Numéro 11 - Novembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2018

UNION EUROPEENNE

3e Civ., 15 novembre 2018, n° 17-26.156, (P)

Sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 – Articles 9 à 13 relatifs aux régimes d'autorisation d'établissement des prestataires – Domaine d'application – Détermination – Portée

Sont renvoyées à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :

La directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 s'applique-t-elle à la location à titre onéreux, même à titre non professionnel, de manière répétée et pour de courtes durées, d'un local meublé à usage d'habitation ne constituant pas la résidence principale du loueur, à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile ? Une réglementation telle que celle prévue par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation constitue-t-elle un régime d'autorisation au sens des articles 9 à 13 de ce texte ?

Dans l'affirmative :

- l'article 9 sous b de cette directive doit-il être interprété en ce sens que l'objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location constitue une raison impérieuse d'intérêt général permettant de justifier une mesure nationale soumettant à autorisation, dans certaines zones géographiques, la location d'un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile et, le cas échéant, une telle mesure est-elle proportionnée à l'objectif poursuivi ?

- l'article 10, § 2, s'oppose-t-il à une mesure nationale qui subordonne à autorisation le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation « de manière répétée », pour de « courtes durées », à une « clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » et qui prévoit que les conditions de délivrance de l'autorisation sont fixées, par une délibération du conseil municipal, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés locaux d'habitation et la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements ?

1. Il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2017), que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a assigné en référé, sur le fondement de l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation, la société civile immobilière Cali Apartments (la société Cali Apartments), propriétaire d'un studio situé à Paris, afin de la voir condamner au paiement d'une amende et de voir ordonner le retour du bien à son usage d'habitation.

Le maire de la ville de Paris est intervenu volontairement à l'instance.

2. La cour d'appel a retenu qu'il était établi que le studio, qui avait été proposé à la location sur un site internet, avait fait l'objet, sans autorisation préalable, de locations de courte durée, épisodiques, à l'usage d'une clientèle de passage, en violation des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation. Elle a, sur le fondement de l'article L. 651-2 du même code, condamné la société Cali Apartments au paiement d'une amende de 15 000 euros, dit que le produit de cette amende serait versé à la ville de Paris et ordonné le retour du local à un usage d'habitation.

3. La société Cali Apartments fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une amende et d'ordonner le retour du local à l'usage d'habitation alors, selon le premier moyen, qu'en appliquant les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 651-2, alinéa 1, du code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel a violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne, en ce qu'elle n'a pas établi que cette restriction à la libre prestation de service était justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général et que l'objectif poursuivi ne pouvait pas être réalisé par une mesure moins contraignante comme l'exige l'article 9, sous b et c, de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 (première et deuxième branches) et que la mise en oeuvre de cette mesure ne dépend pas de critères répondant aux exigences de l'article 10 de la directive précitée (troisième et quatrième branches).

Sur la recevabilité du premier moyen, contestée par la défense :

4. La ville de Paris soutient que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable.

5. Mais le moyen tiré de la violation du principe de primauté du droit de l'Union européenne en raison de la non-conformité des dispositions des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation à la directive 2006/123/CE, lequel ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit et donc recevable.

Sur ce moyen :

6. Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

* Dispositions de droit interne

7. En application de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, dans sa rédaction applicable au litige :

« Toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme, que celui-ci soit classé ou non au sens du présent code, doit en avoir préalablement fait la déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé.

Cette déclaration préalable n'est pas obligatoire lorsque le local à usage d'habitation constitue la résidence principale du loueur, au sens de l'article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ».

8. Ce régime déclaratif est précisé par l'article D. 324-1-1 du code du tourisme, qui, dans sa version applicable au litige, dispose :

« La déclaration de location d'un meublé de tourisme, que celui-ci soit classé ou non au sens du présent code, prévue à l'article L. 324-1-1 est adressée au maire de la commune où est situé le meublé par tout moyen permettant d'en obtenir un accusé de réception.

La déclaration précise l'identité et l'adresse du déclarant, l'adresse du meublé de tourisme, le nombre de pièces composant le meublé, le nombre de lits, la ou les périodes prévisionnelles de location et, le cas échéant, la date de la décision de classement et le niveau de classement des meublés de tourisme.

Tout changement concernant les éléments d'information que comporte la déclaration fait l'objet d'une nouvelle déclaration en mairie.

La liste des meublés de tourisme, classés ou non au sens du présent code, est consultable en mairie. »

9. Le loueur peut, en outre, suivant la nature et l'emplacement du local proposé à la location, être soumis aux dispositions du code de la construction et de l'habitation qui encadrent le changement d'usage des locaux d'habitation.

10. Aux termes de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est, dans les conditions fixées par l'article L. 631-7-1 du même code, soumis à autorisation préalable.

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové a ajouté à ce texte un dernier alinéa, qui précise que le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens de ce texte.

11. L'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation fixe les modalités d'obtention de l'autorisation prévue par l'article L. 631-7 :

« L'autorisation préalable au changement d'usage est délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l'immeuble, après avis, à Paris, Marseille et Lyon, du maire d'arrondissement concerné. Elle peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.

