Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2023

CONFLIT DE JURIDICTIONS

Com., 4 octobre 2023, n° 22-12.128, (B), FRH

Rejet

Effets internationaux des jugements – Ouverture d'une liquidation judiciaire – Décision d'un Etat membre de l'Union européenne – Effets – Interruption de l'instance – Cas – Action en indemnisation d'assurance – Portée

Déchéance du pourvoi en ce qu'il est formé contre l'arrêt du 2 décembre 2020, examinée d'office

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

1. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application du texte susvisé.

2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance du pourvoi, le demandeur en cassation doit, dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

3. Le 15 février 2022, M. [N], en qualité de liquidateur de la société Corse discount Ajaccio, et M. [D], en qualité de liquidateur de la société Corse discount diffusion, se sont pourvus contre deux arrêts rendus par la cour d'appel de Bastia, les 2 décembre 2020 et 15 décembre 2021.

4. Le mémoire qu'ils ont déposé dans le délai de quatre mois ne comporte aucun moyen de droit contre l'arrêt du 2 décembre 2020.

5. Dès lors, il y a lieu de constater la déchéance de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre cet arrêt.

Faits et procédure

6. Selon les arrêts attaqués (Bastia, 2 décembre 2020 et 15 décembre 2021), le 20 juillet 2012, des locaux commerciaux appartenant à Mmes [W] et [I] [A], et exploités par les sociétés Corse discount diffusion et Corse discount Ajaccio (les sociétés), ont été détruits par des incendies.

Les sociétés ont demandé en vain à leur assureur, la société de droit danois Alpha Group, devenue Alpha Insurance A/S (la société Alpha), de les indemniser de leurs préjudices.

7. Le 28 juin 2013, les sociétés ont assigné la société Alpha en paiement devant le tribunal de commerce de Bastia.

8. Les 11 février et 10 mars 2014, les sociétés ont été mises en liquidation judiciaire, M. [N] étant désigné liquidateur de la société Corse discount Ajaccio, et M. [D] étant désigné liquidateur de la société Corse discount diffusion.

9. Le 8 mai 2018, un jugement rendu par une juridiction danoise a déclaré la société Alpha en faillite.

10. Le 2 décembre 2019, M. [N], ès qualités, et M. [D], ès qualités, ont assigné en intervention forcée M. [B], syndic de la société Alpha.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches

11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui sont irrecevables.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

12. M. [N], ès qualités, et M. [D], ès qualités, font grief à l'arrêt du 15 décembre 2021 de déclarer irrecevables leurs demandes présentées à l'encontre de M. [B], ès qualités, alors « qu'il résulte du paragraphe 1 de l'article 274 de la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, dite Solvabilité II, que, sauf dispositions contraires des articles 285 à 292, la décision d'ouvrir une procédure de liquidation d'une entreprise d'assurance, la procédure de liquidation et leurs effets sont régis par le droit applicable dans l'État membre d'origine, c'est-à-dire par la loi de l'État membre dans lequel l'entreprise d'assurance a été agréée et a son siège social ; qu'il résulte du paragraphe 2, sous g) du même article que le droit de l'État membre d'origine détermine au moins les règles concernant la production, la vérification et l'admission des créances ; qu'en considérant, pour rejeter le moyen pris par les exposants de ce que la mise en cause du mandataire liquidateur de la société de droit danois Alpha Insurance dans l'instance française en paiement de l'indemnité d'assurance valait déclaration de créance, d'une part, que « l'absence de déclaration des créances a pour effet, en application de l'article L. 622-26 du code de commerce de rendre inopposable la créance non déclarée au passif en ces termes « les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie », ce qui signifie que les créanciers ne pourront pas s'en prévaloir y compris durant le plan de redressement et y compris dans le cadre d'une compensation » et, d'autre part, que « l'assignation en reprise d'une instance en cours délivrée en application de l'article L. 622-22 du code de commerce, serait-elle accompagnée de conclusions tendant à la fixation par la juridiction saisie de cette instance de la créance du demandeur, ce que les intimées ne prouvent pas, ne vaut pas - contrairement à ce qu'ils affirment dans leurs écritures - déclaration de créance entre les mains du mandataire judiciaire, celle-ci ne pouvant résulter que d'un acte distinct conformément à l'article R. 622-20 du même code », la cour d'appel, qui a ainsi fait application de la loi française pour déterminer les conditions de production d'une créance à la liquidation de l'assureur danois et leur sanction, quand de telles questions étaient régies par la loi danoise applicable dans l'État membre dans lequel l'entreprise d'assurance a été agrée et a son siège social, a ainsi violé par fausse application l'article L. 326-8 du code des assurances, tel qu'interprété à la lumière de l'article 274 de la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, dite Solvabilité II. »

