Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

1re Civ., 4 novembre 2020, n° 19-17.559, (P)

Rejet

Article 14 – Interdiction de discrimination – Violation – Défaut – Cas – Détermination par un Etat de ses nationaux par application de la loi sur la nationalité – Condition

La détermination par un Etat de ses nationaux, par application de la loi sur la nationalité, ne peut constituer une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'est assuré le droit à une nationalité (1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n° 04-17.632, Bull. 2007, I, n° 159 (rejet)).

Est rejeté le pourvoi qui ne fait état d'aucune incidence concrète de l'application du Traité de cession des établissements français de Pondichéry, Karikal, Mahé et Yanaon à l'Union indienne du 28 mai 1956 sur la vie privée et familiale du demandeur qui a engagé une action déclaratoire de nationalité française.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2018), M. B... J..., né le [...] à Pondichéry, a introduit une action déclaratoire de nationalité en raison de sa filiation avec un père français né sur le territoire de Pondichéry et une mère née en Inde anglaise et devenue française par son mariage.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M. J... fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'est pas français, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve fournis par les parties ; qu'en n'examinant pas les documents français produits par M. J... pour établir sa nationalité française, documents dont il n'était pas contesté ou constaté qu'ils n'étaient pas produits, la cour d'appel a violé les articles 455 et 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Le moyen, qui critique des motifs surabondants de l'arrêt, est inopérant.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. M. J... fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que, conformément à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que la nationalité, effet de la filiation, relève de la vie sociale et familiale d'un individu, à travers le lien qu'il entretient avec ses parents égaux entre eux et avec la société de ses parents ; qu'elle est donc incluse à ce titre dans le champ d'application de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en vertu de l'article 14 de cette convention, aucune distinction dans l'exercice de ce droit ne peut être fondée sur des critères tenant au sexe ; que l'article 5 du traité bilatéral de 1962 interdit à l'enfant mineur, né d'une mère française restée française, de conserver la nationalité française, si le père opte pour la nationalité indienne ; que, selon cet article, l'enfant conservera la nationalité française si son père est français, même si sa mère est indienne ; qu'il perdra, en revanche, la nationalité française bien que sa mère soit française, si son père devient indien ; que l'article 5 aboutit ainsi à ce que des enfants placés dans une même situation, enfants de parents dont l'un conserve la nationalité française et pas l'autre, voient leur nationalité française dépendre du sexe du parent français ; que cette disposition consacre une inégalité entre les filiations paternelle et maternelle, comme entre l'homme et la femme ou encore entre les parents, reposant sur le sexe du parent ; qu'une telle disposition discriminatoire porte atteinte au droit à la vie privée et familiale ; qu'en ne l'écartant pas, la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 55 de la Constitution ;

2°/ que les buts légitimes susceptibles de justifier une ingérence dans l'exercice des droits à la vie privée et familiale sont la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d'autrui ; qu'aucun de ces buts ne recouvre celui de préserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde par le choix d'une disposition qui privilégie la nationalité du père sur celle de la mère ; que l'article 5 du traité de 1962 ne poursuit pas un but légitime justifiant une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ; qu'en refusant d'écarter son application parce qu'il ne violerait pas l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé ledit article ;

3°/ que constitue une discrimination, même si l'assurance au droit à une nationalité est préservée, la détermination des nationaux d'un Etat par application de critères discriminatoires à raison du sexe du parent ; qu'en retenant que la détermination par un Etat de ses nationaux ne peut constituer une discrimination au sens de cet article dès lors qu'est assuré, comme en l'espèce, le droit à une nationalité, quand ce droit est assuré par le recours à un critère discriminatoire, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son article 8 ;