L'autorisation de changement d'usage est accordée à titre personnel. Elle cesse de produire effet lorsqu'il est mis fin, à titre définitif, pour quelque raison que ce soit, à l'exercice professionnel du bénéficiaire. Toutefois, lorsque l'autorisation est subordonnée à une compensation, le titre est attaché au local et non à la personne.

Les locaux offerts en compensation sont mentionnés dans l'autorisation qui est publiée au fichier immobilier ou inscrite au livre foncier.

L'usage des locaux définis à l'article L. 631-7 n'est en aucun cas affecté par la prescription trentenaire prévue par l'article 2227 du code civil.

Pour l'application de l'article L. 631-7, une délibération du conseil municipal fixe les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations par quartier et, le cas échéant, par arrondissement, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Si la commune est membre d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme, la délibération est prise par l'organe délibérant de cet établissement ».

12. Un régime d'autorisation temporaire peut également être défini par le conseil municipal, en application de l'article L. 631-7-1 A du même code qui prévoit qu'une délibération du conseil municipal peut définir un régime d'autorisation temporaire de changement d'usage permettant à une personne physique de louer pour de courtes durées des locaux destinés à l'habitation à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile.

La délibération fixe les conditions de délivrance de cette autorisation temporaire par le maire de la commune dans laquelle est situé l'immeuble après avis, à Paris, Marseille et Lyon, du maire d'arrondissement concerné. Elle détermine également les critères de cette autorisation temporaire, qui peuvent porter sur la durée des contrats de location, sur les caractéristiques physiques du local, ainsi que sur sa localisation en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Ces critères peuvent être modulés en fonction du nombre d'autorisations accordées à un même propriétaire.

13. Selon l'article L. 631-7-1 A du code de la construction et de l'habitation, aucune autorisation de changement d'usage n'est en revanche nécessaire lorsque le local constitue la résidence principale du loueur au sens de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989, c'est-à-dire lorsque le logement est occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge.

14. L'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation prévoit les sanctions et mesures applicables en cas de non-respect de ces dispositions :

« Toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende de 25 000 euros.

Cette amende est prononcée à la requête du ministère public par le président du tribunal de grande instance du lieu de l'immeuble, statuant en référé ; le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est située l'immeuble.

Le président du tribunal ordonne le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation dans un délai qu'il fixe. A l'expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d'un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile des locaux irrégulièrement transformés.

Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé l'immeuble.

Passé ce délai, l'administration peut procéder d'office, aux frais du contrevenant, à l'expulsion des occupants et à l'exécution des travaux nécessaires ».

* Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur

* Article 2 de la directive

15. La directive précitée, dite « services », a pour objet d'établir les dispositions générales permettant de faciliter l'exercice de la liberté d'établissement des prestataires, ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services.

16. Elle s'applique, en vertu de son article 2, § 1, aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un Etat membre.

La notion de « service » est définie par l'article 4 comme toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération par un prestataire.

Est un prestataire toute personne physique ressortissante d'un Etat membre ou toute personne morale visée à l'article 48 du Traité et établie dans un Etat membre, qui offre ou fournit un service.

La rémunération consiste, aux termes du point 34 des motifs de la directive, en la contrepartie économique du service en cause.

17. La directive prévoit, en ses articles 1 et 2, un certain nombre de matières et d'activités exclues de son champ d'application.

18. L'activité de location meublée de courte durée ne figure pas parmi les matières et activités exclues.

19. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 30 janvier 2018, C-630/15 et C-631/16) que les dispositions du chapitre III de la directive, relatif à la liberté d'établissement des prestataires, s'appliquent à une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l'intérieur d'un seul Etat membre. Il en résulte que l'absence d'élément d'extranéité ne fait pas obstacle à l'applicabilité de la directive.

20. Le contrat de bail se caractérise par la mise à disposition à titre onéreux d'un bien.

21. Dès lors, la question se pose en premier lieu de savoir si la location, même à titre non professionnel, de manière répétée et pour de courtes durées, d'un local meublé à usage d'habitation ne constituant pas la résidence principale du loueur, à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, en contrepartie du paiement d'un prix, constitue un service fourni par un prestataire ayant son établissement dans un Etat membre au sens de l'article 2 de la directive et entre ainsi dans son champ d'application.

22. Dans l'affirmative, la question se pose alors de savoir si une réglementation nationale telle que celle prévue par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, laquelle s'ajoute au régime déclaratif prévu par l'article L. 324-1-1 du code du tourisme pour la location de meublés de tourisme, constitue, en ce qu'elle subordonne à autorisation le changement d'usage du local proposé à la location dans certaines zones géographiques, un régime d'autorisation de l'activité susvisée au sens des articles 9 à 13 de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 ou seulement une exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15.

* Article 9 de la directive

23. Si la réglementation nationale est constitutive d'un régime d'autorisation au sens de la directive, il y a lieu de rappeler qu'en application de son article 9, relatif aux régimes d'autorisation, les Etats membres ne peuvent subordonner l'accès à une activité de service et son exercice à un régime d'autorisation que si les conditions suivantes sont réunies :

a) le régime d'autorisation n'est pas discriminatoire à l'égard du prestataire visé ;

b) la nécessité d'un régime d'autorisation est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ;

c) l'objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

24. La société Cali Apartments estime en premier lieu que le régime d'autorisation instauré par le législateur ne répond pas à une raison impérieuse d'intérêt général.

