Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 10 - Octobre 2023

BAIL RURAL

3e Civ., 26 octobre 2023, n° 21-24.231, (B), FS

Cassation partielle

Bail à ferme – Contrôle des structures – Refus d'autorisation d'exploiter – Mise en demeure de cesser l'exploitation – Nullité du bail – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination

L'action en nullité d'un bail formée sur le fondement de l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître qu'était expiré le délai imparti, dans la mise en demeure prévue par l'article L. 331-7 de ce code, au preneur contrevenant au contrôle des structures pour régulariser sa situation.

Bail à ferme – Contrôle des structures – Autorisation préalable d'exploiter – Titulaires – Associé d'une société agricole – Rachat de parts dans une autre société – Agrandissement de l'exploitation – Conditions – Détermination

Lorsqu'une personne physique, déjà associé d'une société agricole, devient associé d'une autre société agricole et que la surface cumulée exploitée par les deux sociétés dépasse le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles, la demande d'autorisation d'exploiter doit être présentée par le nouvel associé, qui procède ainsi à un agrandissement de son exploitation, et non par la société dont il a racheté des parts.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société civile d'exploitation agricole Les Forges (la SCEA) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le groupement foncier agricole CDMO (le GFA).

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 septembre 2021) et les productions, l'exploitation agricole à responsabilité limitée Oudart, devenue la SCEA, a conclu deux baux ruraux, l'un, par acte du 30 décembre 2011 avec Mme [L], et, l'autre, par acte du 30 novembre 2012 avec la société civile immobilière CDMO (la SCI).

3. En 2018, M. [H], déjà exploitant et associé de la société à objet agricole du Valquenet, est devenu associé exploitant de la SCEA.

4. Le 2 avril 2019, Mme [L] et la SCI, devenue le GFA, ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en nullité des baux sur le fondement de l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime.

5. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 17 décembre 2019, l'autorité administrative a mis en demeure « M. [H], la SCEA » de présenter une demande d'autorisation dans un délai d'un mois.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La SCEA fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes de Mme [L], alors « qu'en matière d'action en nullité, le délai de prescription quinquennal commence à courir à compter du jour où l'acte litigieux a été passé ; que s'agissant de l'action tendant à obtenir l'annulation d'un bail rural, faute pour le preneur d'avoir obtenu une autorisation d'exploiter, le point de départ du délai de prescription correspond à la date de conclusion du bail, le preneur étant à cet égard tenu de faire connaître au bailleur, au moment de la conclusion du bail, la superficie et la nature des biens qu'il exploite ; qu'en l'espèce, la SCEA Les Forges faisait valoir que l'action introduite par Mme [L], épouse [U], devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Caen le 2 avril 2019, était irrecevable, le délai de prescription ayant commencé à courir à compter du 30 décembre 2011 date à laquelle le bail litigieux avait été passé ; qu'en jugeant que le fait générateur constituant le point de départ du délai de prescription devait être fixé au 29 juin 2016, date à laquelle M. [H], qui exploitait déjà une superficie de 353,85 ha au sein de la SCEA du Valquenet, avait repris l'exploitation des parcelles exploitées par l'EARL Oudart d'une contenance de 30,87 ha, quand le point de départ du délai de prescription correspondait à la date à laquelle le bail rural avait été conclu, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. Selon l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime, si le preneur est tenu d'obtenir une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 331-2 du même code, la validité du bail est subordonnée à l'octroi de cette autorisation.

Le refus définitif de l'autorisation ou le fait de ne pas avoir présenté la demande d'autorisation exigée en application de cet article dans le délai imparti par l'autorité administrative en application du premier alinéa de l'article L. 331-7 de ce code emporte la nullité du bail que le préfet du département dans lequel se trouve le bien objet du bail, le bailleur ou la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, lorsqu'elle exerce son droit de préemption, peut faire prononcer par le tribunal paritaire des baux ruraux.

9. Selon l'article L. 331-7 du même code, lorsqu'elle constate qu'un fonds est exploité contrairement aux règles du contrôle des structures, l'autorité administrative met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine et qui ne saurait être inférieur à un mois.

La mise en demeure prescrit à l'intéressé soit de présenter une demande d'autorisation, soit, si une décision de refus d'autorisation est intervenue, de cesser l'exploitation des terres concernées.

