Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2023

POSTES ET COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES

1re Civ., 18 octobre 2023, n° 22-18.926, (B), FS

Cassation partielle

Communications électroniques – Communication au public en ligne – Prestataires techniques – Fournisseurs d'accès – Contenus de nature à causer un dommage – Mesures propres à le prévenir ou le faire cesser – Recevabilité – Mise en cause préalable des prestataires d'hébergement – Impossibilité d'agir contre eux – Indifférence

Il résulte de l'article 6, I, 8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, que la recevabilité d'une demande contre les fournisseurs d'accès à l'internet aux fins de prescription de mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage causé par le contenu de tels services de communication n'est pas subordonnée à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux.

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2022), rendu en référé, l'association e-Enfance, qui a pour objet la protection des enfants et des adolescents contre les risques liés à tous moyens de communication interactifs, et l'association La Voix de l'enfant, qui a pour objet d'agir en justice et de représenter les intérêts d'enfants victimes ou en danger (les associations), ont assigné les sociétés SFR fibre, Orange, Orange Caraïbe, Free, Bouygues Télécom, Colt Technology services et Outremer Télécom ainsi que la Société française du radiotéléphone (SFR) et la Société réunionnaise du radiotéléphone afin qu'il soit enjoint à ces sociétés de mettre en oeuvre ou de faire mettre en oeuvre toute mesure appropriée de blocage pour empêcher l'accès à partir du territoire national à différents sites pornographiques et de justifier des mesures prises et mises en oeuvre à cette fin.

Examen des moyens

Sur le second moyen

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

3. Les associations font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes, alors :

« 1°/ que n'étant pas subordonnée à la mise en cause des prestataires d'hébergement, la prescription par le juge des référés, sur le fondement de l'article 6, I, 8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, de mesures de prévention ou de cessation mises à la charge des fournisseurs d'accès n'est subordonnée ni à une vaine tentative de mise dans la cause du prestataire d'hébergement du contenu illicite, ni à la démonstration d'une impossibilité d'agir contre ce dernier ; qu'en décidant le contraire, s'agissant au surplus de mesures destinées à faire cesser l'accessibilité de contenus à caractère pornographique par des mineurs, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble les articles 24 de la Charte des droits fondamentaux, 3, 1, de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'en soumettant la recevabilité de l'action en référé à la condition d'une mise en cause ou d'une tentative de mise en cause de l'éditeur ou de l'auteur du contenu illicite, ou d'une démonstration de l'impossibilité d'agir contre ces derniers, la cour d'appel a violé l'article 6, I, 8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, ensemble les articles 24 de la Charte des droits fondamentaux, 3, 1, de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, I, 8 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 :

4. Selon ce texte, l'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, ou, à défaut, à toute personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un tel service de communication.

5. Il en résulte que la recevabilité d'une demande contre les fournisseurs d'accès à l'internet aux fins de prescription de ces mesures n'est subordonnée ni à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux.

6. Pour déclarer irrecevables les demandes des associations, l'arrêt retient que les requérants à une mesure de blocage auprès des fournisseurs d'accès à l'internet doivent établir l'impossibilité d'agir efficacement et rapidement contre l'hébergeur, l'éditeur ou l'auteur et que les associations n'en rapportent pas la preuve, que l'ensemble des sites litigieux mentionne une société éditrice ayant une adresse située sur le territoire de l'Union européenne et qu'une démarche aurait également été possible auprès des hébergeurs, identifiables pour certains des sites par des services gratuits « Who Host This ? » ou par une requête « Whois ».

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'action de l'association e-Enfance et de l'association La Voix de l'enfant, fondée sur l'article 6, I, 8, de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, l'arrêt rendu le 19 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; SCP Bénabent ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Article 6, I, 8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021.

Com., 25 octobre 2023, n° 22-17.220, (B), FRH

Rejet

Protection de la vie privée et services – Demandes en paiement des prestations de communication – Prescription – Prescription annale – Domaine d'application – Sommes trop perçues par l'opérateur

Est soumise à la prescription annale de l'article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques l'action en restitution de sommes trop perçues par l'opérateur au titre du contrat de service de fourniture de prestations électroniques, y compris après la résiliation du contrat.

Protection de la vie privée et services – Demandes en paiement des prestations de communication – Prescription – Prescription annale – Point de départ – Détermination

Le point de départ de l'action en restitution de ces sommes court à compter du jour du paiement si, à cette date, le client était en mesure de déceler le paiement indu et d'en demander restitution.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 avril 2022), le 28 mars 2008, la société Diabolocom a souscrit auprès de la société Colt Technology services (la société Colt) plusieurs abonnements à des services relatifs à la gestion des relations avec la clientèle, dont un abonnement à un « lien point à point » facturé 900 euros HT par mois, que la société Diabolocom a résilié à compter du 30 avril 2013.

