Numéro 11 - Novembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2019

MARIAGE

1re Civ., 20 novembre 2019, n° 16-15.867, (P)

Cassation partielle

Devoirs et droits respectifs des époux – Pouvoirs de chaque époux sur ses gains et salaires – Etendue – Détermination – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que V... P... est décédé le [...], laissant pour lui succéder son épouse, I... R... ; que les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient adopté en 1988 le régime de la communauté universelle ; que, soutenant que son époux avait diverti des fonds au profit de Mme W... L..., avec laquelle il entretenait une relation adultère, I... R... a assigné cette dernière pour en obtenir la restitution ; que I... R... étant décédée en cours d'instance, son frère, M. O... R... est intervenu volontairement en sa qualité de légataire universel ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme W... L... fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des donations de 200 000 et 120 000 euros consenties par V... P... à son profit et de la condamner à payer ces sommes à M. R... alors, selon le moyen :

1°/ que chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s'être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ; qu'en l'espèce, Mme W... L... faisait valoir que les pensions de retraite de M. P... ne constituaient qu'une partie de ses revenus et sollicitait la production des déclarations de revenus et d'ISF manquants ; qu'en se fondant pour apprécier la validité des donations litigieuses, sur le montant des pensions de retraite perçues par M. P... soit la somme de 96 704 euros, sans s'expliquer comme elle y était invitée sur les autres revenus de M. P... et en considérant au contraire que les demandes de Mme W... relatives aux éléments manquants sur les déclarations de revenus et déclarations d'ISF faites en France depuis 2001 ne seraient pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et qu'il n'y aurait donc pas lieu de statuer de ce chef, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1422 et 223 du code civil ;

2°/ qu'alors, en tout état de cause, que chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s'être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ; qu'en annulant l'intégralité des donations consenties en 2004 à Mme W... L... après avoir constaté qu'il résulte de la déclaration de revenus pour l'année 2004 que V... P... avait perçu au titre de ses pensions de retraite la somme de 96 704 euros, ce dont il résulte que les donations étaient valables au moins à hauteur de ces gains et salaires, la cour d'appel a violé les articles 223, 1422 et 1427 du code civil ;

Mais attendu que ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées ;

Et attendu que, par motifs adoptés, l'arrêt relève que V... P... a remis à Mme W... L... deux chèques de 120 000 et 200 000 euros tirés sur deux de ses comptes personnels, lesquels avaient été alimentés par des virements provenant, pour le premier, du rachat d'un contrat d'assurance sur la vie, pour le second, de la liquidation d'un compte-titre ouvert au nom des deux époux en 1988 ; qu'il en déduit que même si certains de ces fonds provenaient des gains et salaires de V... P..., ils étaient devenus des économies et ne constituaient donc plus des gains et salaires, de sorte qu'en application de l'article 1422 du code civil, les donations ainsi consenties, sans l'accord de son épouse, devaient être annulées ; que, par ces seuls motifs, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef ;

Mais sur le second moyen, pris en ses trois branches :

Vu l'article L. 132-9 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007, et l'article L. 132-21 du même code, ensemble l'article 894 du code civil,

Attendu, selon ces textes, qu'en l'absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ;

Attendu que, pour requalifier en donations indirectes les contrats d'assurance sur la vie que V... P... a souscrit en désignant Mme W... L... comme bénéficiaire, l'arrêt énonce, d'abord, qu'un tel contrat peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable et que tel est le cas lorsque celui-ci a consenti à l'acceptation de sa désignation par le bénéficiaire dans la mesure où, en une telle hypothèse, il est alors privé de toute possibilité de rachat ; qu'il relève, ensuite, que, le 28 septembre 2004, Mme W... L... et V... P... ont signé une lettre par laquelle ils demandaient à l'assureur d'enregistrer l'accord de Mme W... L..., bénéficiaire acceptante des contrats d'assurance ; qu'il en déduit, enfin, que celui-ci ayant ainsi consenti à cette acceptation, il s'est dépouillé irrévocablement de sorte que les contrats doivent être requalifiés en donation indirecte ;

Qu'en statuant ainsi, sans constater une renonciation expresse de V... P... à l'exercice de son droit de rachat garanti par le contrat, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie les contrats d'assurance sur la vie Livret Gaipare n° [...] et Premium Line n° [...] en donations indirectes, prononce leur nullité et condamne Mme W... L... à verser à M. R... la somme de 604 041,44 euros au titre du compte n° [...] Livret Gaipare et celle de 156 583,62 euros au titre du contrat d'assurance-vie Premium Line n° [...], l'arrêt rendu le 27 janvier 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; Me Balat -

Textes visés :

Articles 223, 1422 et 1427 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 22 octobre 1980, pourvoi n° 79-14.138, Bull. 1980, I, n° 267 (rejet) ; 1re Civ., 29 février 1984, pourvoi n° 82-15.712, Bull. 1984, I, n° 81 (rejet).

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