25. Les « raisons impérieuses d'intérêt général » sont définies par l'article 4 de la directive comme les raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice.

26. La loi du 24 mars 2014 « pour le logement et un urbanisme rénové », qui a introduit l'alinéa 6 de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, a eu pour objectif de « répondre à la dégradation des conditions d'accès au logement et à l'exacerbation des tensions sur les marchés immobiliers, notamment en régulant les dysfonctionnements du marché, à protéger les propriétaires et les locataires et à permettre l'accroissement de l'offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires, le logement étant un bien de première nécessité et le droit à un logement décent étant un objectif protégé par la Constitution » (exposé des motifs du projet de loi du Gouvernement).

27. Selon la décision du 20 mars 2014 du Conseil constitutionnel (n° 2014-691 DC), statuant sur la constitutionnalité de l'article L. 631-7, alinéa 6, issu de la loi du 24 mars 2014, le législateur a, en introduisant cette disposition, poursuivi un objectif d'intérêt général dès lors qu'il a entendu préciser le champ d'application d'un dispositif de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et définir certaines exceptions en faveur des bailleurs.

28. L'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation fixe, au rang des critères devant présider à la détermination des conditions de délivrance des autorisations, l'objectif de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements.

29. La question se pose dès lors de savoir si l'objectif poursuivi par le législateur, tenant notamment à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location, constitue une raison impérieuse d'intérêt général au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment en ce qu'elle pourrait constituer un objectif de politique sociale reconnu comme telle par celle-ci.

30. La société Cali Apartments soutient encore que le régime d'autorisation instauré par l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation ne serait pas proportionné à l'objectif poursuivi en ce que des mesures moins contraignantes auraient pu être mises en place pour lutter contre la pénurie de logements destinés à la location, par exemple en limitant les nuitées disponibles à la location de courte durée ou en prévoyant une imposition spécifique.

31. Selon la décision du Conseil constitutionnel du 20 mars 2014 précitée, les dispositions de l'article L. 631-7, alinéa 6, sont en adéquation avec l'objectif poursuivi tenant à la lutte contre la pénurie de logements.

32. Il convient par ailleurs de relever que le champ d'application du régime d'autorisation du changement d'usage prévu par l'article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l'habitation est circonscrit :

- il n'est obligatoire que dans les communes de plus de 200 000 habitants et les communes des trois départements limitrophes de Paris ;

- il ne concerne que les locations remplissant un certain nombre de conditions : un local meublé destiné à l'habitation, des locations répétées, pour de courtes durées, à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile ;

- il ne concerne pas les logements qui constituent la résidence principale du loueur, c'est-à-dire qu'il occupe au moins huit mois par an ;

- un régime d'autorisation temporaire est prévu par l'article L. 631-7-1 A du code de la construction et de l'habitation.

33. La question se pose de savoir si l'objectif poursuivi justifie un tel régime d'autorisation, ainsi défini, du changement d'usage.

* Article 10 de la directive

34. En application de l'article 10 de la directive, relatif aux conditions d'octroi de l'autorisation :

1. Les régimes d'autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire.

2. Les critères visés au paragraphe 1 sont :

a) non discriminatoires ;

b) justifiés par une raison impérieuse d'intérêt général ;

c) proportionnels à cet objectif d'intérêt général ;

d) clairs et non ambigus ;

e) objectifs ;

f) rendus publics à l'avance ;

g) transparents et accessibles [...].

35. En application de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, une autorisation de changement d'usage peut être requise en cas de location d'un local meublé à usage d'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile.

La société Cali Apartments soutient que ces critères ne sont ni clairs ni objectifs.

36. La question se pose de savoir si ces critères, en ce qu'ils ne font pas référence à des seuils chiffrés mais sont fondés sur les notions de « répétition », de « courte durée » et de « clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » sont suffisamment clairs et objectifs au sens de l'article 10.

37. L'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation définit les modalités d'obtention d'une autorisation.

38. La société Cali Apartments soutient que, les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations par quartier et, le cas échéant, par arrondissement, étant déterminées par chaque conseil municipal et non par la loi, il n'est pas satisfait aux exigences de publicité, de transparence et d'accessibilité prévues par l'article 10.

39. Les comptes-rendus des séances du conseil municipal sont, en application de l'article L. 2121-25 du code général des collectivités territoriales, affichés en mairie et mis en ligne sur le site internet de la commune.

40. L'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation précise que les conditions d'autorisation sont fixées au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements.

La société Cali Apartments soutient que ces critères ne remplissent pas les conditions de clarté et d'objectivité prévues par l'article 10.

41. La question se pose de savoir si ces critères remplissent les conditions de clarté et d'objectivité prévus par l'article 10.

42. Les questions soulevées par le moyen, dont dépend la solution du pourvoi, justifient la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne.

