Numéro 11 - Novembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2018

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE

Ass. plén., 9 novembre 2018, n° 17-16.335, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Droits d'auteur – Droits patrimoniaux – Droit de suite – Droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale – Paiement – Charge définitive – Dérogation contractuelle – Possibilité

L'article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 48 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 portant transposition de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 février 2015 (C-41/14), prévoit que le droit de suite est à la charge du vendeur, et que la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur. Ce texte ne fait pas obstacle à ce que la personne redevable du droit de suite, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l'art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l'acheteur, que celle-ci supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu'un tel arrangement contractuel n'affecte pas les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l'auteur.

Par suite, viole ce texte une cour d'appel qui, pour déclarer nulle et de nul effet une clause figurant dans les conditions générales de vente d'une société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, énonce que l'article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, fondé sur un ordre public économique de direction, revêt un caractère impératif imposant que la charge définitive du droit de suite incombe exclusivement au vendeur.

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire du Comité professionnel des galeries d'art (le CPGA), contestée par la société Christie's France :

Attendu que le CPGA, agissant dans l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, est recevable en son intervention accessoire au soutien du défendeur ;

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 48 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 portant transposition de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 février 2015 (C-41/14) ;

Attendu que, si ce texte prévoit que le droit de suite est à la charge du vendeur, et que la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur, il ne fait pas obstacle à ce que la personne redevable du droit de suite, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l'art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l'acheteur, que celle-ci supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu'un tel arrangement contractuel n'affecte pas les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l'auteur ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 13-12.675), que, soutenant que la société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques Christie's France avait, en violation du texte susvisé, inséré dans ses conditions générales de vente une clause mettant le paiement du droit de suite à la charge de l'acquéreur, le Syndicat national des antiquaires a engagé une action à l'encontre de cette société aux fins de voir qualifier une telle pratique d'acte de concurrence déloyale et constater la nullité de la clause litigieuse ;

Attendu que, pour déclarer nulle et de nul effet la clause 4-b figurant dans les conditions générales de vente de la société Christie's France, l'arrêt énonce que l'article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, fondé sur un ordre public économique de direction, revêt un caractère impératif imposant que la charge définitive du droit de suite incombe exclusivement au vendeur ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS :

REÇOIT le Comité professionnel des galeries d'art en son intervention volontaire accessoire ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable en son action le Syndicat national des antiquaires, l'arrêt rendu le 24 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE les demandes du Syndicat national des antiquaires.

MOYEN ANNEXE :

Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Christie's France.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré nulle et de nul effet la clause 4-b figurant dans les conditions générales de vente de la société Christie's France ayant pour objet de faire supporter à l'acheteur le droit de suite et condamné la société Christie's France à payer au Syndicat national des antiquaires la somme de un euro à titre de dommages-intérêts ;

