Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 19 novembre 2020, n° 19-20.405, (P)

Rejet

Renouvellement – Clause faisant échec au droit au renouvellement – Clause réputée non écrite – Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 – Application dans le temps – Portée

L'article L. 145-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, qui a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de cette loi.

L'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail commercial n'est pas soumise à prescription.

Renouvellement – Clause faisant échec au droit au renouvellement – Clause réputée non écrite – Action en justice – Prescription – Prescription biennale – Domaine d'application – Exclusion – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 décembre 2018), la société Haussmann-Italiens a donné à bail à M. X... des locaux commerciaux à compter du 1er avril 1998 pour une durée de neuf années.

2. Le 30 mars 2007, la société civile immobilière Caravelle (la SCI), devenue propriétaire des lieux loués, a donné congé à M. X... avec offre de renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2007, moyennant un loyer annuel en principal de 86 000 euros.

Le loyer du bail renouvelé a été fixé judiciairement à la somme annuelle de 57 970 euros en principal.

3. Le 4 octobre 2013, M. X... a cédé son fonds de commerce à la société Cap Aud.

4. Le 5 août 2014, la SCI a délivré à la société Cap Aud un commandement de payer la somme de 19 589,13 euros au titre des loyers et charges dus au 28 juillet 2014, puis l'a assignée en référé en acquisition de la clause résolutoire. Un arrêt du 19 novembre 2015, qui a déclaré acquise la clause résolutoire au 5 octobre 2014, a été cassé (3e Civ., 27 avril 2017, pourvoi n° 16-12.179).

5. Le 13 janvier 2016, la société Cap Aud a assigné à jour fixe la SCI aux fins de voir déclarer réputée non écrite la clause de révision du loyer stipulée au bail, annuler le commandement de payer et, subsidiairement, se voir accorder des délais de paiement rétroactifs et la suspension des effets de la clause résolutoire.

La SCI a soulevé l'irrecevabilité des demandes et conclu au rejet de la demande de délais.

6. Un jugement du 23 mars 2017 a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Cap Aud et désigné la société K... Y... en qualité de liquidateur judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée du non-respect par la société Cap Aud du principe de cohérence et déclaré celle-ci recevable en ses demandes, alors « que le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui peut s'appliquer à deux instances dès lors que celles-ci ont le même objet ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que la SCI Caravelle soutenait que la société Cap Aud s'était contredite en sollicitant d'abord la suspension des effets de la clause résolutoire lors de la procédure de référé, reconnaissant ainsi la validité du commandement de payer, puis la nullité de ce commandement lors de la procédure au fond, la cour d'appel a affirmé que nul ne peut se contredire au détriment d'autrui au cours d'une même procédure et que, par conséquent, ce principe était inapplicable aux deux procédures litigieuses, en référé et au fond, avant pourtant de constater que la société Cap Aud avait poursuivi, dans ces deux procédures, le même but, à savoir, la conservation de son titre locatif ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui et l'article 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel ayant rejeté la demande d'annulation du commandement formée par la société Cap Aud, la SCI est sans intérêt à critiquer la disposition de l'arrêt déclarant cette demande recevable.

9. Le moyen est donc irrecevable.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Cap Aud en contestation des clauses du bail, de déclarer la société Cap Aud recevable en ses demandes et, en conséquence, de déclarer que la clause de révision stipulée aux termes de l'article XIV du bail commercial du 20 mars 1998 est réputée non écrite, alors :

