Numéro 11 - Novembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2019

CONFLIT DE JURIDICTIONS

Soc., 27 novembre 2019, n° 18-13.790, (P)

Rejet

Compétence internationale – Immunité de juridiction – Etats étrangers – Application – Contrat de travail – Risque d'atteinte aux intérêts de l'Etat – Avis de l'Etat employeur – Appréciation – Office du juge – Nécessité – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 janvier 2015), que Mme K... B..., engagée par la République du Ghana, en son ambassade, à Paris, en qualité de secrétaire bilingue, à compter du 1er août 2005, a été licenciée pour faute grave, par lettre du 24 avril 2009, après avoir été mise à pied ;

Sur les premier et deuxième moyens réunis du pourvoi principal :

Attendu que la République du Ghana fait grief à l'arrêt d'écarter l'immunité de juridiction invoquée et de la condamner à payer à la salariée une indemnité de préavis, des congés payés sur préavis, une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :

1°/ que pour montrer en fait que Mme B... exerçait des attributions relevant des actes d'autorité, et non seulement d'actes de gestion, la République du Ghana produisait, d'une part, une attestation du ministre des affaires étrangères du Ghana, d'autre part, une attestation de Mme N..., ambassadeur, chargée d'affaires AD interim de l'ambassade du Ghana à Paris ; qu'ayant formé appel, la République du Ghana était en droit d'obtenir des juges du second degré qu'ils réexaminent en fait et en droit ses prétentions au vu des pièces qu'elle produisait pour en justifier ; que les juges du second degré se sont bornés à examiner la fiche de poste de Mme B... et ajouté que « la République du Ghana ne produit aucun élément de nature à établir que Mme B... aurait accompli des actes qui participaient par leur nature ou leur finalité à l'exercice de la souveraineté des Etats et qui n'étaient pas des actes de gestion » ; qu'en s'abstenant ainsi d'examiner les deux attestations invoquées par la République du Ghana, les juges du second degré ont violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 561 du même code ;

2°/ que les motifs du jugement ne sauraient permettre un sauvetage de l'arrêt dès lors qu'à aucun moment les premiers juges ne font état de l'attestation du ministre des affaires étrangères et de l'attestation de Mme N... ; que sous cet angle également, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 455 du code de procédure civile, ensemble de l'article 561 du même code ;

3°/ que, aux termes de l'article 11, § 2, de la Convention des Nations unies sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, telle qu'adoptée le 2 décembre 2004, et invocable devant les juridictions françaises comme consacrant à tout le moins une règle coutumière du droit international public, l'immunité de juridiction s'oppose à ce que l'agent d'un Etat étranger saisisse le juge d'un autre Etat si l'action, concernant son licenciement risque, selon l'avis du ministre des affaires étrangères, d'interférer avec les intérêts de l'Etat en matière de sécurité ; qu'en l'espèce, se prévalant de l'article 11, § 2, de la Convention du 2 décembre 2004, la République du Ghana produisait une attestation émanant de son ministre des affaires étrangères constatant que la procédure engagée par l'agent en l'espèce interférait avec les intérêts de l'Etat de la République du Ghana en matière de sécurité ; que l'attestation du ministère des affaires étrangères de la République du Ghana était produite ; qu'en se reconnaissant le pouvoir de statuer sur les demandes de Mme B..., dans ces conditions, les juges du fond ont violé la règle coutumière consacrée par l'article 11, § 2, de la Convention des Nations unies sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs bien du 2 décembre 2004 ;

4°/ que, en s'abstenant en toute hypothèse d'examiner l'attestation du ministre des affaires étrangères de la République du Ghana à l'effet de déterminer si eu égard à ses termes, elle ne révélait pas un lien avec des questions de sécurité faisant obstacle à ce que le juge français puisse être saisi, les juges du fond ont à tout le moins privé leur décision de base légale au regard de la règle coutumière que consacre l'article 11, § 2, de la Convention des Nations unies sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs bien du 2 décembre 2004 ;

5°/ que les motifs du jugement ne peuvent pallier à la carence de l'arrêt dès lors que l'attestation émanant du ministre des affaires étrangères a été produite pour la première fois en appel ; qu'à cet égard, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte du droit international coutumier, tel que reflété par l'article 11, § 2, d, de la Convention des Nations unies, du 2 décembre 2004, sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l'avis du chef de l'Etat, du chef du gouvernement ou du ministre des Affaires étrangères de l'Etat employeur, selon lequel l'action judiciaire ayant pour objet un licenciement ou la résiliation du contrat d'un employé risque d'interférer avec les intérêts de cet Etat en matière de sécurité, ne dispense pas la juridiction saisie de déterminer l'existence d'un tel risque ;

