Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

ENTREPRISE EN DIFFICULTE

Com., 25 novembre 2020, n° 19-14.250, (P)

Rejet

Ouverture – Procédure – Saisine – Assignation d'un créancier – Qualité pour agir – Payeur de la Polynésie française

Il résulte de l'article 76 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 2005 relative à la réglementation budgétaire, comptable et financière de la Polynésie française et de ses établissements publics que le payeur de la Polynésie française a qualité pour demander l'ouverture d'une procédure collective à l'égard d'un redevable.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 6 décembre 2018), par une requête du 12 avril 2017, la paierie de la Polynésie française a saisi le tribunal mixte de commerce de Papeete d'une demande d'ouverture du redressement judiciaire de M. I..., entrepreneur, à la suite de l'échec de tentatives de recouvrement de la somme de 27 317 032 FCP due au titre de diverses impositions.

La requête a été déposée au nom de M. F..., payeur de la Polynésie française, et signée « par procuration » par M. V..., inspecteur des finances publiques.

Par un jugement du 26 mars 2018, le tribunal a ouvert le redressement judiciaire de M. I... et désigné M. H... représentant des créanciers.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

3. M. I... fait grief à l'arrêt de constater son état de cessation des paiements et d'ouvrir son redressement judiciaire, alors :

« 2°/ que le payeur de la Polynésie Française n'est pas habilité à engager, de sa propre initiative, une action en redressement judiciaire contre un contribuable, action qui n'est pas directement liée à sa fonction de recouvrement de l'impôt et à son obligation de conservation des créances de la Polynésie française ; que l'action en redressement judiciaire à l'encontre du redevable d'impôts, qui ne remet pas en cause le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics, ne peut être engagée par le payeur de la Polynésie française sans une autorisation du conseil des ministres de la Polynésie française, seul habilité à décider d'intenter des actions ou de défendre devant les juridictions au nom de la Polynésie française ; qu'en considérant que le payeur de la Polynésie française était régulièrement investi en sa qualité de comptable public, responsable de la paierie de la Polynésie française, des pouvoirs d'agir pour assurer la conservation des créances de la Polynésie française, que ses pouvoirs ne pouvaient pas être subordonnés à une autorisation du conseil des ministres, et que le tribunal avait exactement jugé que l'action en redressement judiciaire engagée par le payeur de la Polynésie française visait bien à garantir la conservation de la créance fiscale de celle-ci, bien que les pouvoirs de conservation des créances fiscales dudit payeur ne lui confèrent nullement celui d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'encontre d'un contribuable, la cour d'appel a violé les articles LP 711-1 et LP 716-1 du code des impôts de la Polynésie française, 76 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 1995 et 91-25° de la loi organique du 27 février 2004 ;

3°/ que le payeur de la Polynésie française n'ayant pas le pouvoir d'agir en redressement judiciaire contre un contribuable, ne peut déléguer ce pouvoir ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que M. V... a signé par procuration du payeur de la Polynésie française la requête en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire contre M. I... ; qu'en considérant que les trois arrêtés n° 2-2013 PPF du 1er septembre 2013, n° 1-2015 PPF du 1er août 2015 et n° 1-2017 PPF du 1er avril 2017, par lesquels M. F..., payeur de la Polynésie française, avait donné délégation générale et permanente notamment à M. V... pour « agir en justice en lieu et place du payeur », suffisaient à établir la qualité pour agir du requérant et la recevabilité de la requête, bien que M. F... n'ait pas eu lui-même le pouvoir d'agir en redressement judiciaire contre l'exposant et par suite celui de déléguer ce pouvoir à M. V..., de sorte que ni l'action engagée ni la requête devant le tribunal mixte de commerce signée par procuration du payeur n'étaient recevables, la cour d'appel a violé les articles LP 711-1 et LP 716-1 du code des impôts de la Polynésie française, 76 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 1995 et 91-25° de la loi organique du 27 février 2004. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt énonce exactement que l'article 76 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 2005 relative à la réglementation budgétaire, comptable et financière de la Polynésie française et de ses établissements publics n'est pas contraire à l'article 91 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie, qui prévoit que, dans la limite des compétences de cette collectivité, le conseil des ministres décide d'intenter des actions ou de défendre devant les juridictions au nom de la Polynésie française, le principe de la séparation entre ordonnateur et comptable trouvant à s'y appliquer, et les pouvoirs du payeur ne pouvant être subordonnés à une autorisation du conseil des ministres, et que cette délibération confère au comptable public le pouvoir de saisir le tribunal à l'effet de préserver les droits de la Polynésie française en matière d'impôts.

L'arrêt en déduit à bon droit que l'action engagée par le payeur de la Polynésie française visait bien à garantir la créance de cette collectivité, et qu'il avait qualité pour demander l'ouverture du redressement judiciaire de M. I... et donner procuration à M. V..., inspecteur des finances publiques, pour signer la requête.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat(s) : SCP Boulloche ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 76 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 2005 relative à la réglementation budgétaire comptable et financière de la Polynésie française et de ses établissements publics.

Rapprochement(s) :

Sur la qualité pour demander l'ouverture d'une procédure collective, à rapprocher : Com., 7 février 2012, pourvoi n° 11-11.347, Bull. 2012, IV, n° 27 (cassation partielle).

