Numéro 11 - Novembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2019

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

1re Civ., 20 novembre 2019, n° 19-15.921, (P)

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Droit de la famille – Code civil – Article 351, alinéa 2 – Article 352, alinéa 1 – Droit de mener une vie familiale normale – Exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant – Respect de la vie privée – Principe d'égalité – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Droit de la famille – Code civil – Article 353, alinéa 3 – Incompétence négative – Droit de mener une vie familiale normale – Principe d'égalité – Applicabilité au litige – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. 1. R... D... G... est née le [...]. Sa mère a demandé le secret de son accouchement.

Le lendemain, l'enfant a été admise, à titre provisoire, comme pupille de l'Etat puis, à titre définitif, le 24 décembre suivant.

Le conseil de famille des pupilles de l'Etat a consenti à son adoption le 10 janvier 2017 et une décision de placement a été prise le 28 janvier.

L'enfant a été remise au foyer de M. et Mme A... le 15 février. Après avoir, le 2 février 2017, entrepris des démarches auprès du procureur de la République pour retrouver l'enfant, et ultérieurement identifié celle-ci, M. S..., père de naissance, l'a reconnue le 12 juin. M. et Mme A... ayant déposé une requête aux fins de voir prononcer l'adoption plénière de l'enfant, M. S... est intervenu volontairement dans la procédure.

Énoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

2. A l'occasion du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt rendu le 5 mars 2019 par la cour d'appel de Riom prononçant l'adoption de l'enfant, M. S... a, par mémoires distincts et motivés, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité, ainsi rédigées :

1°/ « Les dispositions de l'article 351, alinéa 2, du code civil qui prévoient que le placement en vue de l'adoption peut intervenir deux mois après le recueil de l'enfant et de l'article 352, alinéa 1er, du code civil qui disposent que le placement en vue de l'adoption met obstacle à toute restitution de l'enfant à sa famille d'origine et fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance portent-elles atteinte au droit de mener une vie familiale normale et à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi qu'au respect de la vie privée garanti à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du principe d'égalité devant la loi consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elles empêchent le père d'un enfant né d'un accouchement anonyme d'établir tout lien de filiation avec lui dès son placement en vue de l'adoption et avant même que l'adoption soit prononcée ? »

2°/ « Les dispositions de l'article 353, alinéa 3, du code civil qui prévoient que dans le cas où l'adoptant a des descendants, le tribunal vérifie si l'adoption n'est pas de nature à compromettre la vie familiale sans prévoir la même obligation lorsque l'enfant placé en vue de l'adoption a des ascendants, notamment un père biologique, qui revendiquent le droit d'entretenir des liens avec lui portent-elles atteinte au principe résultant de l'article 34 de la Constitution selon lequel l'incompétence négative du législateur ne doit pas affecter un droit ou une liberté que la Constitution garantit, en l'occurrence le droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et le principe d'égalité devant la loi consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

Examen de la première question prioritaire de constitutionnalité

3. Les dispositions dont la constitutionnalité sont contestées sont d'une part, l'article 351, alinéa 2, du code civil, qui, dans sa rédaction issue de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996, dispose : « lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie, il ne peut y avoir de placement en vue de l'adoption pendant un délai de deux mois à compter du recueil de l'enfant », d'autre part, l'article 352, alinéa 1er, du même code, selon lequel « le placement en vue de l'adoption met obstacle à toute restitution de l'enfant à sa famille d'origine. Il fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ».

4. Les dispositions contestées sont applicables au litige.

5. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

6. La question posée présente un caractère sérieux en ce qu'elle invoque une atteinte aux droits et libertés garantis par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

7. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Examen de la seconde question prioritaire de constitutionnalité

8. La disposition dont la constitutionnalité est contestée est l'article 353, alinéa 3, du code civil qui, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016, dispose : « dans le cas où l'adoptant a des descendants le tribunal vérifie en outre si l'adoption n'est pas de nature à compromettre la vie familiale ».

9. La disposition contestée, qui vise le seul cas où l'adoptant a des descendants, n'est pas applicable au litige.

10. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la première question prioritaire de constitutionnalité.