4°/ que la poursuite d'un but légitime ne constitue pas en soi une justification objective et raisonnable justifiant une discrimination ou une ingérence dans un droit fondamental ; qu'il faut encore que la mesure constitutive d'une ingérence en cause soit nécessaire dans une société démocratique au regard du but poursuivi, adéquate et proportionnée à l'objectif poursuivi ; qu'en se limitant à affirmer que les règles gouvernant la conservation de la nationalité française poursuivaient le but légitime de préserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde et constituaient ainsi une justification objective et raisonnable, assimilant ainsi le but légitime et les modalités de la mesure prises pour l'atteindre, la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que l'ingérence dans l'exercice d'un droit fondamental fondée sur une discrimination n'est justifiée que si elle est nécessaire dans une société démocratique au regard du but poursuivi, adéquate et proportionnée à l'objectif poursuivi ; que la détermination par un Etat de ses nationaux par application d'un critère discriminatoire fondé sur le sexe du parent n'est ni adéquat, ni proportionné au but poursuivi qu'il s'agisse pour cet Etat de déterminer ses nationaux ou de conserver l'identité de la population des anciens établissements français cédés à l'Inde ; que ces objectifs peuvent parfaitement être atteints par une disposition respectueuse de l'égalité entre les hommes et les femmes, entre les filiations maternelle et paternelle, et entre les parents ; qu'en faisant application de l'article 5 du traité de 1962 parce qu'il ne violerait pas les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé lesdits articles ;

6°/ que l'article 9 de la convention multilatérale des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ratifiée par la France et entrée en vigueur le 3 septembre 1981, prévoit que les femmes doivent avoir des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne la nationalité de leurs enfants ; que l'article 5 du traité bilatéral entre la France et l'Inde de 1962 dispose que la nationalité des enfants mineurs suit celle du père seul ; que cette disposition établit une discrimination fondée sur le sexe du parent ; qu'émanant d'un traité bilatéral antérieur elle doit s'effacer devant les dispositions claires et précises émanant de traités multilatéraux postérieurs énonçant des droits fondamentaux tels que l'égalité entre l'homme et la femme ; qu'en n'écartant pas l'application de l'article 5 du traité de 1962 et en refusant de reconnaître la nationalité française de M. J... par filiation avec sa mère restée française, la cour d'appel a violé l'article 9.2 de la Convention des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ensemble l'article 55 de la Constitution ;

7°/ que l'article 5 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce que « les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution » ; que l'article 5 du traité bilatéral entre la France et l'Inde de 1962 fait produire plus de conséquences juridiques à la filiation paternelle qu'à la filiation maternelle pour les enfants du couple ; qu'il établit une inégalité entre les parents dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage en faisant prévaloir la nationalité du père sur celle de la mère ; qu'émanant d'un traité bilatéral antérieur l'article 5 du traité de 1962 doit s'effacer devant les dispositions de l'article 5 du protocole n° 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonçant des droits fondamentaux tels que l'égalité entre les parents vis-à-vis de leurs enfants, et nécessairement entre le père et la mère ; qu'en n'écartant pas l'application de l'article 5 du traité de 1962 et en refusant de reconnaître la nationalité française de M. J... par filiation avec sa mère restée française parce que son père n'avait pas fait le choix de conserver la nationalité française, la cour d'appel a violé l'article 5 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 55 de la Constitution de 1955 et le préambule de la Constitution de 1946. »

Réponse de la Cour

5. L'arrêt retient à bon droit, par motifs adoptés, que la détermination par un Etat de ses nationaux, par application de la loi sur la nationalité, ne peut constituer une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'est assuré le droit à une nationalité (1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n° 04-17.632, Bull. 2007, I, n° 159).

6. Le moyen ne fait état d'aucune incidence concrète de l'application du Traité de cession des établissements français de Pondichéry, F..., W... et E... à l'Union indienne du 28 mai 1956 sur la vie privée et familiale de M. J....

7. M. J... n'a invoqué devant la cour d'appel ni la convention des Nations Unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ni le Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Dès lors, le moyen, nouveau et mélangé de fait en ses sixième et septième branches, comme tel irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n° 04-17.632, Bull. 2007, I, n° 159 (rejet).