« 1°/ qu'en l'absence de disposition transitoire expresse contraire de la loi nouvelle et à défaut de considérations d'ordre public particulièrement impératives, les contrats demeurent soumis à la loi ancienne en vigueur à la date de leur conclusion ; qu'en l'espèce, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Cap Aud en contestation des clauses du bail, la cour d'appel a considéré que la loi du 18 juin 2014, qui a modifié la rédaction de l'article L. 145-15 du code de commerce, s'applique aux baux en cours lors de son entrée en vigueur et a relevé que l'action de la société Cap Aud, formalisée par un acte d'huissier de justice du 13 janvier 2016, avait été introduite postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article L. 145-15 du code de commerce, pris dans sa nouvelle rédaction, quand la modification apportée à l'article L. 145-15 du code de commerce par cette loi, qui ne comporte pas de disposition transitoire expresse contraire et qui n'a pas été prise pour des considérations d'ordre public particulièrement impératives, ne pouvait s'appliquer au bail commercial litigieux conclu le 20 mars 1998 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 145-15 du code de commerce, pris dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 juin 2014, ensemble le principe de survie de la loi ancienne ;

2°/ que l'action tendant à faire déclarer non écrite une clause ayant pour effet de faire échec au droit de renouvellement d'un bail commercial se prescrit par deux ans ; qu'en l'espèce, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Cap Aud en contestation des clauses du bail, la cour d'appel a considéré que l'action en reconnaissance du caractère non écrit d'une clause n'est pas soumise à la prescription et que, par conséquent, l'action de la société Cap Aud tendant à voir déclarer non écrite la clause du bail relative à la « révision » est imprescriptible et n'est pas soumise au délai de l'article L. 145-60 du code de commerce ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 145-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, ensemble l'article L. 145-60 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

11. La cour d'appel a relevé que la loi du 18 juin 2014, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce, leur caractère réputé non écrit.

12. Elle a retenu à bon droit que ce texte est applicable aux baux en cours et que l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription.

13. Elle en a exactement déduit que l'action tendant à voir réputer non écrite la clause du bail relative à la révision du loyer, formée le 13 janvier 2016, soit après l'entrée en vigueur de la loi précitée, était recevable.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

15. La SCI fait grief à l'arrêt de dire que les causes du commandement de payer délivré le 5 août 2014 étaient partiellement fondées et que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies, mais que, par l'effet des délais rétroactifs accordés jusqu'au 9 juin 2015 à la société Cap Aud pour apurer les causes du commandement, celle-ci est réputée n'avoir jamais joué, alors :

« 1°/ que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée ; qu'en l'espèce, après avoir considéré que les causes du commandement du 5 août 2014 étaient pour partie infondées, que la société Cap Aud avait versé au 9 juin 2015, entre les mains de l'huissier de justice, la totalité des causes du commandement, à savoir les loyers et indemnités d'occupation échus jusqu'en juin 2015, ainsi que le coût de l'ensemble des actes de procédure engagés par la SCI Caravelle pour parvenir à son expulsion, et qu'il y avait lieu de tenir compte des efforts fournis par la société locataire pour s'en acquitter, de la situation de la débitrice et des besoins de la créancière, la cour d'appel a accordé à la société Cap Aud des délais rétroactifs au 9 juin 2015 et a dit qu'en conséquence la clause résolutoire n'avait pu produire ses effets, quand les dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce ne confèrent pas aux juges du fond la faculté d'accorder des délais de paiement de manière rétroactive ; qu'en se statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 145-41 du code de commerce ;

2°/ que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée ; qu'en l'espèce, pour accorder à la société Cap Aud des délais rétroactifs au 9 juin 2015 et dire, en conséquence, que la clause résolutoire n'avait pu produire ses effets, la cour d'appel, après avoir considéré que les causes du commandement du 5 août 2014 étaient pour partie infondées, a constaté que cette société avait versé au 9 juin 2015, entre les mains de l'huissier de justice, la totalité des causes du commandement, à savoir les loyers et indemnités d'occupation échus jusqu'en juin 2015, ainsi que le coût de l'ensemble des actes de procédure engagés par la SCI Caravelle pour parvenir à son expulsion, et a tenu compte des efforts fournis par la société locataire pour s'en acquitter, de la situation de la débitrice et des besoins de la créancière, sans rechercher, comme cela lui était pourtant demandé, si, au moment où la société Cap Aud avait sollicité un délai de paiement, la résiliation n'avait pas déjà été prononcée par une décision de justice ayant acquis autorité de chose jugée ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-41 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

16. La cour d'appel a relevé que, si les causes du commandement de payer étaient partiellement fondées et si les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies, la société locataire avait réglé, le 9 juin 2015, toutes les sommes dues entre les mains de l'huissier de justice poursuivant.

