Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2023

SANTE PUBLIQUE

1re Civ., 18 octobre 2023, n° 22-17.752, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Lutte contre les maladies et les dépendances – Lutte contre les maladies mentales – Modalités de soins psychiatriques – Admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat – Conditions – Justification par des éléments médicaux – Décision dans un délai de quarante-huit heures

Il résulte de l'article L. 3213-2, alinéa 1, du code de la santé publique que le représentant de l'Etat dans le département doit, en l'état des éléments médicaux dont il dispose et au plus tard dans un délai de quarante-huit heures à compter des mesures provisoires, soit mettre un terme à ces mesures si elles ne se justifient plus, soit décider d'une admission en soins psychiatriques sans consentement.

Faits et procédure

1.Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Besançon, 14 avril 2022), le 26 mars 2022, M. [E] a été, en exécution d'un arrêté du maire de la commune de [Localité 7] pris sur le fondement de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique, admis provisoirement en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète au sein du centre hospitalier de cette ville.

La décision a été confirmée par un arrêté préfectoral du 28 mars 2022.

2. Par requête du 4 avril 2022, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention, sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code, aux fins de poursuite de la mesure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le préfet fait grief à l'ordonnance de prononcer la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète, alors « qu' il résulte de l'article L. 3213-2, alinéa 1, du code de la santé publique qu'en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, le maire et, à [Localité 5], les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'État dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'admission en soins psychiatriques dans les formes prévues à l'article L. 3213-1, les mesures provisoires étant caduques en l'absence de décision du préfet au terme d'une durée de quarante-huit heures ; qu'il en résulte que le délai ouvert au préfet pour prendre sa décision est de 48 heures, délai à l'expiration duquel les mesures provisoires sont caduques en l'absence d'une telle décision ; qu'ayant relevé qu'il résulte de l'examen des pièces que l'arrêté pris par le maire le 26 mars 2022 est horodaté à 16h15, tandis que le préfet du Jura n'a prononcé l'admission en soins psychiatriques sous le régime de l'hospitalisation complète que par arrêté du 28 mars suivant non horodaté mais dont il invoque la transmission à l'établissement pour notification à M. [E] le même jour par courriel à 15h51, puis retenu que s'il résulte de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique que l'arrêté du maire n'est valide que pendant une période de 48 heures devient caduc à l'issue de celle-ci à défaut de mesure préfectorale dont il doit être attesté dans ce délai, cette disposition prévoit expressément que le représentant de l'Etat est tenu de statuer sans délai, ces termes ne pouvant être entendu que comme reflétant le temps strictement nécessaire matériellement et intellectuellement à l'élaboration de l'acte, le conseiller délégataire du premier président qui décide que l'article L. 3213-2 précité exclut de manière claire que l'autorité préfectorale dispose librement du délai de 48 heures pour statuer sur la mesure d'hospitalisation sous contrainte, étant rappelé que celle-ci est pendant ce temps effective et constitue une privation de liberté d'aller et venir encadrée de manière stricte par la loi, a violé par fausse interprétation l'article L. 3213-2 du code de la santé ; »

Réponse de la Cour

Vu l'article L.3213-2, alinéa 1, du code de la santé publique :

5. Aux termes de ce texte, en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, le maire et, à [Localité 5], les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'admission en soins psychiatriques dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures.

6. Il en résulte que le représentant de l'Etat dans le département doit, en l'état des éléments médicaux dont il dispose et au plus tard dans un délai de quarante-huit heures à compter des mesures provisoires, soit mettre un terme à ces mesures si elles ne se justifient plus, soit décider d'une admission en soins psychiatriques sans consentement.

7. Pour prononcer la mainlevée de la mesure, l'ordonnance retient qu'en application de l'article L. 3213-2, le représentant de l'Etat est tenu de statuer sans délai, que ces termes ne peuvent être entendus que comme reflétant le temps strictement nécessaire matériellement et intellectuellement à l'élaboration de l'acte et que le préfet du Jura n'invoque ni n'établit aucun élément de nature à expliquer la durée de près de deux jours écoulée entre la réception par télécopie de l'arrêté municipal, le 26 mars 2022 et son propre arrêté.

