Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES

Com., 12 novembre 2020, n° 18-23.479, (P)

Cassation partielle

Effets – Effets à l'égard des tiers – Existence d'un dommage – Réparation – Bénéficiaires – Tiers intéressé – Domaine d'application

Exécution – Manquement – Effets à l'égard des tiers – Existence d'un dommage – Réparation – Condition

Effets – Effet à l'égard des tiers – Effet relatif – Limites – Détermination – Portée

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Lloyd's Register of Shipping du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Charaf Corporation et Syndicate 5678.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 décembre 2017), par un contrat du 28 juillet 1999, la société SHB France a vendu à la société marocaine Charaf Corporation (la société Charaf) une cargaison d'engrais assurée auprès de la Compagnie africaine d'assurances, aux droits de laquelle est venue la société Axa assurances Maroc (la société Axa).

En vue de son transport du port de [...] à celui de [...], la société SHB France a, selon une charte-partie du 19 août 1999, affrété au voyage le navire [...] dont la société égyptienne Mahoney Shipping & Marine Services (la société Mahoney) est l'armateur. Ayant rencontré des conditions de navigation difficiles au cours du transport, le navire, dont l'une des cales avait pris l'eau, s'est réfugié le 5 octobre 1999 dans les ports de Saint-Malo puis de Brest, où il a été retenu par l'autorité maritime en raison de déficiences graves de navigabilité avant d'être déclaré abandonné par la société Mahoney, le 27 novembre 1999.

La cargaison, chargée sur le navire le 20 septembre 1999, ayant été cédée par adjudication, dans le cadre d'une vente de sauvetage organisée à l'initiative des sociétés Charaf et Axa, ces dernières ont assigné en paiement de dommages-intérêts la société Mahoney et la société britannique Lloyd's Register of Shipping (la société Lloyd's), qui avait procédé à la classification du navire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Lloyd's fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable des dommages causés à la marchandise et, en conséquence, de la condamner in solidum avec la société Mahoney à payer une certaine somme à la société Axa, alors « que seul un manquement au Règlement édicté par la société de classification qui fait la loi des parties et qui détermine les obligations des experts de la société de classification constitue une faute de nature à engager la responsabilité de cette dernière à l'égard de l'assureur de la marchandise transportée ; qu'en retenant la responsabilité de la société de classification au motif que son expert aurait agi en violation des « règles de classification applicables » en ne prescrivant pas d'inspection annuelle avant que ne soit conclue la charte-partie d'affrètement au voyage, sans préciser la règle qui aurait été ainsi méconnue, quand la société de classification faisait valoir qu'elle avait respecté le Règlement et que l'expert n'avait identifié aucune règle à laquelle elle aurait manqué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

4. Il résulte de ce texte que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

5. Pour déclarer la société Lloyd's responsable des dommages causés à la marchandise, l'arrêt, après avoir constaté que ceux-ci étaient imputables à l'inondation d'une cale en raison de l'impossibilité d'assèchement des ballasts et de défauts d'étanchéité affectant le bordé de fond et les panneaux de cale, retient que le navire avait subi une inspection spéciale quinquennale entre les mois de février et juin 1998, puis sept visites occasionnelles entre les mois d'octobre 1998 et août 1999, qu'en juin 1998, la société de classification, qui avait remarqué la médiocrité du revêtement interne des ballasts rendant prévisible leur dégradation à brève échéance, n'avait prescrit une visite annuelle que sur l'un d'entre eux, l'inspection annuelle de l'ensemble de ces éléments n'ayant été ordonnée qu'en février 1999, ce qui n'avait pas permis de la réaliser avant l'appareillage du navire en septembre 1999, et qu'elle aurait dû être prescrite dès le mois de juin 1998, conformément aux règles de classification applicables.