Et attendu que, ayant retenu que la salariée était chargée de l'organisation des activités sociales de l'ambassadeur, de la mise à jour hebdomadaire de son agenda, de ses appels entrants et sortants, de servir des rafraîchissements aux visiteurs de l'ambassadeur et le déjeuner de celui-ci, de l'affranchissement et de l'expédition du courrier, de préparer et de saisir toutes les correspondances non-confidentielles en langue française et de faire les réservations de vols et d'hôtels pour l'ambassadeur et ainsi fait ressortir qu'un tel risque n'était pas établi, la cour d'appel a exactement décidé, sans être tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle a décidé d'écarter, que le principe de l'immunité de juridiction ne s'appliquait pas ;

D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur les troisième et quatrième moyens réunis du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens ci-après annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principal qu'incident.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 11, § 2, d, de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la qualification par le juge d'un acte analysé comme participant de la souveraineté d'un Etat, à rapprocher : 1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 15-29.334, Bull. 2017, I, n° 171 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; CEDH, arrêt du 29 juin 2011, Sabeh El Leil c. France, n° 34869/05, point 61 ; CJUE, arrêt du 19 juillet 2012, Ahmed Mahamdia, C-154/11, point 56.

1re Civ., 6 novembre 2019, n° 18-17.111, (P)

Rejet

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Conditions – Conditions de régularité internationale du jugement – Vérification – Office du juge – Limirte

Le juge saisi d'une demande incidente de reconnaissance d'une décision étrangère d'adoption est tenu d'examiner la régularité internationale de cette décision, non celle de la décision préalable ayant suppléé le consentement du père par le sang.

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Conditions – Absence de contrariété à l'ordre public international français – Cas – Décision judiciaire suppléant le consentement du père par le sang à l'adoption

Le recours à une décision judiciaire afin de suppléer le consentement du père par le sang à l'adoption n'est pas, en soi, contraire à l'ordre public international français.

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Conditions – Absence de contrariété à l'ordre public international français – Cas – Conversion d'une adoption simple en adoption plénière par l'effet d'une loi étrangère en présence d'une décision judiciaire suppléant le consentement du père

En présence d'une décision de justice ayant suppléé le consentement du père, la « conversion » opérée par la loi allemande du 2 juillet 1976, d'une adoption produisant les effets d'une adoption simple en une adoption plénière n'est pas contraire à l'ordre public international français.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 février 2018), qu'K... T... est née le [...] à Poissy de l'union de D... T... et d'X... I... ; qu'après leur divorce en 1972, cette dernière s'est remariée le 9 février 1973, en Allemagne, avec M. Q... ; qu'K... T..., qui résidait avec sa mère et son conjoint, a été adoptée « en qualité d'enfant commun », par contrat du 11 septembre 1975 ; que ce contrat d'adoption a fait l'objet d'une homologation judiciaire par le tribunal d'Offenburg, par décisions des 11 et 25 novembre 1975 ; que, de la seconde union de D... T... avec Mme G..., dissoute par jugement du 21 juillet 2000, est née N... T..., le [...] à Poissy ; que D... T... est décédé le [...] à Paris ; que, Mme K... T... Q... ayant contesté l'acte de notoriété établi après le décès, qui mentionnait Mme N... T... pour unique héritière, la seconde a assigné la première devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin qu'il soit constaté que celle-ci n'avait pas la qualité d'héritière de D... T... ;

Sur le cinquième moyen, qui est préalable :