43. Il y a lieu en conséquence de surseoir à statuer sur le pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée.

PAR CES MOTIFS :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°/ La directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, eu égard à la définition de son objet et de son champ d'application par ses articles 1 et 2, s'applique-t-elle à la location à titre onéreux, même à titre non professionnel, de manière répétée et pour de courtes durées, d'un local meublé à usage d'habitation ne constituant pas la résidence principale du loueur, à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile, notamment au regard des notions de prestataires et de services ?

2°/ en cas de réponse positive à la question précédente, une réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, constitue-t-elle un régime d'autorisation de l'activité susvisée au sens des articles 9 à 13 de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 ou seulement une exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15 ?

Dans l'hypothèse où les articles 9 à 13 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 sont applicables :

3°/ L'article 9 sous b, de cette directive doit-il être interprété en ce sens que l'objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location constitue une raison impérieuse d'intérêt général permettant de justifier une mesure nationale soumettant à autorisation, dans certaines zones géographiques, la location d'un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile ?

4°/ Dans l'affirmative, une telle mesure est-elle proportionnée à l'objectif poursuivi ?

5°/ L'article 10, § 2, sous d et e, de la directive s'oppose-t-il à une mesure nationale qui subordonne à autorisation le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation « de manière répétée », pour de « courtes durées », à une « clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » ?

6°/ L'article 10, § 2, sous d à g, de la directive s'oppose-t-il à un régime d'autorisation prévoyant que les conditions de délivrance de l'autorisation sont fixées, par une délibération du conseil municipal, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements ?

SURSOIT à statuer sur le pourvoi ;

RENVOIE à l'audience du 10 décembre 2019.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Collomp - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ; article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation.

2e Civ., 29 novembre 2018, n° 17-20.226, (P)

Renvoi devant la cour de justice de l'Union européenne et sursis à statuer

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Règlement (CE) n° 883/2004 – Champ d'application – Détermination

Sont renvoyées à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

- l'aide pour allégement des charges du handicap prévue par le § 35a du huitième livre du Sozialgesetzbuch (code social allemand) relève-t-elle du champ d'application matériel du règlement n° 883/2004 ?

Dans l'affirmative :

- l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, son complément ou à défaut la prestation de compensation du handicap, d'une part, et l'aide à l'intégration des enfants et adolescents handicapés prévue au § 35a du huitième livre du Sozialgesetzbuch (code social allemand), d'autre part, présentent-elles un caractère équivalent au sens de l'article 5, sous a) du règlement n° 883/2004, compte tenu de la finalité de l'article L. 351-4-1 du code français de la sécurité sociale tendant à la prise en compte des charges inhérentes à l'éducation d'un enfant présentant un handicap pour la détermination de la durée d'assurance ouvrant droit au service d'une pension de retraite ?

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

A rendu l'arrêt suivant :

Rappel des faits :

1. De nationalité française, mais résidant à Stuttgart en République fédérale d'Allemagne, professeur agrégé de l'Education nationale, Mme Catherine Z... a été admise à la retraite, à effet du 1er août 2010, par un arrêté du recteur de l'académie de Strasbourg en date du 7 juillet 2010. N'ouvrant pas droit à pension au titre du régime des pensions civiles et militaires de retraite de l'Etat, faute pour elle de totaliser quinze années de services civils et militaires actifs, Mme Z... a été rétablie, à concurrence de la durée des services accomplis pour le ministère de l'Education nationale, dans ses droits au titre de l'assurance vieillesse du régime général.

2. Mme Z... a sollicité, le 27 juillet 2011, la liquidation de ses droits à pension auprès de la caisse allemande compétente (Deutsche Rentenversicherung Bund), qui a transmis sa demande à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Alsace-Moselle (la CARSAT). Celle-ci a attribué à l'intéressée, à effet du 1er novembre 2011, une pension de retraite.

La pension prenant effet au soixante-cinquième anniversaire de l'intéressée, elle a été liquidée au taux plein de 50 % indépendamment de la durée de sa carrière (périodes cotisées et périodes assimilées).

3. Mme Z... a saisi, par lettre du 18 mars 2012, la commission de recours amiable de la CARSAT d'une réclamation portant, d'une part, sur la date d'effet de sa pension, d'autre part, sur la prise en compte, pour la détermination du nombre des périodes cotisées et assimilées retenu pour le calcul de sa pension, de la majoration pour enfant handicapé prévue par l'article L. 351-4-1 du code de la sécurité sociale. Mme Z... a élevé, en effet, une enfant handicapée, sa fille Lucie, née le [...].

4. Sa demande ayant été rejetée par la commission de recours amiable de la CARSAT, Mme Z... a saisi d'un recours les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale. Elle a été déboutée de ses demandes par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Strasbourg par un jugement du 8 avril 2015.

5. Saisie à son tour du litige, la cour d'appel de Colmar a confirmé la décision des premiers juges en ce qui concerne la date d'effet de la pension, mais elle l'a infirmée pour le surplus et, statuant de nouveau, elle a jugé que la pension de retraite de Mme Z... devait être calculée en tenant compte d'une majoration de sa carrière de huit trimestres en raison de l'éducation de son enfant handicapé (arrêt du 27 avril 2017).

