Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2020

ASSURANCE DOMMAGES

2e Civ., 26 novembre 2020, n° 19-16.435, (P)

Cassation partielle

Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Définition – Clause nécessitant une interprétation (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 25 février 2019), la société Cybele Rent, qui a pour objet social la vente, la location de tout matériel roulant homologué à usage routier, éco durable et naviguant, la création et la promotion d'événements commerciaux et culturels et toutes les activités de conseil en découlant, est propriétaire d'un voilier qui s'est échoué, le 14 octobre 2012, lors du passage de la tempête Rafael.

2. La société Cybele Rent a assigné la société Pantaenius en exécution du contrat « multirisques plaisance » qu'elle avait souscrit, le 6 décembre 2011.

3. La société Pantaenius, affirmant qu'elle avait agi en qualité de courtier pour le compte de la société d'assurance de droit anglais, Ace European Group Ltd, cette dernière est intervenue à l'instance ainsi que la société de droit allemand, également dénommée Ace European Group Ltd.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société Cybele Rent fait grief à l'arrêt de dire que son préjudice total était évalué à la somme de 60 013,31 euros, franchise déduite et de rejeter sa demande tendant à l'indemnisation de son préjudice commercial à hauteur de 327 500 euros alors « qu'en toute hypothèse, les clauses d'exclusion doivent être formelles et limitées, et doivent se référer à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées qui excluent toute interprétation, de façon à permettre à l'assuré de connaître exactement l'étendue de la garantie ; qu'en jugeant que la clause selon laquelle « sont exclus de l'assurance les pertes et dommages indirects (par exemple diminution de l'aptitude à la course, moins value, dépréciation) » était formelle et limitée, bien qu'elle ait donné à la notion de dommage indirect ainsi visée un sens qui n'est pas celui admis par la jurisprudence, la cour d'appel, qui a ainsi interprété cette notion visée par la clause, a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

5. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elle doivent être interprétées.

6. Pour rejeter la demande de la société Cybele Rent en indemnisation de son préjudice commercial, l'arrêt énonce que l'article 6a des conditions conventionnelles applicables du contrat d'assurance prévoit expressément que « sont exclus de l'assurance les pertes et dommages indirects (par exemple diminution de l'aptitude à la course, moins-value, dépréciation) » et que cette clause suffisamment explicite s'entend comme excluant tout préjudice qui ne découle pas directement du fait générateur, telle précisément la perte de revenus tirée de l'arrêt de l'exploitation.

7. La décision ajoute qu'il n'y a pas lieu de considérer cette clause comme vidant la garantie de sa substance et que c'est à raison que la réparation du préjudice commercial réclamée a été écartée par le premier juge.

8. En statuant ainsi, alors que cette clause d'exclusion de garantie, en ce qu'elle ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées, n'est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application en raison de son imprécision, rendant nécessaire son interprétation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. La cassation partielle de l'arrêt, qui ne porte que sur le chef de décision rejetant la demande d'indemnisation du préjudice commercial allégué, entraîne par voie de conséquence celle du chef de décision fixant la somme allouée à la société Cybele Rent au titre de son entier préjudice.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le préjudice total de la société Cybele Rent est évalué à la somme de 60 013,31 euros, franchise déduite et rejette toute autre demande plus ample ou contraire, l'arrêt rendu le 25 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Richard -

Textes visés :

Article L. 113-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 27 octobre 2016, pourvoi n° 15-23.841, Bull. 2016, III, n° 140 (cassation), et les arrêts cités.

