Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 4 octobre 2023, n° 22-12.339, (B), FRH

Rejet

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Applications diverses – Etablissement ou service social ou médico-social – Dénonciation d'actes de maltraitance ou de privation infligés à une personne accueillie dans l'établissement – Contrôle du juge – Etendue – Portée

Il résulte de l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002, que, dans les établissements et services sociaux ou médico-sociaux mentionnés à l'article L. 312-1 du même code, le fait qu'un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d'embauche, de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire.

Doit être approuvé l'arrêt qui, après avoir constaté qu'un salarié n'avait pas témoigné de mauvais traitements ou de privations infligés à un mineur pris en charge dans l'établissement où il travaillait mais avait dénoncé les décisions de placement et d'investigation prises par le juge des enfants et les modalités du droit de visite qui y étaient prévues, en déduit qu'il ne pouvait pas valablement se prévaloir des dispositions de ce texte.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 3 novembre 2021), M. [N] a été engagé, en qualité de directeur, à compter du 13 septembre 2013, par l'association Action jeunesse de l'Aube.

2. Contestant son licenciement, prononcé pour faute grave le 13 mars 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et le second moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, le premier étant irrecevable et le second n'étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes fondées, à titre principal, sur la nullité de son licenciement et, subsidiairement, sur l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, alors « qu'il soulignait que la décision de placement du mineur, qu'il avait dénoncée, méconnaissait ses droits et libertés et lui causait une souffrance ; qu'il en résultait que l'exécution de cette décision par l'association Action jeunesse de l'Aube causait, au sein de celle-ci, des mauvais traitements et privations au mineur concerné, relevant du droit de dénonciation posé par l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles ; qu'en écartant ce texte et partant la nullité du licenciement au motif que l'exposant ne relevait aucun dysfonctionnement véritable au sein de son établissement mais stigmatisait un dysfonctionnement judiciaire et s'érigeait en défenseur parallèle du mineur parce qu'il n'était pas d'accord avec les décisions de placement et d'investigations, la cour d'appel a violé l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002, applicable au litige, dans les établissements et services mentionnés à l'article L. 312-1, le fait qu'un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d'embauche, de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire.

6. La cour d'appel a relevé que le salarié, considérant que la situation d'un mineur, confié à l'un des établissements de l'association qu'il dirigeait, était mal appréhendée par les juges des enfants, s'était érigé en défenseur de ce mineur et avait saisi de nombreux acteurs institutionnels pour stigmatiser ce qu'il avait interprété comme une forme de dysfonctionnement institutionnel, en dépit du positionnement contraire de l'avocat de ce mineur, mais sans toutefois relater un dysfonctionnement véritable au sein de son établissement.

7. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que le salarié n'avait pas témoigné de mauvais traitements ou de privations infligés à un mineur pris en charge dans l'établissement où il travaillait mais avait dénoncé les décisions de placement et d'investigation prises par le juge des enfants et les modalités du droit de visite qui y étaient prévues, intervenues dans un contexte familial particulièrement difficile, la cour d'appel a exactement déduit qu'il ne pouvait valablement se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Barincou - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 312-1 et L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002.

Soc., 18 octobre 2023, n° 22-18.852, (B), FRH

Cassation partielle

Licenciement économique – Cause – Cause réelle et sérieuse – Motif économique – Appréciation – Existence de difficultés économiques – Caractérisation – Perte d'exploitation – Détermination – Portée

Aux termes de l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui, pour dire fondé sur une cause réelle et sérieuse un licenciement pour motif économique, retient que l'employeur produit un tableau faisant apparaître, s'agissant du secteur d'activité en cause, l'existence, nonobstant un chiffre d'affaires en hausse, des pertes en 2015, 2016 et 2017 et en déduit que les difficultés sont avérées, sans rechercher si l'évolution de l'indicateur économique retenu était significative, les motifs retenus étant insuffisants pour caractériser le caractère sérieux et durable des pertes d'exploitation dans le secteur d'activité considéré.