10. La Cour de cassation juge, en application de ces deux derniers textes, que l'exercice de l'action en nullité du bail rural, ouverte par l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime, suppose, dans tous les cas, que le locataire contrevenant au contrôle des structures ait été mis en demeure et que le délai imparti soit expiré (3e Civ., 31 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.350, Bull. 2007, III, n° 186 ; 3e Civ., 12 décembre 2012, pourvoi n° 11-24.384, Bull. 2012, III, n° 184).

11. Il en résulte que l'action en nullité d'un bail formée sur le fondement de l'article L. 331-6 précité se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître qu'était expiré le délai imparti au locataire, dans la mise en demeure prévue par l'article L. 331-7 précité, pour régulariser sa situation.

12. En l'espèce, l'arrêt constate que la demande en justice date du 2 avril 2019 et la mise en demeure, qui a nécessairement précédé la date à compter de laquelle Mme [L] a eu connaissance de l'expiration du délai qu'elle impartissait, du 17 décembre 2019.

L'action en nullité n'est donc pas prescrite.

13. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

14. La SCEA fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du bail consenti par Mme [L], alors « que l'associé exploitant doit seul demander une autorisation administrative d'exploiter lorsque la surface cumulée de l'exploitation nouvellement exploitée et celle des terres qu'il exploitait seul, quelle que soit la forme juridique de cette exploitation, dépasse le seuil au-delà duquel une autorisation d'exploiter est nécessaire au titre du contrôle des structures ; que, dès lors, en jugeant qu'il appartenait à la SCEA Les Forges et non à M. [H], associé exploitant qui exploitait par ailleurs des parcelles d'une contenance de 353 ha au travers de la SCEA du Valquenet, de solliciter une autorisation d'exploitation, quand il résultait de ses propres énonciations que seul M. [H] devait solliciter une telle autorisation en sa qualité d'associé exploitant, ce que confirmaient du reste les termes de la mise en demeure de la DDTM du Calvados du 17 décembre 2019, qui lui était personnellement adressée, la cour d'appel a violé l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

15. Mme [L] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau en ce qu'il modifie l'objet des prétentions de la SCEA, celle-ci n'ayant pas sollicité le rejet de sa demande en nullité.

16. Cependant, l'absence de prétention opposée en défense à une demande ne rend pas irrecevable le moyen faisant grief à l'arrêt de l'avoir accueillie.

17. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 331-1, alinéa 1, L. 331-1-1, 1° et 2°, L. 331-2, I, 1°, dans leur version issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, L. 331-6 et R. 331-1, dans sa version issue du décret n° 2015-713 du 22 juin 2015, du code rural et de la pêche maritime :

18. Aux termes du premier de ces textes, le contrôle des structures des exploitations agricoles s'applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d'une exploitation agricole, quels que soient la forme ou le mode d'organisation juridique de celle-ci et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée.

19. Aux termes du deuxième, est qualifié d'exploitation agricole l'ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique, dont les activités sont mentionnées à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime.

Est qualifié d'agrandissement d'exploitation ou de réunion d'exploitations au bénéfice d'une personne le fait, pour celle-ci, mettant en valeur une exploitation agricole à titre individuel ou dans le cadre d'une personne morale, d'accroître la superficie de cette exploitation.

20. Aux termes du dernier, pour l'application des dispositions du 1° de l'article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime, une personne associée d'une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de ces unités de production.

21. Aux termes du troisième, sont soumises à autorisation préalable les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

22. Le Conseil d'Etat a jugé que le rachat, par une personne physique, de parts d'une société à objet agricole, si elle participe effectivement aux travaux en son sein, constitue un agrandissement de son exploitation, soumis à autorisation préalable si la surface totale qu'elle envisage de mettre en valeur, incluant les surfaces exploitées par cette société, excède le seuil fixé par le schéma directeur des structures (CE, 2 juillet 2021, n° 432801, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 30 novembre 2021, n° 439742, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

23. Il en résulte que, dans cette hypothèse, la demande d'autorisation doit être présentée par le nouvel associé, qui procède ainsi à un agrandissement de son exploitation, et non par la société.