Com., 25 novembre 2020, n° 19-11.525, (P)

Cassation partielle

Redressement judiciaire – Poursuite individuelle interrompue – Voie d'exécution – Domaine d'application – Exclusion – Sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers – Constituant placé en procédure collective

Une sûreté réelle, consentie pour garantir la dette d'un tiers, n'impliquant aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l'obligation d'autrui, le bénéficiaire d'une telle sûreté ne peut agir en paiement contre le constituant, qui n'est pas son débiteur, et, n'ayant pas acquis la qualité de créancier, il n'est pas soumis à l'arrêt ou l'interdiction des voies d'exécution qui, en application du premier des textes susvisés, résultent de l'ouverture de la procédure collective du constituant. Par conséquent, pour réaliser l'immeuble objet de la sûreté, il peut poursuivre ou engager une procédure de saisie immobilière contre le constituant, après avoir mis en cause l'administrateur et le représentant des créanciers.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 23 novembre 2017), par trois actes authentiques du 2 février 2007, la société Faukura a constitué, sous la forme d'un « cautionnement hypothécaire », une sûreté réelle sur un terrain, au bénéfice de la Banque de Polynésie (la banque), en garantie de trois emprunts contractés auprès de celle-ci par la Société de développement de Moorea (la SDM).

2. La SDM a été mise en liquidation judiciaire le 28 novembre 2011.

3. Le 9 décembre 2013, la banque a fait délivrer à la société Faukura un commandement de payer le solde des emprunts ou de délaisser l'immeuble, puis, le 19 février 2014, une sommation de prendre connaissance du cahier des charges en vue de la vente forcée de l'immeuble.

4. Le 13 octobre 2014, la société Faukura a elle-même été mise en redressement judiciaire, M. L... étant désigné en qualité de représentant des créanciers.

5. La société Faukura a demandé que soit constaté l'arrêt de la procédure de saisie immobilière en raison de l'ouverture de la procédure collective.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La banque fait grief à l'arrêt de constater l'arrêt de la procédure de saisie immobilière qu'elle a engagée contre la société Faukura, alors « que la règle de l'arrêt des voies d'exécution prévue par l'article L. 621-40 du code de commerce dans sa version applicable à la Polynésie française, ne s'applique qu'aux voies d'exécution engagées par les créanciers du débiteur en difficulté dont les créances ont une origine antérieure au jugement d'ouverture ; qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'autrui n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui, le créancier qui poursuit la réalisation d'une telle sûreté ne peut se voir opposer la règle de l'arrêt des voies d'exécution en cas de placement du constituant sous l'empire d'une procédure collective faute de pouvoir être considéré comme un « créancier » du débiteur en difficulté ; qu'en décidant au contraire que la procédure de saisie immobilière engagée par la banque à l'encontre de la société Faukura, qui avait hypothéqué son immeuble en garantie de la dette d'un tiers, était soumise à la règle de l'arrêt des voies d'exécution au motif que la banque était créancière de la société Faukura et que sa « créance » était antérieure à l'ouverture de la procédure de cette société, la cour d'appel a violé l'article susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 621-40 et L. 621-42 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et l'article 2169 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 23 mars 2006 :

7. Une sûreté réelle, consentie pour garantir la dette d'un tiers, n'impliquant aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l'obligation d'autrui, le bénéficiaire d'une telle sûreté ne peut agir en paiement contre le constituant, qui n'est pas son débiteur, et, n'ayant pas acquis la qualité de créancier, il n'est pas soumis à l'arrêt ou l'interdiction des voies d'exécution qui, en application du premier des textes susvisés, résultent de l'ouverture de la procédure collective du constituant.

Par conséquent, il peut poursuivre ou engager une procédure de saisie immobilière contre le constituant, après avoir mis en cause l'administrateur et le représentant des créanciers.

8. Pour constater l'arrêt de la procédure de saisie immobilière diligentée par la banque, l'arrêt retient que celle-ci a fait délivrer une sommation de payer à la société Faukura et que l'action ainsi exercée contre cette société tendait au paiement d'une somme d'argent même si la banque n'avait d'action que sur l'immeuble affecté en garantie des emprunts contractés par la SDM. Il retient encore qu'il est de l'essence de la procédure de redressement judiciaire de soumettre l'ensemble des créanciers antérieurs à un régime unique en garantissant que les actifs de l'entreprise ne seront pas « préemptés » tant que la faisabilité d'un plan n'a pas été examinée.

9. En statuant ainsi, alors que, la banque, n'ayant pas la qualité de créancier de la société Faukura mise en redressement judiciaire, n'était pas soumise à la règle de l'arrêt des voies d'exécution résultant de l'ouverture de cette procédure collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il constate l'arrêt de la procédure de saisie immobilière dirigée par la Banque de Polynésie contre la société Faukura et rejette les demandes de la Banque de Polynésie tendant à la validation de la surenchère et à la poursuite de la procédure, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Riffaud - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Cabinet Colin-Stoclet -

Textes visés :

Articles L. 621-40 et L. 621-42 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 ; article 2169 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 23 mars 2006.

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