Licenciement économique – Cause – Cause réelle et sérieuse – Motif économique – Appréciation – Existence de difficultés économiques – Caractérisation – Office du juge – Contrôle – Modalités – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 avril 2022), Mme [D] a été engagée en qualité d'assistante administrative, à compter du 1er octobre 2003, par la société Avenir finance immobilier, son contrat de travail ayant fait l'objet d'un transfert en dernier lieu à la société Advenis investment managers (la société) appartenant au groupe Advenis, devenue la société C-Quadrat asset management France.

2. Le 9 décembre 2016, la société a convoqué la salariée a un entretien préalable en vue d'un licenciement économique. Son contrat de travail a été rompu après qu'elle a accepté, le 4 janvier 2017, le contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait alors été proposé.

3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale notamment en contestation de cette rupture.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de la débouter en conséquence de ses demandes fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué retient que la société « produit également s'agissant du secteur d'activité en cause l'existence, nonobstant un chiffre d'affaires en hausse, des pertes en 2015, 2016 et 2017 » et que « ceci atteste des difficultés avérées [...] en ce qui concerne le secteur de référence » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les pertes étaient significatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

5. Aux termes de ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

6. Pour dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt constate d'abord, d'une part, que la lettre de licenciement invoque les difficultés économiques du groupe se traduisant par des résultats d'exploitation déficitaires depuis trois années et compromettant la compétitivité et la capacité de l'entreprise à maintenir et développer ses activités, d'autre part, que le secteur d'activité à prendre en considération pour apprécier le motif économique est celui de la distribution et la gestion des actifs dont relève la société.

7. Il retient ensuite que pour justifier de sa situation économique, la société produit un tableau faisant apparaître, s'agissant du secteur d'activité en cause, l'existence, nonobstant un chiffre d'affaires en hausse, des pertes en 2015, 2016 et 2017 et en déduit que les difficultés sont avérées en ce qui concerne le secteur de référence.

8. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser le caractère sérieux et durable des pertes d'exploitation dans le secteur d'activité considéré, sans rechercher si l'évolution de l'indicateur économique retenu était significative, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

9. La cassation des chefs de dispositif disant que le licenciement de la salariée repose sur une cause réelle et sérieuse et la déboutant en conséquence de ses demandes fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse emporte celle du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

10. En revanche, elle n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de Mme [D] repose sur une cause réelle et sérieuse et la déboute en conséquence de ses demandes fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société C-Quadrat asset management France à payer à Mme [D] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier, l'arrêt rendu le 8 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation des difficultés économiques au sens de la rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, à rapprocher : Soc., 1er février 2023, pourvoi n° 20-19.661, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 4 octobre 2023, n° 21-21.059, (B), FRH

Rejet

Licenciement économique – Mesures d'accompagnement – Contrat de sécurisation professionnelle – Expiration du délai d'option – Effets – Impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse – Justification – Employeur – Obligation

Bénéficie de la protection prévue par l'article L. 1225-4 du code du travail la salariée en état de grossesse médicalement constaté à la date d'expiration du délai dont elle dispose pour prendre parti sur la proposition d'un contrat de sécurisation professionnelle. L'adhésion à ce contrat, qui constitue une modalité du licenciement pour motif économique, ne caractérise pas l'impossibilité pour l'employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.

Est en conséquence approuvé l'arrêt qui, ayant retenu que le contrat de sécurisation professionnelle ne constituait pas une rupture conventionnelle mais une modalité du licenciement économique et constaté qu'à la date d'expiration du délai dont elle disposait pour prendre parti sur la proposition d'un contrat de sécurisation professionnelle, la salariée était en état de grossesse, en déduit que l'article L. 1225-4 du code du travail était applicable en sorte que l'employeur était tenu de justifier de l'impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse.

Licenciement économique – Mesures d'accompagnement – Contrat de sécurisation professionnelle – Adhésion du salarié – Effets – Impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse – Caractérisation – Défaut – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 juin 2021), Mme [N] a été engagée en qualité de coordinatrice de projet, à compter du 13 octobre 2009, par l'association Les Nouvelles Subsistances. Elle occupait en dernier lieu les fonctions de chargée du mécénat et du partenariat.

2. Son contrat de travail a été rompu, le 27 septembre 2016, à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait après son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle qui lui a été proposé, le motif économique de la rupture lui ayant été notifié par lettre du 22 septembre 2016.