24. Selon le quatrième de ces textes, si le preneur est tenu d'obtenir une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, la validité du bail est subordonnée à l'octroi de cette autorisation.

Le refus définitif de l'autorisation ou le fait de ne pas avoir présenté la demande d'autorisation exigée en application de cet article dans le délai imparti par l'autorité administrative en application du premier alinéa de l'article L. 331-7 du même code emporte la nullité du bail que le préfet du département dans lequel se trouve le bien objet du bail, le bailleur ou la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, lorsqu'elle exerce son droit de préemption, peut faire prononcer par le tribunal paritaire des baux ruraux.

25. En l'espèce, pour prononcer la nullité du bail consenti par Mme [L], l'arrêt retient qu'en dépit d'une mise en demeure par l'autorité administrative, la SCEA n'a pas présenté de demande d'autorisation à la suite de l'entrée de M. [H] à son capital en 2016, alors qu'il s'agit d'une opération d'agrandissement de son exploitation au sens des dispositions de l'article L. 331-1-1, 2°.

26. En statuant ainsi, alors que la SCEA n'était pas tenue de présenter une demande d'autorisation en raison du rachat par M. [H] de ses parts sociales, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables les demandes de Mme [L] et statue sur les demandes du groupement foncier agricole CDMO, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Davoine - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles L. 331-6 et L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime ; articles L. 331-1, alinéa 1, L. 331-1-1, 1° et 2°, L. 331-2, I, 1°, dans leur version issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, L. 331-6 et R. 331-1, dans sa version issue du décret n° 2015-713 du 22 juin 2015, du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 12 décembre 2012, pourvoi n° 11-24.384, Bull. 2012, III, n° 184 (cassation partielle), et l'arrêt cité. CE, 2 juillet 2021, n° 432801, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 30 novembre 2021, n° 439742, mentionné aux tables du Recueil Lebon.

3e Civ., 12 octobre 2023, n° 21-20.212, (B), FS

Cassation partielle

Bail à ferme – Résiliation – Sous-location ou cession illicite – Mise à disposition d'une société d'exploitation agricole – Participation aux travaux de façon effective et permanente du preneur – Défaut – Effets – Action en résiliation – Conditions – Détermination

Le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d'une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société et procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°, du code rural et de la pêche maritime, sans être tenu de démontrer un préjudice.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 27 mai 2021), M. [F] (le preneur) a mis à la disposition de l'exploitation agricole à responsabilité limitée Univers Ponies (l'EARL), dont il est associé, des parcelles données à bail rural par Mme [L] (la bailleresse).

2. Le 16 novembre 2015, le preneur a demandé à la bailleresse l'autorisation de céder le bail à sa fille, Mme [F], associée exploitante de l'EARL.

3. Le 25 novembre 2015, la bailleresse a délivré au preneur un congé pour reprise aux fins d'exploitation personnelle à effet au 31 mars 2018.

4. Le 15 mars 2016, le preneur a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en nullité du congé.

La bailleresse a demandé, à titre reconventionnel, la résiliation du bail.

5. Le 1er mars 2017, M. [F] et Mme [F] (les consorts [F]) ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en autorisation de cession du bail.

6. Les instances ont été jointes.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. Les consorts [F] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'autorisation de cession du bail, alors « que la seule option pour le statut d'associé non exploitant dans la société bénéficiaire de la mise à disposition du bail ne suffit pas à établir l'absence de participation effective et permanente du preneur à l'exploitation des parcelles louées ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de la cour que M. [H] [F] est toujours associé de l'EARL Univers Ponies, bénéficiaire de la mise à disposition des parcelles louées dont il est désormais salarié ; qu'en déduisant cependant du seul fait qu'il avait pris sa retraite et n'avait plus la qualité d'associé exploitant de ladite EARL un défaut de participation de M. [F] à l'exploitation des terres louées sans vérifier, comme elle y était expressément invitée par les conclusions des exposants faisant valoir et témoignages à l'appui s'il n'était pas le seul à s'occuper des cultures qui était sous sa responsabilité, s'il était toujours affilié à la MSA ; s'il ne participait pas encore de manière effective aux activités équestres de l'EARL et donc à la mise en valeur des biens donnés à bail et si durant l'arrêt maladie de Mme [R] [F], il ne s'était pas occupé seul de la gestion de l'exploitation, ce dont il se déduisait qu'il participait toujours effectivement à la mise en valeur des terres loués même s'il n'avait plus la qualité d'associé exploitant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-35 et L. 411-37 du code rural. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a, d'abord, constaté que le preneur avait pris sa retraite à compter du 1er mai 2012 et était devenu à cette date salarié de l'EARL en qualité d'enseignant à temps partiel, ensuite, relevé que seule sa fille figurait dans les statuts en qualité d'associé exploitant, enfin, retenu que les attestations produites par les consorts [F] étaient insuffisantes pour démontrer que le preneur se consacrait à l'exploitation effective et permanente des biens donnés à bail.