17. Elle a souverainement retenu, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que, compte tenu des efforts de la société locataire pour apurer la dette locative, il y avait lieu de lui accorder des délais rétroactifs au 9 juin 2015 en application de l'article L. 145-41 du code de commerce et en a exactement déduit que la clause résolutoire n'avait pas produit ses effets.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

19. La SCI fait grief à l'arrêt de dire que les causes du commandement de payer délivré le 5 août 2014 n'étaient pas partiellement fondées et que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies mais que, par l'effet des délais rétroactifs accordés jusqu'au 9 juin 2015 à la société Cap Aud pour apurer les causes du commandement, celle-ci est réputée n'avoir jamais joué, qu'en conséquence, l'expulsion de la société Cap Aud des locaux donnés à bail, réalisée en exécution d'un titre devenu inexistant ouvre droit pour la société locataire à un rétablissement de ses droits par équivalent, égal au moins à la valeur du fonds de commerce, de condamner la SCI Caravelle à rembourser à la société Cap Aud le coût des actes engagés à l'occasion de l'exécution forcée de la décision d'expulsion obtenue en référé devenus sans cause, de dire qu'un compte serait fait entre les parties, après le dépôt du rapport d'expertise, de débouter la SCI Caravelle de sa demande en paiement des loyers, charges, accessoires et indemnitésd'occupation arrêtées au 4ème trimestre 2014, de débouter la SCI Caravelle de sa demande en fixation d'une indemnité mensuelle d'occupation, de rejeter la demande de la SCI Caravelle en paiement de la somme de 79 609,92 euros au titre des indemnités d'occupation échues entre le 11 juin 2015 et le 11 février 2016, et de rejeter sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, alors :

« 1°/ que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision censurée qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire entre elles ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur le premier ou le deuxième moyen du pourvoi relatifs à la recevabilité de l'action de la société Cap Aud entraînera l'annulation, par voie de conséquence, de tous les chefs de dispositif de l'arrêt attaqué visés par ce quatrième moyen, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision censurée qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire entre elles ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur le troisième moyen du pourvoi relatif à la validité du commandement de payer et aux délais de paiement accordés jusqu'au 9 juin 2015 à la société Cap Aud pour apurer les causes du commandement entraînera l'annulation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif de l'arrêt attaqué ayant dit que l'expulsion de la société Cap Aud des locaux donnés à bail, réalisée en exécution d'un titre devenu inexistant ouvre droit pour la société locataire à un rétablissement de ses droits par équivalent, égal au moins à la valeur du fonds de commerce, d'avoir condamné la SCI Caravelle à rembourser à la société Cap Aud le coût des actes engagés à l'occasion de l'exécution forcée de la décision d'expulsion obtenue en référé devenus sans cause, d'avoir dit qu'un compte serait fait entre les parties, après le dépôt du rapport d'expertise, d'avoir débouté la SCI Caravelle de sa demande en paiement des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation arrêtées au 4e trimestre 2014, d'avoir débouté la SCI Caravelle de sa demande en fixation d'une indemnité mensuelle d'occupation, d'avoir débouté la SCI Caravelle de sa demande en paiement de la somme de 79 609,92 euros au titre des indemnités d'occupation échues entre le 11 juin 2015 et le 11 février 2016, et d'avoir débouté la SCI Caravelle de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

20. La cassation n'étant pas prononcée sur les premier et deuxième moyens, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 145-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ; articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 16-15.010, Bull. 2017, III, n° 75 (cassation partielle).

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