3. Invoquant la nullité de son licenciement au regard de son état de grossesse, elle a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est nul, de le condamner à payer à la salariée diverses sommes au titre des salaires dus pendant la période de protection et des congés payés afférents, assortis d'intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2017, d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2017, de dommages-intérêts pour licenciement nul, assortis d'intérêts légaux à compter de l'arrêt et de le condamner à remettre à la salariée dans les six semaines du prononcé de l'arrêt les documents de fin de contrat et un dernier bulletin de salaire dûment rectifiés, alors « que l'acceptation d'un contrat de sécurisation professionnelle par une salariée, même au cours d'une période de suspension de son contrat de travail à laquelle elle a droit au titre de son congé de maternité, emporte rupture d'un commun accord du contrat de travail, de sorte que l'employeur n'est pas tenu de justifier de l'existence d'une faute grave commise par la salariée ou de son impossibilité de maintenir le contrat de travail ; que dès lors, en relevant, pour prononcer la nullité de la rupture du contrat de travail de la salariée, que le contrat de sécurisation professionnelle était une modalité du licenciement pour motif économique et que la salariée étant en situation de suspension de son contrat de travail pour cause de maternité, il appartenait à l'employeur de justifier, au moment de la rupture, s'être trouvé dans l'impossibilité de maintenir son contrat de travail, ce qu'il ne faisait pas, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-67 du code du travail, ensemble l'article 5 de la convention du 26 janvier 2015 relative au contrat de sécurisation professionnelle. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1232-6 et L. 1225-4 du code du travail que l'employeur, tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement, doit préciser, dans la lettre de licenciement d'une salariée en état de grossesse, le ou les motifs visés par l'article L. 1225-4 du code du travail. A défaut, le licenciement est nul.

7. Bénéficie de la protection prévue par l'article L. 1225-4 du code du travail la salariée en état de grossesse médicalement constaté à la date d'expiration du délai dont elle dispose pour prendre parti sur la proposition d'un contrat de sécurisation professionnelle.

L'adhésion à ce contrat, qui constitue une modalité de licenciement pour motif économique, ne caractérise pas l'impossibilité pour l'employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.

8. Ayant retenu à bon droit que le contrat de sécurisation professionnelle ne constituait pas une rupture conventionnelle mais une modalité du licenciement pour motif économique et constaté qu'à la date d'expiration du délai dont elle disposait pour prendre parti sur la proposition d'un contrat de sécurisation professionnelle, la salariée était en état de grossesse, la cour d'appel en a exactement déduit que l'article L. 1225-4 du code du travail était applicable de sorte que l'employeur était tenu de justifier de l'impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Douxami - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Article L. 1225-4 du code du travail.

Soc., 4 octobre 2023, n° 21-25.421, (B), FRH

Rejet

Licenciement – Licenciement disciplinaire – Faute du salarié – Faute grave – Caractérisation – Cas – Agissements du salarié dans sa vie personnelle – Conditions – Manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail – Applications diverses – Portée

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Doit en conséquence être approuvé, l'arrêt qui, après avoir constaté que les infractions au code de la route qui étaient reprochées au salarié avaient été commises durant ses temps de trajet avec le véhicule de l'entreprise mis à sa disposition, lequel n'avait subi aucun dommage, et que son comportement n'avait pas eu d'incidence sur les obligations découlant de son contrat de travail, en sorte que ces infractions ne pouvaient être regardées comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations découlant de son contrat ni comme se rattachant à sa vie professionnelle, en déduit que ces faits de la vie personnelle ne pouvaient justifier un licenciement disciplinaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 octobre 2021), M. [W] a été engagé en qualité de mécanicien par la société Colas Rail (la société), le 1er mars 2007, avec reprise de son ancienneté depuis le 3 janvier 2006. Dans le dernier état de la relation contractuelle, il était mécanicien autonome sur chantier.

