Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

AVOCAT

2e Civ., 5 novembre 2020, n° 19-20.314, (P)

Rejet

Honoraires – Contestation – Procédure – Premier président – Pouvoirs – Etendue – Détermination

Dès lors qu'il résulte de l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que la procédure de contestation en matière d'honoraires et débours d'avocats concerne les contestations relatives au montant et au recouvrement de leurs honoraires, il relève de l'office même du juge de l'honoraire de déterminer, lorsque cela est contesté, si les prestations de l'avocat ont été fournies ou non à titre onéreux.

Par suite, c'est sans excéder ses pouvoirs qu'un premier président décide que le mandat qui lie un avocat à son client a été donné à titre gratuit.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Versailles, 22 mai 2019), M. Q..., naguère marié à Mme T... J... (l'avocate), dont il a divorcé en juillet 2017, avait confié à cette dernière, en 2003, la défense de ses intérêts et ceux de sa soeur dans un litige qui concernait la succession de leur père.

2. Alors qu'aucune convention d'honoraires n'avait été conclue, l'avocate a établi au mois de février 2016 une facture de ses diligences, dont elle n'a pas obtenu le règlement de M. Q..., qui a indiqué qu'aucun mandat à titre onéreux n'avait été confié à son ex-épouse.

3. Par lettre du 27 juin 2017, l'avocate a saisi le bâtonnier de son ordre d'une demande de fixation de ses honoraires.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses sixième et huitième branches, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'avocate fait grief à l'arrêt de la débouter de toutes ses demandes tendant à la fixation de ses honoraires et à la condamnation de M. Q... à leur paiement, alors « que la procédure de contestation en matière d'honoraires et débours d'avocat concerne les seules contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires, de sorte qu'il n'appartient pas au juge de l'honoraire de se prononcer sur le caractère onéreux ou gratuit du mandat conclu entre l'avocat et son client ; qu'en se fondant, pour débouter Mme J... de sa demande en fixation des honoraires dus par M. Q..., sur le caractère prétendument gratuit du mandat litigieux, le premier président a excédé son office, en violation de l'article 174 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991. »

Réponse de la Cour

6. Dès lors qu'il résulte de l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que la procédure de contestation en matière d'honoraires et débours d'avocats concerne les contestations relatives au montant et au recouvrement de leurs honoraires, il relève de l'office même du juge de l'honoraire de déterminer, lorsque cela est contesté, si les prestations de l'avocat ont été fournies ou non à titre onéreux.

7. Par suite, c'est sans excéder ses pouvoirs que le premier président a décidé que le mandat qui liait l'avocate à M. Q... n'avait pas été donné à titre onéreux.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Et sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième et septième branches

Enoncé du moyen

9. L'avocate fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ que, subsidiairement, gratuit par nature, le mandat est présumé salarié lorsqu'il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle ; que le premier président, pour débouter Mme J... de ses demandes en paiement d'honoraires au titre des diligences accomplies dans les différents dossiers dont elle avait été saisie en vue de la défense des intérêts de M. Q..., a recherché exclusivement si les éléments de preuve produits aux débats étaient susceptibles de démontrer le caractère onéreux du mandat conclu entre les parties, après avoir énoncé que le mandat est gratuit, sauf convention contraire ; qu'en statuant ainsi, quand ledit mandat était présumé à titre onéreux en l'état de la profession habituelle de Mme J..., ce dont il résultait qu'il appartenait à M. Q... de démontrer le caractère gratuit du mandat et non à l'avocat de prouver son caractère onéreux, le premier président a violé l'article 1986 du code civil, ensemble l'article 1353 du même code ;

3°/ que gratuit par nature, le mandat est présumé salarié lorsqu'il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle, de sorte que l'absence de convention d'honoraire entre les parties n'est pas de nature à exclure l'existence d'un mandat à titre onéreux ; qu'en se fondant pourtant sur le motif impropre tiré de l'absence d'une telle convention entre Mme J... et M. Q..., pour en déduire l'absence de caractère onéreux du mandat confié à l'avocat, le premier président a violé l'article 1986 du code civil, ensemble l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ;