Réponse de la Cour

13. Aux termes de l'article L. 326-20 du code des assurances, issu de l'ordonnance n° 2015-378 du 2 avril 2015 transposant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (la directive Solvabilité II), les décisions concernant l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire prises par les autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France à l'égard d'une entreprise d'assurance ayant son siège sur le territoire de cet Etat produisent tous leurs effets sur le territoire de la République française sans aucune autre formalité, y compris à l'égard des tiers, dès lors qu'elles produisent leurs effets dans cet Etat.

14. Selon l'article L. 326-28 du même code, issu de la même ordonnance, transposant l'article 292 de la directive Solvabilité II, les effets de la mesure d'assainissement ou de l'ouverture de la procédure de liquidation sur une instance en cours en France concernant un bien ou un droit dont l'entreprise d'assurance est dessaisie sont régis exclusivement par les dispositions du code de procédure civile.

15. Il résulte des articles 369 et 371 du code de procédure civile que l'instance est interrompue par l'effet du jugement qui prononce la liquidation judiciaire dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur, dès lors que cet événement survient avant l'ouverture des débats.

16. Il découle de la combinaison des articles L. 622-22 et L. 641-3 du code de commerce que, par l'effet du jugement qui ouvre la procédure de liquidation judiciaire, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur, dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant. Il s'en déduit que la reprise de l'instance en cours par le créancier est subordonnée à deux conditions, la déclaration de créance et la mise en cause des organes de la procédure collective.

17. Par son arrêt du 13 janvier 2022 (CJUE, arrêt du 13 janvier 2022, Paget Approbois et Alpha Insurance, C-724/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 292 de la directive Solvabilité II doit être interprété en ce sens que « la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel l'instance est en cours, au sens de cet article, a pour objet de régir tous les effets de la procédure de liquidation sur cette instance » et en particulier, qu'« il convient d'appliquer les dispositions du droit de cet Etat membre qui, premièrement, prévoient que l'ouverture d'une telle procédure entraîne l'interruption de l'instance en cours, deuxièmement, soumettent la reprise de l'instance à la déclaration au passif de l'entreprise d'assurance, par le créancier, de sa créance d'indemnité d'assurance et à l'appel en cause des organes chargés de mettre en oeuvre la procédure de liquidation et, troisièmement, interdisent toute condamnation au paiement de l'indemnité, celle-ci ne pouvant plus faire l'objet que d'une constatation de son existence et d'une fixation de son montant, dès lors que, en principe, de telles dispositions n'empiètent pas sur la compétence réservée au droit de l'Etat membre d'origine, en application de l'article 274, paragraphe 2, de ladite directive. »

18. Après avoir relevé, d'une part, que, selon la loi danoise, les créanciers disposent d'un délai de deux semaines après la publication au journal officiel danois pour rapporter la preuve de leur créance, d'autre part, que les liquidateurs n'avaient pas déclaré la créance des sociétés auprès des organes de la procédure de faillite de la société Alpha, la cour d'appel, qui n'a pas fait application de la loi française pour déterminer les conditions de production d'une créance à la liquidation de l'assureur danois et leur sanction, mais a, en revanche, appliqué à bon droit cette même loi pour déterminer les effets de la procédure de liquidation sur une instance en cours, a exactement retenu, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants tirés des dispositions de l'article L. 622-26 du code de commerce, que l'instance en cours dont elle était saisie, interrompue en application de l'article L. 622-22 du même code jusqu'à ce que les liquidateurs aient procédé à la déclaration de leurs créances, n'avait pas été reprise en l'absence d'une telle déclaration, l'assignation en intervention forcée du mandataire de justice ne valant pas déclaration de créance.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia du 2 décembre 2020 ;

REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt du 15 décembre 2021.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles 274, § 2, et 292 de la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, dite Solvabilité II ; article L. 326-28 du code des assurances ; articles 369 et 371 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur les effets sur les instances en cours d'une procédure collective ouverte dans un pays membre de l'Union européenne, à rapprocher : 2e Civ., 25 mai 2022, pourvoi n° 19-12.048, Bull., (cassation).