DIT N'Y AVOIR LIEU de renvoyer au Conseil constitutionnel la seconde question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Azar - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer ; SCP Piwnica et Molinié -

1re Civ., 6 novembre 2019, n° 19-15.198, (P)

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Droit de la famille – Code civil – Article 371-4 – Exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant – Principe d'égalité – Droit de mener une vie familiale normale – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Mme R... et Mme X... ont vécu ensemble de 2004 à septembre 2015.

L'enfant F... X... est née le [...], reconnue par Mme X.... Après la séparation du couple en septembre 2015, Mme R... a assigné Mme X... devant le juge aux affaires familiales afin que soient fixées les modalités de ses relations avec l'enfant.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

2. A l'occasion de son pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2019 par la cour d'appel de Rennes rejetant ses demandes, Mme R... a présenté, par mémoire distinct et motivé, une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article 371-4 du code civil, qui ne prévoit pas d'obligation, pour le parent d'intention, de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé, et symétriquement, qui ne lui confère pas de droit de visite et d'hébergement de principe, porte-t-il atteinte à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, garantie par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ? »

« L'article 371-4 du code civil, qui ne prévoit pas d'obligation, pour le parent de fait, de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé, et symétriquement, qui ne lui confère pas de droit de visite et d'hébergement de principe, porte-t-il atteinte à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, garantie par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ? »

« L'article 371-4 du code civil qui ne prévoit pas d'obligation, pour le parent d'intention, de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé, contrairement à l'enfant issu d'un mariage entre des personnes de même sexe, ayant fait l'objet d'une adoption, et qui opère ainsi une distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l'union contractée par le couple parental, méconnait-il le principe d'égalité tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? »

« L'article 371-4 du code civil qui ne prévoit pas d'obligation, pour le parent de fait, de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé, contrairement à l'enfant issu d'un mariage entre des personnes de même sexe, ayant fait l'objet d'une adoption, et qui opère ainsi une distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l'union contractée par le couple parental, méconnait-il le principe d'égalité tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? »

« L'article 371-4 du code civil, qui ne prévoit pas que le parent d'intention ait l'obligation de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé, et symétriquement, qui ne lui confère pas un droit de visite et d'hébergement de principe, et qui permet ainsi la rupture irrémédiable de leur relation, sans qu'un motif grave ne le justifie, méconnait-il le droit à la vie familiale normale de l'enfant et de son parent de fait garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ? »

« L'article 371-4 du code civil, qui ne prévoit pas que le parent de fait ait l'obligation de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé, et symétriquement, qui ne lui confère pas un droit de visite et d'hébergement de principe, et qui permet ainsi la rupture irrémédiable de leur relation, sans qu'un motif grave ne le justifie, méconnait-il le droit à la vie familiale normale de l'enfant et de son parent de fait garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ? ».

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

3. La disposition dont la constitutionnalité est contestée est l'article 371-4 du code civil qui, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, dispose :

« L'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l'intérêt de l'enfant peut faire obstacle à l'exercice de ce droit.

Si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables ».

4. La disposition contestée est applicable au litige.

5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

6. Cependant, d'une part, la question, ne portant pas sur l'interprétation de dispositions constitutionnelles dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

7. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

8. En effet, en premier lieu, l'article 371-4 du code civil ne saurait porter atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant dès lors qu'il fonde les décisions relatives aux relations personnelles de l'enfant avec un tiers, parent ou non, sur le seul critère de l'intérêt de l'enfant.

9. En deuxième lieu, ce texte n'opère en lui-même aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l'union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d'autres dispositions légales selon lesquelles la création d'un double lien de filiation au sein d'un couple de même sexe implique, en l'état du droit positif, l'adoption de l'enfant par le conjoint de son père ou de sa mère.

10. En troisième lieu, l'article 371-4 du code civil, qui tend, en cas de séparation, à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant et le maintien des liens de celui-ci avec l'ancienne compagne ou l'ancien compagnon de sa mère ou de son père, lorsque des liens affectifs durables ont été noués, ne saurait méconnaître le droit de mener une vie familiale normale.

11. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; Me Le Prado -

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