4°/ que gratuit par nature, le mandat est présumé salarié lorsqu'il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle, de sorte que l'absence de mention par un avocat, au cours de la relation contractuelle, d'honoraires de diligences n'est pas davantage de nature à exclure l'existence d'un mandat à titre onéreux ; qu'en se fondant pourtant sur la circonstance impropre tirée de ce qu'à aucun moment, Mme J... n'avait, dans ses échanges avec M. Q..., fait mention d'honoraires de diligences, pour en déduire l'absence de caractère onéreux du mandat confié à l'avocat, le premier président a derechef violé l'article 1986 du code civil, ensemble l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ;

5°/ que si la convention par laquelle les honoraires sont fixés exclusivement en fonction du résultat judiciaire est interdite et nulle, il appartient dans un tel cas au juge de l'honoraire d'apprécier les honoraires dus à l'avocat en fonction des critères institués par l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ; qu'il suit de là que la conclusion d'un tel pacte de quota litis entre un avocat et son client n'est pas de nature à exclure l'existence d'un mandat à titre onéreux ; qu'en se fondant pourtant sur le motif impropre tiré de l'existence d'un tel pacte qui aurait été conclu entre Mme J... et M. Q..., pour en déduire l'absence de caractère onéreux du mandat confié à l'avocat, le premier président a de nouveau violé l'article 1986 du code civil, ensemble l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ;

7°/ que seule la fixation d'honoraires exclusivement en fonction du résultat judiciaire est interdite ; qu'en retenant, pour dire que les honoraires de résultat auxquels il était fait référence dans les échanges entre l'avocat et son client relevaient d'un pacte de quota litis prohibé, que Mme J... n'avait, dans ses échanges avec M. Q..., pas fait mention d'honoraires de diligences, sans examiner, même sommairement, la facture du 31 décembre 2007 d'honoraires de diligences à hauteur de 20 000 euros hors taxes produite par l'avocat, d'où il résultait que les honoraires de résultat convenus étaient complémentaires d'un honoraire de diligences, le premier président a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Le premier président, après avoir relevé que Mme J... et M. Q... « étaient mariés lorsque ce dernier a demandé à son épouse de se charger de la défense de ses intérêts et de ceux de sa soeur, dans le cadre de la succession de son père », et pris ainsi en considération « le contexte des relations entretenues alors par les parties », a pu en déduire qu'aucune rémunération n'avait été convenue entre elles.

11. Dès lors, c'est sans inverser la charge de la preuve que le premier président, écartant de la sorte, en raison du contexte familial dans lequel l'assistance avait été apportée, la présomption selon laquelle le mandat est salarié lorsqu'il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle, puis estimant souverainement que les termes des courriels du 6 mars 2016 émanant de M. Q... et invoqués par l'avocate ne permettaient pas d'établir que le mandat avait été confié à titre onéreux, a statué.

12. Pour conclure à l'inexistence d'un mandat à titre onéreux le premier président ne s'est ainsi fondé, ni sur l'absence entre les parties d'une convention d'honoraires, ou d'échanges relatifs à des honoraires de diligences, ni sur un pacte de quota litis qui aurait été conclu entre elles.

13. Le moyen, qui n'est donc pas fondé en sa deuxième branche, et qui est inopérant en ses troisième, quatrième, cinquième et septième branches, ne peut dès lors être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Caston -

Textes visés :

Article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.016, Bull. 2019, (rejet), et l'arrêt cité.

2e Civ., 5 novembre 2020, n° 19-21.308, (P)

Cassation

Représentation des parties – Postulation – Frais et dépens – Action en paiement – Prescription – Interruption

Il résulte de l'article 2241 du code civil que la demande en justice interrompt le délai de prescription et des articles 706 et 718 du code de procédure civile que la notification, faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, par la partie poursuivante, du compte des dépens à l'adversaire, emporte acceptation par son auteur du compte vérifié.