1re Civ., 4 novembre 2020, n° 19-15.150, (P)

Rejet

Article 14 – Interdiction de discrimination – Violation – Défaut – Cas – Détermination par un Etat de ses nationaux par application de la loi sur la nationalité – Condition

La détermination, par un Etat, de ses nationaux par application de la loi sur la nationalité ne peut constituer une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'est assuré le droit à une nationalité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2019), un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 7 septembre 2017 a constaté l'extranéité de M. G... L..., né le [...] à Djibouti, au motif qu'il ne démontrait pas avoir conservé la nationalité française lors de l'indépendance de ce territoire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. M. G... L... fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'est pas de nationalité française, alors :

« 1°/ que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que si l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas un droit d'acquérir une nationalité ou une citoyenneté particulière, un refus arbitraire fondé sur un critère discriminatoire, au sens de l'article 14 de la Convention, porte une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie familiale normale ; que M. G... L... faisait valoir que les articles 3 et 4 de la loi n° 77-625 du 20 juin 1977, prévoyant les conditions de la conservation de la nationalité française à la suite de l'indépendance du territoire français des Afars et des Issas, mettaient en oeuvre des critères discriminatoires fondés sur l'appartenance ethnique et/ou religieuse ; que, pour débouter M. G... L... de ses demandes, la cour d'appel a affirmé que les conditions d'attribution par un État de sa nationalité n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a violé les articles 8 et 14 de ladite Convention ;

2°/ que le droit au respect de la vie privée et familiale doit être assuré, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques, ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; que les articles 3, 4 et 5 de la loi n° 77-625 du 20 juin 1977 soumettaient à une obligation de déclaration de reconnaissance de la nationalité française, avant le 27 juin 1978, les seules personnes originaires du territoire français des Afars et des Issas, à condition de surcroît qu'elles aient établi leur domicile, à la date du 8 mai 1977, dans le territoire de la République française à l'exception du territoire des Afars et des Issas ; qu'en donnant effet à une disposition législative discriminatoire, la cour d'appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958. »

Réponse de la Cour

4. La détermination, par un Etat, de ses nationaux par application de la loi sur la nationalité ne peut constituer une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'est assuré le droit à une nationalité (1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n° 04-17.632, Bull. 2007, I, n° 159).

5. Abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la première branche du moyen, c'est sans méconnaître les exigences résultant des articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la cour d'appel a fait application de la loi n° 77-625 du 20 juin 1977 relative à l'indépendance du territoire français des Afars et des Issas, qui détermine les catégories de personnes qui conserveront la nationalité française lors de l'indépendance de ce territoire, et, après avoir constaté que M. G... L... ne rentrait dans aucune des catégories visées pour conserver la nationalité française, a retenu qu'il avait perdu cette nationalité.

6. Le moyen ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : Me Galy -

Textes visés :

Article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n° 04-17.632, Bull. 2007, I, n° 159 (rejet).

Soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, (P)