3e Civ., 5 novembre 2020, n° 19-18.284, (P)

Cassation

Recours contre le tiers responsable – Recours de l'assureur – Prescription – Délai – Interruption – Assignation en référé puis en garantie – Effets – Subrogation – Portée

Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable l'action d'un assureur dommages-ouvrage contre l'assureur des sous-traitants, retient que l'assureur dommages-ouvrage n'a transigé avec le maître de l'ouvrage, qui n'avait formé aucune action contre les sous-traitants ou leur assureur, qu'après l'expiration du délai de dix ans prévu par l'article 2270-1 du code civil, alors applicable, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'assureur dommages-ouvrage, qui avait assigné l'assureur des sous-traitants en référé puis en garantie dans ce délai de dix ans, n'avait pas été subrogé par le maître de l'ouvrage avant que la cour ne statue.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 25 avril 2019), la commune de Lille (la commune) a fait procéder à l'extension de l'hôtel de ville et à la construction de deux immeubles à usage de bureaux.

2. Les travaux de gros oeuvre ont été confiés à la société Quillery, devenue Eiffage construction, qui a sous-traité le lot maçonnerie briques bâtiment U aile gauche à la société ECR et le lot maçonnerie briques bâtiments L et U façades avec aile droite à la société SRM.

3. Ces sous-traitants étaient assurés auprès de la SMABTP.

4. La commune a souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la société UAP, devenue Axa France.

5. Les travaux ont été réceptionnés le 17 juin 1994.

6. Des désordres étant apparus sur les façades de l'hôtel de ville sous forme de dégradations du parement en briques, la commune a assigné, le 4 août 2006, la société Axa France en indemnisation de ses préjudices.

7. Par ordonnance du 20 juillet 2007, une expertise a été ordonnée.

8. Par acte du 11 septembre 2008, la société Axa France a assigné la SMABTP en expertise.

9. Par ordonnance du 9 décembre 2008, une expertise a été ordonnée.

10. Par acte du 15 janvier 2014, la société Axa France a appelé en garantie la SMABTP.

11. La commune et la société Axa France ont conclu une transaction le 2 avril 2015. Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

12. La société Axa France fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action, alors « qu'est recevable l'action engagée par l'assureur avant l'expiration du délai de forclusion décennale, bien qu'il n'ait pas eu au moment de la délivrance de son assignation la qualité de subrogé dans les droits de son assuré, dès lors qu'il a payé l'indemnité due à ce dernier avant que le juge du fond n'ait statué ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Axa France Iard, prise en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, n'avait pas été subrogée par le maître de l'ouvrage avant qu'elle ne statue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-12 du code des assurances, ensemble les articles 2241 du code civil, 126, 334 et 336 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 121-12 du code des assurances, 2241 et 2270-1, alors applicable, du code civil et l'article 126 du code de procédure civile :

13. Aux termes du premier de ces textes, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

14. Aux termes du deuxième, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

15. Aux termes du troisième, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

16. Aux termes du quatrième, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

17. Pour déclarer irrecevable l'action de la société Axa France, l'arrêt retient que le maître de l'ouvrage n'avait formé aucune action à l'encontre des sous-traitants ou de la SMABTP et qu'à la date de la transaction, n'ayant plus d'action à l'encontre de ceux-ci, il n'a pu transmettre aucune action à l'encontre des sous-traitants et de leur assureur à la société Axa France, que

l'assignation que celle-ci a délivrée le 11 septembre 2008 à la SMABTP, l'ordonnance du juge des référés du 9 décembre 2008 et l'arrêt du 24 novembre 2009 n'ont pas fait courir au profit du maître de l'ouvrage, duquel la société Axa France tient ses droits, de nouveaux délais, l'assignation ayant été délivrée par la seule société Axa France, qui n'était alors pas subrogée dans les droits du maître de l'ouvrage, et que l'assignation du 15 janvier 2014 est intervenue plus de dix ans après le 25 novembre 1999.

18. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la société Axa France n'avait pas été subrogée par le maître de l'ouvrage avant qu'elle ne statue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Pronier - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Article L. 121-12 du code des assurances ; articles 2241 et 2270-1 du code civil, alors applicables ; article 126 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 8 septembre 2009, pourvoi n° 08-17.012, Bull. 2009, III, n° 180 (cassation partielle), et les arrêts cités.

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