2. Licencié le 13 décembre 2016, il a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de la rupture de son contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de juger le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse et de la condamner à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts, alors « qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire, s'il se rattache à la vie professionnelle du salarié ou s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; que la commission d'infractions au code de la route, commise par un salarié tandis qu'il conduit un véhicule de fonction sur le trajet de son lieu de travail, se rattache à sa vie professionnelle, même si son temps de travail effectif n'a pas encore débuté ; qu'en décidant néanmoins que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, comme étant fondé sur des faits relevant de la vie personnelle du salarié, après avoir constaté que le salarié avait commis les quatre infractions au code de la route visées par la lettre de licenciement, tandis qu'il se trouvait sur le trajet le conduisant à son lieu de travail, ce dont il se déduisait que les faits reprochés se rattachaient à sa vie professionnelle, peu important que le temps de travail effectif n'ait pas débuté, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

5. La cour d'appel a constaté, d'abord, que les infractions au code de la route avaient été commises durant les temps de trajet durant lesquels le salarié n'était pas à la disposition de l'employeur et, ensuite, que l'outil de travail mis à sa disposition n'avait subi aucun dommage et que le comportement de l'intéressé n'avait pas eu d'incidence sur les obligations découlant de son contrat de travail en tant que mécanicien.

6. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que les infractions au code de la route ne pouvaient être regardées comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations découlant de son contrat, ni comme se rattachant à sa vie professionnelle, la cour d'appel a exactement déduit que ces faits de la vie personnelle ne pouvaient justifier un licenciement disciplinaire.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Seguy - Avocat(s) : SCP Richard ; SARL Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1232-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité de justifier, pour un motif tiré de la vie personnelle, un licenciement disciplinaire s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail, à rapprocher : Soc., 27 mars 2012, pourvoi n° 10-19.915, Bull. 2012, V, n° 106 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 18 octobre 2023, n° 22-18.678, (B), FRH

Cassation

Licenciement – Nullité – Cas – Dénonciation de faits antérieurs au licenciement – Mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement – Lien avec le licenciement – Preuve – Charge – Détermination – Portée

Il résulte des articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail que, lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement, qui ne fait pas mention d'une dénonciation d'un harcèlement moral ou sexuel, caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel.

Dans le cas contraire, lorsque le licenciement n'est pas fondé par une cause réelle et sérieuse, il appartient à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la dénonciation par le salarié d'agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 11 mai 2022), Mme [M] a été engagée en qualité de cuisinière le 14 mars 2019 par la société Crocodile restaurants (la société).

2. La salariée a été licenciée pour faute grave le 18 novembre 2019.

3. Soutenant avoir été licenciée pour avoir dénoncé un harcèlement sexuel, elle a saisi la juridiction prud'homale le 11 février 2020 aux fins de juger son licenciement nul et condamner l'employeur à lui verser diverses sommes à ce titre.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de la salariée nul et de la condamner à lui verser diverses sommes au titre d'un rappel de salaire à la suite de la mise à pied conservatoire, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement, et à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, ainsi qu'à rembourser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à la salariée dans la limite de trois mois de prestations, alors « que lorsque la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, contient plusieurs griefs distincts à l'encontre du salarié, le juge ne peut dire le licenciement injustifié sans avoir examiné chacun des griefs qui y sont énoncés ; qu'en jugeant le licenciement nul au seul motif que « les faits reprochés à la salariée au sein de la lettre de licenciement sont concomitants à la date à laquelle la salariée a déposé plainte », ce dont il se déduit que « la dénonciation de harcèlement sexuel a pesé sur la décision de licenciement », sans examiner les griefs évoqués dans la lettre de licenciement tenant au refus réitéré de la salariée d'accomplir certaines de ses tâches et à ses abandons de postes et actes d'insubordination, lesquels pouvaient à eux seuls justifier son licenciement pour faute grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-6 et L. 1153-3 du code du travail, applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail :

5. Il résulte de ces textes que lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel. Dans le cas contraire, il appartient à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la dénonciation par le salarié d'agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement.

6. Pour prononcer la nullité du licenciement, l'arrêt retient que l'engagement de la procédure de licenciement pour faute grave trouve son origine dans la dénonciation par la salariée de faits de harcèlement sexuel, laquelle a manifestement pesé sur la décision de l'employeur, et que ce dernier n'établit pas que cette dénonciation a été faite de mauvaise foi.

7. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la lettre de licenciement ne fait pas mention d'une dénonciation de faits de harcèlement sexuel, sans rechercher si les motifs énoncés par la lettre de licenciement pour caractériser la faute grave étaient établis par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bérard - Avocat(s) : Me Balat ; Me Occhipinti -

Textes visés :

Articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Soc., 19 avril 2023, pourvoi n° 21-21.053, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 18 octobre 2023, n° 22-11.339, (B), FRH

Cassation

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Demande de l'employeur – Nécessité – Cas – Candidat aux fonctions de délégué du personnel – Régularité de la candidature – Contestation dans le délai de forclusion – Défaut – Détermination

L'employeur qui n'a pas contesté la régularité de la candidature d'un salarié aux élections professionnelles devant le tribunal dans le délai de forclusion prévu par l'article R. 2324-24 du code du travail, n'est pas recevable à alléguer le caractère frauduleux de cette candidature pour écarter la procédure d'autorisation administrative de licenciement prévue par l'article L. 2411-7 du même code.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 2 décembre 2021), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 27 novembre 2019, pourvoi n° 18-16.975), M. [X] a été engagé en qualité d'assistant de vente automobile par la société PWA à compter du 19 juin 2013.

Par lettre reçue le 18 février 2015, le salarié a informé l'employeur de sa candidature aux élections professionnelles.

2. Après avoir été convoqué le 19 février 2015 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, il a été licencié pour faute grave le 10 mars 2015.

3. Invoquant le statut protecteur résultant de sa candidature aux élections professionnelles, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul et violation du statut protecteur, alors « que l'employeur, qui n'a pas contesté la régularité de la candidature d'un salarié à des élections professionnelles dans le délai de forclusion prévu par l'article R. 2324-24 du code du travail, est irrecevable à alléguer du caractère frauduleux de la candidature du salarié pour écarter la procédure prévue par l'article L. 2411-7 du même code ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le salarié avait informé l'employeur de sa candidature par lettre du 16 février 2015, reçue le 18 février suivant et qu'il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement le 19 février 2015, de sorte qu'il bénéficiait de la protection de l'article L. 2411-7 du code du travail, l'employeur n'ayant pas élevé de contestation quant à la régularité de sa candidature ; qu'en jugeant néanmoins que le licenciement n'était pas nul en dépit de l'absence de suivi de la procédure d'autorisation de licenciement, au motif que la candidature aurait été frauduleuse, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-7 et R. 2324-24, en sa version applicable au litige, du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2411-7 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, et l'article R. 2324-24 du code du travail, applicable au litige :

5. Il résulte du second alinéa de l'article L. 2411-7 susvisé, que l'autorisation de licenciement est requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la candidature aux fonctions de membre élu à la délégation du personnel du comité social et économique a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement.

6. Il résulte du dernier alinéa de l'article R. 2324-24 susvisé que lorsque la contestation devant le tribunal porte sur la régularité de l'élection ou sur la désignation de représentants syndicaux, la déclaration de l'employeur n'est recevable que si elle est faite dans les quinze jours suivant cette élection ou cette désignation.

7. Pour rejeter les demandes d'annulation du licenciement et d'indemnisation du salarié, après avoir relevé qu'il ressortait du courrier du salarié du 16 février 2015, reçu le 18 février, qu'il faisait part à l'employeur de sa candidature aux élections du délégué du personnel prévues le 13 mars 2015 et qu'à compter du 18 février 2015, la protection au titre de l'imminence de la candidature était susceptible d'être revendiquée par le salarié, l'arrêt retient que celui-ci considérait, avant de déclarer son intention d'être candidat aux élections des représentants du personnel, que son employeur avait l'intention de rompre la relation de travail, que le fait, non contesté, qu'il a présenté sa candidature avant la rédaction du protocole d'accord pré-électoral et le fait qu'elle soit adressée par lettre du 16 février 2015 à l'employeur, c'est-à-dire quelques jours seulement après celles des 10, 11 et 12 février 2015, démontre que le salarié s'est déclaré candidat aux élections professionnelles dans le seul but de se protéger d'une intention prêtée à l'employeur de rompre son contrat de travail, dans un but frauduleux et que, dans ces conditions, il ne peut prétendre bénéficier du statut protecteur.