6. Pour statuer ainsi, la cour d'appel de Colmar s'est fondée sur les dispositions de l'article 5 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (le règlement n° 883/2004) : la Ville de Stuttgart ayant versé à Mme Z..., à compter du 10 novembre 1995, une aide financière régulière pour allégement des charges du handicap de sa fille sur le fondement de l'article 35a, paragraphe 1, point 1 du huitième livre du code social allemand, la cour d'appel en a déduit que l'intéressée avait ainsi perçu un revenu lié à un handicap susceptible de produire un effet juridique, et que les prestations allemande et française étant équivalentes pour des faits ou événements semblables, elle pouvait prétendre, en vertu de la règle européenne de coordination, à la majoration de carrière prévue par la législation française.

7. La CARSAT d'Alsace-Moselle a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Colmar.

Au soutien de son pourvoi, elle fait grief à l'arrêt attaqué « d'avoir dit que la retraite de Mme Z... devait être majorée de huit trimestres pour enfant handicapé », alors, selon le moyen :

1°/ que l'application des textes européens ne peut donner lieu à une discrimination à rebours, donnant plus de droits aux personnes ayant relevé de systèmes d'allocations d'autres pays membres qu'aux assurés sociaux ayant toujours relevé uniquement du régime français ; que, comme le faisait justement valoir la caisse devant la cour d'appel, la majoration de la durée d'assurance pour enfant handicapé suppose que l'enfant ait été atteint d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ; que la cour d'appel ne pouvait statuer comme elle l'a fait, sans vérifier que la fille de Mme Z... avait été atteinte d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ; que la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 5 du règlement CE n° 883/2004, les articles L. 351-4-1, L. 541-1 du code de la sécurité sociale ;

2°/ que la question de savoir si l'enfant handicapée de Mme Z... était affectée d'une incapacité d'au moins 80 %, ouvrant droit à la majoration de la durée d'assurance pour enfant handicapée, était une question d'ordre médical ; que la cour d'appel aurait dû ordonner, au besoin d'office, une expertise technique ; qu'elle a ainsi violé l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale ;

Rappel des dispositions du droit de l'Union européenne invoquées au soutien du moyen :

8. Inséré dans le titre Ier : Dispositions générales, l'article 5 du règlement n° 883/2004, intitulé « Assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d'événements », précise :

À moins que le présent règlement n'en dispose autrement et compte tenu des dispositions particulières de mise en oeuvre prévues, les dispositions suivantes s'appliquent :

a) si, en vertu de la législation de l'État membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d'autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause de cette législation sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d'un autre État membre ou de revenus acquis dans un autre État membre ;

b) si, en vertu de la législation de l'Etat membre compétent, des effets juridiques sont attribués à la survenance de certains faits ou événements, cet État membre tient compte des faits ou événements semblables survenus dans tout autre Etat membre comme si ceux-ci étaient survenus sur son propre territoire.

Rappel du droit national (France) :

9. Aux termes de l'article L. 351-4-1 du code de la sécurité sociale :

Les assurés sociaux élevant un enfant ouvrant droit, en vertu des premier et deuxième alinéas de l'article L. 541-1, à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et à son complément ou, en lieu et place de ce dernier, de la prestation de compensation prévue par l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles bénéficient, sans préjudice, le cas échéant, de l'article L. 351-4, d'une majoration de leur durée d'assurance d'un trimestre par période d'éducation de trente mois dans la limite de huit trimestres.

10. Aux termes de l'article L. 541-1 du même code :

Toute personne qui assume la charge d'un enfant handicapé a droit à une allocation d'éducation de l'enfant handicapé, si l'incapacité permanente de l'enfant est au moins égale à un taux déterminé.

Un complément d'allocation est accordé pour l'enfant atteint d'un handicap dont la nature ou la gravité exige des dépenses particulièrement coûteuses ou nécessite le recours fréquent à l'aide d'une tierce personne. Son montant varie suivant l'importance des dépenses supplémentaires engagées ou la permanence de l'aide nécessaire.

La même allocation et, le cas échéant, son complément peuvent être alloués, si l'incapacité permanente de l'enfant, sans atteindre le pourcentage mentionné au premier alinéa, reste néanmoins égale ou supérieure à un minimum, dans le cas où l'enfant fréquente un établissement mentionné au 2° ou au 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ou dans le cas où l' état de l'enfant exige le recours à un dispositif adapté ou d'accompagnement au sens de l'article L. 351-1 du code de l'éducation ou à des soins dans le cadre des mesures préconisées par la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles.

L'allocation d'éducation de l'enfant handicapé n'est pas due lorsque l'enfant est placé en internat avec prise en charge intégrale des frais de séjour par l'assurance maladie, l'Etat ou l'aide sociale, sauf pour les périodes de congés ou de suspension de la prise en charge.

11. Pris pour l'application des dispositions reproduites au point 10, l'article R. 541-1 du même code fixe à 80 % le taux le pourcentage d'incapacité permanente que doit présenter l'enfant handicapé pour ouvrir droit à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (alinéa 1) et à 50 % le taux retenu pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale (alinéa 3).