Cassation partielle

Article 8 – Respect de la vie privée – Exercice de ce droit – Production de pièces en justice – Justifications – Atteinte proportionnée au but poursuivi – Caractérisation – Nécessité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mars 2017), M. O..., engagé par l'Agence France Presse (AFP) le 9 septembre 1991, a saisi la juridiction prud'homale le 17 février 2012 de diverses demandes en paiement. Il a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire le 27 février 2015 et a été licencié pour faute grave le 23 mars 2015, au motif d'une usurpation de données informatiques.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié et les trois moyens du pourvoi incident de l'employeur, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi principal du salarié, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger son licenciement justifié par une faute grave et de le débouter de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'aux termes de l'article 32 du règlement intérieur de l'AFP, aucune sanction autre qu'un simple avertissement ne sera notifiée sans qu'aient été préalablement avisés les délégués du personnel de la catégorie de l'intéressé ; que le caractère préalable de l'information a pour finalité d'offrir au salarié une protection supplémentaire par l'assistance ou l'intervention des représentants du personnel, laquelle ne peut avoir d'effet utile que si l'information est effectuée dans un délai suffisant rendant l'assistance effective ; que la cour d'appel a relevé que les délégués du personnel avaient été avisés le 23 mars 2015 à 19 heures 38 d'un licenciement par lettre datée du 23 mars 2015 et notifiée au plus tôt le 24 mars, dans un délai lui permettant de modifier sa position ; qu'en statuant de la sorte, quand il n'était pas contesté par l'AFP que la lettre de licenciement avait été envoyée le 23 mars 2015, pour une première présentation le 24 mars 2015, de sorte que l'information des représentants du personnel effectuée postérieurement à l'envoi de la lettre de licenciement ne permettait pas au salarié de se faire assister utilement pour permettre le cas échéant à l'employeur de revenir sur sa décision, la cour d'appel a violé l'article 32 du règlement intérieur de l'AFP, ensemble l'article L. 1232-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel qui a, d'une part, relevé que l'article 32 du règlement intérieur de la société prévoit qu'aucune sanction autre qu'un simple avertissement ne sera notifiée sans qu'aient été préalablement avisés les délégués du personnel de la catégorie de l'intéressé et, d'autre part, constaté que l'avis aux délégués du personnel avait été effectué le 23 mars 2015 et que la notification du licenciement, au sens des dispositions conventionnelles applicables, était intervenue le 24 mars 2015, en a déduit à bon droit que l'employeur avait respecté l'article 32 précité.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal du salarié, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article 51 de la convention d'entreprise AFP du 29 octobre 1976, les conflits individuels seront soumis à la commission paritaire amiable ; qu'il en résulte que ce texte institue une procédure particulière obligatoire permettant de rechercher une solution amiable ; qu'en jugeant qu'en cas de licenciement, sa saisine préalable par l'employeur ne constituait pas une obligation, mais qu'il appartenait seulement à la partie la plus diligente de la saisir, la cour d'appel a violé l'article 51 de la convention d'entreprise AFP du 29 octobre 1976, ensemble l'article L. 1232-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 51 de la convention d'entreprise AFP du 29 octobre 1976, les conflits individuels seront soumis à une commission paritaire amiable, ayant uniquement une mission conciliatrice. Si l'une des parties récuse cette commission, ou si la tentative de conciliation échoue, les intéressés pourront toujours porter le différend devant toute juridiction française compétente en la matière.

Le recours à la commission paritaire amiable est notifié par la partie la plus diligente à l'autre partie par lettre exposant le ou les points sur lesquels porte le litige.

8. La cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur n'avait pas l'obligation de saisir la commission paritaire amiable préalablement au licenciement.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal du salarié, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger son licenciement justifié par une faute grave et de le débouter de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que le licenciement pour faute grave, dont la preuve incombe à l'employeur, ne peut être justifié par des éléments de preuve obtenus de façon illicite et dont la production est de ce fait irrecevable ; que constituent un moyen de preuve illicite les informations collectées, avant toute déclaration à la CNIL, par un système de traitement automatisé de données personnelles comme la collecte des adresses IP, permettant d'identifier indirectement une personne physique ou encore le traçage des fichiers de journalisation ; que la cour d'appel a retenu que les logs, fichiers de journalisation et adresses IP, qui constituaient un traçage informatique, n'étaient pas soumis à une déclaration de la CNIL, ni à une information du salarié, dès lors qu'ils n'avaient pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs ; qu'en statuant de la sorte, par un motif inopérant, quand seule la condition de la possible identification d'une personne physique était déterminante, la cour d'appel a violé les articles 2 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, l'article 9 du code de procédure civile et l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales :

11. Les adresses IP, qui permettent d'identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, au sens de l'article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, de sorte que leur collecte par l'exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en application de l'article 23 de la loi précitée.

12. Toutefois, ainsi que la Cour l'a déjà jugé (Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203, Bull. 2016, V, n° 209), le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi. De même, elle a déjà jugé (Soc., 31 mars 2015, pourvoi n° 13-24.410, Bull. 2015, V, n° 68), qu'un salarié ne peut s'approprier des documents appartenant à l'entreprise que s'ils sont strictement nécessaires à l'exercice des droits de sa défense dans un litige l'opposant à son employeur, ce qu'il lui appartient de démontrer.

13. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, s'agissant plus particulièrement de la surveillance des employés sur le lieu de travail, qu'elle a estimé que l'article 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales laissait à l'appréciation des États le choix d'adopter ou non une législation spécifique concernant la surveillance de la correspondance et des communications non professionnelles des employés (CEDH, K..., 5 sept. 2017, n° 61496/08, § 119). Elle a rappelé que, quelle que soit la latitude dont jouissent les États dans le choix des moyens propres à protéger les droits en cause, les juridictions internes doivent s'assurer que la mise en place par un employeur de mesures de surveillance portant atteinte au droit au respect de la vie privée ou de la correspondance des employés est proportionnée et s'accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (K..., précité, § 120).

14. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé également que, pour déterminer si l'utilisation comme preuves d'informations obtenues au mépris de l'article 8 ou en violation du droit interne a privé le procès du caractère équitable voulu par l'article 6, il faut prendre en compte toutes les circonstances de la cause et se demander en particulier si les droits de la défense ont été respectés et quelles sont la qualité et l'importance des éléments en question (CEDH, 17 oct. 2019, Lopez Ribalda, n° 1874/13 et 8567/13, § 151).

15. Enfin, aux termes de l'article 13. 1 g) de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, applicable à l'époque des faits, les États membres peuvent prendre des mesures législatives visant à limiter la portée des obligations et des droits prévus à l'article 6 paragraphe 1, à l'article 10, à l'article 11 paragraphe 1 et aux articles 12 et 21, lorsqu'une telle limitation constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d'autrui.

16. Il y a donc lieu de juger désormais que l'illicéité d'un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

17. Pour juger le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que selon un procès-verbal de constat d'huissier, le recoupement des informations de fichiers de journalisation extraites de données du gestionnaire centralisé de logs de l'AFP sur la journée du 30 janvier 2015 et la plage horaire de 12 heures 02 à 16 heures 02 et de l'adresse utilisée pour l'envoi des messages incriminés, a permis de constater que l'adresse IP utilisée est celle de M. O.... Il énonce également que les logs, fichiers de journalisation et adresses IP, qui constituent un traçage informatique que ne peut ignorer le salarié compte tenu de ses fonctions, ne sont pas soumis à une déclaration à la CNIL, ni ne doivent faire l'objet d'une information du salarié en sa qualité de correspondant informatique et libertés, lorsqu'ils n'ont pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs. Il ajoute que seule la mise en oeuvre d'un logiciel d'analyse des différents journaux (applicatifs et systèmes) permettant de collecter des informations individuelles poste par poste pour contrôler l'activité des utilisateurs doit être déclarée à la CNIL en ce qu'il s'agit d'un traitement automatisé d'informations nominatives.

L'arrêt en conclut que s'agissant non pas de la mise en oeuvre d'un tel logiciel, mais d'un simple traçage issu des fichiers de journalisation, pour lesquels la charte des ressources informatiques et internet en vigueur à l'AFP précise qu'ils sont conservés par l'administrateur pour une durée pouvant atteindre six mois, la preuve opposée au salarié est légale et ne procède pas d'une exécution déloyale du contrat.

18. En statuant ainsi, alors que l'exploitation des fichiers de journalisation, qui permettent d'identifier indirectement une personne physique, constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, et était ainsi soumise aux formalités préalables à la mise en oeuvre de tels traitements prévues au chapitre IV de ladite loi, ce dont il résultait que la preuve était illicite et, dès lors, les prescriptions énoncées au paragraphe 16 du présent arrêt invocables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident formé par l'Agence France Presse ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge le licenciement de M. O... fondé sur une faute grave et le déboute en conséquence de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 16 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Richard - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Articles 2 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ; articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la qualification de données à caractère personnel des adresses IP, à rapprocher : 1re Civ., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-22.595, Bull. 2016, I, n° 206 (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur l'absence de rejet systématique des débats d'un élément de preuve illicite obtenu au moyen de données qui auraient dû faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de la CNIL, évolution par rapport à : Soc., 8 octobre 2014, pourvoi n° 13-14.991, Bull. 2014, V, n° 230 (cassation partielle). Sur le principe que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi, à rapprocher : Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 19-12.058, Bull. 2020, (rejet), et l'arrêt cité. Sur la recevabilité, sur le fondement du droit au procès équitable et du droit à la preuve, des moyens de preuve obtenus au détriment du droit à la vie privée, cf. : CEDH, arrêt du 5 septembre 2017, Barbulescu c. Roumanie, n° 61496/08 ; CEDH, arrêt du 17 octobre 2019, Lopez Ribalda et autres c. Espagne, n° 1874/13 et n° 8567/13.

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