Attendu que Mme T... Q... fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'a pas la qualité d'héritière réservataire de D... T..., qu'elle doit être tenue pour légataire à titre particulier de certains biens et que Mme N... T... recevra l'intégralité de la succession, à charge pour elle de délivrer les legs particuliers alors, selon le moyen, que dès lors que la filiation de l'une des parties était en cause, le dossier devait donner lieu à communication au ministère public ; que l'arrêt ne mentionne pas que cette formalité ait été respectée ; qu'il doit être censuré pour violation de l'article 425, 1°, du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel était saisie de la question de la reconnaissance, à l'occasion d'un litige successoral, d'un jugement d'adoption prononcé à l'étranger, de sorte qu'elle avait seulement à vérifier si se trouvaient remplies les conditions requises pour que ce jugement soit reconnu en France, ainsi que, le cas échéant, les effets qu'il produisait, sans pouvoir examiner le fond ; d'où il suit que l'article 425, 1°, du code de procédure civile n'était pas applicable et que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme T... Q... fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ qu'en application du droit allemand alors en vigueur, l'adoption sans rupture du lien avec le père par le sang, intervenue sans le consentement de ce dernier, supposait, préalablement à la convention portant adoption et à son homologation, une décision du juge suppléant l'absence de consentement du père par le sang ; que dès lors qu'il y avait contestation de la part de Mme K... T... Q..., Mme N... T... devait établir l'existence de cette décision, puis la produire sous la forme d'une copie réunissant les conditions nécessaires pour en montrer l'authenticité, avant que de pouvoir en demander la reconnaissance ; que l'arrêt ayant constaté que la décision n'a pas été produite, a fortiori sous la forme d'une copie répondant aux exigences requises au titre de son authenticité, les juges du fond, qui se sont contentés de supposer la décision au travers d'éléments contenus dans certaines pièces, ont violé les règles gouvernant la reconnaissance des décisions étrangère ;

2°/ qu'à supposer qu'une décision puisse être reconnue sans avoir été produite et sans qu'on puisse s'assurer a fortiori des conditions de son authenticité, de toute façon, les juges du fond se devaient de rechercher si, en tant qu'elle avait permis de contourner la circonstance que le consentement du père par le sang n'avait pas été requis, à plus forte raison obtenu, la décision du juge allemand, présentée comme suppléant à l'absence de consentement, n'était pas contraire à l'ordre public international français ; que faute de ce faire, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des règles gouvernant l'ordre public international ;

3°/ que lorsqu'un acte, fût-il homologué par le juge, postule une décision préalable d'un juge, l'absence de décision préalable ou l'absence de reconnaissance de cette décision, ou encore le refus d'exequatur de cette décision, fait obstacle à ce que l'accord et la décision d'homologation, qui sont privés de base légale, puissent produire effet ; qu'en refusant de tirer les conséquences d'une absence de production du jugement suppléant le consentement du père par le sang, et donc d'une absence de reconnaissance, les juges du fond, qui ne pouvaient faire produire effet à l'accord relatif à l'adoption et au jugement d'homologation, ont violé les règles régissant la reconnaissance des décisions étrangères, ensemble le principe suivant lequel l'absence d'une décision préalable, ou la non reconnaissance d'une décision préalable s'oppose à ce que des actes subséquents puissent produire effet ;

Mais attendu que l'arrêt relève que Mme N... T... produit le contrat d'adoption du 11 septembre 1975 et deux décisions du tribunal d'Offenburg des 11 et 25 novembre 1975 portant validation et homologation judiciaire de ce contrat ; qu'il constate qu'il résulte des démarches entreprises par celle-ci auprès des services compétents que le jugement du 20 mars 1975 ayant remplacé l'autorisation du père par le sang a été détruit, raison pour laquelle il n'est pas produit ; qu'il ajoute que ce jugement est visé dans le contrat homologué et que seule la régularité internationale de la décision d'homologation doit être examinée ; que la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que Mme K... T... Q... avait été adoptée par X... I... et son second conjoint, conformément au contrat d'adoption judiciairement homologué ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que Mme T... Q... fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ qu'à supposer qu'une décision d'homologation puisse être reconnue sans que la décision préalable qui lui sert de « socle » n'ait été produite et sans qu'on puisse s'assurer a fortiori des conditions de son authenticité, de toute façon, les juges du fond se devaient de rechercher si, en tant qu'elle avait homologué une adoption sans que le consentement du père biologique n'ait été requis, à plus forte raison obtenu, la décision d'homologation n'était pas contraire à l'ordre public international français ; que faute de ce faire, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des règles gouvernant l'ordre public international ;

