Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2023

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

2e Civ., 5 octobre 2023, n° 23-14.520, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Code de la sécurité sociale – Article L. 452-3 – Egalité devant la loi – Egalité devant les charges publiques – Principe de responsabilité – Objectif constitutionnel – Conformité – Absence de changement de circonstances de droit – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. M. [O] (la victime), salarié de la société [7] (l'employeur), victime le 10 mars 2016 d'un accident du travail, a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

2. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 9 février 2023 par la cour d'appel de Colmar, la victime a, par mémoire distinct et motivé reçu le 12 juillet 2023 au greffe de la Cour, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est-il contraire au principe d'égalité devant la loi et les charges publiques énoncé aux articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'au principe de responsabilité, qui découle de son article 4 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

3. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement de circonstances.

4. La disposition contestée a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2010-8 QPC rendue le 18 juin 2010 par le Conseil constitutionnel, qui a, cependant, émis la réserve qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les juridictions de sécurité sociale, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

5. Si, par deux arrêts rendus en Assemblée Plénière le 20 janvier 2023 (Ass. Plén., 20 janvier 2023, pourvois n° 20-23.673 et 21-23.947, Bull.), la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence antérieure et décide, désormais, que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, et que, dès lors, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, cette modification, considérée par la majorité de la doctrine comme plus favorable aux victimes, respecte l'objectif fixé par le Conseil constitutionnel dans sa réserve. Elle ne constitue donc pas un changement de circonstances de droit susceptible de modifier l'appréciation de la conformité de cette disposition à la Constitution.

6. Par ailleurs, aucune des autres circonstances invoquées n'affecte la portée de cette disposition.

7. Dès lors, en l'absence de changement des circonstances qui justifierait un nouvel examen, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Coutou - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Foussard et Froger ; SCP L. Poulet-Odent -

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947, Bull. (rejet) ; Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, Bull. (cassation partielle).

Soc., 10 octobre 2023, n° 23-13.261, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Contrat de travail, exécution – Employeur – Discrimination entre salariés – Salariés titulaires d'un mandat de représentation du personnel – Principe d'égalité – Liberté d'entreprendre – Liberté contractuelle – Droit de propriété – Article L. 2141-5-1 du code du travail – Caractères nouveau et sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. M. [T] a été engagé par la société ING Bank N.v. le 13 août 2001 en qualité de chargé de clientèle senior.

2. Entre juin 2015 et octobre 2018, le salarié a été titulaire de mandats de délégué du personnel, de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de représentant syndical au comité d'établissement.

3. Le 20 avril 2016, le salarié a interrogé l'employeur sur la possibilité de bénéficier de la garantie de rémunération prévue par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015.

Le 21 avril 2016, l'employeur l'a informé que la mise en oeuvre de la garantie devait s'apprécier au terme de ses mandats.

4. Estimant être victime de discrimination syndicale, le salarié a saisi, le 13 mars 2019, la juridiction prud'homale afin d'obtenir la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

5. Par jugement du 15 octobre 2019, le conseil de prud'hommes l'a débouté de ses demandes.

6. Par arrêt du 12 janvier 2023, la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement, sauf en ce qu'il déboute l'employeur de sa demande reconventionnelle et lui a, notamment, ordonné de communiquer au salarié le montant correspondant aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues par les techniciens de niveau E dont l'ancienneté est comparable à celle de M. [T] entre le 17 juin 2015 et octobre 2018 et de procéder, au vu de ces éléments, au réexamen de la rémunération du salarié au mois d'octobre 2018 en application des dispositions de l'article L. 2141-5-1 du code du travail.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

7. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2023 par la cour d'appel, l'employeur a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions de l'article L. 2141-5-1 du code du travail issues de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, selon lesquelles les salariés investis d'un mandat de représentation du personnel, lorsque le nombre d'heures de délégation dont ils disposent sur l'année dépasse 30 % de leur durée du travail, bénéficient d'une évolution de rémunération au moins égale, sur l'ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise, portent-elles atteinte, en ce qu'elles garantissent à ces salariés une évolution de leur rémunération qui n'est aucunement individualisée, au principe d'égalité devant la loi, à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et au droit de propriété, garantis par les articles 2, 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

8. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne une demande au titre de la garantie d'évolution salariale dont bénéficient les représentants syndicaux et les représentants du personnel qui disposent d'un nombre d'heures de délégation dépassant 30 % de leur durée de travail.

9. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

10. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

11. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

12. D'abord, le salarié, investi d'un mandat représentatif du personnel ou d'un mandat syndical, qui dispose d'un nombre d'heures de délégation dépassant sur l'année 30 % de sa durée du travail n'est pas dans la même situation que le salarié qui n'est titulaire d'aucun mandat ou qui dispose d'un nombre d'heures de délégation ne dépassant pas 30 % de sa durée de travail et les dispositions contestées, qui ne soumettent pas à des règles différentes des personnes placées dans une situation identique, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi.

