Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2023

POUVOIRS DES JUGES

Soc., 18 octobre 2023, n° 22-18.852, (B), FRH

Cassation partielle

Applications diverses – Contrat de travail – Licenciement – Licenciement pour motif économique – Difficultés économiques – Caractérisation – Indicateurs économiques – Evolution significative – Appréciation – Appréciation souveraine – Limites – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 avril 2022), Mme [D] a été engagée en qualité d'assistante administrative, à compter du 1er octobre 2003, par la société Avenir finance immobilier, son contrat de travail ayant fait l'objet d'un transfert en dernier lieu à la société Advenis investment managers (la société) appartenant au groupe Advenis, devenue la société C-Quadrat asset management France.

2. Le 9 décembre 2016, la société a convoqué la salariée a un entretien préalable en vue d'un licenciement économique. Son contrat de travail a été rompu après qu'elle a accepté, le 4 janvier 2017, le contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait alors été proposé.

3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale notamment en contestation de cette rupture.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de la débouter en conséquence de ses demandes fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué retient que la société « produit également s'agissant du secteur d'activité en cause l'existence, nonobstant un chiffre d'affaires en hausse, des pertes en 2015, 2016 et 2017 » et que « ceci atteste des difficultés avérées [...] en ce qui concerne le secteur de référence » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les pertes étaient significatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

5. Aux termes de ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

6. Pour dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt constate d'abord, d'une part, que la lettre de licenciement invoque les difficultés économiques du groupe se traduisant par des résultats d'exploitation déficitaires depuis trois années et compromettant la compétitivité et la capacité de l'entreprise à maintenir et développer ses activités, d'autre part, que le secteur d'activité à prendre en considération pour apprécier le motif économique est celui de la distribution et la gestion des actifs dont relève la société.

7. Il retient ensuite que pour justifier de sa situation économique, la société produit un tableau faisant apparaître, s'agissant du secteur d'activité en cause, l'existence, nonobstant un chiffre d'affaires en hausse, des pertes en 2015, 2016 et 2017 et en déduit que les difficultés sont avérées en ce qui concerne le secteur de référence.

8. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser le caractère sérieux et durable des pertes d'exploitation dans le secteur d'activité considéré, sans rechercher si l'évolution de l'indicateur économique retenu était significative, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

9. La cassation des chefs de dispositif disant que le licenciement de la salariée repose sur une cause réelle et sérieuse et la déboutant en conséquence de ses demandes fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse emporte celle du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

10. En revanche, elle n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de Mme [D] repose sur une cause réelle et sérieuse et la déboute en conséquence de ses demandes fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société C-Quadrat asset management France à payer à Mme [D] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier, l'arrêt rendu le 8 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation des difficultés économiques au sens de la rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, à rapprocher : Soc., 1er février 2023, pourvoi n° 20-19.661, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

2e Civ., 19 octobre 2023, n° 21-22.379, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Appréciation souveraine – Action soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil – Inopposabilité soulevée par l'employeur – Prise en charge d'une maladie professionnelle – Jour de la connaissance effective par l'employeur de la décision – Point de départ

La détermination de la date à laquelle l'employeur a eu une connaissance effective de la décision de prise en charge d'une maladie professionnelle qui constitue le point de départ du délai de la prescription quinquennale de son action aux fins d'inopposabilité de cette décision relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 13 juillet 2021) et les productions, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois (la caisse) a pris en charge, par décision du 5 décembre 2008, au titre de la législation professionnelle, la maladie déclarée par l'un des salariés de la société [2] (l'employeur).

2. La commission de recours amiable de la caisse, saisie le 17 juin 2015, ayant rejeté, par décision notifiée le 16 juillet 2015, la contestation de l'employeur de l'opposabilité de cette décision à son égard, celui-ci a porté son recours, le 21 août 2015, devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l'arrêt de déclarer recevable le recours de l'employeur, alors :

« 1°/ que l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge d'une maladie professionnelle se prescrit par cinq ans, ce délai courant à compter du jour où l'employeur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en application de l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, la caisse n'est pas tenue de notifier la décision de prise en charge à l'employeur par lettre recommandée avec accusé de réception ; qu'en retenant, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de l'employeur, que la caisse ne démontre pas avoir envoyé la notification de la décision de prise en charge par lettre recommandée avec accusé de réception, la cour d'appel a violé les articles R. 142-18 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 2224 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige ;