8. En statuant ainsi, alors que l'employeur qui n'a pas contesté la régularité de la candidature du salarié devant le tribunal dans le délai de forclusion légalement prévu n'est pas recevable à alléguer le caractère frauduleux de la candidature du salarié pour écarter la procédure d'autorisation administrative de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rinuy (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 2411-7, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, et R. 2324-24, dans sa version applicable au litige, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité pour l'employeur d'appliquer la procédure d'autorisation administrative de licenciement lorsqu'il n'a pas contesté la régularité de la candidature d'un salarié aux élections professionnelles devant le tribunal dans le délai de forclusion, dans le même sens que : Soc., 13 mai 2014, pourvoi n° 13-14.537, Bull. 2014, V, n° 115 (2) (cassation partielle sans renvoi).

Soc., 4 octobre 2023, n° 22-14.126, (B), FRH

Rejet

Retraite – Départ à la retraite – Cas – Accord de gestion prévisionnelle des départs en retraite – Action en contestation de la rupture du contrat de travail – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Portée

Aux termes de l'article L. 1471-1, alinéa 2, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture. Il résulte de ce texte qu'en cas de départ à la retraite d'un salarié, la prescription de l'action en contestation de la rupture court à compter de la date à laquelle il a notifié à l'employeur sa volonté de partir à la retraite. Toutefois, lorsque le départ à la retraite s'inscrit dans un dispositif, auquel a adhéré le salarié, mis en place par un accord collectif réservant expressément une faculté de rétractation de la part du salarié, la prescription de l'action en contestation de la rupture ne court qu'à compter de la rupture effective de la relation de travail.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à Mme [C] veuve [G], Mme [L] [G] et M. [P] [G], en leur qualité d'ayants droit de [J] [G], décédé le [Date décès 2] 2022, de leur reprise d'instance.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 27 janvier 2022), la société Crédit foncier de France (la société) a conclu avec les organisations syndicales représentatives le 20 février 2017 un accord de gestion prévisionnelle des départs en retraite, dit GPDR2, permettant aux salariés concernés de bénéficier d'une aide financière au rachat de trimestres et d'une majoration des indemnités de départ à la retraite.

3. [J] [G], engagé par la société à compter du 19 mars 1979, occupant en dernier lieu le poste de directeur régional d'expertise, a adhéré à cet accord GPDR2 par lettre du 30 juin 2017.

4. Le 26 octobre 2018, la société a conclu un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).

5. Par lettre du 21 décembre 2018, le salarié a révoqué son adhésion à l'accord GPDR2. Cette rétractation ayant été refusée par l'employeur, il a quitté l'entreprise le 1er février 2019.

6. Le 26 juin 2019, il a saisi la juridiction prud'homale afin de dire la rupture de son contrat de travail sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir le paiement de diverses indemnités.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième à sixième branches

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société fait grief à l'arrêt de dire sans cause réelle et sérieuse la rupture du contrat de travail du salarié du 31 janvier 2019, de la condamner au paiement de sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, à titre d'indemnité de licenciement, à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle ni sérieuse, de dire qu'il y avait lieu de déduire la somme versée en février 2019 au titre des indemnités prévues par les articles 11 et 12 de l'accord de GPDR du 20 février 2017 et d'ordonner la rectification du dernier bulletin de paie, alors « que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ; que le délai de prescription de l'action en justice afin de contester une manifestation claire et non équivoque de volonté de partir en retraite court à compter du moment où cette volonté se manifeste, nonobstant l'éventuelle manifestation ultérieure contraire d'y renoncer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, par lettre du 30 juin 2017, M. [G] avait « adhéré de façon irrévocable au dispositif G.P.D.R.2 prévu par l'accord précité et demande le bénéfice des mesures prévues par ce même accord » et avait précisé « être informé que (sa) présente adhésion à G.P.D.R.2 emporte admission à la retraite à (son) initiative » et avoir « sollicité dans ces conditions, sous réserve des nécessités de service, la rupture de (son) contrat de travail en 2018, au plus tard le 31.12.2018 » ; que l'action en justice destinée à remettre en cause cette volonté, engagée en 21 juin 2019, était tardive ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 2219 du code civil et L. 1471-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l'article L. 1471-1, alinéa 2, du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

10. Il résulte de ce texte qu'en cas de départ à la retraite d'un salarié, la prescription de l'action en contestation de la rupture court à compter de la date à laquelle il a notifié à l'employeur sa volonté de partir à la retraite. Toutefois, lorsque le départ à la retraite s'inscrit dans un dispositif, auquel a adhéré le salarié, mis en place par un accord collectif réservant expressément une faculté de rétractation de la part du salarié, la prescription de l'action en contestation de la rupture ne court qu'à compter de la rupture effective de la relation de travail.