13. Ensuite, l'article L. 2141-5-1 du code du travail, dont les dispositions ne sont applicables qu'en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise plus favorable, tend à favoriser le dialogue social par la présence de représentants syndicaux et de représentants du personnel au sein des entreprises et ainsi à assurer l'effectivité de l'exercice de la liberté syndicale et du droit des travailleurs à participer à la détermination collective des conditions de travail, découlant des alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en garantissant aux salariés protégés qui disposent d'un nombre d'heures de délégation dépassant sur l'année 30 % de leur durée du travail, pendant la durée de leur mandat, une évolution de rémunération au moins égale aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et au droit de propriété de l'employeur.

14. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ollivier - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles 2, 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; article L. 2141-5-1 du code du travail, issu de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015.

Soc., 10 octobre 2023, n° 23-17.506, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Elections professionnelles – Comité social et économique – Renouvellement de la délégation du personnel – Opérations électorales – Représentation équilibrée des femmes et des hommes – Droit des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail – Principe d'égalité – Incompétence négative du législateur – Articles L. 2314-30 et L. 2314-32 du code du travail – Caractères nouveau et sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Le 2 février 2023, le GIE Alliance gestion (le GIE) et la fédération syndicale FIECI CFE-CGC ont signé un protocole d'accord préélectoral en vue du renouvellement de la délégation du personnel au comité social et économique, prévoyant notamment que les proportions de femmes et d'hommes étaient respectivement de 70,24 % et 29,76 % dans le premier collège, trois sièges étant à pourvoir.

2. Par lettre du 22 février 2023, le syndicat FIECI CFE-CGC a adressé au GIE au titre des « candidatures CFE-CGC pour le premier tour des élections du CSE du GIE Alliance gestion » pour le premier collège la candidature unique de Mme [D] en qualité de titulaire et suppléante.

3. Par lettre du 27 février 2023, le GIE a contesté la conformité de cette liste aux dispositions légales sur la représentation équilibrée entre les hommes et les femmes en demandant à l'organisation syndicale de modifier sa liste ou de la retirer.

Le syndicat a maintenu sa liste.

4. Par requête du 3 mars 2023, le GIE a saisi le tribunal judiciaire de Paris afin qu'il constate l'irrégularité, au regard des règles relatives à la représentation équilibrée des hommes et des femmes et à l'interdiction de présenter un unique candidat si plusieurs sièges sont à pourvoir, de la liste de candidats présentée par la fédération syndicale FIECI CFE-CGC dans le cadre du premier tour des élections.

5. A l'issue du premier tour du scrutin qui s'est déroulé le 13 mars 2023, le quorum n'a pas été atteint. Mme [D], qui était la seule candidate, a obtenu 100 % des suffrages valablement exprimés. Se présentant comme candidate libre, elle a été élue en qualité de titulaire au second tour qui s'est tenu le 28 mars 2023.

6. Le 3 avril 2023, le GIE a de nouveau saisi le tribunal judiciaire aux fins de juger que la liste de candidats présentée par le syndicat FIECI CFE-CGC au premier tour des élections professionnelles organisées au sein du GIE Alliance gestion pour le 1er collège, non-cadres, était irrégulière au regard des règles relatives à la représentation équilibrée des hommes et des femmes et à l'interdiction de présenter un unique candidat si plusieurs sièges sont à pourvoir et demandé en conséquence que ce syndicat soit jugé non représentatif et que les élections professionnelles soient annulées.

7. Statuant sur la première requête déposée le 3 mars 2023 par jugement du 21 avril 2023, le tribunal a débouté le GIE Alliance gestion de l'ensemble de ses demandes, au motif que, statuant après les élections professionnelles qui avaient eu lieu les 13 et 28 mars 2023, la demande d'annulation de la liste de candidats contestée était devenue « sans objet ».

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

8. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre le jugement rendu le 9 juin 2023 par le tribunal judiciaire de Paris statuant sur la requête déposée le 3 avril 2023, le GIE a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 2314-32 du code du travail, qui ne prévoient comme sanction du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2314-30 du même code que la simple annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter, portent-elles atteinte, en ce qu'elles ne prévoient pas l'annulation des élections même lorsque l'irrégularité dans le déroulement des élections née de la présentation par une organisation syndicale d'une liste de candidat ne répondant pas aux exigences d'ordre public de l'article L. 2314-30 a été déterminante de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise, au principe résultant de l'article 34 de la Constitution selon lequel l'incompétence négative du législateur ne doit pas affecter un droit ou une liberté que la Constitution garantit, en l'occurrence le droit des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et le principe d'égalité tels que garantis par les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles 1, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

9. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la sanction du dépôt par une organisation syndicale d'une liste de candidats aux élections des membres de la délégation du personnel au comité social et économique ne comportant pas un nombre de candidats correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale.

10. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

11. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

12. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

En effet, en premier lieu, le législateur n'a pas porté atteinte au principe d'égalité devant la loi, la sanction étant appliquée de la même manière à tous les syndicats placés dans la même situation.

13. En second lieu, le législateur, exerçant pleinement la compétence que lui attribue la Constitution, a opéré une conciliation équilibrée entre les exigences de l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et celles des alinéas 6 et 8 de ce préambule en choisissant, en cas d'irrégularité de la liste de candidats aux élections des membres de la délégation du personnel au comité social et économique, lorsque le tribunal statue après l'élection, la seule sanction de l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter, sans remettre en cause la qualité représentative des organisations syndicales leur permettant d'accéder à la négociation collective, notamment des conditions de travail des salariés de l'entreprise.

14. D'ailleurs, dans sa décision n° 2018-720/721/722/723/724/725/726 QPC du 13 juillet 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « ou lorsqu'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de délégués du personnel prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2314-25 » figurant au second alinéa de l'article L. 2314-7 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, ainsi que les mots « ou s'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de membres du comité d'entreprise prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2324-23 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2324-10 du même code, dans cette même rédaction.

15. Il résulte des motifs de cette décision que les dispositions contestées pouvaient aboutir à ce que plusieurs sièges demeurent vacants dans ces institutions représentatives du personnel, pour une période pouvant durer plusieurs années, y compris dans les cas où un collège électoral n'y est plus représenté et où le nombre des élus titulaires a été réduit de moitié ou plus et que ces dispositions pouvaient ainsi conduire à ce que le fonctionnement normal de ces institutions soit affecté dans des conditions remettant en cause le principe de participation des travailleurs.

Le Conseil constitutionnel en a tiré la conséquence que, même si les dispositions contestées visaient à garantir, parmi les membres élus, une représentation équilibrée des femmes et des hommes, l'atteinte portée par le législateur au principe de participation des travailleurs était manifestement disproportionnée (§§ 12 et 13).

16. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Alineas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; articles 1, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; articles L. 2314-30 et L. 2314-32, alinéa 3, du code du travail.

1re Civ., 10 octobre 2023, n° 23-40.012, (B), FS

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 – Articles 2, 5, 6-1, 10 et 11 – Notaire – Poursuite disciplinaire – Comparution et audition – Notification du droit au silence – Absence – Atteinte à la présomption d'innocence – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Le 1er juillet 2021, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France a assigné M. [B], notaire (le notaire), afin que soit prononcée sa destitution en application des articles 2 et suivants de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.

2. Le notaire a relevé appel du jugement du 16 mai 2022 prononçant cette sanction disciplinaire.

3. Son conseil a présenté devant la cour d'appel une question prioritaire de constitutionnalité.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. Par arrêt du 30 juin 2023, la cour d'appel de Fort-de-France a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les articles 2, 5, 6-1, 10 et 11 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, en ce qu'ils organisent les poursuites disciplinaires, la comparution et l'audition du notaire poursuivi devant le tribunal judiciaire, portent-ils atteinte au principe constitutionnel du droit à la présomption d'innocence et à celui des droits de la défense en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié alors que les déclarations recueillies sont susceptibles d'être utilisées directement ou indirectement dans le cadre de la procédure pénale ou disciplinaire ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. Les dispositions contestées, qui constituent le fondement des poursuites disciplinaires, sont applicables au litige.

6. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. Une poursuite disciplinaire engagée contre un notaire pouvant conduire jusqu'à sa destitution, la question de la notification du droit au silence à l'occasion de son audition durant la procédure et lors de sa comparution devant le tribunal judiciaire apparaît comme n'étant pas dépourvue de caractère sérieux.

8. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme Kloda - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Articles 2, 5, 6-1, 10 et 11 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945.

Soc., 25 octobre 2023, n° 23-14.147, (B), FS

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Travail réglementation, rémunération – Salaire – Participation aux résultats de l'entreprise – Réserve spéciale de participation – Montant – Calcul – Base de calcul – Bénéfice net et capitaux propres – Evaluation – Attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes – Contestation – Participation à la détermination collective des conditions de travail – Droit au recours juridictionnel effectif – Article L. 3326-1 du code du travail – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Le 29 décembre 2014, les sociétés Procter and Gamble (P and G) [Localité 6], Procter and Gamble (P and G) [Localité 7], Ondal France, Procter and Gamble (P and G) France, Procter and Gamble (P and G) Pharmaceuticals France et Procter and Gamble (P and G) Holding France ont conclu un accord de participation de groupe régissant la participation des salariés aux résultats de l'entreprise.