6. En se déterminant ainsi, sans préciser la règle, à laquelle elle se référait, ni son contenu, notamment quant aux critères relatifs à l'état du revêtement des ballasts entraînant l'obligation, pour la société de classification, d'ordonner une inspection annuelle de ces éléments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la société Lloyd's Register of Shipping responsable des dommages causés à la marchandise et qu'il la condamne in solidum avec la société Mahoney Shipping & Marine Services à payer à la société Axa assurances Maroc la contre-valeur en euros de 4 120 018 dirhams, sauf à déduire la somme de 82 322,47 euros, l'arrêt rendu le 15 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Corlay -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité pour un tiers au contrat d'invoquer un manquement contractuel, à rapprocher : Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén., n° 9 (rejet).

1re Civ., 12 novembre 2020, n° 19-19.481, (P)

Cassation partielle

Nullité – Exception de nullité – Mise en oeuvre – Condition

Il résulte de l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'à compter de l'expiration du délai de prescription de l'action en nullité, l'exception de nullité n'est plus recevable si l'acte a reçu un commencement d'exécution par l'une des parties. Ainsi le commencement d'exécution du contrat s'apprécie indépendamment de la partie qui l'effectue.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 avril 2019), les 2 mars et 19 juin 2009, M. I... et la société Créations immobilier conseils ont chacun confié à Mme A..., agent immobilier, un mandat de recherche en vue d'acquérir un terrain sur la commune de Cadaujac, moyennant une commission de 12 000 euros à la charge de l'acquéreur.

Le 24 juin 2009, Mmes V..., Y... et K... (les vendeurs), propriétaires indivises de deux terrains situés sur cette commune, ont donné mandat à Mme A... de les vendre.

Par acte sous seing privé du 29 juin 2009, les vendeurs ont consenti deux promesses de vente de leurs terrains à la société Créations immobilier conseils et à M. I... qui s'est ensuite substitué à cette société. Après l'établissement d'un procès-verbal de carence, le 15 mars 2010, en raison de la défaillance des vendeurs, la vente des deux terrains a été réitérée, le 8 octobre 2010, par un acte authentique unique au profit de M. I....

2. Le 24 avril 2014, Mme A... a assigné M. I... en paiement de la somme de 24 000 euros au titre de ses commissions dues en exécution des mandats de recherche.

Le 13 octobre suivant, celui-ci a appelé les vendeurs en la cause. M. I... et les vendeurs ont opposé la nullité des mandats de recherche.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme A... fait grief à l'arrêt de déclarer mal fondée la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de nullité des mandats et de rejeter ses demandes formées contre M. I... et contre les vendeurs, alors « que, pour l'application de la règle, selon laquelle l'exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte qui n'a pas encore été exécuté, le commencement d'exécution de l'acte s'apprécie indépendamment de la personne qui l'effectue et à l'égard de toute obligation contractée en vertu de l'acte argué de nullité ; qu'en disant mal-fondée la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de nullité des mandats au motif qu'il ne pouvait être soutenu que M. I... avait exécuté tout ou partie de ses obligations dès lors que précisément Mme A... l'avait assignée en paiement de la totalité des commissions envisagées, quand l'exécution des mandats de recherche et de vente argués de nullité pouvait tout aussi bien émaner de Mme A... pour ce qui concernait ses propres obligations, la cour d'appel a violé l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

4. Il résulte de ce texte qu'à compter de l'expiration du délai de prescription de l'action en nullité, l'exception de nullité n'est plus recevable si l'acte a reçu un commencement d'exécution par l'une des parties.

5. Pour déclarer mal fondée la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'exception de nullité des mandats et rejeter les demandes en paiement de Mme A..., l'arrêt énonce qu'il ne peut être retenu que M. I... a exécuté tout ou partie des obligations tirées des mandats de recherche, dès lors que Mme A... l'assigne en exécution forcée et pour le paiement de la totalité des commissions envisagées.

6. En statuant ainsi, alors que le commencement d'exécution du mandat devait être apprécié indépendamment de la partie qui l'avait effectué, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

7. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause Mmes V..., Y... et K..., dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables les conclusions de Mme A... transmises le jour de l'ordonnance de clôture, l'arrêt rendu le 30 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause Mmes V..., Y... et K... ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Bénabent ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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