Il se déduit de la combinaison de ces dispositions que la notification par l'avocat, partie poursuivante, du certificat de vérification des dépens constitue un acte interruptif de la prescription de son action en recouvrement des dépens.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Q... R... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Furuno France.

Faits et procédure

2. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel statuant en matière de taxe (Montpellier, 27 juin 2019), la cour d'appel de Montpellier a rendu un arrêt le 11 avril 2013 prononçant la caducité de la déclaration d'appel émanant de M. I... et laissant les dépens à sa charge dans l'instance l'opposant à la société Furuno France, assistée par la société Q... R... (l'avocat).

3. Sur sa demande formée le 20 juillet 2017, l'avocat a obtenu le 26 juillet suivant du secrétaire de la juridiction un certificat de vérification des dépens, qu'il a notifié à M. I... par lettre recommandée avec avis de réception du 26 juillet 2017.

4. M. I..., invoquant la prescription de l'action en recouvrement des dépens, a contesté ce certificat devant le juge taxateur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. L'avocat fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance constatant la prescription de l'action en recouvrement des dépens de l'avocat, alors « que le délai de prescription étant interrompu par la demande en justice, la notification du certificat de vérification des dépens, emportant acceptation par son auteur du compte vérifié, faite par lettre recommandée avec accusé de réception, interrompt le délai de prescription de l'action en recouvrement ; que le premier président qui, pour constater la prescription de l'action en recouvrement des dépens de l'avocat, a retenu que la notification du certificat de vérification, qui n'était pas une décision de justice et dont la notification ne valait ni acceptation ni reconnaissance par écrit de la dette, n'était pas susceptibles d'interrompre la prescription extinctive, qu'il a violé les articles 2240 du code civil, 706 et 718 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241 du code civil, 706 et 718 du code de procédure civile :

6. Il résulte du premier de ces textes que la demande en justice interrompt le délai de prescription et des deux autres que la notification, faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, par la partie poursuivante, du compte des dépens à l'adversaire, emporte acceptation par son auteur du compte vérifié.

7. Il se déduit de la combinaison de ces dispositions que la notification par l'avocat, partie poursuivante, du certificat de vérification des dépens constitue un acte interruptif de la prescription de son action en recouvrement des dépens.

8. Pour dire acquise la prescription de l'action en recouvrement des dépens de l'avocat, l'ordonnance retient, par motifs substitués, qu'il convient de retenir le délai de droit commun de cinq ans de l'article 2224 du code civil, le point de départ de ce délai étant nécessairement le 11 avril 2013, date de l'arrêt qui déclare caduc l'appel formé par M. I....

9. Elle relève que l'avocat soutient qu'il a déposé sa requête aux fins de taxation le 20 juillet 2017 et notifié à M. I... le certificat de vérification des dépens par lettre recommandée avec avis de réception du 28 juillet 2017 et qu'en conséquence la prescription de son action n'est pas acquise.

10. La décision énonce que les causes d'interruption de la prescription sont limitativement énumérées par les articles 2240 et suivants du code civil et que ni la demande de vérification des dépens, qui n'est pas une demande en justice, ni la notification du certificat de vérification ne sont susceptibles d'interrompre la prescription extinctive.

11. L'ordonnance relève enfin que plus de cinq ans se sont écoulés entre l'arrêt du 11 avril 2013 et l'ordonnance rendue, sur recours, le 20 août 2018 et qu'aucun acte n'est venu interrompre la prescription de l'action en recouvrement de dépens réclamés à M. I....

12. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 27 juin 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Toulouse.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : Me Le Prado -

Textes visés :

Article 2241 du code civil ; articles 706 et 718 du code de procédure civile.

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