Numéro 11 - Novembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2018

REPRESENTATION DES SALARIES

Soc., 21 novembre 2018, n° 16-27.690, (P)

Cassation partielle

Cadre de la représentation – Unité économique et sociale – Reconnaissance – Conditions – Entreprises juridiquement distinctes – Entités dotées de la personnalité morale – Nécessité – Exclusion – Cas – Entités juridiquement distinctes au sein d'un groupe de sociétés – Critères – Détermination

Au sein d'un groupe, une unité économique et sociale peut être reconnue par convention ou par décision de justice entre des entités juridiquement distinctes qu'elles soient ou non dotées de la personnalité morale, dès lors qu'est caractérisée entre ces structures, d'une part, une concentration des pouvoirs de direction à l'intérieur du périmètre considéré ainsi qu'une similarité ou une complémentarité des activités déployées par ces différentes entités, d'autre part, une communauté de travailleurs résultant de leur statut social et de conditions de travail similaires pouvant se traduire en pratique par une certaine mutabilité des salariés.

Sur le moyen unique des pourvois principal et incident :

Vu l'article L. 2322-4 du code du travail, alors en vigueur ;

Attendu qu'au sein d'un groupe, une unité économique et sociale (UES) peut être reconnue par convention ou par décision de justice entre des entités juridiquement distinctes qu'elles soient ou non dotées de la personnalité morale, dès lors qu'est caractérisée entre ces structures, d'une part, une concentration des pouvoirs de direction à l'intérieur du périmètre considéré ainsi qu'une similarité ou une complémentarité des activités déployées par ces différentes entités, d'autre part, une communauté de travailleurs résultant de leur statut social et de conditions de travail similaires pouvant se traduire en pratique par une certaine mutabilité des salariés ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un accord collectif conclu le 16 novembre 2012 entre des sociétés du groupe Generali assurances et quatre organisations syndicales a redéfini le périmètre de l'UES Generali France assurances, désormais composée des sociétés Generali France assurances, Generali vie, Generali IARD, Trieste courtage, Generali réassurance courtage, l'Equité et E-Cie vie, accord actualisé le 26 novembre 2015 du fait de la disparition de la société E-Cie vie, absorbée par la société Generali vie, et de l'entrée dans le périmètre de l'UES de la société Generali France ; que le groupe Generali assurances a mis en oeuvre un projet de centralisation et de mutualisation de certaines opérations de gestion des infrastructures informatiques, désormais réunies au sein de la société de droit italien Generali Infrastructure Service (GIS), devenue Generali Shared Services ; que la société GIS a créé le 8 avril 2014 un siège secondaire en France et y a constitué une de ses succursales qui a fait l'objet d'une immatriculation au registre du commerce et des sociétés le 27 mai 2014 ; que la société Generali vie a mis à la disposition de cette succursale cent-soixante-cinq de ses salariés pour une durée de trois ans à effet du 1er juillet 2014 par convention en date du 16 mai 2014 et que chacun des salariés concernés a signé un avenant à son contrat de travail en ce sens ; que, le 22 avril 2015, le syndicat Fédération des employés et cadres Force ouvrière et le syndicat CGT Generali (les syndicats) ont saisi le tribunal d'instance pour l'extension de l'UES existante à la succursale française de la société GIS ;

Attendu que pour rejeter la demande des syndicats, la cour d'appel a retenu qu'il ne peut y avoir d'unité économique et sociale reconnue par convention ou par décision de justice qu'entre des personnes juridiquement distinctes prises dans l'ensemble de leurs établissements et de leurs personnels et qu'il s'ensuit que chacune des personnes juridiquement distinctes composant une unité économique et sociale doit nécessairement être dotée de la personnalité morale, dont l'unité économique et sociale est quant à elle dépourvue, et être ainsi susceptible d'avoir la qualité d'employeur ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les salariés employés par la succursale n'étaient pas intégrés à la communauté de travail formée par les salariés de l'UES Generali France assurances, et s'il n'existait pas une unité économique et sociale entre la succursale française de la société italienne en charge des infrastructures du groupe Generali assurances et l'UES Generali France assurances, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'extension de l'unité économique et sociale Generali France assurances à la succursale française de la société Generali Infrastructure Service, devenue Generali Shared Services, l'arrêt rendu le 20 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Article L. 2322-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige.

Rapprochement(s) :

Sur la condition que les entités juridiquement distinctes soient ou non dotées de la personnalité morale pour la reconnaissance d'une unité économique et sociale, à rapprocher : Soc., 7 mai 2002, pourvoi n° 00-60.424, Bull. 2002, V, n° 150 (cassation). Sur les critères de reconnaissance d'une unité économique et sociale, à rapprocher : Soc., 2 juin 2004, pourvoi n° 03-60.135, Bull. 2004, V, n° 157 (2) (cassation partielle sans renvoi), et les arrêts cités ; Soc., 24 novembre 2004, pourvoi n° 03-60.329, Bull. 2004, V, n° 297 (rejet) ; Soc.., 15 avril 2015, pourvoi n° 13-24.253, Bull. 2015, V, n° 83 (rejet).

Soc., 7 novembre 2018, n° 17-23.157, (P)

Cassation partielle

Comité d'entreprise – Membres – Pouvoirs – Accès aux archives et aux documents administratifs et comptables – Limites – Conditions – Détermination – Portée

Tous les membres du comité d'entreprise doivent avoir égal accès aux archives et aux documents administratifs et comptables dudit comité.