8. En statuant ainsi, alors qu'il avait constaté que l'arrêté préfectoral ordonnant l'admission en soins psychiatriques sans consentement avait été pris dans les 48 heures des mesures provisoires, le premier président a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Article L. 3213-2, alinéa 1, du code de la santé publique.

1re Civ., 18 octobre 2023, n° 22-11.492, (B), FRH

Cassation partielle

Produits pharmaceutiques – Médicaments à usage humain – Exposition – Dommage – Responsabilité – Pluralité de cause – Exclusion (non)

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Paris, 16 décembre 2021), le 11 décembre 2009, Mme [T] a assigné la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha (la société), producteur du Distilbène, en responsabilité et indemnisation de ses préjudices consécutifs à son exposition in utero au diéthylstilbestrol (DES), à la suite de la prise de ce médicament, par sa mère, au cours de la grossesse. Son époux et sa mère, M. [T] et Mme [I], sont intervenus volontairement aux fins d'obtenir la réparation des préjudices personnellement éprouvés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M et Mme [T], et Mme [I] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation, alors « que l'existence d'une cause étrangère au défendeur n'est de nature à exclure sa responsabilité qu'à la condition que cet événement soit la cause exclusive du dommage ; qu'en écartant toute imputabilité de l'infertilité de Mme [T] à l'exposition au Distilbène tout en approuvant les experts qui exposaient que la cause de l'infertilité pouvait être due autant à l'infection à Chlamydia qu'à l'exposition au Disltilbène et qui avaient conclu à ce que les préjudices subis soient imputés pour 40 % au DES, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil :

3. Il résulte de ce texte qu'ouvre droit à réparation le dommage en lien causal avec une faute, même si celle-ci n'en est pas la seule cause.

4. Pour écarter la responsabilité de la société UCB Pharma, la cour d'appel retient, que Mme [T] ne présente aucune des anomalies de l'appareil génital associées à l'exposition au DES et qu'il est tout aussi vraisemblable que la cause de l'infertilité soit due à l'infection à Chlamydia qu'à cette exposition, de sorte qu'il est impossible de trancher entre les deux causes.

5. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à exclure que l'exposition au DES ait contribué à son infertilité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. Mme [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre d'un préjudice d'anxiété alors « que l'anxiété résultant de l'exposition à un médicament connu pour provoquer des pathologies graves ou mortelles constitue un préjudice indemnisable, indépendamment de tout effet tératogène effectif ; que dans ses conclusions d'appel, Mme [T] demandait l'indemnisation du préjudice spécifique d'anxiété résultant de son exposition in utero au DES dont elle exposait que ses effets causent un risque reconnu de développer au moins quatre pathologies cancéreuses identifiées, l'obligeant à un suivi gynécologique rigoureux ; qu'en se bornant à souligner l'absence de lien entre l'exposition de Mme [T] au DES et son hypofertilité, bien que l'anxiété dommageable invoquée n'est en rien liée à l'infertilité de Mme [T] et qu'elle résulte des circonstances angoissantes de son suivi médical, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

7. Il résulte de ce texte que constitue un préjudice indemnisable l'anxiété résultant de l'exposition à un risque de dommage.

8. Pour écarter toute réparation, y compris celle d'un préjudice d'anxiété, l'arrêt retient que la preuve n'est pas rapportée d'un lien de causalité certain entre l'exposition de Mme [T] au DES et son hypofertilité.

9. En statuant ainsi, alors que le préjudice d'anxiété invoqué résultait de l'exposition au DES et des risques qui en découlent, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme [J] [T] de M. [V] [T] et de Mme [F] [I], l'arrêt rendu le 16 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

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