Numéro 11 - Novembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2019

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 14 novembre 2019, n° 18-15.682, (P)

Cassation partielle

Employeur – Discrimination entre salariés – Discrimination fondée sur le sexe – Discrimination indirecte – Critères – Appréciation – Modalités – Détermination

Ne donne pas de base légale à sa décision, au regard de l'article L. 122-45 du code du travail alors applicable, ensemble l'accord-cadre sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996, alors applicable, la cour d'appel qui, pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la discrimination liée à son état de grossesse, retient que s'il n'est pas discutable qu'à l'issue du congé parental d'éducation, la salariée n'a pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire, elle n'établit pas pour autant la matérialité de faits précis et concordants qui sont de nature à supposer l'existence d'une discrimination à raison de l'état de grossesse et que la preuve d'une discrimination illicite n'est donc pas rapportée, sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes qui choisissent de bénéficier d'un congé parental, la décision de l'employeur en violation des dispositions susvisées de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d'administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l'existence d'une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Education des enfants – Congé parental d'éducation – Reprise de l'activité initiale – Droit de reprendre l'emploi précédent ou un emploi similaire – Manquement de l'employeur – Discrimination fondée sur le sexe – Discrimination indirecte – Caractérisation – Détermination – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu après cassation (Soc., 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-25.773), que Mme K..., engagée le 8 septembre 1997 par la société Kiosque d'or en qualité de comptable, a bénéficié d'un congé parental du 2 juillet 1998 au 23 avril 2001, date à laquelle elle a repris son travail ; que se plaignant d'avoir été victime d'un harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral alors, selon le moyen, que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; qu'en statuant sans prendre en considération les éléments médicaux produits et alors, d'une part, qu'elle avait constaté que la salariée avait vu ses fonctions modifiées au retour de son congé parental, ce qui laissait présumer une situation de harcèlement moral et, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1225-5 du code du travail, à l'issue du congé parental, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

Mais attendu que sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de preuve et de fait dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit l'absence de faits précis permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article L. 122-45 du code du travail alors applicable, ensemble l'accord-cadre sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 96/34/CE, du Conseil, du 3 juin 1996, alors applicable ;

Attendu qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'il ressort du premier alinéa du préambule de l'accord-cadre sur le congé parental et du point 5 des considérations générales de celui-ci, que cet accord-cadre constitue un engagement des partenaires sociaux, représentés par les organisations interprofessionnelles à vocation générale, à savoir l'UNICE, le CEEP et la CES, de mettre en place, par des prescriptions minimales, des mesures destinées à promouvoir l'égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes en leur offrant une possibilité de concilier leurs responsabilités professionnelles et leurs obligations familiales et que l'accord-cadre sur le congé parental participe des objectifs fondamentaux inscrits au point 16 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs relatif à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, à laquelle renvoie cet accord-cadre, objectifs qui sont liés à l'amélioration des conditions de vie et de travail ainsi qu'à l'existence d'une protection sociale adéquate des travailleurs, en l'occurrence ceux ayant demandé ou pris un congé parental (CJUE, arrêt du 22 octobre 2009, Meerts, C-116/08, points 35 et 37 ; arrêt du 27 février 2014, Lyreco Belgium, aff. C-588/12, points 30 et 32 ; arrêt du 8 mai 2019, Praxair, aff. C-486/18, point 41) ;

Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la discrimination liée à son état de grossesse, l'arrêt retient qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1225-55 et L. 1225-71 du code du travail, qu'à l'issue du congé parental d'éducation, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente, qu'à défaut, le salarié a droit à des dommages-intérêts, qu'en l'espèce la salariée sollicite pour la première fois en cause d'appel une somme à titre de dommages-intérêts au titre d'une discrimination en raison de son état de grossesse et fait valoir que l'employeur a souhaité maintenir M. Q..., qu'il avait embauché pour la remplacer durant le temps de son congé parental d'éducation, à l'unique poste de comptable existant au sein de l'entreprise, au lieu de la réemployer à cette fonction, qu'il résulte de ce qui précède qu'à son retour de congé parental la salariée a effectivement exercé, outre quelques missions comptables, des tâches d'administration et de secrétariat qui sont sans rapport aucun avec son emploi de comptable de niveau V compte tenu de la définition résultant de la convention collective, que son contrat de travail s'en est trouvé modifié, qu'il n'est donc pas discutable qu'à l'issue du congé parental d'éducation, la salariée n'a pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire mais qu'elle se prévaut en réalité d'un manquement de l'employeur à son obligation légale de réemploi, qu'elle n'établit pas pour autant la matérialité de faits précis et concordants qui sont de nature à supposer l'existence d'une discrimination à raison de l'état de grossesse, que la preuve d'une discrimination illicite n'est donc pas rapportée ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes qui choisissent de bénéficier d'un congé parental, la décision de l'employeur en violation des dispositions susvisées de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d'administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l'existence d'une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme K... de ses demandes au titre de la discrimination, l'arrêt rendu le 24 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article L. 122-45 du code du travail dans sa rédaction applicable ; accord-cadre sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996, alors applicable.

Soc., 14 novembre 2019, n° 17-26.822, n° 17-26.823, (P)

Rejet

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Définition – Transfert d'une entité économique autonome conservant son identité – Transfert des contrats de travail en cours – Conditions – Entreprise cédant située dans le champ territorial d'application du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) – Nécessité – Portée

Vu leur connexité, joint les pourvois n° 17-26.822 et n° 17-26.823 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Versailles, 5 septembre 2017), que MM. J... et K... ont été engagés par la société Laboratoire Theramex, société de droit monégasque et ayant son siège social à Monaco, les 12 novembre 2001 et 27 avril 2005 ; que les contrats de travail prévoyaient Monaco comme lieu de travail, l'application de la loi monégasque et indiquaient que toute contestation relative à leur application relevait de la compétence exclusive des tribunaux de Monaco ; que, le 5 janvier 2011, la société Teva Pharma BV (Pays-Bas) (le Groupe Teva) a repris la société Theramex ainsi que le groupe américain Cephalon avec sa filiale française, la société Cephalon France, en octobre 2011 ; qu'en 2012, le Groupe Teva a décidé de confier à la nouvelle société Teva santé, issue de la fusion, au 31 décembre 2012, des sociétés Teva santé, Teva Pharma et Cephalon France, la promotion des produits Theramex ; que, consultés, les 11 et 18 juin 2012, sur un projet de restructuration de la société Theramex, conduisant au transfert vers Teva santé de quatre-vingt-huit salariés, le document d'information du 5 juin 2012 destiné aux représentants du personnel faisant état de l'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail français pour ces salariés, les délégués du personnel ont donné un avis favorable à ce transfert ; que la réorganisation a également conduit à la suppression de quatre-vingt-quatre postes au sein de la société Theramex dont ceux de MM J... et K... ; qu'en application de la loi monégasque le licenciement de M. J..., délégué du personnel jusqu'au 15 février 2013 au sein de la société Theramex, a été soumis à l'autorisation de la commission de licenciement monégasque qui a été obtenue le 1er mars 2013 ; que les deux salariés ont été licenciés pour motif économique par la société Theramex, respectivement les 5 mars 2013 et 19 février 2013 ; que la société Theramex a été placée depuis en liquidation amiable ;

Attendu que les salariés font grief aux arrêts de rejeter le contredit formé par chacun d'eux, de confirmer les jugements d'incompétence et de dire n'y avoir lieu à statuer sur la demande tendant à voir déclarer le droit français applicable alors, selon le moyen :