Com., 11 octobre 2023, n° 21-11.574, (B), FRH

Annulation sans renvoi

Impôts et taxes – Recouvrement – Assistance internationale – Contestation relative à la validité de l'instrument uniformisé – Compétence – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), par lettre du 8 mars 2019, la direction des créances spéciales du Trésor a adressé à M. [R] un instrument uniformisé émanant des autorités allemandes, permettant le recouvrement d'une créance fiscale en application de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures.

2. M. [R] a assigné l'administration fiscale aux fins d'obtenir l'annulation de cet instrument uniformisé devant le juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance, qui a déclaré sa demande irrecevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande d'annulation de la notification de l'instrument uniformisé européen par l'Etat français

Enoncé du moyen

3. M. [R] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'annulation de la notification par l'Etat français de l'instrument uniformisé, alors « qu'en cas d'assistance au recouvrement pour toute créance visée à la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010, l'émission d'un instrument uniformisé permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'Etat membre requis est subordonnée à la condition que la créance faisant l'objet du titre de recouvrement ait été préalablement notifiée au débiteur dans la langue de l'Etat requis de telle manière qu'il soit en mesure de la contester utilement par l'exercice d'un recours juridictionnel effectif auprès des juridictions de l'Etat requérant ; qu'il s'ensuit que le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable imposent au juge de l'exécution de l'Etat requis de refuser d'accorder son assistance à l'Etat requérant dès lors que le débiteur n'a pas été en mesure de contester utilement la créance qui ne lui a pas été notifié régulièrement, à défaut d'avoir été informé des motifs qui fondaient cette créance dans la langue de l'Etat requis qu'il comprenait, préalablement à l'émission de l'instrument uniformisé ; qu'en considérant, sur le fondement de l'article L. 283 C du livre des procédures fiscales, qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la régularité de la notification préalable de la décision administrative allemande du 30 août 2018, en l'absence de mesures conservatoires ou d'exécution prises en France sur le fondement de l'instrument uniformisé, ou de contestation portant sur la régularité de la notification de l'instrument uniformisé, quand M. [R] a soutenu à cet égard que le Finanzmat lui avait notifié une créance d'un montant de 633 949,73 euros par une décision du 30 août 2018 non traduite, dans des conditions qui ne lui ont pas permis d'exercer en temps utile un recours juridictionnel effectif, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article L. 283 C, V et VI, du livre des procédures fiscales »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel n'ayant pas, contrairement aux allégations du moyen, statué sur une demande d'annulation de la notification par les autorités françaises de l'instrument uniformisé émis par les autorités allemandes, dont elle n'était pas saisie, le moyen doit être rejeté.

Mais sur le moyen d'incompétence relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 76, alinéa 2, du même code.

Vu l'article R. 283 C-3 du livre des procédures fiscales :

6. Il résulte de ce texte, qui transpose l'article 14, § 2, de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, que la contestation relative à la validité de l'instrument uniformisé permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'Etat membre requis est portée par son destinataire devant l'instance compétente de l'Etat membre requérant.

7. L'arrêt relève que la demande formée par M. [R] tend à l'annulation de l'instrument uniformisé émanant des autorités allemandes en soutenant que la décision administrative allemande du 30 août 2018 à l'origine de la demande d'assistance mutuelle au recouvrement ne lui a pas été régulièrement notifiée.

8. Il s'en déduit que cette contestation, qui porte sur la validité de l'instrument uniformisé, relève de la compétence de l'instance allemande compétente.

9. Il convient, dès lors, d'annuler l'arrêt attaqué, de constater l'incompétence des juridictions françaises pour statuer sur cette contestation et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y a lieu de statuer sur le moyen en tant qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande d'annulation de l'instrument uniformisé, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, par la cour d'appel de Paris ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare les juridictions françaises incompétentes ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lion - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article R. 283 C-3 du livre des procédures fiscales.

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