Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2023

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE

Soc., 25 octobre 2023, n° 22-12.833, (B), FS

Cassation partielle

Services de santé au travail – Examens médicaux – Conclusion du médecin du travail – Avis sur l'aptitude – Contestation – Défaut – Effets – Détermination – Portée

Il résulte des articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, que l'avis émis par le médecin du travail, seul habilité à constater une inaptitude au travail, peut faire l'objet tant de la part de l'employeur que du salarié d'une contestation devant le conseil de prud'hommes saisi en la forme des référés qui peut examiner les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l'avis. En l'absence d'un tel recours, celui-ci s'impose aux parties et au juge saisi de la contestation du licenciement.

Un salarié ne peut donc contester devant les juges du fond la légitimité de son licenciement pour inaptitude au motif que le médecin du travail aurait utilisé un terme inexact pour désigner son poste de travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 19 novembre 2021), M. [D] a été engagé à compter du 11 avril 2005 en qualité de préparateur aéronautique par la société Derichebourg atis aéronautique, aux droits de laquelle vient la société Derichebourg aeronautics services France.

2. Par avenant à effet du 1er mai 2006, les parties sont convenues d'ajouter aux fonctions initiales celles de responsable d'activité préparation A 340.

3. Placé en arrêt de travail à compter du 8 janvier 2018, le salarié a été déclaré inapte au poste de coordinateur le 26 avril 2018, le médecin du travail précisant que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, et a été licencié le 29 mai 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

4. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de complément d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à remettre au salarié un bulletin de salaire du mois de mai 2018 et une attestation Pôle emploi modifiés et d'ordonner le remboursement à l'organisme Pôle emploi concerné des indemnités de chômage éventuellement payées au salarié dans la limite de six mois, alors « qu'en l'absence de recours exercé devant le conseil de prud'hommes, sur le fondement des dispositions de l'article L. 4624-7 du code du travail, contre un avis du médecin du travail, celui-ci s'impose aux parties et au juge saisi de la contestation du bien-fondé du licenciement pour inaptitude prononcé sur le fondement de cet avis du médecin du travail, et ceci même si cette contestation trouve son fondement dans une contestation de l'avis du médecin du travail reposant sur le non-respect par le médecin du travail de la procédure de constat de l'inaptitude du salarié ; qu'en énonçant, par conséquent, pour dire que le licenciement de M. [D] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, qu'aux termes de l'article R. 4624-45 du code du travail applicable à la date du litige, la contestation devant le conseil de prud'hommes saisi en la forme des référés porte « sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications de nature médicale émis par le médecin du travail », mais que le texte ne précise rien s'agissant d'une contestation portant sur des éléments qui ne sont pas de nature médicale, ce qui était le cas en l'espèce, qu'en effet, M. [D] soulevait que l'avis d'inaptitude du médecin du travail en date du 26 avril 2018 avait été rendu par rapport à un poste de coordinateur qui n'était pas reconnu comme étant celui auquel il était affecté au moment de la déclaration d'inaptitude et que M. [D] pouvait donc contester l'avis d'inaptitude devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une contestation du licenciement pour inaptitude prononcé, en se fondant sur un non-respect de la procédure de constat d'inaptitude, l'analyse du poste occupé étant déterminante pour ce constat, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée par la société Derichebourg aeronautics services France, si les parties ne s'étaient pas abstenues d'exercer, dans le délai prévu par les dispositions de l'article R. 4624-45 du code du travail, un recours à l'encontre de l'avis d'inaptitude de M. [D] du médecin du travail en date du 26 avril 2018 devant le conseil de prud'hommes sur le fondement des dispositions de l'article L. 4624-7 du code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail, dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, et antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, et R. 4624-45 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017 :

6. Selon le premier de ces textes, si le salarié ou l'employeur conteste les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, il peut saisir le conseil de prud'hommes en la forme des référés qui pourra confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.

7. Selon le second, en cas de contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, le conseil de prud'hommes statuant en la forme des référés est saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification.

Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.

8. Il en résulte que l'avis émis par le médecin du travail, seul habilité à constater une inaptitude au travail, peut faire l'objet tant de la part de l'employeur que du salarié d'une contestation devant le conseil de prud'hommes saisi en la forme des référés qui peut examiner les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l'avis.

En l'absence d'un tel recours, celui-ci s'impose aux parties et au juge saisi de la contestation du licenciement.

