce à l'aide à la procréation assistée doit contenir le nom du ou des parents, selon le cas, qui a demandé une telle utilisation ».

16. Il relève encore que la possibilité de dresser un acte de naissance ou d'enregistrer une naissance en ne faisant mention que de la filiation du père sans celle de la femme ayant accouché est confirmée par la directive adressée le 16 septembre 2011 par le directeur adjoint des services de santé de l'État du Maharashtra au directeur adjoint du service de santé de l'hôpital de F... selon laquelle dans le cas de parents d'intention célibataires les certificats doivent être émis en mentionnant leurs noms, qui peut être la mère ou le père mentionnant inconnu pour l'autre nom.

17. Il précise que le procureur général ne saurait se fonder sur les dispositions du projet de loi indienne sur les technologies reproductives assistées de 2014, qui n'était pas applicable au jour de l'établissement de l'acte de naissance de l'enfant, et dont il ne soutient pas que ses dispositions seraient rétroactives.

18. Il en déduit que l'acte de naissance de l'enfant, qui mentionne comme père M. E... sans faire mention de la gestatrice, a été établi conformément aux dispositions de la législation indienne et qu'il ne saurait donc être reproché au requérant un détournement ou une fraude.

19. Il relève enfin que MM. M... et E... versent aux débats le contrat de gestation pour autrui conclu le 29 octobre 2010 entre M. E..., d'une part, Mme H... et son époux, d'autre part.

20. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que l'acte de naissance de l'enfant avait été régulièrement dressé en application de la loi indienne et qu'en l'absence de filiation maternelle établie en Inde, l'adoption d'V... par M. M... était légalement possible.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles 16-7, 370-3, 345-1,1, et 47 du code civil.

Rapprochement(s) :

Avis de la Cour de cassation, 22 septembre 2014, n° 14-70.006, Bull. 2014, Avis, n° 6.

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