2. Soutenant que les clauses de rémunération des contrats de façonnage et de commissionnaire conclus par ces sociétés avec la société de droit suisse Procter and Gamble International Operations (P and G IO) permettaient à cette dernière de fixer de manière arbitraire les bénéfices revenant aux sociétés de façonnage et de distribution et que ces clauses, qui prédéterminaient le bénéfice de ces sociétés, avaient pour conséquence de réduire l'assiette de la participation des salariés aux résultats de l'entreprise, la délégation du personnel du comité d'entreprise de la société P and G [Localité 6], le syndicat CFDT Chimie énergie Picardie (le syndicat CFDT), le syndicat FO P and G [Localité 6] (le syndicat FO) et le syndicat CGT P and G [Localité 6] (le syndicat CGT) ont, par actes des 28 novembre 2017 et 10 octobre 2018, fait assigner les sociétés P and G Holding France, P and G France, P and G Pharmaceuticals France, P and G [Localité 6], P and G [Localité 7], P and G IO et Ondal France devant le tribunal judiciaire, aux fins notamment de constater que les attestations du commissaire aux comptes établies en vue du calcul de la réserve spéciale de participation devaient être frappées de nullité ou, en toute hypothèse, ne présentaient pas le caractère de sincérité nécessaire à leur validité en application de l'article L. 3326-1 du code du travail, déclarer nulles et de nul effet les clauses de rémunération des contrats conclus entre la société P and G IO et les sociétés françaises, à titre subsidiaire, dire que ces clauses étaient inopposables aux salariés dans le cadre du calcul de la participation et désigner un expert afin de déterminer le montant de la participation due aux salariés pour les exercices clos à compter du 1er juillet 2012.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

3. A l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2022 par la cour d'appel de Versailles, ayant déclaré irrecevable leur action sur le fondement de l'article L. 3326-1 du code du travail, le comité social et économique P and G [Localité 6] venant aux droits du comité d'entreprise, le syndicat FO et le syndicat CGT ont, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 3326-1 du code du travail méconnaît-il les droits et libertés que la Constitution garantit, notamment les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les articles 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en ce qu'il interdit de remettre en cause le bénéfice net d'une entreprise après l'attestation du commissaire aux comptes ou de l'inspecteur des impôts, même en cas de fraude, et qu'il prive ainsi les salariés ou leurs représentants de toute voie de recours permettant de contester utilement le calcul de la réserve de participation et qu'il conduit au surplus à neutraliser les accords passés au sein de l'entreprise dans le cadre de la détermination de la réserve de participation ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

4. La disposition contestée, telle qu'interprétée par la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 11 mars 2009, pourvoi n° 08-41.140, Bull. 2009, V, n° 80 ; Soc., 8 décembre 2010, pourvoi n° 09-65.810, Bull. 2010, V, n° 288 ; Soc., 10 janvier 2017, pourvoi n° 14-23.888, Bull. 2017, V, n° 4), qui juge que, selon l'article L. 3326-1 du code du travail, d'ordre public absolu, le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l'entreprise sont établis par une attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes et ne peuvent être remis en cause à l'occasion des litiges relatifs à la participation aux résultats de l'entreprise, ce dont il résulte que le montant du bénéfice net qui a été certifié par une attestation du commissaire aux comptes de la société, dont les syndicats ne contestent pas la sincérité, ne peut être remis en cause dans un litige relatif à la participation, quand bien même l'action des syndicats est fondée sur la fraude ou l'abus de droit invoqués à l'encontre des actes de gestion de la société (Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-50.015, Bull. 2018, V, n° 36 ; Soc., 6 juin 2018, pourvoi n° 16-24.566), qui sert de fondement à la décision contestée, est applicable au litige.

5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

6. La question posée présente un caractère sérieux.

7. En effet, dès lors que, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 5 décembre 1984, n° 36337, publié au Recueil Lebon) et du Tribunal des conflits (TC, 11 décembre 2017, pourvoi n° 17-04.104, Bull. 2017, TC n° 11), l'attestation délivrée en application de l'article L. 442-13, alinéa 1, devenu L. 3326-1, alinéa 1, du code du travail a pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice net et des capitaux propres déclarés à l'administration et celui utilisé par l'entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation des salariés aux résultats de l'entreprise, en sorte que l'inspecteur des impôts ou le commissaire aux comptes qui établit cette attestation n'exerce pas, dans le cadre de cette mission, un pouvoir de contrôle de la situation de l'entreprise, l'article L. 3326-1 du code du travail, tel qu'interprété par la Cour de cassation, en ce qu'il interdit toute remise en cause, dans un litige relatif à la participation, des montants établis par ladite attestation, dont la sincérité n'est pas contestée, quand bien même sont invoqués la fraude ou l'abus de droit à l'encontre des actes de gestion de l'entreprise, pourrait être considéré comme portant une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif.

8. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; article L. 3326-1 du code du travail.

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