2°/ qu'en tout cas, les juges du fond devaient rechercher si la décision d'homologation de l'adoption n'avait pas été rendue par défaut, et si l'acte introductif d'instance ou l'acte équivalent avait été notifié ou signifié au père biologique de Mme K... T... Q... de telle manière qu'il puisse se défendre ; que faute de ce faire, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des règles gouvernant l'ordre public international ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu, d'abord, que le recours à une décision judiciaire afin de suppléer le consentement du père n'était pas, en soi, contraire à l'ordre public international français et qu'elle n'avait pas à apprécier les motifs de cette décision étrangère, ensuite, qu'aucune violation des principes fondamentaux de la procédure ayant compromis les intérêts d'une partie n'était démontrée ; qu'elle en a déduit que l'ordonnance portant homologation du contrat d'adoption devait produire effet en France, justifiant ainsi légalement sa décision au regard des règles gouvernant l'ordre public international ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que Mme T... Q... fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en tout état de cause, si dans l'hypothèse où un juge étranger a pris parti sur une situation juridique, la seule question qui se pose dans l'ordre du for est celle de savoir si la décision peut être reconnue, question relevant des conflits de juridictions, en revanche, en l'absence de décision d'un juge étranger, le juge du for a pour mission de se prononcer sur la situation juridique en mettant en oeuvre les règles applicables, au besoin les règles du droit étranger ; qu'au travers de l'homologation, le juge allemand, s'est borné à constater l'existence d'un lien de filiation fondé sur l'adoption et laissant subsister le lien avec le parent par le sang ; que le point de savoir si, eu égard à cette situation juridique, il était possible de considérer qu'à raison de la loi allemande du 7 février 1976, applicable à compter du 1er janvier 1978, l'adoption précédemment prononcée emportait désormais rupture du lien avec le père par le sang relevait, non pas du conflit de juridictions, mais du conflit de lois ; qu'en raisonnant comme si l'adoption rompant le lien avec le père biologique procédait d'une décision étrangère, quand cette constatation ne pouvait être que le fait du juge français, fût-ce sur le fondement des règles du droit allemand, les juges du fond ont commis une erreur de droit, dont il résulte qu'ils se sont mépris sur leur office, et ont violé la distinction entre les conflits de lois et les conflits de juridictions ;

2°/ que les décisions étrangères relatives à l'état des personnes étant reconnues de plein droit, au regard de l'ordre juridique français, l'enfant devait être regardé en France comme ayant fait l'objet d'une adoption simple ; que par suite la conversion de cette adoption simple en adoption plénière relevait du droit français, plus spécialement de l'article 370-5 du code civil ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé la règle suivant laquelle un jugement concernant l'état des personnes produit de plein droit ses effets en France, ensemble l'article 370-5 du code civil ;

3°/ que si, aux termes de l'article 370-5 du code civil, une adoption prononcée à l'étranger et procédant d'une adoption simple, peut être convertie en une adoption plénière emportant rupture du lien avec le parent par le sang, c'est à la condition que les consentements requis aient été donnés expressément et en connaissance de cause ; qu'en application de l'article 370-3 du code civil, l'adoption plénière ne peut être prononcée, quelle que soit la loi applicable, que si les parents de l'enfant donnent leur consentement en toute connaissance de cause après avoir été éclairés sur les conséquences de l'adoption ; qu'en décidant, sous l'égide du droit allemand, que le lien avec le père par le sang pouvait être rompu, quand ils constataient l'absence de consentement de la part du père de l'enfant, les juges du fond ont violé les articles 370-3, alinéa 3, et 370-5 du code civil ;

4°/ qu'en tout cas, faudrait-il considérer par impossible, en s'attachant à la lettre des textes, que les articles 370-3, alinéa 3, et 370-5 du code civil n'envisagent pas formellement l'hypothèse où une adoption ayant été prononcée sans rupture du lien avec le parent par le sang, une loi a pu intervenir ultérieurement à l'effet de rompre ipso facto et sans autre formalité l'existence du lien qu'avait précédemment sauvegardé l'adoption, en tout état de cause, l'arrêt resterait entaché d'une erreur de droit ; qu'il y a lieu de considérer, à tout le moins, au besoin dans le cadre d'une adaptation, que, à raison des buts qu'ils poursuivent et des intérêts qu'ils sauvegardent, l'un et l'autre des deux textes s'appliquent à l'hypothèse d'une rupture du lien avec le parent par le sang, maintenu à l'origine lors de l'adoption, et rompu par le seul effet d'une loi étrangère postérieure ; que sous cet angle également, l'arrêt doit être censuré pour violation des articles 370-3, alinéa 3, et 370-5 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que, si l'adoption avait, en Allemagne, jusqu'à la loi du 2 juillet 1976, des effets juridiques limités, sans incidence sur les droits successoraux de l'enfant, cette loi a instauré une adoption plénière qui, pour les mineurs, rompt les liens entre ceux-ci et les parents par le sang ; qu'il ajoute qu'aux termes de ses dispositions transitoires, cette loi nouvelle s'applique de plein droit, à compter du 1er janvier 1978, aux enfants mineurs adoptés sous l'empire de l'ancienne loi, de sorte que, sauf opposition, l'adoption, qui avait les effets d'une adoption simple, se transforme de plein droit en adoption entraînant la rupture des liens juridiques avec la famille d'origine ; qu'il constate qu'aucune déclaration s'opposant à cette « conversion » de l'adoption de Mme T... Q... n'a été enregistrée, de sorte que sa situation est régie par la loi nouvelle ; que la cour d'appel, qui n'avait pas à appliquer les articles 370-3, alinéa 3, et 370-5 du code civil dès lors qu'elle n'était saisie ni d'une requête en adoption ni d'une demande de conversion de l'adoption simple en adoption plénière, en a exactement déduit que, l'ordonnance du 25 novembre 1975 produisant en France des effets identiques à ceux produits en Allemagne, Mme T... Q... n'avait pas la qualité d'héritière réservataire de D... T... ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que Mme T... Q... fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en considérant, sous l'égide de la loi allemande, qu'une adoption simple sans rupture du lien avec le parent par le sang pouvait être convertie en une adoption emportant rupture de ce lien, sans rechercher, au regard de l'ordre public international, appréhendé sous l'égide de la Convention de New York du 8 novembre 1989, si l'intérêt de l'enfant ne s'opposait pas à une telle solution et n'imposait pas que la disposition étrangère en cause soit refoulée de l'ordre juridique français, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard au regard de l'article 3 de la Convention de New York du 8 novembre 1989 relatif aux droits de l'enfant ;