AUX MOTIFS QUE « l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle prévoit au profit des auteurs d'oeuvres originales graphiques et plastiques ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l’espace économique européen, un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une oeuvre après la première cession opérée par l'auteur ou ses ayants droit, lorsqu'intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art ; que par dérogation, ce droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis l'oeuvre directement de l'auteur, moins de trois ans avant cette vente, et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 euros ; que, selon l'alinéa 3, le droit de suite est à la charge du vendeur et la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur ; que par arrêt du 26 février 2015 (Christie's France, C-41/14), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), en réponse à la question suivante : « la règle édictée par l'article 1er, § 4, de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre originale, qui met à la charge du vendeur le paiement du droit de suite, doit-elle être interprétée en ce sens que celui-ci en supporte définitivement le coût sans dérogation possible ? », a dit pour droit que « l'article 1er, § 4, de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que la personne redevable du droit de suite, désignée comme telle par la législation nationale, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l'art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l'acheteur, que cette dernière supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu'un tel arrangement contractuel n'affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l'auteur » ; qu'une directive ne lie les Etats que quant aux objectifs à atteindre et leur laisse le choix quant aux moyens d'y parvenir ; qu'elle n'emporte donc aucun effet direct dès lors qu'elle a été dûment transposée en droit interne ; qu'ainsi, dans sa décision, la CJUE précise que les Etats membres de l'Union européenne sont responsables de ce que la redevance au titre du droit de suite doit être perçue et que cette responsabilité implique que ces Etats sont « les seuls à pouvoir déterminer dans le cadre défini par la directive 2001/84 la personne redevable, chargée du paiement de ladite redevance à l'auteur » ; que la directive énonce que la personne redevable est en principe le vendeur, mais son article 1er, § 4, combiné avec l'article 25 n'exclut pas que les Etats membres peuvent prévoir des dérogations à ce principe, à condition de choisir la personne redevable parmi les professionnels visés à l'article 1er, § 2, de cette directive, qui interviennent en tant que vendeurs, acheteurs ou intermédiaires dans les actes de revente relevant du champ d'application de la directive ; qu'en tout état de cause, elle ne se prononce pas sur l'identité de la personne qui doit supporter définitivement le coût du droit de suite, l'objectif poursuivi portant sur l'indication de la personne responsable du paiement de la redevance et sur les règles visant à établir le montant de cette dernière ; qu'il en résulte que les législations nationales sont souveraines pour déterminer à qui incombe la charge finale du coût de la redevance ; qu'en l'espèce, à l'occasion de la transposition de la directive de 2001 par la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, le législateur français a choisi de faire de l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle, un outil de régulation du marché français ; que si l'instauration d'un droit de suite existait en droit interne, depuis 1920, à la charge du vendeur, les galeries d'art en étaient exemptées jusqu'à la promulgation de la loi susvisée ; que le législateur a clairement mis le droit de suite à la charge du vendeur et la responsabilité de son paiement, au professionnel de la vente, alors qu'il n'y était nullement contraint par la directive ; qu'il a fait ce choix pour assainir les règles de la concurrence sur le marché national ; que ce choix délibéré résulte clairement de l'examen des travaux parlementaires ; que selon le rapport de M. Thiollière, au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, « seul le vendeur subira une restriction dans l'exercice de l'abusus de son droit de propriété », la personne responsable du paiement (le professionnel) « étant simplement chargée de prélever les fonds sur le prix de vente de l'oeuvre afin de les tenir à la disposition de l'auteur » ; que « le droit de suite est mis à la seule charge du vendeur » et que la simplicité de ce principe contribuera à établir des conditions de concurrence saine entre les principales places de marché au sein de l'Union ; que la faculté de prévoir des dérogations conventionnelles, bien qu'envisagée, a été écartée par le rejet, par la commission mixte paritaire, de l'amendement proposé par M. Gaillard, visant à permettre des arrangements entre le vendeur et les professionnels participant à la vente, afin d'asseoir une meilleur position concurrentielle de la France, notamment à l'égard de Londres ; qu'enfin, une proposition de loi enregistrée à la présidence du Sénat le 13 octobre 2016, tendant à encourager l'activité culturelle et artistique et à renforcer l'attractivité du marché de l'art, vise en son article 11, à compléter le troisième alinéa de l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle par la phrase suivante : « par convention, le paiement du droit de suite peut être mis à la charge de l'acheteur », ce dont il se déduit qu'en l'état actuel de la législation, cet aménagement conventionnel n'est pas autorisé, la loi adoptée le 1er août 2006 revêtant un caractère impératif fondé sur un ordre public économique de direction ; que par conséquent, la clause des conditions générales de la société Christie's visant à imputer la charge définitive du droit de suite à l'acheteur est contraire aux dispositions impératives de l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle imposant que la charge en revienne exclusivement au vendeur et doit, comme telle, être déclarée nulle et de nul effet ; que la société Christie's sera condamnée à payer un euro de dommages-intérêts au Syndicat » ;

ALORS QU'aux termes de l'article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 48 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 portant transposition de la directive 2001/84/CE du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, le droit de suite est à la charge du vendeur ; que la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère- entre deux professionnels, au vendeur ; que l'existence d'une obligation légale au paiement du droit de suite à la charge du vendeur, telle qu'elle ressort de ce texte, comme des travaux et débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi française, n'exclut nullement la possibilité d'aménager de façon conventionnelle la charge du coût de ce droit, dès lors que cet aménagement, ne valant qu'entre les parties au contrat de vente et étant inopposable aux bénéficiaires du droit de suite, n'affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l'auteur ; qu'en retenant cependant, pour annuler la clause litigieuse des conditions générales de vente de la société Christie's France, que les dispositions de l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle revêtaient un caractère impératif fondé sur un ordre public économique de direction excluant tout aménagement conventionnel de la charge du coût du droit de suite, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

- Président : M. Louvel (premier président) - Rapporteur : M. Grass, assisté de M. Le Coq, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Ingall-Montagnier (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer ; SCP Monod, Colin et Stoclet ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 48 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 portant transposition de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2001.

Rapprochement(s) :

CJUE, arrêt du 26 février 2015, Christie's France SNC, C-41/14 Dans le même sens que : 1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 13-12.675, Bull. 2015, I, n° 133 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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