11. L'arrêt retient que l'accord GPDR2 du 20 février 2017 prévoit en son article 15 « Expression des collaborateurs », à l'alinéa 3, que « l'engagement pris par le collaborateur sera alors irrévocable, ferme et définitif sauf dans les cas limitatifs suivants sur présentation d'un justificatif : [...] - exercice de la clause de revoyure telle que prévue à l'article 6.1. »

12. L'arrêt retient également que l'article 6.1 dudit accord prévoit, en son alinéa 2, que « dans l'hypothèse, ce qui n'est ni souhaité par la Direction ni d'actualité, où le Crédit Foncier se verrait contraint d'envisager un Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE) sur la période couverte par le présent accord, une réunion de négociation avec les Organisations Syndicales Représentatives serait fixée ».

13. Ayant constaté, d'une part que le salarié avait adhéré, par lettre du 30 juin 2017, au dispositif GPDR2 emportant admission à la retraite à son initiative en 2018, au plus tard au 31 décembre 2018, puis que, par lettre du 21 décembre 2018, il avait renoncé au bénéfice des dispositions de l'accord GPDR2 en se prévalant de l'article 15 dudit accord prévoyant la possibilité de révoquer son consentement dans l'hypothèse de l'exercice de la clause de revoyure prévue à l'article 6.1, d'autre part que la rupture effective de la relation de travail était intervenue le 31 janvier 2019 lors de l'établissement par l'employeur du certificat de travail, la cour d'appel en a exactement déduit que le délai de prescription d'un an courait à compter de cette date, de sorte que l'action engagée le 26 juin 2019 n'était pas prescrite.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 1471-1, alinéa 2, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Soc., 4 octobre 2023, n° 22-13.718, (B), FRH

Rejet

Retraite – Mise à la retraite – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Demande de l'employeur – Salarié ayant atteint l'âge légal – Indemnisation de la perte de l'emploi – Possibilité (non) – Portée

Lorsque la mise à la retraite a été notifiée à un salarié protégé à la suite d'une autorisation administrative accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture. Toutefois l'autorisation administrative de mise à la retraite ne prive pas le salarié du droit de demander réparation du préjudice qui serait résulté d'un harcèlement.

Dans le cas où l'employeur sollicite l'autorisation de mettre à la retraite un salarié protégé, il appartient à l'administration de vérifier si les conditions légales de mise à la retraite sont remplies et si la mesure envisagée n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.

Il s'ensuit que l'autorisation donnée par l'inspecteur du travail de mettre d'office à la retraite un salarié protégé qui a atteint l'âge légal de mise à la retraite d'office, soit 70 ans, fait obstacle à ce que ce salarié demande devant la juridiction prud'homale l'indemnisation de la perte d'emploi consécutive à la rupture du contrat de travail fondée sur une cause objective, quand bien même le salarié invoquerait la décision de l'employeur de mise à la retraite au titre d'un harcèlement moral.

Retraite – Mise à la retraite – Conditions – Age – Atteinte de l'âge légal – Cause objective – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2022), Mme [U] a été engagée en qualité de journaliste à compter du 1er janvier 1974 par l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) avec reprise d'ancienneté.

La société France Télévisions (la société) vient aux droits de l'ORTF et de l'ensemble des sociétés ayant composé le service public de l'audiovisuel, en application de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, et notamment de la société Antenne 2 devenue France 2, finalement absorbée par la société devenue entreprise unique, dans laquelle la salariée a été affectée à compter du 1er janvier 1975.

En dernier lieu, la salariée occupait les fonctions de rédacteur en chef d'une rédaction nationale, palier 2, la relation de travail étant régie par l'accord d'entreprise France télévisions du 28 mai 2013 depuis l'entrée en vigueur de celui-ci.

2. La salariée a par ailleurs exercé plusieurs mandats représentatifs et était notamment en dernier lieu déléguée syndicale centrale et déléguée syndicale d'établissement.