Le 7 novembre 2018, soutenant avoir constaté que cet abonnement lui était toujours facturé en juin 2018, la société Diabolocom a assigné la société Colt en remboursement d'une certaine somme à titre de trop-perçu.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société Diabolocom fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la société Colt à lui payer la somme de 6 300 euros correspondant aux sommes réglées du 1er novembre 2017 au 28 avril 2018, alors « que l'action en répétition de l'indu, quelle que soit la source du paiement indu, se prescrit selon le délai de droit commun applicable, à défaut de disposition spéciale, aux quasi contrats ; qu'en retenant que la prescription annale de l'article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques s'applique à l'action en restitution de sommes trop perçues au titre du contrat de service de fourniture de communications électroniques, « quelle que soit la cause de la demande en répétition de l'indu, dont la résiliation du contrat comme c'est le cas en l'espèce », quand l'action en répétition de sommes payées indûment après la résiliation du contrat et n'ayant donné lieu à aucune prestation était soumise à la prescription de droit commun, la cour d'appel a violé, par fausse d'application, le texte susvisé et, par refus d'application, les articles 1376, devenu 1302-1, et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Ayant énoncé qu'aux termes de l'article L. 34-2, alinéa 1, du code des postes et des communications électroniques, la prescription est acquise, au profit des opérateurs mentionnés à l'article L. 33-1 du même code, pour toutes demandes en restitution du prix de leurs prestations de communications électroniques présentées après un délai d'un an à compter du jour du paiement et que l'indu réclamé porte sur des sommes correspondant uniquement au paiement du prix des prestations consistant entièrement ou principalement en la fourniture de communications électroniques au sens de l'article L. 32, 6°, du code des postes et des communications électroniques, la cour d'appel en a déduit exactement que la demande en restitution était soumise à la prescription annale.

4. Le moyen n'est pas fondé.

Et sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. La société Diabolocom fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en retenant en l'espèce que « le délai court, en matière de répétition de l'indu, à compter du jour du paiement du prix des prestations ; qu'il ressort de l'avoir émis pour les sommes payées à compter de mai 2013 que ces paiements s'effectuaient par prélèvement bancaire dans le mois correspondant à chaque facture ; qu'il appartient dès lors à Diabolocom qui invoque n'avoir eu connaissance de ces paiements indus qu'à compter de mai 2018, de rapporter la preuve de l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait avant cette date de connaître la teneur de ses paiements ; qu'or elle ne produit aucune des factures antérieures à mai 2018 pour démontrer que les factures n'auraient pas été détaillées avant cette dernière ; que ce moyen ne peut donc être retenu ; que par conséquent, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a retenu la prescription des demandes en répétition de l'indu pour toutes les sommes payées sur la période antérieure à une année à compter de l'assignation du 10 octobre [7 novembre] 2018 et condamné Colt Technology services à payer à Diabolocom la somme de 6 300 euros correspondant à l'abonnement mensuel payé entre le 1er novembre 2017 et le 28 avril 2018, les sommes antérieures étant atteintes par la prescription », la cour d'appel a ainsi estimé que le point de départ de la prescription pouvait être reporté à la date de la connaissance de l'indu par le payeur mais que la preuve de l'ignorance de l'indu avant 2018 n'était pas rapportée ; qu'en statuant ainsi, sans tenir compte de la facture de mars 2018 que la société Diabolocom avait pourtant bien produite, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en s'abstenant de répondre au moyen péremptoire des conclusions de l'appelante selon lequel elle n'avait, malgré de nombreux courriels de réclamation versés aux débats, jamais pu consulter le détail des factures qui lui aurait permis de prendre connaissance du caractère indu des sommes prélevées au titre du contrat résilié, la cour d'appel a encore méconnu l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt retient que les paiements mensuels à compter de mai 2013 s'effectuaient par prélèvement bancaire dans le mois correspondant à chaque facture, faisant ressortir que, dès l'échéance suivant la résiliation de l'abonnement point à point, la société Diabolocom, qui connaissait nécessairement le montant prélevé mensuellement sur son compte bancaire par la société Colt, était en mesure d'en déceler le caractère trop élevé et d'agir en restitution.

7. En conséquence, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la deuxième branche, la cour d'appel, qui a répondu en les écartant aux conclusions inopérantes visées à la troisième branche, a retenu, à bon droit, que les demandes de répétition de l'indu pour les sommes payées plus d'un an avant l'assignation du 7 novembre 2018 se heurtaient à la prescription annale.

8. Le moyen ne peut être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques.

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