1°/ que pour trancher l'exception d'incompétence soulevée dans l'affaire dont il est saisi, le juge statue, si nécessaire, sur les questions de fond dont dépend sa compétence ; qu'une clause attributive de compétence incluse dans un contrat de travail international ne peut faire échec aux dispositions impératives de l'article R. 1412-1 du code du travail, applicables dans l'ordre international, dont le 3e alinéa dispose que le salarié peut saisir le conseil de prud'hommes du lieu où l'employeur est établi ; que pour rejeter le contredit formé par le salarié et déclarer la juridiction prud'homale française incompétente, la cour d'appel énonce « que la loi monégasque, serait-elle applicable, est soumise à la convention de Rome qui prend en compte les lois impératives des pays signataires dans son article 7 ; que celle-ci ratifiée par la France est d'un niveau supérieur à la loi française, de sorte que les lois impératives françaises doivent être considérées comme préservées par cet accord international » et que « c'est donc à tort que le salarié se plaint de ce que l'article L. 1224-1 du code du travail français pourrait être écarté par le juge monégasque en contradiction avec le droit français » ; qu'en statuant ainsi, sans trancher la question de fond dont dépendait sa compétence, à savoir la question du transfert du contrat de travail d'un employeur établi à Monaco à un employeur établi en France, à Courbevoie, ce dont il résultait que le conseil des prud'hommes de Nanterre était compétent, la cour d'appel a violé les articles 77 et 80, ensemble les articles 5 et 49 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1221-5, R. 1412-1 et R. 1412-4 du code du travail ;

2°/ que le juge doit préciser le fondement juridique de sa décision afin de mettre la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle ; qu'en statuant ainsi, sans préciser le fondement juridique de sa décision en vertu duquel le juge monégasque est tenu d'appliquer la convention de Rome du 19 juin 1980 dont le caractère universel s'impose aux juges des Etats membres de l'Union européenne, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;

3°/ que la clause attributive de compétence incluse dans un contrat de travail international ne peut faire échec aux dispositions impératives de l'article R. 1412-1 du code du travail, applicables dans l'ordre international, dont le 3e alinéa dispose que le salarié peut saisir le conseil de prud'hommes du lieu où l'employeur est établi ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, indépendamment de la question d'applicabilité de l'article L. 1224-1 du code du travail et de la directive CE 2001/23 du 12 mars 2001 au présent litige, la société Teva santé, société de droit français domiciliée en France, à Courbevoie, n'avait pas la qualité de co-employeur à l'égard du salarié, ce dont il résultait que le conseil des prud'hommes de Nanterre était compétent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1221-5, R. 1412-1 et R. 1412-4 du code du travail ;

4°/ que la clause attributive de compétence incluse dans un contrat de travail international ne peut faire échec aux dispositions impératives de l'article R. 1412-1 du code du travail, applicables dans l'ordre international, dont le 2e alinéa dispose que le conseil de prud'hommes territorialement compétent est celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est accompli le travail ; qu'en rejetant le contredit formé par le salarié et en déclarant la juridiction prud'homale française incompétente alors pourtant que, par motifs adoptés, elle a relevé que le salarié accomplissait ses fonctions, à la fois en France et à Monaco, ce dont elle aurait dû déduire l'existence en France, au sens de l'article susvisé, d'un établissement justifiant la compétence de la juridiction prud'homale française, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-5, R. 1412-1 et R. 1412-4 du code du travail ;

5°/ que s'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur peut assigner tous les défendeurs devant la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux, malgré la clause attribuant, au profit de certains d'entre eux, compétence à une juridiction étrangère, à la condition qu'il y ait indivisibilité entre les demandes formées contre les divers défendeurs ; qu'en s'abstenant de rechercher s'il n'y avait pas indivisibilité entre les demandes formées contre les sociétés Laboratoire Theramex et Teva santé de sorte que la clause attributive de compétence dont se prévalait la société Laboratoire Theramex ne pouvait pas priver le salarié de la faculté qui lui était donnée, dès lors que la société Teva santé avait son siège en France, de saisir de l'ensemble du litige la juridiction française normalement compétente à l'égard de cette dernière société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 42, alinéa 2, et 48 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, qu'il résulte de l'article 1er, § 2, de la Directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, que l'article L. 1224-1 du code du travail n'est applicable que dans la mesure où l'entreprise, l'établissement ou la partie d'entreprise ou d'établissement à transférer se trouve dans le champ d'application territorial du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Attendu, ensuite, qu'il n'est pas contesté que la société Theramex avait son siège social dans la Principauté de Monaco qui n'est pas comprise dans le champ d'application du traité précité ; que, par ce motif de pur droit, les parties en ayant été avisées en application de l'article 1015 du code de procédure civile, les arrêts se trouvent justifiés au regard de la première branche du moyen ;

Attendu qu'il ne résulte ni des arrêts ni des conclusions des salariés devant la cour d'appel que les argumentations visées à la troisième branche et à la cinquième branche du moyen ont été soutenues ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel a statué par motifs propres en énonçant le fondement juridique de sa décision ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable comme nouveau et mélangé de fait et de droit en ses troisième et cinquième branches, et qui manque en fait en ses deuxième et quatrième branches, ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin -

Textes visés :

Article 1er, § 2, de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements ; article L. 1224-1 du code du travail.

Soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551, (P)

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Domaine d'application – Prévention des agissements de harcèlement moral – Etendue – Détermination – Portée

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 et de l'article L. 4121-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

Dès lors, doit être cassé l'arrêt de la cour d'appel qui, pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, retient qu'aucun agissement répété de harcèlement moral n'étant établi, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là-même d'avoir manqué à son obligation de sécurité.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme C..., engagée depuis le 1er décembre 2010 par la société Novagali Pharma, aux droits de laquelle vient la société Santen (la société) en qualité de chef de produit export, alors qu'elle était en arrêt de travail pour maladie, a écrit à la société le 14 octobre 2011 en faisant état de problèmes de santé liés à son travail, puis le 12 décembre 2011, en se plaignant du harcèlement moral qu'elle subissait de la part de sa supérieure hiérarchique ; que, licenciée le 31 janvier 2012 pour insuffisance professionnelle, elle a saisi le 2 août 2013 la juridiction prud'homale aux fins de voir déclarer nul le licenciement qui faisait suite à sa dénonciation d'un harcèlement moral et de condamner la société au paiement de diverses sommes notamment pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité et de loyauté ; que la cour d'appel a infirmé le jugement, mais uniquement en qu'il a débouté la salariée de sa demande d'indemnité pour licenciement nul ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à condamner l'employeur à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et violation de son obligation de loyauté, alors selon le moyen :

1°/ qu'il appartient à l'employeur, avisé de faits éventuels de harcèlement, de diligenter une enquête interne afin de vérifier les allégations qui lui sont rapportées ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir que l'employeur n'avait organisé aucune enquête à la suite de son courrier du 12 décembre 2011 dans lequel elle se plaignait du comportement anormal de sa responsable, Mme S... ; que l'arrêt retient que ce moyen est inopérant, « faute pour Mme C... d'établir la réalité des agissements invoqués » ; qu'en statuant ainsi, quand la salariée, qui avait été injustement privée d'une enquête contradictoire destinée à faire la lumière sur les agissements dénoncés, ne pouvait se voir reprocher de ne pas établir leur existence, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-4, L. 4121-1 et L. 4121-2 du même code ;

2°/ qu'à supposer adoptés les motifs du conseil de prud'hommes, tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en se bornant à énoncer que « la société Santen a pris en compte et mené une enquête quant aux affirmations de Mme C... », la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si l'employeur avait enquêté sur le comportement de Mme S..., a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le moyen ne tend sous le couvert de violation de la loi qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit que la salariée n'établissait pas de faits qui permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche en ce qu'il critique des motifs des premiers juges non repris par la cour d'appel, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme l'indemnité allouée au titre du licenciement nul, alors selon le moyen :

1°/ que l'indemnité allouée, distinctement des indemnités de rupture, au salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, doit réparer l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement ; qu'en limitant à la somme de 26 448 euros l'indemnité pour licenciement nul, sans se référer aux pertes subies et aux gains manqués, et sans expliquer en quoi le montant ainsi alloué permettait la réparation intégrale du préjudice subi par la salariée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable ;

2°/ que, en tout cas, tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en limitant à la somme de 26 448 euros l'indemnité allouée au titre du licenciement nul, sans exprimer aucun motif justifiant ce montant, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences s'induisant de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a apprécié souverainement le montant du préjudice dont elle a justifié l'existence par l'évaluation qu'elle en a faite conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 et l'article L. 4121-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

Attendu que l'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle ;

Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient qu'aucun agissement répété de harcèlement moral n'étant établi, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là-même d'avoir manqué à son obligation de sécurité ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme C... de sa demande en dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 15 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Articles L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 et L. 4121-2 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

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