9. Elle en a souverainement déduit, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, que le preneur avait manqué à son obligation de participer aux travaux de façon effective et permanente au sens de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime et a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en résiliation du bail, alors « que constitue une cession illicite du bail à un tiers, sanctionnée par sa résiliation, la cessation par le preneur, associé d'une société au profit de laquelle les parcelles données à bail ont été mises à disposition, de leur exploitation effective et permanente ; qu'en refusant de prononcer la résiliation du bail pour cession prohibée à l'EARL Univers Ponies, motif pris qu'elle n'était pas établie, après avoir pourtant constaté que M. [F], preneur retraité, salarié et associé non exploitant de l'EARL Univers Ponies, bénéficiaire de la mise à disposition des parcelles données à bail, avait cessé de se consacrer à leur exploitation effective et permanente, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-31 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime :

11. Selon le deuxième de ces textes, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur.

12. Selon le dernier, le preneur, associé d'une société à objet principalement agricole qui met à la disposition de celle-ci tout ou partie des biens dont il est locataire, doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation.

13. Selon le premier, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie soit d'une contravention aux dispositions de l'article L. 411-35, soit, si elle est de nature à porter préjudice au bailleur, d'une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37.

14. Le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d'une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société et procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit.

15. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°, sans être tenu de démontrer un préjudice.

16. Pour rejeter la demande de résiliation formée par la bailleresse pour cession prohibée, l'arrêt retient que, si le preneur ne participe plus aux travaux de façon effective et permanente, l'existence d'une cession prohibée du bail au profit de l'EARL n'est pas établie.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de résiliation du bail, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Davoine - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime.

3e Civ., 12 octobre 2023, n° 21-22.101, (B), FS

Rejet

Bail à ferme – Résiliation – Sous-location ou cession illicite – Mise à disposition d'une société d'exploitation agricole – Participation aux travaux de façon effective et permanente du preneur – Défaut – Effets – Action en résiliation – Conditions – Détermination

Le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d'une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société et procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°, du code rural et de la pêche maritime, sans être tenu de démontrer un préjudice.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 juin 2021), M. [O] [D] a mis à la disposition de la société civile d'exploitation agricole Les Coudrées (la SCEA), dont il est associé, des parcelles données à bail rural par MM. [R] et [Z] [N] (les bailleurs).

2. Après que M. [O] [D] leur eut adressé une lettre dans laquelle il indiquait ne plus exploiter les terres données à bail, les bailleurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation des baux.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [O] [D] fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors :

« 1°/ que le défaut d'exploitation de parcelles données à bail rural ne peut entraîner la résiliation du contrat qu'à la condition qu'un préjudice en soit résulté pour le bailleur, et que l'exploitation du fonds rural ait été compromise ; qu'en se bornant à relever, pour prononcer la résiliation des baux ruraux concédés par les consorts [N] à M. [D], que ce dernier n'exploitait plus les terres, sans constater qu'un tel défaut d'exploitation par M. [D] aurait causé un préjudice aux bailleurs et compromis la bonne exploitation du fonds rural, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-31 et L. 411-37 du code rural ;

2°/ que la mise à disposition, par un preneur à bail rural, des terres louées à une SCEA, ne constitue pas une cession de bail ; qu'en imputant à faute à M. [D], pour prononcer la résiliation des baux, une prétendue cession des baux sans l'autorisation des consorts [N], quand la mise à disposition des terres louées à une SCEA ne constituait en rien une cession de bail, la cour d'appel a violé les articles L. 411-31, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur.