9. Pour dire que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer au salarié diverses sommes à ce titre, l'arrêt retient que l'article R. 4624-45 du code du travail ne précise rien s'agissant d'une contestation portant sur des éléments qui ne sont pas de nature médicale, et que l'appelant, qui soulève que l'avis d'inaptitude a été rendu par rapport à un poste de coordonnateur qui n'est pas reconnu comme étant celui auquel il était affecté au moment de la déclaration d'inaptitude, peut contester l'avis d'inaptitude devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une contestation du licenciement pour inaptitude prononcé, en se fondant sur un non-respect de la procédure de constat d'inaptitude, l'analyse du poste occupé étant déterminante pour ce constat, peu important que l'état de santé du salarié fasse finalement obstacle à tout reclassement dans un emploi.

10. En statuant ainsi, alors que le salarié ne pouvait contester devant les juges du fond la légitimité de son licenciement pour inaptitude au motif que le médecin du travail aurait utilisé un terme inexact pour désigner son poste de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. Le moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de condamner l'employeur au paiement d'une somme à titre de complément de l'indemnité de licenciement, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.

12. La cassation des chefs de dispositif disant que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamnant l'employeur au paiement de diverses sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, lui ordonnant de remettre un bulletin de salaire de mai 2018 et une attestation Pôle emploi modifiés et ordonnant le remboursement par l'employeur à l'organisme Pôle emploi concerné des indemnités de chômage éventuellement payées au salarié dans la limite de six mois n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt le condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [D] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour déloyauté postérieure à la rupture du contrat de travail, condamne la société Derichebourg aeronautics services France à verser à M. [D] la somme de 1 249,13 euros au titre de complément de l'indemnité de licenciement, aux dépens de première instance et d'appel et à verser à M. [D] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : M. Chiron - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel l'avis du médecin du travail s'impose au juge et aux parties en l'absence de recours dans le délai imparti, à rapprocher : Soc., 7 décembre 2022, pourvoi n° 21-23.662, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 25 octobre 2023, n° 22-18.303, (B), FS

Cassation

Services de santé au travail – Examens médicaux – Conclusion du médecin du travail – Avis sur l'aptitude – Contestation – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Il résulte des articles L. 4624-7 et R. 4624-42 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, que le juge saisi d'une contestation de l'avis d'inaptitude peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s'est fondé pour rendre son avis. Il substitue à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction.

Méconnaît l'étendue de ses pouvoirs la cour d'appel qui annule l'avis du médecin du travail déclarant le salarié inapte à son poste, alors qu'il lui appartenait de substituer à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 avril 2022), Mme [D] a été engagée en qualité de gommeuse-masseuse le 1er janvier 2007 par la société Zein, devenue Jemaïa.

2. La salariée a été affectée à la suite d'un avenant du 4 février 2020 à un emploi de responsable hygiène des locaux et coordinatrice « qualité des soins ».

3. Après un examen médical le 2 juin 2021 et une étude de poste réalisée le 11 juin 2021, la salariée a été déclarée inapte au poste de gommeuse le 1er juillet suivant, le médecin du travail précisant, aux termes de l'avis : « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

4. Contestant cet avis, la salariée a saisi la juridiction prud'homale selon la procédure accélérée au fond le 16 juillet 2021.

5. Elle a été licenciée pour inaptitude le 31 août 2021.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, et R. 4624-42 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 :

7. Selon le premier de ces textes, si le salarié ou l'employeur conteste les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, il peut saisir le conseil de prud'hommes selon la procédure accélérée au fond qui pourra confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.

La décision du conseil de prud'hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.

8. Selon le second, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que s'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste, s'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste et une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée et enfin s'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.

9. Il en résulte que le juge saisi d'une contestation de l'avis d'inaptitude peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s'est fondé pour rendre son avis. Il substitue à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction.

10. Pour annuler l'avis du médecin du travail du 1er juillet 2021 déclarant la salariée inapte au poste de gommeuse, l'arrêt retient que compte tenu de la référence erronée au poste occupé portée par le médecin du travail sur son avis d'inaptitude et de l'absence d'élément pertinent dans la réponse qu'il apporte aux interrogations de la salariée en éludant toute référence à la nature de l'emploi occupé ayant fait l'objet de l'étude de poste, l'avis d'inaptitude litigieux est manifestement irrégulier.

11. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de substituer à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : M. Chiron - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 4624-7, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, et R. 4624-42, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue des pouvoirs du juge saisi d'une contestation de l'avis d'inaptitude du médecin du travail, à rapprocher : Soc., 7 décembre 2022, pourvoi n° 21-17.927, Bull., (rejet), et l'avis cité.

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