Mention des dispositions du droit national (RFA) telles qu'elles résultent des productions :

12. L'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux dont Mme Z... a bénéficié pour sa fille, procède, dans son principe, des dispositions d'une loi fédérale du 26 juin 1990 (BGBI I, p. 1163) insérées sous le paragraphe S 35a du code social allemand (SGB). Ces dispositions précisent :

Les enfants et les adolescents handicapés mentaux ou menacés d'un pareil handicap ont droit à une aide à l'intégration. Cette aide est proposée selon les besoins individuels :

1. en ambulatoire,

2. en crèche pour les jeunes enfants ou en demi-pension dans d'autres structures,

3. par un personnel soignant adapté et

4. en pension dans un établissement spécialisé ou d'autres types d'hébergement.

Pour la mission et l'objectif de l'aide, la désignation du groupe de personnes et du type de mesures relève du § 39, alinéa 3, et du § 40, de la loi fédérale sur l'aide sociale et du décret d'application du § 47, pour la durée d'application de ces documents relatifs aux handicapés mentaux et au personnes menacées par un tel handicap.

Si une aide à l'éducation doit être proposée simultanément, il convient de recourir à des institutions, des services et des personnes adaptés, non seulement pour remplir les obligations d'aide à l'intégration, mais également pour couvrir les besoins éducatifs. Des mesures thérapeutiques pédagogiques pour les enfants qui n'ont pas encore l'âge d'être scolarisés doivent être proposées et, si le besoin de prise en charge le permet, il convient de recourir à des structures accueillant des enfants handicapés et des enfants valides.

Motifs du renvoi :

13. Le montant des pensions de retraite au titre du régime général est déterminé, en particulier, par la durée pendant laquelle l'assuré a été, antérieurement à la liquidation de ses droits à pension, assujetti au régime et appelé à cotiser au titre du risque vieillesse.

La durée est exprimée en trimestres, le versement des cotisations afférentes à une durée minimale d'activité salariée (en principe équivalente à 800 heures rémunérées selon le salaire minimum interprofessionnel de croissance). Lorsque l'assuré ne justifie pas d'un nombre de trimestres au moins équivalent au nombre requis (lequel est fonction de l'année de naissance de l'assuré), le calcul de la pension fait l'objet, en fonction du nombre de trimestres faisant défaut, d'une part, d'une minoration de son taux (décote), d'autre part, d'une proratisation de son montant ; la minoration du taux est écartée toutefois lorsque l'assuré a atteint un âge déterminé (soixante-cinq ans pour les assurés nés, telle Mme Z..., [...]) ; à l'inverse, l'assuré qui justifie d'un nombre de trimestres supérieur au nombre requis, peut prétendre, sous certaines conditions, à la majoration du taux de sa pension (surcote).

14. Si la carrière est normalement composée de périodes ayant donné lieu à cotisations, elle peut être complétée par la prise en compte de périodes qui n'ayant pas donné lieu à activité, ni à cotisations, sont néanmoins assimilées à des périodes d'activité et prises en compte pour le calcul de la pension. Il en va ainsi, par exemple, des périodes de maladie et de maternité indemnisées, des périodes de chômage indemnisé ou encore des périodes afférentes à l'accomplissement du service national.

Le supplément de pension afférent à ces périodes est remboursé au régime d'assurance vieillesse, soit par le Fonds de solidarité vieillesse, soit par la Caisse nationale des allocations familiales.

15. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les dispositions de l'article L. 351-4-1 du code de la sécurité sociale, qui ouvrent à l'assuré qui a eu à sa charge un enfant handicapé le bénéfice d'une majoration de carrière égale à un trimestre par période d'éducation de trente mois sans que la majoration puisse excéder huit trimestres.

La majoration est subordonnée toutefois à une condition bien précise : l'obtention pour l'enfant de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé.

16. Des dispositions relatives à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, il ressort, en premier lieu, que celle-ci relève de la branche des prestations familiales, qui constitue l'une des branches du système français de sécurité sociale ; comme telle, elle est comprise dans le champ d'application matériel de la sécurité sociale au sens de l'article 2 du règlement n° 883/2004.

En deuxième lieu, l'allocation est attribuée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, et servie par la caisse d'allocations familiales ; elle répond à des conditions objectives et est exclusive de toute condition tenant aux ressources de l'allocataire.

En troisième lieu, le taux d'incapacité de l'enfant retenu pour l'attribution de l'allocation et de son complément est déterminé, dans les différents cas de figure où ils peuvent être attribués, d'après un guide-barème fixé par voie réglementaire, sous le contrôle du juge. Dernier point, on relèvera que la majoration pour enfant handicapé s'applique sans préjudice des dispositions de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale, lesquelles ouvrent à tout assuré qui a eu ou élevé des enfants dans les conditions qu'elles précisent, le bénéfice d'une majoration de la durée de la carrière retenue pour le calcul de la pension. C'est à ces conditions que Mme Z... aurait pu prétendre, pour sa fille, à l'attribution de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé.