2°/ qu'en considérant, sous l'égide de la loi allemande, qu'une adoption simple sans rupture du lien avec le parent par le sang avait pu être convertie en une adoption emportant rupture de ce lien, sans rechercher si, au regard du droit de l'enfant à une vie familiale normale au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'ordre public ne s'opposait pas à une rupture des liens avec le père biologique alors qu'il n'y avait pas de consentement de ce dernier et n'imposait pas que la disposition étrangère en cause soit refoulée de l'ordre juridique français, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en tout cas, en considérant, sous l'égide de la loi allemande, qu'une adoption simple sans rupture du lien avec le parent par le sang avait pu être convertie en une adoption emportant rupture de ce lien, sans rechercher si, eu égard à l'importance que le législateur français a accordé au consentement libre et éclairé des parents par le sang, notamment en cas de rupture du lien avec les parents par le sang, le fait que le lien ait pu être rompu de plein droit et sans que l'accord du père par le sang ait été sollicité, ne s'opposait pas à l'application de la loi allemande comme révélatrice d'une atteinte à l'ordre public international, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des règles gouvernant l'ordre public international ;

4°/ que, l'enfant étant né en France d'un père français, de nationalité française ayant vécu ses premières années en France, l'ordre public international de proximité faisait en tout cas obstacle à l'application de la loi allemande convertissant une adoption simple sans rupture du lien avec le parent biologique en une adoption portant rupture de ce lien sans que le consentement du parent biologique ait été sollicité, a fortiori obtenu ; qu'à tout le moins, faute de se prononcer sur ce point, l'arrêt est en tout cas privé de base légale au regard de l'ordre public international de proximité ;

Mais attendu, d'abord, que, l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant n'ayant pas été invoqué devant la cour d'appel, celle-ci n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;

Attendu, ensuite, qu'ayant relevé, d'une part, qu'au lien juridique unissant Mme T... Q... à D... T... s'était substitué, par l'effet attaché à la décision d'adoption par la loi nouvelle, un lien juridique nouveau l'unissant à M. Q... et qu'elle avait bénéficié des dispositions du droit allemand qui en résultaient, d'autre part, que ce lien était ancien et que Mme T... Q... avait eu une vie familiale avec ses parents adoptifs durant plusieurs dizaines d'années, la cour d'appel a pu en déduire que c'est le refus de reconnaître en France le lien de filiation dont l'adoptée bénéficiait depuis aussi longtemps en Allemagne qui serait contraire à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, enfin, qu'après avoir rappelé les dispositions de l'article 12, § 2, de la loi allemande du 2 juillet 1976, aux termes desquelles la loi nouvelle s'appliquait de plein droit aux enfants mineurs adoptés sous l'empire de l'ancienne loi, la cour d'appel a retenu qu'en présence d'une décision de justice ayant suppléé le consentement du père, la « conversion » opérée par cette loi, d'une adoption produisant les effets d'une adoption simple en une adoption produisant les effets d'une adoption plénière, n'était pas contraire à l'ordre public international français ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Caron-Deglise - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin -

Textes visés :

Articles 370-3 et 370-5 du code civil ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommes et des libertés fondamentales ; article 12, § 2, de la loi allemande du 2 juillet 1976.

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