3. Le 9 mai 2016, invoquant notamment une discrimination syndicale et un harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud'homale aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le Syndicat national des journalistes (le syndicat) est intervenu volontairement à l'instance.

4. Le 16 juin 2016, elle a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mise à la retraite, cet entretien s'étant tenu le 24 juin suivant.

Le 6 juillet 2016, le comité d'établissement a émis un avis défavorable à ce projet de mise à la retraite.

5. Le 19 juillet 2016, l'employeur a sollicité l'autorisation de mettre la salariée à la retraite, laquelle lui a été délivrée par l'inspecteur du travail par une décision du 21 septembre 2016 désormais définitive en l'absence de tout recours.

6. Par lettre du 12 octobre 2016, la société a notifié sa mise à la retraite, au visa de l'article L. 1237-5 du code du travail, à la salariée qui avait atteint l'âge de 70 ans le 5 juin 2016.

La salariée est sortie définitivement des effectifs le 31 janvier 2017 au terme du préavis de trois mois.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, quatrième, cinquième et sixième moyens

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

8. La salariée et le syndicat font grief à l'arrêt de débouter la salariée de sa demande tendant à condamner la société à lui verser des dommages-intérêts pour perte d'emploi, alors « que si, lorsque la mise à la retraite d'un salarié protégé a été autorisée par l'inspecteur du travail, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, remettre en cause l'appréciation par l'autorité administrative des conditions légales de la mise à la retraite et du rapport de cette mesure avec les fonctions représentatives exercées ou l'appartenance syndicale du salarié, il demeure en revanche compétent pour vérifier si la décision de l'employeur est la résultante du harcèlement moral exercé par lui, cette vérification échappant au contrôle de l'inspecteur du travail ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande de Mme [U] en paiement de dommages-intérêts pour perte d'emploi fondée sur la circonstance qu'elle avait été mise à retraite par l'employeur en représailles de son action en résiliation judiciaire pour harcèlement moral, à énoncer que l'inspection du travail avait autorisé la mise à la retraite de Mme [U] par une décision désormais définitive du 21 septembre 2016 et qu'il n'appartenait pas au juge judiciaire d'apprécier la validité ou la nullité de la décision de l'inspecteur du travail d'autoriser l'employeur à procéder à la mise à la retraite, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, au regard des contestations de l'exposante invoquant la situation de harcèlement moral qu'elle avait subie et dont l'acte ultime était sa mise à la retraite en représailles de son action en résiliation judiciaire, il ne lui appartenait pas de vérifier si cette ultime décision de l'employeur n'était pas la résultante du harcèlement moral exercé sur la salariée, ce qui justifiait qu'elle retienne sa compétence pour statuer sur ce chef de demande, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des pouvoirs. »

Réponse de la Cour

9. Lorsque la mise à la retraite a été notifiée à un salarié protégé à la suite d'une autorisation administrative accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture. Toutefois l'autorisation administrative de mise à la retraite ne prive pas le salarié du droit de demander réparation du préjudice qui serait résulté d'un harcèlement.

10. Dans le cas où l'employeur sollicite l'autorisation de mettre à la retraite un salarié protégé, il appartient à l'administration de vérifier si les conditions légales de mise à la retraite sont remplies et si la mesure envisagée n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.

11. Il s'ensuit que l'autorisation donnée par l'inspecteur du travail de mettre d'office à la retraite un salarié protégé qui a atteint l'âge légal de mise à la retraite d'office, soit 70 ans, fait obstacle à ce que ce salarié demande devant la juridiction prud'homale l'indemnisation de la perte d'emploi consécutive à la rupture du contrat de travail fondée sur une cause objective, quand bien même le salarié invoquerait la décision de l'employeur de mise à la retraite au titre d'un harcèlement moral.

12. La cour d'appel qui a constaté, d'une part que la salariée avait été convoquée à un entretien préalable à sa mise à la retraite le 16 juin 2016 après son soixante-dixième anniversaire intervenu le 5 juin 2016, d'autre part que l'inspecteur du travail avait, par décision du 21 septembre 2016 devenue définitive, autorisé la mise à la retraite de la salariée, a à bon droit débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour perte d'emploi.

13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 1237-5 du code du travail.

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