5. Selon l'article L. 411-37 du même code, le preneur, associé d'une société à objet principalement agricole, qui met à la disposition de celle-ci tout ou partie des biens dont il est locataire, doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation.

6. Selon l'article L. 411-31, II, 1° et 3°, de ce code, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie soit d'une contravention aux dispositions de l'article L. 411-35, soit, si elle est de nature à porter préjudice au bailleur, d'une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37.

7. Le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d'une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société et procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit.

8. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 1°, sans être tenu de démontrer un préjudice.

9. Ayant constaté, d'une part, que M. [O] [D], qui travaillait depuis le 18 mai 2019 en qualité d'apprenti, avait informé les bailleurs, le 5 octobre 2019, ne plus exploiter les terres louées et ne plus être exploitant agricole, d'autre part, qu'un témoin attestait que, depuis l'été 2019, il ne se rendait plus sur ces terres, la cour d'appel a, d'abord, souverainement retenu qu'il n'exploitait plus lui-même les terres données à bail.

10. Elle a, ensuite, relevé que, le 10 juillet 2019, M. [B] [D], son père, avait été désigné gérant de la SCEA, dont 95 % des parts lui avaient été transférées, et qu'il ressortait d'un procès-verbal d'un huissier de justice que celui-ci exploitait les terres.

11. De ces constatations et énonciations, dont il résultait que le manquement du preneur à son obligation de participer aux travaux de façon effective et permanente au sens de l'article L. 411-37 constituait une cession prohibée par l'article L. 411-35, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de constater l'existence d'un préjudice pour les bailleurs, a exactement déduit que les baux devaient être résiliés.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Bosse-Platière - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime.

3e Civ., 26 octobre 2023, n° 21-25.745, (B), FS

Cassation partielle

Statut du fermage et du métayage – Bail à long terme – Conclusion – Conditions – Preneur à moins de neuf ans de l'âge de la retraite – Possibilité – Portée

L'article L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime ne fait pas obstacle à la conclusion d'un bail à long terme par un preneur qui se trouve à moins de neuf ans de l'âge de la retraite, un tel bail est d'une durée minimale de dix-huit ans.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 12 octobre 2021), par acte du 11 mars 2005, M. [J] (le bailleur) a donné à bail rural à l'exploitation agricole à responsabilité limitée [I] [D] (l'EARL), dont M. [D] est le gérant, des parcelles agricoles.

2. Par acte du 7 avril 2015, il a donné à bail rural à long terme les mêmes parcelles, diminuées de l'emprise d'une ligne ferroviaire nouvellement construite, à M. [D] (le preneur), celui-ci acceptant de régler personnellement un arriéré locatif dû par l'EARL.

3. Le 2 novembre suivant, le preneur, ayant atteint l'âge de la retraite, a libéré les lieux, après avoir délivré un congé.

4. Le 22 mars 2018, il a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en nullité du bail du 7 avril 2015 et en remboursement d'une somme recouvrée, au moyen de mesures d'exécution forcée mises en oeuvre sur ses biens, par le bailleur en vertu de ce bail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le bailleur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du bail rural à long terme, alors « que les nullités sont d'interprétation stricte ; qu'aucune disposition ne sanctionne de nullité le bail rural à long terme dont le preneur est à moins de neuf ans de la retraite, la loi se bornant à imposer une durée minimale de 18 ans ; qu'en accueillant le moyen invoqué par M. [D], pris de la nullité du bail rural authentique à long terme du 7 avril 2015 sur le fondement de l'article L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime, après avoir constaté que le preneur était alors âgé de 61 ans, au motif erroné « qu'un bail à long terme ne peut valablement être consenti à un preneur qui est à moins de neuf ans de l'âge de la retraite, étant rappelé que la faculté pour les parties de mettre fin au bail à l'expiration de chaque période annuelle à partir de celle où le preneur a atteint l'âge de la retraite ne peut être exercée pendant la période initiale de neuf ans du bail à long terme », la cour d'appel a violé les articles L. 416-1 et L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 416-1 et L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime :

6. Selon le premier de ces textes, le bail à long terme est conclu pour une durée d'au moins dix-huit ans. Il est renouvelable par période de neuf ans dans les conditions prévues à l'article L. 411-46 du code rural et de la pêche maritime et sans préjudice, pendant lesdites périodes, de l'application des articles L. 411-6, L. 411-7 et L. 411-8, alinéa 1, du même code.