Il en résulte qu'en l'absence de dispositions dans le règlement intérieur, doit être censurée la décision du juge des référés qui limite à quelques heures par semaine les heures de consultation des documents intéressant l'activité du comité d'entreprise par des membres du comité d'entreprise, élus d'une liste syndicale, dans les locaux où ces documents étaient entreposés, occupés par le secrétaire et le trésorier dudit comité, élus d'une autre liste syndicale.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en référé, que le comité d'entreprise de la société Start People dispose à Lille de locaux occupés notamment à usage de bureaux par les secrétaire et trésorier du comité d'entreprise, élus du syndicat Force ouvrière ; que plusieurs élus de l'union syndicale de l'intérim CGT (élus CGT) du comité d'entreprise ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance pour obtenir sous astreinte un accès à ces locaux afin de pouvoir consulter et prendre copie des documents et archives du comité d'entreprise y étant entreposés ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles 809 du code de procédure civile, L. 2325-1 et L. 2325-2 du code du travail, alors applicables ;

Attendu que tous les membres du comité d'entreprise doivent avoir égal accès aux archives et aux documents administratifs et comptables dudit comité ;

Attendu que pour faire droit partiellement à la demande de consultation des documents du comité d'entreprise par les élus CGT, la cour d'appel, après avoir rappelé le droit des élus de consulter les archives et les documents administratifs et comptables intéressant l'activité du comité, décide que pour concilier ce droit avec les exigences d'un bon fonctionnement de la structure, les requérants pourront exercer leur droit de consultation les mardis de 14h à 16h et l'avant veille précédant toute réunion du comité d'entreprise ou de ses commissions de 14h à 16h ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'absence de disposition dans le règlement intérieur du comité d'entreprise, il n'appartenait pas au juge des référés de limiter l'exercice par certains membres du comité de leur droit à consultation des archives et des documents comptables et financiers de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le second moyen : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de copie de documents aux frais des requérants, et limite leur droit à consultation des documents ainsi que suit : « les mardis de 14h à 16h, outre l'avant-veille précédant toute réunion du comité d'entreprise ou de ses commissions, de 14h à 16h, ou le dernier jour ouvrable précédent cette avant veille si celle-ci tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié », l'arrêt rendu le 31 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 809 du code de procédure civile ; articles L. 2325-1 et L. 2325-2 du code du travail dans leur rédaction applicable.

Soc., 7 novembre 2018, n° 17-14.716, (P)

Cassation partielle

Règles communes – Contrat de travail – Licenciement – Mesures spéciales – Inobservation – Indemnisation – Etendue – Demande de réintégration présentée tardivement de façon abusive – Portée

Il résulte des articles L. 2412-7, L. 2411-10 et L. 2411-13 du code du travail, alors applicables que lorsque le salarié demande sa réintégration pendant la période de protection, il a droit, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à sa réintégration, que cette indemnité lui est également due lorsque la demande de réintégration est formulée après l'expiration de la période de protection en cours pour des raisons qui ne lui sont pas imputables, que, toutefois, dans cette dernière hypothèse, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de la violation du statut protecteur, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de la demande de réintégration à celui de sa réintégration effective.

Règles communes – Contrat de travail – Licenciement – Mesures spéciales – Inobservation – Indemnisation – Evaluation

Sur le moyen unique :

Vu l'article 4 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 2412-7, L. 2411-10 et L. 2411-13 du code du travail, alors applicables ;

Attendu que lorsque le salarié demande sa réintégration pendant la période de protection, il a droit, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à sa réintégration ; que cette indemnité lui est également due lorsque la demande de réintégration est formulée après l'expiration de la période de protection en cours pour des raisons qui ne sont pas imputables au salarié ; que, toutefois, dans cette dernière hypothèse, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de la violation du statut protecteur, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de la demande de réintégration à celui de sa réintégration effective ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y..., engagé en qualité de technicien informatique et réseaux par la société Savane à laquelle vient aux droits la société Safari technologies, a informé, le 5 avril 2011, son employeur de sa candidature aux élections des représentants du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que, convoqué le 15 septembre 2011 à un entretien préalable, il a été licencié le 7 octobre 2011 ;

Attendu que, pour limiter l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur à la somme de 1 550 euros, la cour d'appel retient que le salarié n'explique pas les raisons qui ne lui sont pas imputables pour lesquelles il a attendu le 9 octobre 2015, soit quatre années après son licenciement, pour solliciter sa réintégration et qu'en conséquence, il ne peut prétendre qu'à une rémunération égale à la rémunération due entre le 16 septembre 2011, date de réception de la convocation à l'entretien préalable, jusqu'au 4 octobre 2011, date de l'expiration de sa protection ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le salarié avait été licencié le 7 octobre 2011 tandis que la période de protection avait expiré le 4 octobre 2011, ce dont il résultait que la demande de réintégration avait été formulée après l'expiration de la période de protection pour des motifs non imputables au salarié, mais que celui-ci avait abusivement tardé à demander sa réintégration postérieurement à l'expiration de la période de protection, ce dont elle aurait dû déduire qu'il était en droit de percevoir la rémunération dont il aurait bénéficié de la date de sa demande de réintégration jusqu'à sa réintégration effective, somme qui n'était pas contestée par l'employeur, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur à la somme de 1 550 euros, l'arrêt rendu le 24 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Articles L. 2412-7, L. 2411-10 et L. 2411-13 du code du travail dans leur rédaction applicable ; article 4 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue de l'indemnité due au salarié protégé en cas de demande de réintégration suite à un licenciement intervenu en violation du statut protecteur, dans le même sens que : Soc., 11 décembre 2001, pourvoi n° 99-42.476, Bull. 2001, V, n° 381 (2) (rejet).

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