Numéro 11 - Novembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2018

CONTRAT DE TRAVAIL, FORMATION

Soc., 14 novembre 2018, n° 17-11.757, (P)

Cassation partielle

Accord de volonté des parties – Clause – Clause prévoyant la modification des horaires de travail – Modification par l'employeur – Pouvoir de direction – Limites – Portée

Une clause du contrat de travail ne peut permettre à l'employeur de le modifier unilatéralement.

Encourt la cassation, l'arrêt qui retient que les contrats de travail comportant une clause mentionnant que les nécessités de la production pouvaient amener l'entreprise à affecter les salariés dans les différents horaires pratiqués et que l'horaire était susceptible d'être modifié, il s'en déduisait que les horaires de travail n'étaient pas contractualisés en sorte que l'employeur était libre, en application de son pouvoir de direction, de modifier les horaires de travail et de réduire la rémunération en conséquence.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... et cinq autres personnes ont été engagés par la société Caterpillar en qualité d'agent de production ou de coordonnateur ; qu'ils travaillaient en horaires de soir ou de nuit ; que courant 2008, la société a mis en place un plan de rémunération lié aux performances du groupe dit Stip ; qu'à la fin de l'année 2009, les salariés sont passés en horaires de jour et ont perdu le bénéfice des primes de soir ou de nuit ; qu'ils ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts ;

Sur le deuxième moyen : Publication sans intérêt

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu que pour débouter les salariés de leurs demandes de rappel de salaire, congés payés afférents, dommages et intérêts pour préjudice moral, débouter M. A... de sa demande de résiliation judiciaire et en paiement de sommes afférentes, l'arrêt retient que les contrats de travail comprenaient l'indication de la rémunération brute des salariés et du montant des primes de soir ou de nuit, qu'il était prévu que les nécessités de la production pouvaient amener l'entreprise à affecter les salariés dans les différents horaires pratiqués et que l'horaire était susceptible d'être modifié, qu'il s'en déduit que les horaires de travail n'avaient pas été contractualisés et que l'employeur était libre, en application de son pouvoir de direction, de modifier les horaires de travail et de réduire la rémunération en conséquence ;

Attendu, cependant, qu'une clause du contrat de travail ne peut permettre à l'employeur de modifier unilatéralement le contrat de travail ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle avait constaté que les contrats de travail stipulaient au titre des dispositions particulières que les salariés effectueront des horaires de soir ou des horaires de nuit ainsi que le versement de primes afférentes, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le troisième moyen : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare M. Y... et autres irrecevables en leur demande de paiement au titre du Stip pour les années 2008 et 2010, déclare MM. G... et A... irrecevables en leur demande de paiement au titre duStip 2014, déboute MM. Z..., Y..., D... et B... de leur demande en paiement au titre du Stip 2014, déboute M. Y... et autres de leur demande de production aux débats des bulletins de paie des cadres de la société Caterpillar, l'arrêt rendu le 1er décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur les autres points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : SCP Caston ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail ; article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la portée d'une clause prévoyant la modification par l'employeur des horaires de travail, à rapprocher : Soc., 18 décembre 2001, pourvoi n° 98-46.160, Bull. 2001, V, n° 388 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, (P)

Cassation

Définition – Lien de subordination – Eléments constitutifs – Appréciation – Critères

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Viole l'article L.8221-6, II du code du travail la cour d'appel qui retient qu'un coursier ne justifie pas d'un contrat de travail le liant à une société utilisant une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de repas, alors qu'il résulte de ses constatations que l'application était dotée d'un système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la société disposait d'un pouvoir de sanction à l'égard du coursier.

Définition – Lien de subordination – Applications diverses – Création d'un lien de subordination juridique permanent – Effets – Fourniture de prestations à un donneur d'ordre – Cas

Donne acte à la CGT de son intervention volontaire ;

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 8221-6, II du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Take Eat Easy utilisait une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous un statut d'indépendant ; qu'à la suite de la diffusion d'offres de collaboration sur des sites internet spécialisés, M. Y... a postulé auprès de cette société et effectué les démarches nécessaires en vue de son inscription en qualité d'auto-entrepreneur ; qu'au terme d'un processus de recrutement, les parties ont conclu le 13 janvier 2016 un contrat de prestation de services ; que M. Y... a saisi la juridiction prud'homale le 27 avril 2016 d'une demande de requalification de son contrat en un contrat de travail ; que, par jugement du 30 août 2016, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société Take Eat Easy et désigné en qualité de mandataire liquidateur Mme E... ;