17. Il convient d'ajouter que le bénéfice de la majoration de carrière prévu par l'article L. 351-4-1 du code de la sécurité sociale joue également lorsque l'indemnisation du handicap a pris la forme non de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, dont l'attribution prend normalement fin lors du vingtième anniversaire de l'enfant, mais de la prestation de compensation prévue par l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles. Normalement accessible aux handicapés âgés de plus de vingt ans (seize ans dans certains cas déterminés), la prestation de compensation relève, quant à elle, de l'aide sociale ; l'attribution de l'allocation n'est pas directement soumise à condition de revenu, mais les revenus sont pris en compte, le cas échéant, pour déterminer le montant de la prestation.

18. Des éléments recueillis, l'aide versée à Mme Z... par la Ville de Stuttgart ne paraît pas relever, selon les règles pertinentes du droit allemand, de l'organisation de la sécurité sociale, mais de l'aide sociale et de l'assistance. Elle ne figure d'ailleurs pas dans la déclaration effectuée par le gouvernement fédéral auprès de l'Union européenne au titre de l'article 9 du règlement n° 883/2004 qui décrit la législation allemande comprise dans le champ d'application matériel de ce dernier au titre des prestations sociales contributives (prestations rattachables à une branche de sécurité sociale au sens de l'article 3, § 1, ou des prestations spéciales mixtes de sécurité sociale et d'assistance sociale (prestations mentionnées à l'article 3, § 3, du règlement, relevant de l'article 70 du règlement et de l'annexe 10 au même règlement). Il apparaît par ailleurs que cette aide revêt un caractère subsidiaire et que son attribution n'est pas subordonnée a priori à un taux ou à un niveau précis d'incapacité ou de handicap.

19. Les dispositions de l'article 5, sous a) du règlement n° 883/2004 ont un objet bien précis : permettre à l'assuré qui relève de la législation d'un Etat membre selon laquelle le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d'autres revenus produit certains effets juridiques, d'obtenir les mêmes effets du chef de « prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d'un autre Etat membre ou de revenus acquis dans un autre Etat membre ». Ce texte, qui figure au nombre des dispositions générales du règlement de coordination, n'a pas d'équivalent dans l'ancien règlement n° 1408/71/CE du 14 juin 1971 ; il traduit néanmoins le souci des rédacteurs du règlement de transcrire dans le mécanisme de coordination certains des principes directeurs formulés par la Cour de justice de l'Union européenne.

20. Le litige opposant Mme Z... à la CARSAT d'Alsace-Moselle se rapporte, plus précisément, à la définition des prestations équivalentes au sens des dispositions du règlement n° 883/2004.

L'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux constituent-elles, au sens de l'article 25, sous a), du règlement n° 883/2004 des prestations équivalentes, de sorte que Mme Z... puisse bénéficier, pour le calcul de sa pension de retraite au titre de la législation française, de la majoration de carrière prévue par celle-ci au bénéfice des assurés ayant élevé un enfant handicapé et perçu à cette fin l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ?

21. Si l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux n'est pas au nombre des prestations mentionnées dans la déclaration du gouvernement fédéral allemand en application de l'article 9 du règlement n° 883/2004, cette circonstance ne suffit pas à elle seule à exclure la prestation du champ d'application matériel du règlement, fut-ce au titre des dispositions des articles 3, § 3,et 70, relatifs aux prestations spéciales à caractère non contributif.

La qualification de la prestation, au regard des dispositions du règlement n° 883/2004 qui déterminent le champ d'application matériel de la coordination, revêt un caractère préalable.

22. S'il est admis qu'elle est comprise dans le champ d'application matériel du règlement n° 883/2004, il y a lieu de déterminer si l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux et l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé constituent des prestations équivalentes au sens de l'article 5, sous a) du règlement, étant observé que si les deux prestations poursuivent un même objectif de compensation des charges inhérentes à l'éducation d'un enfant handicapé, l'attribution de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé procède de la réunion de conditions objectives, qui impliquent, en particulier, un taux de handicap élevé, mais excluent toute prise en compte des ressources de l'allocataire, l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux paraît tributaire, avant tout, de l'étendue concrète des besoins.

23. La Cour de justice de l'Union européenne ne semble pas avoir rendu de décision sur la question. Certes, dans un arrêt C-453/14 du 21 janvier 2016, la Cour de justice de l'Union européenne a retenu, d'une part, que les dispositions de l'article 25, sous a), du règlement n° 883/2004 n'avaient vocation à s'appliquer qu'à des prestations relevant du champ d'application de ce dernier (point 32), d'autre part, qu'il y a lieu, pour procéder à la comparaison des prestations en cause, de tenir compte de l'objectif poursuivi par ces prestations et par les réglementations qui les ont instaurées (point 34).

La question soumise à la Cour se rapportait toutefois à des prestations relevant explicitement, selon l'une et l'autre législations nationales en présence, de la sécurité sociale au sens du règlement n° 883/2004.

24. Il apparaît ainsi que le litige opposant Mme Z... à la CARSAT d'Alsace-Moselle soulève une difficulté sérieuse quant à l'interprétation de l'article 5, sous a), du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale en tant qu'il doit ou s'appliquer, pour la liquidation d'une pension de retraite selon une législation nationale qui confère des effets juridiques au bénéfice antérieur d'une prestation familiale, à une prestation servie selon la législation d'assistance d'un autre Etat membre.

25. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer la question à la Cour de justice de l'Union européenne.

PAR CES MOTIFS :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

1/ L'aide pour allégement des charges du handicap prévue par le § 35a du huitième livre du Sozialgesetzbuch (code social allemand) relève-t-elle du champ d'application matériel du règlement n° 883/2004 ?

2/ Dans l'affirmative, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, son complément ou à défaut la prestation de compensation du handicap, d'une part, et l'aide à l'intégration des enfants et adolescents handicapés prévue au § 35a du huitième livre du Sozialgesetzbuch (code social allemand), d'autre part, présentent-elles un caractère équivalent au sens de l'article 5, sous a) du règlement n° 883/2004, compte tenu de la finalité de l'article L. 351-4-1 du code français de la sécurité sociale tendant à la prise en compte des charges inhérentes à l'éducation d'un enfant présentant un handicap pour la détermination de la durée d'assurance ouvrant droit au service d'une pension de retraite ?

Sursoit à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : M. Cadiot - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet -

Textes visés :

Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ; article L. 351-4-1 du code de la sécurité sociale.

Com., 14 novembre 2018, n° 16-22.845, (P)

Rejet

Règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 – Sanction – Niveau d'harmonisation minimum

Sur le deuxième moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2016), que M. X... était président et directeur général de la société anonyme Tekka Group (la société Tekka) ; que le 18 janvier 2011, en vue de son introduction en bourse, la société Tekka a enregistré auprès de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) un document de base contenant des comptes intermédiaires pour le premier semestre de l'exercice clôturant au 31 mars 2011, dans lequel était indiquée une perte d'exploitation de 700 000 euros au 30 mars 2010 ; que le 27 janvier 2011, elle a enregistré auprès de l'AMF une note d'opération prévoyant ses besoins en trésorerie au cours des douze mois suivant la date du visa du prospectus ; que le 8 février 2011, elle a annoncé au public la réalisation de son introduction en bourse sur le marché Alternext, le règlement-livraison des actions intervenant le 11 février 2011 et les négociations des titres de la société en cotation continue débutant le 14 février 2011 ; que le 17 juin 2011, le conseil d'administration de la société Tekka a arrêté les comptes de l'exercice clos au 31 mars 2011, lesquels faisaient notamment apparaître des pertes d'exploitation de 3,7 millions d'euros contre 1,8 million d'euros l'année précédente ; que le 22 juillet 2011, la société Tekka a publié ses résultats annuels consolidés faisant notamment état de la poursuite de la croissance du chiffre d'affaires, jugée cependant insuffisante à remplir les objectifs fixés par la société, et mettant en lumière l'évolution défavorable de la trésorerie depuis la clôture de l'exercice 2010-2011 ; que la société Tekka a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 24 mai 2012 et 4 septembre 2012, la radiation des titres intervenant le 11 octobre 2012 ; que la commission des sanctions de l'AMF a, par une décision du 30 mai 2015, prononcé une sanction pécuniaire contre M. X... pour avoir, en sa qualité de dirigeant de la société Tekka, manqué à son obligation d'information permanente du public en omettant de communiquer dès que possible l'information privilégiée relative à la dégradation des résultats de cette société ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter son recours formé contre cette décision sauf en ce qui concerne le montant de la sanction alors, selon le moyen, que la loi répressive plus douce doit être appliquée aux infractions commises avant son entrée en vigueur n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée ; que l'article 17 du règlement n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement MAR) entré en vigueur le 3 juillet 2016, qui constitue une loi moins sévère en ce qu'il ne prévoit pas que le défaut de communication d'une information privilégiée en temps utile puisse être imputé aux dirigeants personnes physiques des émetteurs, doit être appliqué en l'espèce ; que la décision attaquée qui, pour condamner M. X..., s'est fondée sur l'article 221-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, non modifié depuis lors, dont l'application devra être écartée puisqu'il est contraire aux nouvelles normes européennes en ce qu'il permet la sanction des dirigeants en cas de report dans la diffusion d'une information privilégiée, sera annulée, conformément au principe de rétroactivité des lois répressives plus douces ;

Mais attendu que si les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché ne prévoient pas la responsabilité du dirigeant, personne physique, d'une personne morale lorsque celle-ci a méconnu ses obligations de publication d'informations privilégiées, il résulte de l'article 30 du même règlement que ces dispositions ne constituent que les mesures minimales que les Etats membres doivent mettre en place pour faire en sorte que, conformément au droit national, les autorités compétentes aient le pouvoir de prendre les sanctions administratives et autres mesures administratives appropriées pour faire respecter les règles de fonctionnement du marché ; qu'il en résulte que ne sont pas contraires au règlement susvisé et sont donc toujours applicables les dispositions de l'article 221-1 du règlement général de l'AMF qui permettent de sanctionner les dirigeants d'une personne morale lorsque cette dernière n'a pas respecté ses obligations en matière de publication d'informations privilégiées ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les premier et troisième moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Contamine - Avocat général : Mme Beaudonnet - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article 221-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ; article 17 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché.

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