2°/ qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la caisse, qui soutenait que l'employeur aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action en inopposabilité le 5 décembre 2008, dès lors qu'il résulte des pièces produites qu'il a reçu, le 24 novembre 2008, la lettre de clôture du 20 novembre 2008 l'informant que la décision interviendrait le 5 décembre 2008, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que la circonstance que, postérieurement à la lettre de clôture, la caisse ait notifié à l'employeur le recours à un délai complémentaire d'instruction ne saurait restituer une base légale à l'arrêt attaqué dès lors la lettre du 22 novembre 2008 informait l'employeur que le recours au délai complémentaire avait pour seul objet de lui permettre de consulter le dossier dans le temps imparti par la lettre de clôture, la date d'intervention de la décision étant inchangée ; qu'en tout cas, en s'abstenant de s'expliquer sur les termes de la lettre du 22 novembre 2008 et sur les circonstances de son intervention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 142-18, R. 441-10 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 2224 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

5. En l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil.

6. Après avoir exactement retenu que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour où l'employeur a eu une connaissance effective de la décision de prise en charge de la maladie déclarée par son salarié, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de fait et preuve débattus devant elle, que l'employeur ne pouvait ignorer l'existence de la prise en charge de la maladie professionnelle litigieuse à compter de la réception de son compte de cotisations au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles du 16 juillet 2010 qui la mentionnait, pour en déduire que le point de départ du délai de prescription devait être fixé à cette date.

7. Inopérant en ses première et troisième branches, le moyen n'est, dès lors, pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La caisse fait grief à l'arrêt de déclarer recevable le recours de l'employeur, alors « que l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge d'une maladie professionnelle se prescrit par cinq ans ; que la saisine de la commission de recours amiable n'interrompt pas le délai de prescription ; qu'en décidant au contraire que l'action de l'employeur, qui a saisi la commission de recours amiable par courrier du 17 juin 2015, antérieurement à l'échéance du délai quinquennal qui peut être considéré comme ayant débuté le 16 juillet 2010, n'est pas prescrite, la cour d'appel a violé l'article R. 142-18 du code de la sécurité sociale, ensemble les articles 2224, 2241 et 2242 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224, 2240, 2241 et 2244 du code civil et les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, et R. 441-14 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicables au litige :

9. La prescription quinquennale, prévue par le premier des textes susvisés, est, en application des trois suivants, interrompue par la reconnaissance du débiteur, une demande en justice, même en référé, une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution, ou un acte d'exécution forcée.

10. Il résulte des deux derniers textes susvisés que l'information donnée par la caisse à l'employeur de sa décision de prendre en charge la maladie à titre professionnel ne constitue pas une notification et ne fait pas courir contre lui le délai de recours contentieux de deux mois (2e Civ., 18 février 2021, pourvois n° 19-25.886 et n° 19-25.887, publiés au Bulletin).

11. En application de ces textes, la Cour de cassation juge que le fait pour un employeur de solliciter l'inopposabilité à son égard de la décision prise par la caisse ne constitue pas une réclamation contre une décision prise par un organisme de sécurité sociale au sens de l'article R. 142-1 du code de la sécurité sociale susvisé et que l'employeur n'est pas tenu de saisir préalablement la commission de recours amiable de cette réclamation (2e Civ., 20 décembre 2012, pourvoi n° 11-26.621, Bull. 2012, II, n° 208).

12. Le pourvoi pose la question de savoir si le délai de prescription de l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie, prise avant l'entrée en vigueur du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, est interrompu par la saisine de la commission de recours amiable de la caisse par l'employeur.

13. En application du principe rappelé au paragraphe 9, ce n'est que si la saisine de la commission de recours amiable peut être regardée comme une demande en justice qu'elle est susceptible d'interrompre le délai de prescription quinquennal prévu par l'article 2224 du code civil susvisé.

14. La saisine de cette commission, qui ne constitue pas un préalable obligatoire à l'action aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute, antérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, n'est pas une demande en justice, et, dès lors, n'interrompt pas le délai de prescription quinquennal prévu par l'article 2224 du code civil susvisé.

15. Pour déclarer recevable le recours de l'employeur, l'arrêt retient que celui-ci n'a pu ignorer, à compter de la réception de son compte employeur le 16 juillet 2010, la prise en charge de la pathologie litigieuse au titre de la législation professionnelle, mais que la prescription quinquennale n'était pas acquise compte tenu de la saisine de la commission de recours amiable par courrier du 17 juin 2015.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

19. Il résulte des énonciations des paragraphes 9 à 14 que, l'employeur ayant eu une connaissance effective de la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie le 16 juillet 2010 et n'ayant saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins d'inopposabilité de cette décision à son égard que le 21 août 2015, il y a lieu de déclarer prescrite l'action de l'employeur.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE irrecevable comme prescrite l'action de la société [2] aux fins d'inopposabilité de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [T] du 5 décembre 2008.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : M. Labaune - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009 ; article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-10.909, Bull. (cassation).

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