Attendu que pour rejeter le contredit, dire que M. Y... n'était pas lié par un contrat de travail à la société Take Eat Easy et dire le conseil de prud'hommes incompétent pour connaître du litige, l'arrêt retient que les documents non contractuels remis à M. Y... présentent un système de bonus (le bonus « Time Bank » en fonction du temps d'attente au restaurant et le bonus « KM » lié au dépassement de la moyenne kilométrique des coursiers) et de pénalités (« strikes ») distribuées en cas de manquement du coursier à ses obligations contractuelles, un « strike » en cas de désinscription tardive d'un « shift » (inférieur à 48 heures), de connexion partielle au « shift » (en-dessous de 80 % du « shift »), d'absence de réponse à son téléphone « wiko » ou « perso » pendant le « shift », d'incapacité de réparer une crevaison, de refus de faire une livraison et, uniquement dans la Foire aux Questions (« FAQ »), de circulation sans casque, deux « strikes » en cas de « No-show » (inscrit à un « shift » mais non connecté) et, uniquement dans la « FAQ », de connexion en dehors de la zone de livraison ou sans inscription sur le calendrier, trois « strikes » en cas d'insulte du « support » ou d'un client, de conservation des coordonnées de client, de tout autre comportement grave et, uniquement dans la « FAQ », de cumul de retards importants sur livraisons et de circulation avec un véhicule à moteur, que sur une période d'un mois, un « strike » ne porte à aucune conséquence, le cumul de deux « strikes » entraîne une perte de bonus, le cumul de trois « strikes » entraîne la convocation du coursier « pour discuter de la situation et de (sa) motivation à continuer à travailler comme coursier partenaire de Take Eat Easy » et le cumul de quatre « strikes » conduit à la désactivation du compte et la désinscription des « shifts » réservés, que ce système a été appliqué à M. Y..., que si, de prime abord, un tel système est évocateur du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur, il ne suffit pas dans les faits à caractériser le lien de subordination allégué, alors que les pénalités considérées, qui ne sont prévues que pour des comportements objectivables du coursier constitutifs de manquements à ses obligations contractuelles, ne remettent nullement en cause la liberté de celui-ci de choisir ses horaires de travail en s'inscrivant ou non sur un « shift » proposé par la plate-forme ou de choisir de ne pas travailler pendant une période dont la durée reste à sa seule discrétion, que cette liberté totale de travailler ou non, qui permettait à M. Y..., sans avoir à en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque forfait horaire ou journalier mais aussi par voie de conséquence de fixer seul ses périodes d'inactivité ou de congés et leur durée, est exclusive d'une relation salariale ;

Attendu cependant que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;

Qu'en statuant comme elle a fait, alors qu'elle constatait, d'une part, que l'application était dotée d'un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d'autre part, que la société Take Eat Easy disposait d'un pouvoir de sanction à l'égard du coursier, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait l'existence d'un pouvoir de direction et de contrôle de l'exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Salomon - Avocat général : Mme Courcol-Bouchard (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 8221-6, II du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les critères de qualification d'un contrat de travail, à rapprocher : Soc., 1er décembre 2005, pourvoi n° 05-43.031, Bull. 2005, V, n° 349 (cassation).

Soc., 21 novembre 2018, n° 17-26.810, (P)

Rejet

Nullité – Effets – Indemnisation – Paiement des salaires (non)

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 13 décembre 2016), que M. Y..., a été engagé le 1er juillet 2012 en qualité de chapiste, par la société Sud Alsace carreaux qui a été placée en liquidation judiciaire le 6 août 2013 ; que faisant valoir qu'il avait travaillé sans être payé jusqu'au 19 octobre 2012, date à laquelle il avait constaté la fermeture du dépôt de l'entreprise il a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de diverses sommes ;

Sur le moyen unique :

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'annuler le contrat de travail conclu avec la société Sud Alsace carreaux et de rejeter en conséquence ses demandes en fixation de sa créance de salaire, de congés payés y afférents, d'indemnité de préavis et de congés payés y afférents, de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de remise du certificat de travail, d'attestation Pôle emploi et de ses fiches de paie, alors, selon le moyen, qu'en cas de nullité du contrat de travail conclu pendant la période suspecte, le salarié doit être indemnisé pour les prestations qu'il a fournies ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté M. Y... de l'intégralité de ses demandes en fixation de sa créance salariale au motif que le contrat de travail conclu en période de cessation des paiements était notablement déséquilibré ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si M. Y... n'avait pas accompli effectivement des prestations en exécution du contrat annulé, lui donnant droit à indemnisation, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 632-1 du code de commerce et L. 1221-1 du code du travail ;

Mais attendu d'abord, que si en cas de nullité du contrat de travail le travailleur doit être indemnisé pour les prestations qu'il a fournies, il ne peut prétendre au paiement de salaires ;

Et attendu ensuite, qu'ayant constaté qu'elle était saisie d'une demande au titre de créances salariales, fondée sur un contrat de travail qu'elle annulait, la cour d'appel n'était pas tenue de rechercher si cette action pouvait être fondée au titre de l'indemnisation de la prestation fournie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Maron - Avocat général : M. Boyer - Avocat(s) : SCP Boulloche -

Textes visés :

Article L. 632-1 du code de commerce ; article L. 1221-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la règle selon laquelle le juge n'est pas tenu, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique des demandes formées par les parties, dans le même sens que : Soc., 2 décembre 2009, pourvoi n° 08-43.104, Bull. 2009, V, n° 269 (rejet), et l'arrêt cité.

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