Le bailleur qui entend s'opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur dans les conditions prévues à l'article L. 411-47 de ce code. Toutefois, lorsque le preneur a atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, chacune des parties peut, par avis donné au moins dix-huit mois à l'avance, refuser le renouvellement de bail ou mettre fin à celui-ci à l'expiration de chaque période annuelle à partir de laquelle le preneur aura atteint ledit âge, sans être tenu de remplir les conditions énoncées à la section VIII du chapitre Ier du titre Ier de ce code.

7. Selon le second, un preneur qui est à plus de neuf ans et à moins de dix-huit ans de l'âge de la retraite peut conclure un bail à long terme d'une durée égale à celle qui doit lui permettre d'atteindre l'âge de la retraite.

8. Le moyen pose la question de savoir si un bail à long terme peut être conclu par un preneur qui est à moins de neuf ans de l'âge de la retraite.

9. Aucun texte ne l'interdit ou ne l'autorise expressément.

10. L'article L. 416-4 précité peut recevoir deux interprétations différentes.

11. Selon une interprétation a contrario, il faut considérer qu'en spécifiant que le preneur qui est à plus de neuf ans de l'âge de la retraite peut conclure un bail à long terme, l'article L. 416-4 exclut la possibilité de consentir un tel bail à un preneur qui atteindra plus tôt cet âge.

12. La seconde interprétation retient que l'article L. 416-4 se borne à déroger, dans l'hypothèse d'un preneur qui est à plus de neuf ans et à moins de dix-huit ans de l'âge de la retraite, à la durée minimale de dix-huit ans fixée à l'article L. 416-1. Il s'en déduit alors que, si un preneur qui est à moins de neuf ans de l'âge de la retraite peut conclure un bail à long terme, la durée du bail ne peut, dans ce cas, être inférieure à dix-huit ans, sans possibilité au surplus d'y mettre fin avant le terme en usant de la faculté de résiliation annuelle prévue, lorsque le preneur a atteint l'âge de la retraite, par l'article L. 416-1 (3e Civ., 5 avril 1995, pourvoi n° 93-16.260, Bull. 1995, III, n° 96).

13. Cette seconde interprétation doit être retenue.

14. En premier lieu, dans sa version issue de la loi n° 70-1298 du 31 décembre 1970, ayant créé les baux à long terme, l'article 870-25 du code rural, devenu l'article L. 416-1, précisait que la durée minimale du bail à long terme était fixée à dix-huit ans « sous réserve des dispositions de l'article 870-26 » de ce code, qui correspond désormais à l'article L. 416-4.

15. En second lieu, interdire la conclusion d'un bail à long terme lorsque le preneur est proche de l'âge de la retraite priverait les parties de la faculté de bénéficier de cet outil renforçant la stabilité de l'exploitation et offrant des avantages au bailleur, alors qu'une cession de bail au profit d'un membre de la famille du preneur, en application de l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, peut, sous réserve des dispositions de l'article L. 416-2, alinéa 3, de ce code, permettre d'atteindre la durée de dix-huit ans prévue au contrat, un fermier n'étant par ailleurs pas tenu de cesser son activité lorsqu'il atteint l'âge légal de la retraite.

16. Il y a donc lieu de juger que l'article L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime ne fait pas obstacle à la conclusion d'un bail à long terme par un preneur qui se trouve à moins de neuf ans de l'âge de la retraite et qu'un tel bail est d'une durée minimale de dix-huit ans.

17. En l'espèce, pour prononcer la nullité du bail à long terme, l'arrêt retient qu'un tel bail ne peut valablement être consenti à un preneur qui est à moins de neuf ans de l'âge de la retraite.

18. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare le tribunal paritaire des baux ruraux de La Flèche compétent pour trancher le litige, l'arrêt rendu le 12 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Davoine - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 416-1 et L. 416-4 du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 5 avril 1995, pourvoi n° 93-16.260, Bull. 1995, III, n° 96 (cassation) ; 3e Civ., 3 octobre 2007, pourvoi n° 06-18.817, Bull. 2007, III, n° 163 (cassation partielle).

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